B. UN CHEMINEMENT PARALLÈLE À LA RÉFORME BUDGÉTAIRE : LES STRATÉGIES MINISTÉRIELLES DE RÉFORME

Parfois présentées comme le « cinquième pilier » de la réformes de l'Etat ave la LOLF, la décentralisation, la simplification du droit et la réforme des fonctions publiques, les stratégies ministérielles de réforme (SMR) font l'objet, depuis leur naissance, d'une communication soutenue, à la mesure de leurs ambitions.

1. 2003 : la naissance des stratégies ministérielles de réforme

Les stratégies ministérielles de réforme (SMR) , dont la mise en place a été annoncées par le Premier ministre le 2 décembre 2002, ont d'abord fait l'objet d'une circulaire datée du 25 juin 2003 85 ( * ) .

Une lettre conjointe du ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire et du ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, datée du 24 juillet 2003, a précisé les modalités de présentation des SMR.

Il s'agissait, pour les différents ministres, de présenter des stratégies de réforme au Parlement et au Premier ministre sur la base d'un réexamen systématique des missions et des structures de leurs départements respectifs, en cohérence avec les avancées de la décentralisation et la mise en oeuvre de la LOLF .

L'accent est également mis sur le développement des « démarches qualité », et sur l'évolution des modes de gestion des ressources humaines.

Les SMR ont été présentées à l'Assemblée nationale en séance, et ont pu être évoquées par les commissions des finances des deux assemblées à l'occasion de leurs auditions de ministres.

Cette implication du Parlement distingue les SMR des programmes pluriannuels de modernisation, mis en place en 1998 86 ( * ) par le Premier ministre, dont elles « descendent ».

Les SMR ne valent évidemment que par la précision des engagements qu'elles permettront de formuler. Une conséquence attendue de l'association du Parlement était l'enrichissement du dialogue concernant les évolutions des structures administratives, qui ne concerne habituellement que l'administration et les syndicats. En tout état de cause, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2004, votre commission des finances a procédé à certaines auditions de ministres, aux fins, notamment, d'obtenir certains de ces engagements.

Engagements des ministres auditionnés par votre commission des finances
à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2004

- le 30 octobre 2003, M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation et de la recherche , a formulé des engagements chiffrés portant sur la réduction du nombre d'enseignants en sureffectifs dans leur discipline ;

- le 4 novembre 2003, M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales , s'est engagé, en conséquence de la mise en place d'un nouveau système d'immatriculation à vie des véhicules de la police nationale, à redéployer 600 emplois vers d'autres priorités à partir de 2006-2007, et à doubler en 2004 le nombre de reconduites à la frontière ;

- le 12 novembre 2003, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense , s'est engagée à budgétiser les dépenses liées aux opérations militaires extérieures (OPEX) dès le projet de loi de finances pour 2005 ;

- le même jour, M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité , s'est engagé à diminuer de 100.000 le nombre d'offres d'emplois non pourvues d'ici à fin 2004 , et à faire en sorte que la compensation du transfert du RMI au département soit intégrale , prenant notamment en compte les effets de la réforme de solidarité spécifique ;

- le 18 novembre 2003, M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer , s'est engagé à réformer son ministère par la création de pôles performants regroupant ses services régionaux, par la réorganisation de l'administration des routes, et par le regroupement de directions d'administrations centrales ;

- enfin, le 20 novembre 2003, M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la justice , s'est engagé à appliquer la rémunération au mérite à 10.000 cadres de son ministère en 2004.

Idéalement, ces stratégies constituaient pour chaque ministre le cadre privilégié de l'identification des réformes à engager par son département ministériel. Il était prévu qu'elles fassent l'objet d'un suivi et d'une actualisation annuels. Le contenu des SMR est à la fois plus vaste que celui de la LOLF - la réflexion sur les missions et structures va au-delà du quantifiable -, et plus restreint : il s'agit surtout de la modernisation des ministères.

La DMGPSE 87 ( * ) (délégation à la modernisation des structures de l'Etat) est chargée du suivi, de l'animation et de l'évaluation des SMR . Ces travaux se font en concertation avec la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), la délégation aux usagers et aux simplifications administratives (DUSA), et le ministère délégué au budget et à la réforme budgétaire.

2. 2004 : la naissance d'une méthode, des ambitions nouvelles

Au mois de juin 2004, le Premier ministre a demandé à chaque ministre de tirer un bilan des SMR pour 2004, et de les réactualiser sur un mode plus ambitieux, la coordination et la conduite des travaux ayant été confiées au ministère de la réforme de l'Etat.

Chaque ministre a ainsi été invité à procéder à un réexamen systématique des missions de son ministère et des structures qui le servent, en distinguant les missions qui peuvent être déléguées ou abandonnées, à présenter un programme d'actions pour améliorer la productivité et l'efficacité des administrations ainsi que la qualité du service public, et à réfléchir à des propositions opérationnelles permettant de mieux récompenser les efforts accomplis par les agents, de simplifier et moderniser le cadre de leur action et de mieux mobiliser leur énergie et leurs compétences.

Les ministres ont remis leurs travaux à la fin du mois de juin. Une concertation a ensuite été engagée avec le ministère de la réforme de l'Etat , qui a réuni autour de lui des « spécialistes de la conduite du changement » et des membres des différents corps d'inspection, dans le but de hiérarchiser les propositions des ministères, en identifiant celles qui sont susceptibles d'améliorer la productivité, la qualité du service ou la qualité de la gestion, de préciser ou enrichir ces propositions et consolider les dispositifs de pilotage, d'inciter les ministères à prendre des engagements mesurables en termes de gains de productivité ou d'amélioration de la qualité de service ou de la gestion.

Malgré cette inflexion quantitative, en raison de leur caractère pluriannuel, les SMR ne doublonneraient pas les projets annuels de performance (PAP) prévus par la LOLF.

Sur plus de 500 propositions, 225 « actions prioritaires » ont été sélectionnées au terme de la concertation précitée. Elles se répartissent de manière à peu près égale entre celles qui permettent d'accroître la productivité des administrations et celles qui permettent d'améliorer l'efficacité de l'action publique ou la qualité du service rendu.

La plupart de ces 225 actions ont fait l'objet d'un engagement chiffré et daté de la part du ministère concerné afin de favoriser la naissance d'une « culture de l'engagement » au sein des administrations.

Les mesures proposées portent, sauf quelques exceptions, sur les moyens d'action directs de l'administration, qui représentent une assiette économique de 95  milliards d'euros (salaires et frais généraux de l'Etat).

Ces mesures permettront d'améliorer la productivité des administrations et de dégager, à l'horizon 2007, une économie de l'ordre de 1,5 milliard d'euros par an, qui enregistre l'effet de la suppression ou du redéploiement de 10.000 emplois , correspondant à une économie proche de 350 millions d'euros.

Sur la période 2005-2007, les gains de productivité attendus ressortent donc à 0,5 % annuels, ce qui ne semble pas déraisonnable.

Exemples d'actions de réforme


• Rationalisation des achats publics : capitalisant sur l'expérimentation conduite au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, les ministère de l'équipement, de l'agriculture, de l'écologie, de l'emploi et de la cohésion sociale et les services généraux du Premier ministre (SGPM) ont engagé une démarche coordonnée par le secrétariat d'Etat à la réforme de l'Etat. Celle-ci doit permettre de dégager 200 millions d'euro par ans d'économies en 2007 ;


• amélioration du rendement du recours aux professeurs remplaçants : (ministère de l'éducation nationale) : en juin 2004, le nombre de journées de suppléance réellement assurées représentait 50 % du potentiel mobilisable auprès des titulaires sur zones de remplacement ; cette proportion s'élèvera à 54 % en juin 2005 et à 60 % en juin 2006 ;


• transformation du mode de gestion de la redevance audiovisuelle (ministère des finances) ;


• transfert aux caisses d'allocations familiales (CAF) de la gestion des prestations familiales dues aux agents de l'Etat ( ministère de la fonction publique) : ce transfert, mis en oeuvre dès le PLF 2005 (cf. supra l'examen des crédits) doit permettre d'« économiser » près de 600 emplois ;


• nouveau système d'immatriculation à vie des véhicules (ministère de l'intérieur) : une mise en place progressive est prévue à partir de 2006/2007 ;


• dématérialisation du journal officiel (services du Premier ministre) : la version en ligne du Journal Officiel ayant acquis valeur légale et pouvant ainsi remplacer la version papier, il est prévu de restructurer la direction des journaux officiels ;


• externalisation de la gestion et de l'entretien des véhicules de la gamme commerciale (ministère de la défense) : elle doit s'opérer à partir d'avril 2005 ;


• réduction du nombre d'administrations centrales : le ministère de l'équipement regroupera ses 14 directions d'administration centrale en 7 directions, et le ministère des finances en fusionnera trois (Trésor, DP, DREE) ;


• accueil des usagers : le 1 er janvier 2005, l'ensemble des services de l'Etat aura adopté un standard minimum en matière d'accueil des usagers et de traitement des réclamations (Charte Marianne) ;


• réduction du délai de remboursement aux entreprises des crédits de TVA (ministère des finances) : l'objectif est d'atteindre 80 % des remboursements sous 30 jours contre 65 % mi-2004.

Votre rapporteur spécial observe que nombre d'actions reposant sur le développement de l'administration électronique constituent la reprise de mesures figurant dans le programme « ADELE » ( infra ), lesquelles, dans une proportion importante, n'étaient d'ailleurs pas nouvelles. D'autres actions, en revanche, n'en sont qu'à l'état de conception.

Ainsi, il faut bien reconnaître que, sous une présentation souvent flatteuse, coexistent un nombre non négligeable de mesures préexistantes « subsumées » dans les SMR, et des mesures parfois hypothétiques.

Les 225 actions précitées ont été soumises à l'appréciation d'un comité d'évaluation des stratégies ministérielles de réforme 88 ( * ) , composé de dix personnalités 89 ( * ) indépendantes, qui s'est réuni le 14 septembre 2004.

Dans une conférence de presse 90 ( * ) du même jour, M. Francis Mer, président du comité d'évaluation, a déclaré : « Le problème que nous avons constaté, c'est que (...) l'analyse des missions que les différentes administrations sont en charge de remplir, ou de contester, ou de mettre en question, ou d'ajouter n'a pas été fondamentalement traité . ». Il a ajouté que « la plupart des ministères (...) hésitent à (...) expliciter les conséquences [ de leurs projets ] (...) notamment sur leurs effectifs ».

L'ensemble des SMR ont été transmises aux commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, dans la perspective de la discussion budgétaire.

Il est prévu que le comité précité se livre annuellement, pour chaque stratégie ministérielle de réforme, à une évaluation du bilan pour l'année en cours et de l'actualisation de la SMR pour les années à venir, qui seront proposés par chaque ministère.

* 85 Publiée au Journal officiel du 17 juillet 2003.

* 86 Circulaire du 3 juin 1998.

* 87 La DGMPSE a repris, depuis le 21 février 2003, une partie importante des attributions de la DIRE (délégation interministérielle à la réforme de l'Etat), qu'elle remplace.

* 88 Pour sa part, Mme Anne Balthazar, secrétaire nationale adjointe de la fédération générale des fonctionnaires Force ouvrière, interrogée par la revue Acteurs publics pour le numéro d'octobre 2004, y voit, de façon peu nuancée, « la mise en scène d'une politique de destruction du service public ». A l'évidence, un important travail de pédagogie s'impose encore en direction des syndicats, et probablement des personnels.

* 89 Il s'agit de : M. Francis Mer (président du comité d'examen), M. Franco Bassanini, ancien ministre (Italie), M. Daniel Bernard, président-directeur général du groupe Carrefour, M. Thierry Bert, chef du service de l'inspection générale des finances, Mme Jocelyne Bourgon, ambassadrice, représentante permanente du Canada auprès de l'OCDE, notre ancien collègue Gérard Braun, sénateur des Vosges, M. Bernard Brunhes, président-directeur général de Bernard Brunhes Consultants, M. Gilles Carrez, député du Val-de-Marne, rapporteur général de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, M. Roger Fauroux, ancien ministre, et de Mme Hélène Gisserot, procureur général près la Cour des comptes.

* 90 Adresse : http://www.dmgpse.gouv.fr/IMG/pdf/20040914a_SMR_conference_presse.pdf

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