EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi en première lecture de la proposition de loi tendant à modifier l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et à compléter le code de justice administrative, adoptée par l'Assemblée nationale le 28 avril dernier.

Ce texte présenté à l'initiative de M. Bernard Accoyer, Président de l'Assemblée nationale, s'inscrit dans le prolongement de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et des modifications qu'elle implique dans le rôle et le fonctionnement du Parlement.

Il poursuit trois objectifs : d'une part, il permet de prendre en compte dans l'ordonnance du 17 novembre 1958 les modifications introduites à l'article 88-4 de la Constitution concernant les prérogatives du Parlement pour les questions européennes. Ensuite, en cohérence avec l'affirmation de la mission de contrôle exercée par les assemblées et de la réflexion qu'elles ont engagée pour en conforter la mise en oeuvre, la proposition de loi procède à une rationalisation des structures parlementaires actuelles. Enfin, sur la proposition de M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale et rapporteur de la proposition de loi, les députés ont complété ce texte pour y définir les modalités de mise en oeuvre du dernier alinéa de l'article 39 de la Constitution qui ouvre au président de chaque assemblée la faculté de recueillir l'avis du Conseil d'Etat sur une proposition de loi.

La prise en compte des modifications apportées à l'article 88-4

La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a apporté une double modification à l'article 88-4 de la Constitution :

- elle a consacré dans la Constitution, tout en modifiant leur désignation, l'existence des structures parlementaires consacrées à l'Union européenne d'abord instituées par le législateur 1 ( * ) . Ces organes sont désormais dénommés « commissions chargées des affaires européennes » sans toutefois être assimilés aux commissions permanentes à compétence législative afin que soit préservée leur compétence transversale ;

- elle a élargi le champ des documents qui doivent être transmis au Parlement à tous les projets ou propositions d'actes européens alors que cette obligation était jusqu'alors bornée à ceux de ces textes comportant des dispositions de nature législative.

L'article premier de la proposition de loi modifie les articles 6 bis et 6 septies de l'ordonnance du 17 novembre 1958. Il renvoie également aux règlements de l'Assemblée nationale et du Sénat les règles de composition, de désignation des membres et de fonctionnement de ces commissions actuellement détaillées par l'article 6 bis de l'ordonnance -solution en effet plus conforme au principe d'autonomie des assemblées.

La rationalisation des structures de contrôle et d'observation

La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a complété le premier alinéa de l'article 24 de la Constitution afin de consacrer la mission de contrôle et d'évaluation du Parlement : « le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques ». En outre, dans le cadre des nouvelles règles de répartition de l'ordre du jour, « une semaine de séance sur quatre est réservée par priorité et dans l'ordre du jour fixé par chaque assemblée au contrôle de l'action du Gouvernement et à l'évaluation des politiques publiques » (art. 48, 4 è alinéa, de la Constitution).

La fonction de contrôle est l'une des missions fondamentales du Parlement. Elle s'exerce traditionnellement par la voie des commissions permanentes, et de manière plus spécifique à travers les commissions d'enquête dans le cadre défini par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 ainsi que par les missions d'information qui peuvent être communes à plusieurs commissions.

Les assemblées ont cependant développé, plus particulièrement au cours des trente dernières années, des organes spécifiques -délégations ou offices- chargés d'assurer une mission de contrôle dans un domaine précis.

Le premier de ces organes -commun aux deux assemblées- avait été créé par la loi du 27 juin 1964 portant statut de l'ORTF, dans le domaine de la communication audiovisuelle. Cette « représentation du Parlement », placée auprès du ministre chargé de l'information, devenue la première « délégation » en vertu de la loi du 3 juillet 1972, a été abrogée par la loi du 27 novembre 1986 instituant une commission nationale de la communication et des libertés remplacée trois ans plus tard par le Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Depuis lors des structures comparables d'une importance très variable ont été instituées dans les domaines les plus divers 2 ( * ) . Ces organes ne présentent pas de caractère homogène . Sans doute la plupart d'entre eux ont-ils été créés par la loi et inscrits dans l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Cependant, l'Observatoire de la décentralisation a été institué au Sénat par un arrêté du Bureau en date du 30 novembre 2004.

Par ailleurs, ils peuvent être communs aux deux assemblées (délégations aux problèmes démographiques, offices d'évaluation législative des politiques publiques et des politiques de santé, office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques) ou propres à chacune d'entre elles (délégations à l'aménagement du territoire, aux droits des femmes, à la planification).

Délégations ou offices ont cependant plusieurs points communs . Ils manifestent d'abord le souhait du Parlement d'améliorer son information dans un domaine pour lequel il marque un intérêt particulier. Les offices constituent plus particulièrement des instruments d'évaluation susceptibles de procurer de nouveaux moyens d'aide à la décision.

Par ailleurs, leurs missions et leurs prérogatives sont strictement limitées. Le Conseil constitutionnel en a précisé le cadre à l'occasion de sa décision sur la loi n° 82-653 du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification ayant institué les délégations parlementaires du même nom : « il n'est pas interdit au législateur, dans le cadre de l'organisation du travail législatif, de créer des organismes qui seront associés à la préparation du plan et fourniront tant au Gouvernement qu'au Parlement des informations et des suggestions, dès lors qu'en aucun cas leurs avis n'auront force obligatoire et que le Gouvernement demeure libre de procéder à son gré à toutes autres consultations qu'il jugera utiles et de conduire, dans le plein exercice de ses droits, la préparation et la présentation des projets de loi, l'exécution des lois de plan et le contrôle de celle-ci » 3 ( * ) .

Le Sénat s'est traditionnellement montré réservé à l'égard de l'institution de structures dont le rôle, du moins pour certaines d'entre elles, ne se démarquait pas clairement des attributions des commissions permanentes. Tel fut le cas par exemple lors de la création de la délégation parlementaire pour les problèmes démographiques par l'article 13 de la loi du 31 décembre 1979 relative à l'interruption volontaire de grossesse ou, plus récemment, de la création des offices parlementaires d'évaluation des politiques publiques et de la législation par les lois du 14 juin 1993.

La plupart de ces organismes exercent leurs compétences, comme le précise leur statut constitutif, « sans préjudice des compétences des commissions permanentes ». En outre, ils ne disposent généralement pas d'une capacité d'autosaisine.

Force est de constater que ces organes ont connu des fortunes très diverses . Seuls ont vraiment prospéré ceux qui sont intervenus en complémentarité des commissions permanentes soit par l'affirmation d'une activité transversale (délégation -aujourd'hui commmission- pour les affaires européennes, délégation aux droits des femmes) soit par la valorisation d'une très forte capacité d'expertise (office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et, au Sénat, la délégation pour la planification).

Au contraire, la délégation aux problèmes démographiques est rapidement tombée en désuétude. L'office d'évaluation des politiques publiques qui ne fonctionnait plus depuis 1999 a été supprimé par la loi de finances pour 2001 du 30 décembre 2000.

Aujourd'hui, le cadre général dans lequel le Parlement exerce sa mission de contrôle a beaucoup évolué . D'abord les moyens de contrôle dont sont dotées les commissions permanentes ont été progressivement renforcés. Dès 1996, celles-ci se sont vu reconnaître la faculté de demander à leur assemblée les pouvoirs d'une commission d'enquête pour une mission déterminée et une durée n'excédant pas six mois.

Par ailleurs, la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances a doté les « missions de contrôle et d'évaluation » des commissions des finances de nouveaux instruments. Dans le cadre de ces missions, les présidents des commissions des finances peuvent recourir à une procédure de référé pour faire cesser l'entrave à la communication de renseignements (article 59 de la LOLF). Si des observations sont notifiées au Gouvernement en conclusion des travaux d'une mission de contrôle et d'évaluation, celui-ci est tenu d'y répondre dans un délai de deux mois (article 60 de la LOLF).

Sur ce modèle, à la suite de la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, une « mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale » a été constituée au sein de la commission de chaque assemblée saisie au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale. Autour du Président et du rapporteur pour les équilibres financiers et l'assurance maladie, membres de droit, siègent dix membres proposés par les groupes politiques.

De manière générale, les commissions permanentes ont beaucoup développé leur capacité de contrôle en dépit de l'instauration de la session unique, telle votre commission des lois qui depuis plusieurs années a initié le principe de missions d'information -dont certaines menées conjointement avec d'autres commissions- confiées à un « binome » de rapporteurs appartenant l'un à la majorité, l'autre à l'opposition.

Il apparaît donc nécessaire de chercher une meilleure articulation entre les commissions permanentes et les autres organes parlementaires.

En outre, si les deux assemblées ont marqué leur volonté de développer la capacité de contrôle, elles peuvent aussi souhaiter retenir des orientations et des priorités qui leur soient propres. Le cadre juridique des délégations et offices qui, dans leur quasi-totalité, procèdent de la loi, n'est pas, à cet égard, le plus adapté à l'exigence de souplesse et au respect de l'autonomie de chaque assemblée. La délégation pour la planification n'a ainsi jamais fonctionné à l'Assemblée nationale alors qu'elle a produit au Sénat, grâce à l'évolution de ses centres d'intérêt et de ses méthodes, un travail remarquable.

Votre commission estime qu'à l'exception des organes qui doivent rester communs aux deux assemblées -tel l'office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques- ou qui sont susceptibles d'exercer un pouvoir de contrainte à l'égard du Gouvernement, les structures destinées à favoriser l'information du Parlement ou à développer une capacité d'évaluation peuvent procéder d'une décision interne de chaque assemblée.

Le groupe de travail sur la révision constitutionnelle et la réforme du Règlement présidé par M. Gérard Larcher, Président du Sénat, avait appelé de ses voeux une architecture plus rationnelle et efficace des structures de contrôle en s'appuyant sur la compétence acquise par les commissions permanentes ainsi que par la commission chargée des affaires européennes et par certaines structures parlementaires de contrôle. Il avait examiné plusieurs pistes de réflexion parmi lesquelles l'organisation des structures autres que les commissions et l'office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques autour de trois grands pôles : la parité entre les hommes et les femmes, les collectivités territoriales, l'évaluation et la prospective -chacun de ces pôles pouvant être organisé de manière homogène afin de mener une mission d'information, de réflexion et d'appui complémentaire du travail législatif et de contrôle des commissions.

Cette réflexion doit encore se poursuivre avec l'objectif de conforter la spécificité du Sénat dans sa capacité à conduire un travail de contrôle approfondi dont la qualité est unanimement reconnue et à mener une évaluation de moyen terme.

L'article 2 de la proposition de loi propose la suppression de l'office parlementaire d'évaluation de la législation, de l'office parlementaire d'évaluation des politiques de santé ainsi que de la délégation parlementaire pour la planification. Par ailleurs, les articles 3 et 4 ajoutés au texte initial de la proposition de loi à l'initiative de la commission des lois de l'Assemblée nationale, visent à supprimer la délégation parlementaire pour les problèmes démographiques et les délégations parlementaires pour la planification.

Votre commission approuve ces modifications qui permettraient à chaque assemblée de redessiner l'architecture des organes d'évaluation et de contrôle selon ses priorités.

La détermination des conditions dans lesquelles le président d'une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d'Etat une proposition de loi

Aux termes du dernier alinéa de l'article 39 de la Constitution introduit par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, « dans les conditions prévues par la loi, le président d'une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d'Etat, une proposition de loi déposée par l'un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s'y oppose ». L'article 46 de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 subordonne l'entrée en vigueur de cette disposition aux conditions fixées par la loi. L'article premier A de la proposition de loi introduit dans ce texte à l'initiative de M. Jean-Luc Warsmann, répond à cette exigence.

Le dispositif adopté par les députés garantit à l'auteur d'une proposition de loi qu'il est informé par le président de son assemblée de l'intention de soumettre pour avis au Conseil d'Etat cette proposition et qu'il dispose d'un délai de cinq jours francs pour s'y opposer. L'avis du Conseil d'Etat serait adressé au président de l'assemblée qui le communiquerait à l'auteur de la proposition.

Par ailleurs, la procédure d'examen d'une proposition de loi par le Conseil d'Etat s'inspirerait de celle retenue pour les projets de loi. En outre, l'auteur de la proposition de loi serait admis à produire des observations, à être entendu par le rapporteur et à participer aux séances.

*

* *

Votre commission des lois a adopté le texte de la proposition de loi sans modification.

* 1 Les délégations parlementaires pour les communautés européennes ont été créées au Sénat et à l'Assemblée nationale par la loi n° 79-564 du 6 juillet 1979.

* 2 Voir tableau en annexe relatif aux offices et délégations parlementaires.

* 3 Décision n° 82-142 DC du 27 juillet 1982.

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