III. ASSURER DES PROGRÈS RÉALISTES POUR LA SÉCURITÉ DES RÉSEAUX ET LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS

Le texte E-3702, qui fixe de nouvelles obligations aux opérateurs de communications électroniques en matière de transparence à l'égard des consommateurs, repose sur une extension des pouvoirs de la Commission européenne à des fins d'harmonisation (article 21 de la directive « service universel ») ; rien n'indique que cette extension soit absolument nécessaire, au vu de la précision des obligations que le projet de directive envisage de faire peser sur les opérateurs et des spécificités des marchés nationaux. C'est la raison pour laquelle votre commission rejoint M. Malcolm Harbour lorsque, dans son projet de rapport à la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs du Parlement européen, il propose de refuser à la Commission de s'arroger un rôle de surveillance du respect par le marché des droits des consommateurs .

Il n'empêche que les attentes des consommateurs à l'égard d'une meilleure lisibilité tarifaire doivent être entendues mais sans doute diffèrent-elles d'un pays à l'autre et le niveau communautaire n'est-il pas le mieux à même d'y répondre. D'ailleurs, même à l'échelon national, le régulateur français, par la voix de son président, considère que son rôle devrait se limiter à définir, en collaboration avec les représentants des consommateurs, le cadre de l'information que les opérateurs seraient tenus de rendre publique, mais ne pas s'étendre à la collecte de cette information.

Au-delà de ces considérations d'ordre institutionnel, il convient de mesurer la plus-value réelle, pour les consommateurs, des mesures proposées par la Commission et de s'interroger sur le caractère approprié ou proportionné des obligations qu'elles créent pour les opérateurs ou les autorités publiques.

En matière de portabilité des numéros , les représentants des consommateurs auditionnés par le groupe de travail sont convenus de l'impact positif sur la concurrence et sur la transparence des prix d'un raccourcissement des délais de portabilité, mais envisagent de ramener de dix à deux jours le délai de cette portabilité. La proposition de la Commission de limiter à vingt-quatre heures ce délai apparaît donc excessive, puisqu'elle va même au-delà de la demande des consommateurs.

Les opérateurs font valoir, en outre, qu'il serait absurde de prévoir une portabilité en vingt-quatre heures quand le délai de rétractation prévu par le droit communautaire de la consommation est de sept jours : ceci exposerait les consommateurs à des risques d'interruption de services en cas de rétractation ... Par ailleurs, puisque la Commission, prenant acte de la convergence croissante entre fixe et mobile, envisage la possibilité d'appliquer aux services de téléphonie fixe ces mêmes délais de portabilité, les opérateurs font observer que le changement de fournisseur d'accès internet haut débit exige souvent une intervention physique sur le réseau (dans le cadre du dégroupage) pour construire l'accès, intervention qui ne peut se faire systématiquement dans la journée où elle est demandée ; une portabilité en 24 heures pourrait aussi mettre à mal la sécurité des procédures de sa mise en oeuvre (comme le laissent présumer les cas d'écrasement de ligne ou « slamming » déjà constatés en matière de dégroupage).

L'AFOM souligne enfin qu'une éventuelle portabilité des numéros entre fixe et mobile serait prématurée et entraînerait une perte d'information tarifaire pour les consommateurs, lesquels ne pourraient plus bénéficier de la lisibilité qui découle de l'architecture actuelle du plan de numérotation en France, qui attribue des tranches de numéros distinctes aux services de téléphonie fixe ou mobile.

De même, la proposition de la Commission d'obliger tout opérateur à notifier aux abonnés toute atteinte à leurs données personnelles, si elle peut contribuer à une meilleure transparence au profit des consommateurs, pourrait se révéler contre-productive en nourrissant l'inquiétude des consommateurs voire en provoquant des attaques pour tester la sécurité des réseaux. Sans doute serait-il donc préférable de prévoir l'accord préalable du régulateur national avant tout type de communication en matière de sécurité ou, comme le propose l'AFOM, de limiter l'information du consommateur aux seules atteintes à ses données personnelles qui seraient susceptibles de lui porter préjudice.

S'agissant du sujet de la neutralité de l'internet -« net neutrality »-, tout juste effleuré par la Commission mais pourtant largement débattu outre-Atlantique, les représentants des consommateurs auditionnés par le groupe de travail s'inquiètent de l'ouverture manifestée par la Commission à l'égard de restrictions, certes raisonnables, que les opérateurs pourraient décider d'apporter à l'accès à certains contenus, au nom de la qualité de service. Ils font valoir la nécessité d'assurer à tout utilisateur d'internet un égal accès aux mêmes services. Votre rapporteur comprend la préoccupation des représentants des consommateurs, la possibilité de dérogation au principe de neutralité de l'internet pouvant paraître attentatoire à la liberté qui est consubstantielle à l'usage d'internet. Il relève, à cet égard, que l'article 8.g) de la directive-cadre, dans la rédaction proposée par le texte E-3701, pose le principe général selon lequel « les utilisateurs finaux doivent pourvoir accéder à tout contenu licite et en diffuser, et utiliser toute application et/ou service licite de leur choix », garantit un internet ouvert .

Toutefois, il n'ignore pas la nécessité, pour les opérateurs, de réguler le trafic en accordant, selon les services, une bande passante de taille variable sur leurs réseaux, afin de prévenir tout engorgement et d'assurer aux consommateurs finals une qualité de service optimale. Les opérateurs de réseaux doivent pouvoir conserver un pouvoir d'arbitrage pour prévenir les situations critiques pour leurs infrastructures. Il serait donc utopique de prétendre interdire toute forme de régulation du trafic -« traffic shaping »- et d'écarter toute contribution des services tirant profit de la bande passante disponible sur les réseaux, au financement de ces infrastructures. Surtout, comme l'a fait observer la Fédération française des télécommunications lors de son audition, le caractère « ouvert » de l'internet est assuré par l'environnement concurrentiel, les possibilités simplifiées de changement d'opérateur et l'application du principe de non discrimination.

Votre rapporteur approuve donc la proposition de la Commission et considère essentiel d'informer les consommateurs des éventuelles restrictions apportées à l'accès aux contenus, la transparence sur ce sujet délicat pouvant sans doute contribuer à éviter les dérives redoutées.

Plus généralement, votre rapporteur estime que le degré d'ouverture de l'internet résulte à la fois de l'attitude des opérateurs de réseaux et de celle des fournisseurs de contenus, susceptibles, pour leur part, de discriminer entre les opérateurs de réseaux. Cette problématique d'accès aux contenus et de partage de la valeur n'est qu'à peine abordée par le « paquet télécom » proposé par la Commission, ce que regrette votre rapporteur 18 ( * ) .

Concernant la lutte contre le piratage sur internet , les propositions de la Commission exigent d'une part que les consommateurs soient clairement informés, avant la conclusion d'un contrat et régulièrement par la suite, de leurs obligations en matière de respect des droits d'auteurs et des droits voisins, ce qui paraît effectivement indispensable 19 ( * ) . Elles prévoient d'autre part que les autorisations générales délivrées à un service de communications électroniques peuvent être assorties de conditions relatives au respect des mesures nationales de mise en oeuvre des directives communautaires relatives aux droits d'auteur et de la propriété intellectuelle 20 ( * ) . Votre commission s'interroge sur la légitimité de cette disposition, dans la mesure où les législations nationales prévoient déjà une sanction, par le juge ou une autorité administrative spécifique, à tout manquement à ces droits. Sans doute l'efficacité de ces sanctions n'est-elle pas démontrée à ce jour, mais n'est-ce pas excessif de faire du respect de ces droits une condition générale d'accès à une autorisation ?

En matière de sécurité des réseaux , votre commission n'est pas convaincue par la proposition de la Commission européenne de reporter sur la nouvelle autorité européenne les missions aujourd'hui assumées par l'Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l'information (ENISA). Défavorable sur le fond au projet de création d'une autorité européenne pour la régulation des marchés de services de communications électroniques, votre commission note également le risque , mis publiquement en avant par les experts conseils de l'ENISA 21 ( * ) , qu'il y aurait à réduire la sécurité aux services de communications électroniques : toute la chaîne technologique qui contribue à la sécurité -depuis l'équipement informatique jusqu'aux systèmes d'exploitation- serait méconnue et la prise en compte de certains utilisateurs et secteurs (banques, logiciels...) serait négligée.

Enfin, concernant les services d'urgence , la proposition, à l'article 26 de la directive « service universel » issu du texte E-3702, d'imposer, aux frais de l'opérateur, la transmission gratuite aux autorités gérant les urgences de la localisation de l'appelant. L'ensemble des opérateurs ont fait valoir, par la voix de la Fédération française des télécommunications, les obstacles techniques qui persistent à rendre difficile cette transmission en mode « push ». Ils estiment en outre que les investissements, que la mise en oeuvre d'une telle mesure impliquerait sur le réseau cuivre, seraient rapidement perdus du fait que ce réseau téléphonique commuté touche à sa fin et devrait à terme être supplanté par les nouveaux réseaux en fibre optique.

Votre commission propose donc de confirmer le besoin d'une meilleure protection des consommateurs de services de communications électroniques, dans le souci d'améliorer la transparence et la lisibilité tarifaire. Mais elle invite à ne pas faire peser, à ce titre, d'obligations excessives ou inappropriées sur les autorités publiques ou les opérateurs, votre commission ayant adopté la proposition faite par M. Michel Teston et les membres du groupe socialiste dans leur amendement n° 5 d'éviter prioritairement aux autorités publiques de telles obligations.

Enfin, pour conclure sa proposition de résolution, votre commission insiste sur l'importance, pour l'Europe, d'un fonctionnement optimal des réseaux et services de communications électroniques, vecteur fondamental de diversité culturelle, mais aussi de développement économique, précision que votre commission a bien voulu apporter suite à l'amendement n° 6 présenté par M. Michel Teston et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Lors de sa réunion du mercredi 21 mai 2008, votre commission des affaires économiques a examiné le texte présenté par son rapporteur, au nom du groupe de travail. Après avoir y avoir apporté des modifications, au vu des amendements déposés, elle a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution dont le texte suit, le groupe socialiste, apparentés et rattachés s'abstenant et le groupe communiste républicain et citoyen votant contre.

* 18 Dans une contribution adressée à votre rapporteur, Bouygues Telecom suggère même d'élargir la définition de l'accès pour y inclure l'accès aux contenus, afin d'éviter l'apparition de barrières injustifiées à l'interopérabilité entre les réseaux.

* 19 Article 1 er du texte E-3702 modifiant l'article 20, paragraphe 6, de la directive « services universels »

* 20 Point A.19 de la directive autorisation, résultant du texte E-3701 et faisant référence aux directives 2001/29/CE et 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil.

* 21 In Europolitique , n°3502, 3 avril 2008.

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