EXAMEN EN COMMISSION

La commission s'est réunie le mercredi 23 juin 2010. À l'issue de la présentation du rapporteur, elle a engagé le débat suivant :

M. Michel Billout :

Je remercie le rapporteur pour l'examen qu'il a fait de notre proposition de résolution. Cependant, je remarque que pour d'autres propositions de résolution, le rapport avait été confié à un membre du groupe ayant déposé la proposition. J'estime qu'il y a encore des progrès à faire en ce qui concerne les droits de l'opposition.

Ce texte reprend l'esprit d'une proposition de résolution présentée l'an dernier à la suite de l'opération « Plomb durci » menée par Israël, qui avait fait 1400 morts du côté palestinien, la plupart étant des victimes civiles. Peu avant cette opération, la question s'était posée au sein de l'Union européenne du renforcement de ses relations avec l'État d'Israël. Notre proposition de résolution avait alors été rejetée au motif que le renforcement des relations avait été reporté.

Vous avez fait observer que l'adjectif « prépondérant » est excessif eu égard au rôle politique joué par l'Union européenne au Moyen-Orient. Cependant, je tiens à souligner que le rôle économique « prépondérant » de l'Union européenne auprès des populations palestiniennes est incontestable, puisqu'elle est le premier contributeur d'aide humanitaire. Elle a donc une responsabilité particulière et doit prendre position lorsqu'Israël bafoue le droit international, d'autant plus qu'une série de résolutions de l'ONU sur le conflit n'ont jamais été appliquées par Israël. Il ne s'agit pas pour nous d'être pro-israélien ou pro-palestinien, mais d'être en faveur du droit international. L'accord d'association entre l'Union européenne et Israël comporte un article invitant Israël à progresser dans le domaine des droits de l'homme et dans le respect du droit international. Or, force est de constater qu'aucun progrès n'a été réalisé depuis des années en la matière. Au contraire, la situation a empiré à travers le blocus intransigeant de Gaza et la colonisation incessante, malgré des condamnations à répétition de la part de la communauté internationale. Le gouvernement israélien est particulièrement sourd à toutes ces protestations, comme l'ont démontré les plus récents incidents. Notre groupe estime qu'il faut agir, au-delà des condamnations de principes et des grandes déclarations. Il est temps aujourd'hui de prendre nos responsabilités. La commission des affaires européennes m'avait chargé d'un rapport sur la mise en oeuvre des obligations communautaires en Bulgarie et en Roumanie. L'Union européenne a sanctionné la Bulgarie, dont les efforts étaient insatisfaisants dans le domaine de la lutte contre la corruption. Pourquoi l'Union européenne ne sanctionnerait-elle pas Israël ? C'est bien le conflit israélo-palestinien qui bloque tout développement de l'Union pour la Méditerranée. L'Union doit donc s'attacher à peser avec courage sur les décisions du gouvernement israélien comme sur les décisions des représentants palestiniens, qu'il s'agisse de l'autorité palestinienne ou du Hamas. Si nous ne faisons rien, la situation risque d'empirer.

Plutôt que de dénoncer les agissements de l'État d'Israël, la communauté internationale lui permet de rentrer dans tel ou tel organisme, lui octroyant ainsi un sentiment d'impunité. Je remarque à cet égard que l'attaque de la flottille a eu lieu quelques jours seulement après l'entrée d'Israël au sein de l'OCDE. Comment faire comprendre au gouvernement israélien qu'il ne peut pas continuer ainsi ?

Enfin, je remarque qu'il a fallu l'intervention de la Turquie pour ébranler légèrement la détermination d'Israël à bafouer le droit international. Il serait regrettable que notre commission s'en tienne à un rejet pur et simple de notre proposition. Je pense qu'il faut trouver au minimum une position de compromis, de façon à ce que le Sénat s'exprime sur le sujet.

M. Josselin de Rohan :

Nous partageons bien sûr, tous autant que nous sommes, la réprobation de la conduite d'Israël à l'égard des Palestiniens. J'ai eu l'occasion de dire personnellement au président Shimon Peres que l'opinion française désapprouve totalement l'action intransigeante du gouvernement israélien en ce qui concerne le blocus de Gaza. Nous avons réclamé l'assouplissement des conditions de vie de la population palestinienne. Pour autant, la politique de sanctions que vous prônez dans votre résolution est-elle la bonne ? L'accord d'association est en vigueur depuis 2000 et profite aux deux parties dans les domaines économique et culturel notamment. Le renforcement des relations a été gelé en 2009. Cela constituait déjà un avertissement et un signe de la désapprobation de l'Union européenne.

La suspension de l'accord d'association ne me paraît pas la bonne solution, car si nous avons une chance de progresser dans la résolution du conflit, nous n'y parviendrons qu'avec les États-Unis. Or, si l'Union suspend unilatéralement cet accord, les Américains ne nous suivront pas et se démarqueront de notre position. Au final, nous serons divisés alors que l'unité est primordiale dans cette affaire, et les Israéliens ne verront que la position américaine.

En outre, même si le dialogue reste ténu, il a repris à travers des « entretiens de proximité », qu'il faut encourager. Suspendre l'accord d'association, et donc le dialogue, irait à l'encontre de cette politique. Certes, Israël doit effectuer de gros efforts, mais la mettre en position d'accusé ne l'aidera pas à progresser. C'est pourquoi je soutiens la position exprimée par le rapporteur.

Mme Catherine Tasca :

Je félicite Robert del Picchia pour son rapport, mais je souscris à l'observation de Michel Billout selon laquelle il pourrait être opportun de confier le rapport d'une proposition de résolution à un membre du groupe qui en est l'auteur. Il faudra se montrer vigilant à l'avenir.

Sur le fond de la discussion, la position des commissaires socialistes rejoint les conclusions du rapporteur. Nous ne pourrions soutenir la proposition de nos collègues communistes qu'à la condition d'amender le paragraphe 21 de façon à le remplacer par la rédaction suivante : Le Sénat « demande en conséquence au Gouvernement d'inviter instamment le Conseil à prendre les mesures nécessaires pour convoquer sans délai le Conseil d'association UE-Israël afin de discuter de la situation actuelle » .

Nous estimons que des discussions urgentes sont nécessaires, plutôt que la rupture du dialogue.

M. Pierre Fauchon :

Concernant le choix du rapporteur, je ne vois pas pourquoi celui-ci devrait être systématiquement un membre issu du groupe ayant déposé la proposition de résolution. Au contraire, il doit être impartial et évoquer toutes les positions en présence. Il me semble normal que le choix du rapporteur revienne au président de la commission, ou au bureau. Je crois en tout cas qu'il faut éviter tout automatisme en la matière. A la commission des lois, si j'en juge par mon expérience personnelle, ce serait plutôt le principe inverse qui est appliqué : l'auteur d'une proposition de loi n'est jamais rapporteur !

Sur le fond, même si votre démarche est légitime et que j'en partage l'inspiration, je déplore le caractère excessif et partial de la proposition examinée. Vous parler de rôle « prépondérant » de l'Union européenne au Moyen-Orient. Nous pourrions à la rigueur employer le mot « accru » , mais pas au-delà. Vous savez parfaitement que l'influence politique de l'Union au Moyen-Orient est encore marginale par rapport à celle des Américains.

De plus, je ne suis pas du tout d'accord pour parler de « condamnation sans équivoque » . Nous ne sommes pas des juges. Il me semble qu'il faut à cet égard conserver une certaine retenue, au regard du passé terrible d'Israël et des circonstances de sa création. Je veux bien formuler des voeux ou des regrets, mais la condamnation est excessive.

De surcroît, votre texte fait preuve d'une grande partialité. Vous mentionnez les victimes palestiniennes, mais il ne faut pas oublier les tirs de roquette, qui atteignent aussi la population israélienne. Je ne parle pas des terroristes, dont on peut penser qu'il est le fait de gens incontrôlables. Je souscris cependant au reproche justifié relatif à l'extension de la colonisation. Mais, de façon générale, il faut rétablir un certain équilibre dans votre proposition de résolution.

Enfin, je crois que ce n'est pas en mettant de l'huile sur le feu que l'on atteindra des résultats probants. Compatissons, critiquons, mais ne donnons pas de leçons.

Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas en faveur de cette proposition de résolution.

M. Robert Badinter :

Avant toute chose, il est évident que l'intervention israélienne est injustifiable au regard du droit international. Personne ne conteste ce point. Je crois qu'il ne faut pas oublier qu'Israël est une démocratie très vivante, et que le gouvernement israélien ne représente pas l'opinion publique. Le système politique israélien actuel favorise la mainmise des extrémistes sur la sphère politique, ce qui est regrettable.

Si je partage l'indignation relative aux conséquences humanitaires du blocus de Gaza, je voudrais rappeler que l'Égypte est également voisine de Gaza. Elle pourrait ouvrir la frontière pour soulager l'isolement de ceux qu'elle appelle ses « frères ». La vérité est que le Gouvernement égyptien redoute le renfort intégriste des frères musulmans qui pourrait venir de Gaza. N'oubliez jamais que le Hamas garde toujours un oeil sur la Cisjordanie, car son influence y augmente au fur et à mesure que se dégradent les relations entre le gouvernement israélien et la population de Gaza. Le Hamas veut s'emparer du pouvoir dans l'ensemble des Territoires palestiniens. Le Hamas, comme le Hezbollah, sont tous les deux dans la main de leur véritable contributeur financier, à savoir l'Iran.

L'Union européenne est le premier contributeur d'aide humanitaire dans les Territoires palestiniens. Des incertitudes pèsent sur la gestion de ces fonds. Malgré cela, notre niveau d'influence politique est limité. Tout se décide à Washington.

En outre, votre proposition de résolution vise à suspendre un accord avant tout économique, plutôt que diplomatique. L'Union européenne est le premier partenaire économique d'Israël. Elle tire donc un grand profit de cette coopération au niveau de sa balance des paiements. Du point de vue économique, Israël est un État porté par la mondialisation, très en avance sur les économies européennes. Je rappelle que son PIB a cru de 4 % l'année dernière.

Enfin, il faut se souvenir que l'État israélien est né dans la douleur. Depuis l'origine, les Israéliens vivent dans une angoisse existentielle incompréhensible pour les autres, dans la terreur du « on veut notre mort » . Le Hamas refuse de prononcer le mot même de reconnaissance de l'État d'Israël, ce qui attise ce complexe originel. Le gouvernement israélien agit en fonction de la doctrine selon laquelle les Juifs ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Suspendre l'accord d'association ne ferait que renforcer le camp des extrémistes qui se feraient un plaisir d'expliquer à quel point l'Union européenne stigmatise Israël. Au contraire, l'Union européenne doit aider Gaza autant que possible et demander instamment au Gouvernement israélien de ne pas s'y opposer. Nous devons avoir une position claire et ferme, mais ouverte au dialogue. Les conditions de la paix sont connues : naissance d'un État palestinien, partage de Jérusalem, règlement de la question du retour des réfugiés. Or, de chaque côté, les fractions extrémistes ne veulent pas de ces conditions. Votre résolution ne fera que conforter ces derniers, contrairement au but recherché.

M. Roland Ries :

Après l'exposé de Robert Badinter, je n'ai pas grand-chose à ajouter. Je partage bien sûr son point de vue. Je voudrais néanmoins souligner trois points.

D'une part, en tant que maire de Strasbourg, j'ai l'occasion de recevoir beaucoup de délégations étrangères, qu'il s'agisse de représentants des pays arabes ou de représentants israéliens. Face à leur désespoir et à leur sentiment qu'il n'y a pas de solution au conflit, je leur réponds qu'il faut rester confiant. En effet, nous sommes bien placés à Strasbourg pour dire que les impasses les pires trouvent parfois une solution. Je leur cite alors la création du Conseil de l'Europe en 1949.

Votre proposition de résolution ne va pas dans le sens de cette ouverture vers l'avenir, car elle totalement déséquilibrée. Elle n'évoque que des actes condamnables perpétrés par les Israéliens, sans citer les menaces auxquelles Israël est confrontée au quotidien. Dans la résolution du Parlement européen, on trouve cet équilibre, notamment en son point 5. Votre texte est beaucoup trop unilatéral.

Enfin, je ne crois pas un seul instant que des sanctions puissent débloquer les choses et ouvrir des perspectives. Je m'inscris donc dans la continuité des propos de Robert Badinter et de Catherine Tasca, et je voterai contre la proposition de résolution.

M. Michel Billout :

Je vais revenir à nouveau sur le fond de la question. Certes, je n'ai pas votre expérience, mais j'ai une certaine connaissance d'Israël et de la complexité du conflit israélo-palestinien, car j'ai de nombreux amis israéliens, notamment des Juifs progressistes. Je n'oublie pas non plus les conditions de la naissance d'Israël. Vous accusez la proposition de résolution de partialité. Je rappelle qu'elle trouve son origine dans l'indignation suscitée par des événements inadmissibles au regard du droit international. Si nous n'abordons pas spécifiquement la sécurité d'Israël dans le texte, vous ne pouvez pas dire que nous soyons impartiaux, car nous l'avons déjà évoquée, et nous sommes prêts à amender le texte dans ce sens le cas échéant. Le remarquable rapport de Jean François-Poncet et de Monique Cerisier ben-Guiga sur « le Moyen-Orient à l'heure nucléaire » soulignait d'ailleurs que la sécurité de l'État d'Israël n'avait jamais été autant assurée que depuis ces dernières années. Si l'amendement proposé par mes collègues socialistes me paraît en retrait par rapport à notre texte, je suis prêt à l'accepter afin d'éviter le silence du Sénat dans cette affaire.

M. Jean Bizet :

À la suite du rapport très clair et très complet de Robert del Picchia, je voudrais formuler deux remarques.

D'abord, cet accord entre dans le cadre d'un ensemble qui concerne tous les pays euro-méditerranéens. En suspendant l'accord d'association, on porterait atteinte à toute cette architecture.

Ensuite, les conclusions du Conseil « Affaires étrangères » du 14 juin et la résolution du Parlement européen du 17 juin comportent tous les éléments du problème, conservent l'équilibre qui est nécessaire et répondent à toutes les analyses qui ont été exposées au cours de notre débat. Je remercie d'ailleurs Michel Billout de nous avoir donné l'occasion d'avoir entre nous ce débat qui a été riche et plein d'intérêt.

Pour ma part, je rejoins le rapporteur dans ses conclusions qui visent à rejeter la proposition de résolution.

*

La Commission a alors rejeté la proposition de résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la décision 2000/384/CE, concernant la conclusion d'un accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et l'État d'Israël, d'autre part ;

Vu le protocole à l'accord euro-méditerranéen avec Israël concernant la participation d'Israël aux programmes communautaires (E 3713) ;

Vu les conclusions de la huitième réunion du conseil d'association entre l'Union européenne et Israël, qui s'est tenue le 16 juin 2008 ;

Vu les conclusions du conseil « Affaires étrangères et relations extérieures » des 8 et 9 décembre 2008 concernant le rehaussement des relations avec Israël ;

Vu la décision du Parlement européen du 3 décembre 2008 de reporter son vote sur la participation d'Israël aux programmes communautaires ;

Vu la résolution du Parlement européen du 10 avril 2002 demandant la suspension de l'accord d'association ;

Vu la déclaration de la présidence au nom de l'Union européenne concernant les activités d'implantation de colonies de peuplement israéliennes du 24 février 2009 ;

Vu la déclaration de la présidence au nom de l'Union européenne sur la multiplication des violences des colons à l'encontre des civils palestiniens du 31 octobre 2008 ;

Vu les résolutions n° s 252, 267, 271, 298, 446, 452, 465, 476, 478 et 1860 du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies ;

Vu la résolution WHA63.2 de l'Assemblée mondiale de la Santé exigeant qu'Israël mette fin immédiatement au bouclage du territoire palestinien occupé,

Considérant la dégradation dramatique de la situation économique et sociale dans les territoires occupés, imputable à la politique de colonisation et de violation du droit international menée par le gouvernement israélien,

Considérant que la perspective de la coexistence des Israéliens et des Palestiniens dans un climat de paix et de sécurité ne peut être restaurée que par la voie de la négociation et moyennant le respect du droit international ;

Considérant que l'accord d'association du 20 novembre 1995, entré en vigueur en juin 2000, entre les Communautés européennes et Israël a notamment pour but de fournir un cadre approprié au dialogue politique et d'encourager la coopération régionale afin de consolider la coexistence pacifique ainsi que la stabilité politique et économique, qu'en vertu de l'article 2 de cet accord, « [les] relations entre les deux parties, de même que toutes les dispositions du présent accord, se fondent sur le respect des droits de l'homme et des principes démocratiques, qui inspire leurs politiques internes et internationales et qui constitue un élément essentiel du présent accord » ;

Considérant qu'en tant que médiateur dans le conflit du Moyen-Orient, l'Union européenne dispose, avec l'accord d'association, d'un instrument important dans les négociations ;

Condamne le recours à la violence à l'encontre des populations civiles ;

Rappelle le principe que tout partenariat avec l'Union européenne doit être lié au respect des droits humains et du droit humanitaire, notamment découlant des résolutions de l'Organisation des Nations Unies ;

Rappelle la nécessité que l'Union européenne joue un rôle politique prépondérant dans la recherche d'une solution pacifique au conflit au Proche-Orient pour une paix juste et durable ;

Estime que cela passe par une condamnation sans équivoque par les institutions européennes de la politique de colonisation et de violation du droit international menée par le gouvernement israélien ;

Demande en conséquence au Gouvernement de faire prévaloir au sein du Conseil de l'Union et du conseil d'association entre l'Union européenne et l'État d'Israël la suspension de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël sur le fondement du non respect par l'État d'Israël de ses obligations découlant de l'article 2 de cet accord à savoir « le respect des droits de l'Homme et des principes démocratiques ».

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