II. DES RÉACTIONS D'HOSTILITÉ AYANT PERMIS DE FAIRE ÉVOLUER LE TEXTE

A. LES OBJECTIONS FORMULÉES PAR LA FRANCE

D'une façon générale, la France a accueilli favorablement le principe même d'une simplification et d'une codification de la PAC, dès lors qu'elle profiterait à l'ensemble des acteurs concernés (agriculteurs, entreprises, administrations). En l'espèce, elle a considéré que ce strict objectif de rationalisation de la législation communautaire en matière agricole n'était pas atteint, pour des raisons tant de forme que de fond.

? Les critiques formelles

En pratique, il est apparu à la France que le texte proposé allait paradoxalement à l'encontre de l'objectif qu'il s'était fixé. Il remplaçait, en effet, les 21 OCM ayant chacune leurs règlements d'application bien identifiés, par près de 200 articles traitant de presque tous les types de production. Il était dès lors légitime de s'interroger sur la réduction de la charge administrative pour des agriculteurs et des opérateurs économiques confrontés à un texte unique de quelques 200 pages dont 90 % ne les concerneraient pas et où les dispositions particulières les intéressant seraient dispersées un peu partout.

Par ailleurs, les changements de vocabulaire réalisés par la Commission afin d'unifier sa sémantique entre domaines proches ont été analysés comme donnant lieu à des imprécisions ou confusions. Par exemple, des termes identiques ont été utilisés pour qualifier les références laitières et les quotas sucriers, aboutissant à une libéralisation concomitante des deux secteurs.

L'assise juridique des différentes organisations de marchés intégrées a également été fragilisée. Ne restent en effet que 102 « considérants » dans le texte proposé, contre plusieurs centaines dans les anciennes OCM. Ces « considérants » se voient aussi privés de la valeur explicative des instruments de la PAC qu'ils revêtaient auparavant.

De plus, manquent à ce texte des études d'impact, tant juridiques qu'économiques. La fiche financière, notamment, ne fait état d'aucun coût, la Commission considérant qu'il ne s'agit que d'une codification de l'existant à droits constants. Or, il semble bien que les démarches d'harmonisation de législations des différentes OCM peuvent générer des coûts pour certains producteurs ainsi que pour certaines administrations ou entreprises.

Le calendrier de certaines réformes sectorielles de la PAC n'a pas été respecté. La Commission a en effet anticipé sur les révisions en cours des OCM fruits et légumes, et vin, mais en partie seulement. Prévoyant par principe de les exclure de l'OCM unique du fait de leur actuelle renégociation, elle a cependant inclus certains de leurs éléments (règles de concurrence, définition des campagnes, régime des comités de gestion ...) au prétexte qu'ils ne feraient pas l'objet de discussions, ce qui n'a rien d'assuré.

? Les critiques de fond

L'harmonisation entre les différentes OCM, visant à parvenir à des rédactions communes pour les dispositions similaires, s'est faite en partie au détriment des spécificités sectorielles de chacune de ces OCM. Le Parlement européen a indiqué clairement que ce texte devait « être uniquement un acte de simplification technique » et non un instrument discret pour instaurer des réformes. Par exemple, alors que les clauses de sauvegarde sur l'huile d'olive étaient plus avancées que celles existant pour les autres produits, la Commission a réalisé une harmonisation « par le bas » en prenant pour base ces dernières. De la même façon, le mécanisme d'intervention existant dans le secteur porcin a été supprimé par la Commission au prétexte qu'il n'a pas été utilisé depuis une trentaine d'années, alors que son utilité serait totalement ravivée dans le cas d'une crise affectant le secteur.

De très importants transferts de compétences ont été réalisés du Conseil vers la Commission, celle-ci s'autonomisant substantiellement dans la gestion de la PAC. Ces transferts, contraires à l'esprit démocratique, sont de deux ordres :

- d'une part, la Commission souhaite déclasser des règlements du Conseil afin de pouvoir elle-même les modifier et fixer certains paramètres dépendant jusqu'alors de ce dernier (prix, ouverture de contingents, périodes de campagne ...) ;

- d'autre part, elle prévoit également de se donner la possibilité de prendre seule des décisions qui étaient, jusqu'à présent, prises en comités de gestion.

S'ils n'affectent apparemment que des aspects techniques (qualité des céréales mises à l'intervention, normes de commercialisation des oeufs, critères des carcasses de bovins et ovins ...), ces transferts recouvrent en réalité des enjeux politiques forts. En effet, la détermination de ces éléments a une influence directe sur le champ d'intervention communautaire de soutien à chacun des secteurs concernés.

Le sort réservé à ces comités de gestion est justement lui aussi l'objet de critiques. La Commission entend les supprimer et leur substituer un comité unique, dont les attributions seraient toutefois inférieures à la somme des compétences des comités actuels. Ce comité « multi marché » ne serait en effet pas compétent pour discuter des analyses de marché et ne servirait au final que de chambre d'enregistrement. Il n'y aurait donc plus, à terme, ni politique de marché, ni politique de gestion des crises.

Enfin, l'importante question des organisations de producteurs et des interprofessions semble, dans la rédaction qu'en donne le projet de règlement d'OCM unique, peu clairement traitée, comme l'a souligné lors de son audition le directeur du Comité de liaison des industries agroalimentaires (CLIAA), M. Jean-Paul Jamet. La proposition de règlement prévoit en effet la reconnaissance de celles de ces institutions qui servent de support à une politique communautaire. Or, ceci n'est le cas que pour certains secteurs (tels que le tabac ou le houblon). Un raisonnement a contrario laisse à penser que les organisations et interprofessions des autres secteurs, toutes aussi importantes pour leur structuration et leur régulation, ne sont pas reconnues et donc interdites. Il conviendrait donc de modifier l'article 108 de la proposition de règlement, de façon à reconduire le cadre normatif communautaire aujourd'hui applicable à ces organismes et à leur conserver une certaine souplesse de gestion au niveau national.

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