N° 161

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 18 janvier 2006

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, pour le retour à l ' emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux ,

Par M. Bernard SEILLIER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Claire-Lise Campion, Valérie Létard, MM. Roland Muzeau, Bernard Seillier, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Gilbert Barbier, Daniel Bernardet, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontès, Sylvie Desmarescaux, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Etienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Francis Giraud, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, Christiane Kammermann, MM. Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mme Raymonde Le Texier, MM. Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Mmes Catherine Procaccia, Janine Rozier, Michèle San Vicente, Patricia Schillinger, M. Jacques Siffre, Mme Esther Sittler, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Vasselle, François Vendasi, André Vézinhet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 12 ème législ.) : 2668 , 2684 et T.A. 511

Sénat : 118 (2005-2006)

Emploi.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Lors de sa déclaration de politique générale le 8 juin dernier, le Premier ministre s'est engagé à gagner la « bataille pour l'emploi ». Dans cette perspective, le Gouvernement souhaite lever les obstacles qui jalonnent le parcours de retour à l'emploi pour ceux qui en sont le plus éloignés, à commencer par les bénéficiaires de minima sociaux.

Le présent projet de loi a donc pour objectif d'améliorer l'efficacité du principal outil existant en matière d'incitation à la reprise d'activité des bénéficiaires de minima sociaux, à savoir les dispositifs d'intéressement, et de desserrer les contraintes matérielles qui entourent la reprise d'activité.

A cet effet, le texte s'attache à harmoniser et à simplifier les dispositifs d'intéressement, afin de les rendre plus lisibles et donc plus attractifs pour leurs bénéficiaires potentiels. Il transforme le système complexe actuel d'allocations différentielles en un dispositif beaucoup plus compréhensible de primes forfaitaires. Ces primes seront complétées, le quatrième mois d'activité, par une prime de retour à l'emploi, d'un montant de 1.000 euros, pour faire face aux frais parfois très importants qu'entraîne le retour à l'emploi. En améliorant la prévisibilité des revenus en cas de reprise d'activité, le Gouvernement table sur un effet psychologique déclencheur pour les bénéficiaires de minima sociaux.

Pour la première fois, le projet de loi tient également compte de l'environnement du retour à l'emploi, en proposant aux bénéficiaires de minima sociaux une réponse concrète à la question de la garde de leurs jeunes enfants. Votre commission salue la prise de conscience que traduit cette disposition, même si elle mesure toute la difficulté de mettre en oeuvre un accueil préférentiel des enfants de bénéficiaires de minima sociaux en crèche, dans un contexte de pénurie de l'offre de garde.

Dans un souci de justice sociale, le projet de loi cherche ensuite à améliorer le dispositif de lutte contre la fraude aux minima sociaux. Celle-ci nuit à la fois à la légitimité de ces prestations pour l'opinion publique et à l'équité de leur attribution. L'Assemblée nationale a rendu sa cohérence au dispositif prévu par le texte initial qui avait été mise à mal par l'absence de coordination entre différents textes en navette. Votre commission ne peut qu'approuver cette initiative.

L'Assemblée nationale a enfin introduit un nouveau titre à ce projet de loi, afin de procéder à de nouvelles adaptations - très ponctuelles - du régime des contrats aidés créés par la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005.

*

* *

Votre commission soutient de façon générale les réformes proposées par le présent projet de loi. Elle tient cependant à souligner qu'il ne représente que la première étape d'une réforme plus profonde de l'ensemble du système français des minima sociaux : il ne concerne en effet que trois minima sociaux sur les neuf que compte notre système de protection sociale et, surtout, il ne s'attache qu'à la seule question de l'articulation entre minima sociaux et revenus d'activité.

Selon votre commission, une véritable réforme des minima sociaux devrait prendre en compte deux aspects : d'une part, une harmonisation des droits connexes attachés au bénéfice des minima sociaux et la modification de leurs conditions d'attribution en vue de leur mobilisation comme instrument en faveur du retour à l'emploi, d'autre part, la généralisation d'un accompagnement professionnel et social de qualité à l'ensemble des bénéficiaires de minima sociaux.

Deux propositions de loi, inspirées respectivement par les travaux du groupe travail de votre commission sur les minima sociaux et par le rapport remis en décembre dernier au Premier ministre par Michel Mercier et Henri de Raincourt, devraient prochainement être déposées sur le bureau du Sénat. L'ambition de votre commission est donc de se saisir à nouveau de ce sujet qu'elle étudie depuis plus de neuf mois à l'occasion de l'examen de ces deux textes, afin de proposer une mise en cohérence globale du système français des minima sociaux.

I. L'AMBITION PRINCIPALE DU PROJET DE LOI : SOUTENIR LE RETOUR À L'EMPLOI DES BÉNÉFICIAIRES DE MINIMA SOCIAUX

A. UNE PRISE DE CONSCIENCE PROGRESSIVE DES OBSTACLES AU RETOUR À L'EMPLOI DES TITULAIRES DE MINIMA SOCIAUX

1. L'intéressement : un outil d'incitation au retour à l'emploi ancien mais mal exploité

a) L'intéressement est aujourd'hui caractérisé par une pluralité de dispositifs, complexes et peu lisibles

L'intéressement, c'est-à-dire la possibilité de cumuler - de façon temporaire et dans la limite d'un plafond - revenus du travail et allocation, est une forme ancienne d'incitation au retour à l'activité. Dès la création du revenu minimum d'insertion (RMI) en 1988, le législateur avait prévu un tel mécanisme : il s'agissait d'encourager la reprise d'activité puis, une fois passée une période d'essai - initialement fixée à trois mois et désormais égale à six mois - de retirer progressivement le soutien de l'Etat, l'allocataire étant supposé avoir suffisamment consolidé sa situation professionnelle pour assurer seul les charges de son foyer.

Un dispositif d'intéressement, inspiré de celui applicable aux bénéficiaires du RMI, a également été mis en place pour les titulaires de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) et de l'allocation de parent isolé (API) par la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions.

Mais les modalités du cumul autorisé entre revenus d'activité et allocation ne sont pas identiques pour ces trois prestations :

- dans le cas du RMI et de l'API, l'intéressement s'appuie sur un mécanisme d'abattement sur les revenus d'activité pris en compte pour le calcul de l'allocation différentielle auquel peut prétendre le bénéficiaire : grâce à cet abattement, les personnes qui reprennent un emploi peuvent continuer à percevoir une partie de l'allocation même si le salaire qu'elles reçoivent est supérieur au plafond de ressources ouvrant droit normalement à la prestation. L'allocation différentielle diminue naturellement au fur et à mesure de l'augmentation du salaire perçu ;

- pour l'ASS, le mécanisme retenu est nettement plus complexe en raison de la nature même de cette prestation : il ne s'agit d'abord pas d'une allocation purement différentielle car elle peut se cumuler intégralement avec les autres revenus du bénéficiaire jusqu'à un premier plafond, puis à taux partiel jusqu'à un second plafond. Il s'agit ensuite d'une allocation journalière et non mensuelle comme le RMI et l'API. Il s'agit enfin d'une allocation chômage, par définition versée à raison d'une situation de non-emploi : son versement est, par conséquent, normalement interrompu dès la signature d'un nouveau contrat de travail. Pour toutes ces raisons, le mécanisme d'intéressement retenu consiste à autoriser un cumul entre salaire et allocation en échange d'une réduction du nombre de jours indemnisables dans le mois, calculé en fonction de la rémunération brute perçue. En pratique, cela revient à diminuer l'allocation qui aurait été théoriquement versée, en application des simples règles de plafond de ressources, d'un montant égal à 40 % de la rémunération brute de l'intéressé.

Dans tous les cas, les régimes d'intéressement prévoient une première période au cours de laquelle un cumul intégral entre salaire et allocation est possible, mais sa durée varie d'une prestation à l'autre, voire - pour une même prestation - d'un bénéficiaire à l'autre : ainsi, pour l'ASS, la durée de ce cumul intégral est de six mois, calculés de date à date à compter de la signature du contrat de travail, alors que pour le RMI et l'API, sa durée varie de trois à six mois, en fonction de la combinaison des dates de reprise d'activité et de révision trimestrielle des droits. Le régime apparemment plus favorable de l'ASS doit toutefois être nuancé car, pour cette allocation, le cumul intégral est soumis à un plafond de salaire, ce qui n'est pas le cas pour les autres allocations.

b) Un mécanisme qui ne porte pas les fruits escomptés lors de sa création

Soucieuse de tenir compte, dans toute leur diversité, des situations individuelles, notre législation sociale se perd en raffinements qui aboutissent à des dispositifs complexes et totalement hermétiques pour les non spécialistes et plus encore pour les bénéficiaires eux-mêmes. Tel est bien le cas pour les dispositifs d'intéressement à la reprise d'activité des bénéficiaires de minima sociaux : le mode de calcul de l'allocation différentielle à laquelle ils ont droit est d'une telle complexité que bien souvent, même les travailleurs sociaux, pourtant rompus à cet exercice, ont du mal à indiquer aux bénéficiaires le montant sur lequel ils peuvent compter.

Cette complexité pose deux problèmes spécifiques concernant le public des bénéficiaires de minima sociaux :

- elle nuit à la prévisibilité de leurs revenus, qui est pourtant indispensable pour des ménages fragiles et qui peut être une source de repli sur le revenu d'assistance, dont le montant préfixé rassure ;

- elle porte atteinte au caractère incitatif du dispositif d'intéressement car un système aussi complexe n'a aucune chance d'avoir un réel impact psychologique sur les comportements individuels.

L'efficacité des dispositifs d'intéressement est également amoindrie par la chronologie des revenus particulièrement heurtée à moyen terme qu'elle impose aux bénéficiaires. Ceux-ci doivent en effet gérer une réduction significative de leurs revenus au bout d'un an : un titulaire du RMI isolé qui retrouve un emploi à mi-temps voit son revenu reculer de 16 % en fin d'intéressement. La baisse peut atteindre jusqu'à 50 % dans le cas d'une femme seule avec deux enfants employée à mi-temps et qui bénéficie de l'API.

Ces difficultés expliquent que l'intéressement n'ait pas porté les fruits escomptés lors de sa création. Il reste peu connu : en 2004, quatre allocataires de l'ASS sur dix en ignoraient l'existence. Comme en atteste le tableau suivant, il est également peu utilisé :

Proportion de personnes en intéressement lors d'une reprise d'activité

Décembre 1998

Décembre 1999

Décembre 2000

Décembre 2001

Décembre 2002

0 RMI

0 12,3 %

0 14,1 %

0 13,6 %

0 12,2 %

0 13,3 %

1 API

1 n.c

1 n.c

1 5,1 %

1 5,1 %

1 5,6 %

2 ASS

2 16 %

2 16 %

2 13,8 %

2 12,8 %

2 13,2 %

Source : « Synthèse des bilans de la loi d'orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions », IGAS, rapport n° 2004-054 de mai 2004 - Calculs DREES (France métropolitaine, décembre 2003)

La faiblesse du taux de bénéficiaire de l'API en intéressement souligne également une autre lacune de ces dispositifs : ils ne tiennent pas compte de l'environnement de la reprise d'activité. Pour les parents isolés, la question de l'accès à un mode de garde se révèle être un frein parfois bien plus important à la reprise d'activité que la simple question de l'intérêt financier à retourner au travail. D'une façon plus générale, le retour à l'emploi entraîne des frais de toute nature qui découragent souvent les bénéficiaires d'entamer une recherche active d'emploi.

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