EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 8 SEPTEMBRE 2010

La commission procède à l'examen du rapport de M. François-Noël Buffet et du texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 675 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public

M. François-Noël Buffet , rapporteur. - Je serai sans doute amené, sur ce texte, à faire des observations d'ordre essentiellement juridique. Ce projet de loi, adopté à l'Assemblée nationale le 13 juillet 2010, est le fruit d'une longue réflexion.

Le 23 juin 2009, l'Assemblée nationale mettait en place une mission d'information confiée à MM. André Gérin, et Eric Raoult, rapporteurs, sur le port du voile intégral sur le territoire national. Au terme de plus de deux cents auditions, cette mission préconisait, notamment, l'adoption d'une résolution condamnant la pratique du port du voile intégral comme contraire aux valeurs républicaines ainsi que le vote d'une loi protégeant les femmes victimes de contrainte et confortant les agents publics confrontés à cette pratique.

Dans la perspective du dépôt d'un projet de loi au Parlement, le Premier ministre demandait au Conseil d'Etat, le 29 janvier 2010, d'étudier «les solutions juridiques permettant de parvenir à une interdiction du port du voile intégral» qui soit « la plus large et la plus effective possible ». La haute juridiction, dans son rapport adopté le 25 mars 2010, a estimé «impossible de recommander une interdiction du seul voile intégral, en tant que tenue porteuse de valeurs incompatibles avec les valeurs de la République» en raison de la fragilité juridique d'une telle interdiction et de ses difficultés d'application. Le Conseil d'Etat a en outre considéré qu'une interdiction plus générale de dissimulation du visage dans les lieux publics « ne pourrait reposer que sur une conception renouvelée de l'ordre public » entendu dans sa dimension « immatérielle ». Il lui est apparu, en l'état actuel du droit, plus adapté de préconiser deux mesures : affirmer la règle selon laquelle est interdit le port de toute tenue ou accessoire ayant pour effet de dissimuler le visage d'une manière telle qu'elle rend impossible une identification, soit en vue de la sauvegarde de l'ordre public lorsque celui-ci est menacé, soit lorsqu'une identification apparaît nécessaire pour l'accès ou la circulation dans certains lieux et pour l'accomplissement de certaines démarches ; renforcer l'arsenal répressif visant en particulier les personnes qui en contraignent d'autres à dissimuler leur visage, « donc à effacer leur identité », dans l'espace public.

Le 11 mai 2010, dans le prolongement du rapport de sa mission d'information, l'Assemblée nationale adoptait, à l'unanimité des suffrages exprimés, une résolution réaffirmant l'attachement de la représentation nationale aux valeurs de dignité, de liberté, d'égalité et de fraternité et condamnant la pratique du port du voile intégral comme contraire aux valeurs de la République.

Au cours des différentes étapes de cette réflexion, un consensus est apparu sur trois points. En premier lieu, si le port du voile islamique a constitué un point de départ, il n'a été, comme le souligne avec raison M. Jean-Paul Garraud, rapporteur à l'Assemblée nationale, qu' « un révélateur confirmant la place éminemment centrale du visage dans la vie sociale ». Aussi, une interdiction doit-elle prendre en compte la dissimulation du visage et non le port de telle ou telle tenue. En deuxième lieu, le recours à la loi apparaît nécessaire car même si la sanction à la violation d'une interdiction se limite à une contravention, matière réglementaire, on peut se demander, à l'instar du Conseil d'Etat dans son étude, si une prohibition « aussi large et prenant des formes aussi diverses de la dissimulation volontaire du visage ne touche pas aux règles relatives aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, et, dans une moindre mesure, au droit de propriété et à la liberté de commerce et de l'industrie », au sens de l'article 34 de la Constitution. Enfin, la répression des auteurs de contraintes tendant à la dissimulation du visage d'autrui fait aussi consensus.

Le débat porte donc principalement sur le caractère général ou limité de l'interdiction de dissimulation du visage. Dans le projet de loi qu'il a présenté au Parlement, le Gouvernement a choisi la première option pour des raisons de droit et d'efficacité. A la lumière des auditions auxquelles j'ai procédé et auxquelles certains d'entre vous se sont joints, il me semble que le dispositif proposé, amélioré par les députés, répond au nécessaire équilibre entre le respect des libertés publiques et les exigences de la vie en société. Il satisfait en outre aux objectifs poursuivis par deux propositions de loi sénatoriales que votre commission a joint à l'examen du présent projet de loi, celle de M. Revet visant à permettre la reconnaissance et l'identification des personnes, et celle de M. Masson, tendant à interdire le port de tenues dissimulant le visage de personnes se trouvant dans des lieux publics.

La dissimulation du visage n'est pas un phénomène banal. Le cas peut se présenter dans des situations variées, le plus souvent occasionnelles, comme dans le cadre de manifestations. L'attention accordée au voile islamique tient sans doute à sa systématisation auprès d'une frange réduite de femmes musulmanes. Longtemps méconnue en France, cette pratique s'est développée au cours des dernières années. Une étude du ministère de l'intérieur menée en 2009, a estimé que le niqab -qui couvre tout le visage sauf les yeux- concernait aujourd'hui près de 1 900 femmes alors que le port de la burqa, qui couvre tout le visage et dissimule les yeux derrière une grille, serait inexistant ; l'un et l'autre à distinguer du hijab, qui laisse le visage découvert. L'enquête souligne que le choix du voile intégral concerne surtout des femmes jeunes, puisque 90 % de celles qui font ce choix ont moins de 40 ans et la moitié moins de 30 ans. Deux tiers de ces femmes ont la nationalité française. Au-delà de ces données générales, les informations que j'ai recueillies auprès de responsables d'associations ou de chercheurs font apparaître une très grande diversité. Selon Mme Sihem Habchi, présidente de l'association «Ni putes, ni soumises », le port du voile intégral constitue avant tout une nouvelle contrainte imposée à des femmes, déjà privées, le plus souvent, du droit de circuler librement. Lorsqu'il est porté dans l'espace public, le niqab traduit, d'après elle, une forme de prosélytisme à caractère plus politique que religieux puisque les autorités musulmanes ne rangent pas le port du voile intégral parmi les prescriptions de l'Islam. Au contraire, Mme Houria Bouteldja, porte-parole de « Indigènes de la République », comme Mme Nora Moussaoui, membre du Comité anti-islamophobie, considèrent que le port du voile procède majoritairement d'un libre choix de la personne, dépourvu de toute visée prosélyte. Mme Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux et auteur avec Mme Lylia Bouzar de l'essai La République ou la burqa, a observé que le choix du port du voile intégral pouvait s'accompagner d'une rupture des liens familiaux, sociaux et professionnels et manifestait dans ces cas une véritable dérive sectaire sous couvert de revendication religieuse. Selon l'étude précitée du ministère de l'intérieur, un quart des femmes intégralement voilées seraient d'ailleurs des converties à l'Islam, nées dans une famille de culture, de tradition ou de religion non musulmane.

Ces auditions me conduisent à trois séries d'observations. La liberté effective de choix demeure très difficile à apprécier même lorsqu'elle est revendiquée par la personne portant le voile intégral ; bien que le port du niqab ne constitue pas une prescription de l'Islam et ne touche qu'un nombre très marginal de femmes musulmanes, la focalisation de l'attention sur ce thème a pu être ressenti comme un mouvement de défiance à l'égard de l'Islam dans son ensemble ; aussi est-il essentiel de déconfessionnaliser ce débat et de le placer non sur le terrain de l'expression d'une conviction religieuse mais sur celui des exigences du savoir-vivre ensemble dans notre société, lesquelles s'imposent à chacun quelle que soit sa confession.

Comme l'a rappelé avec force Mme Elisabeth Badinter lors de nos échanges, l'échange social implique d'apparaître à visage découvert dans l'espace public. Ainsi qu'elle l'avait précisé lors de son intervention devant l'Assemblée nationale, le 9 septembre 2009, « Le visage n'est pas le corps et il n y a pas, dans la civilisation occidentale, de vêtement du visage ». La dissimulation du visage apparaît, selon elle, contraire au principe de fraternité et à celui de civilité : elle marque le refus d'entrer en relation avec autrui ou plus exactement d'accepter la réciprocité et l'échange, puisque elle permet de voir sans être vu.

Partant d'une toute autre approche, celle des neurosciences, M. Laurent Cohen, professeur de neurologie à La Salpétrière, dans un article publié dans le journal Libération le mois dernier, évoque une « confiance biologique » fondée sur « une activité cérébrale incessante qui fait que chacun se dévoile par son visage, et reçoit en retour ce que l'autre dévoile de lui-même, une confiance qui permet un échange social équilibré. ». « Lorsque notre interlocuteur nous dérobe son visage », écrit-il, « la symétrie de la confiance réciproque est rompue ; vous vous livrez et il se cache ; vous ne connaissez ni son identité, ni ses émotions, ni ses intentions ». Ces considérations valent pour le voile intégral comme pour toutes pratiques qui conduiraient, dans l'espace public, au quotidien, à couvrir son visage.

Ce projet de loi répond à ces préoccupations, partagées par certains de nos voisins, comme la Belgique et l'Espagne. Il vise une interdiction générale de dissimulation du visage, sous réserve de certaines exceptions, assortie d'une amende.

Sur quels fondements juridiques repose l'interdiction ? Le choix d'une interdiction générale de dissimulation du visage dans l'espace public, s'il manifeste la volonté du législateur d'exprimer une valeur essentielle du lien social, n'en comporte pas moins pour la personne une restriction de ses choix. Si le législateur peut apporter des limitations à l'exercice des libertés pour des raisons d'intérêt général qu'il lui revient d'apprécier, ainsi que le Conseil constitutionnel l'a rappelé à plusieurs reprises, il ne peut néanmoins porter atteinte à une liberté protégée par la Constitution que sur le fondement d'une autre exigence constitutionnelle.

L'interdiction de dissimuler son visage porte-t-elle atteinte à des principes constitutionnels ? Comme l'a rappelé le Conseil d'Etat, il n'existe pas de principe constitutionnel protégeant le libre choix du vêtement ; la Cour de cassation a affirmé dans un domaine particulier que « la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu de travail n'entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales ». Le projet de loi ne porte pas non plus atteinte au respect de la vie privée dans la mesure où l'interdiction ne concerne que l'espace public.

Cependant, le choix du vêtement n'est pas seulement une affaire de goût : ce peut être la manifestation d'une conviction religieuse. A ce titre, l'interdiction pourrait sembler contraire à la liberté de manifester ses convictions, notamment religieuses, protégée par l'article 10 de la Déclaration de 1789 et l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme. Toutefois une certaine prudence s'impose à la lumière de deux considérations. Tout d'abord, peut-on se prévaloir de la liberté d'exprimer ses convictions religieuses pour porter une tenue qui ne correspond à aucune prescription religieuse, comme l'ont rappelé à plusieurs reprises les plus hautes instances de l'islam ? Ensuite, comme le relève l'étude du Conseil d'Etat, l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme « ne garantit pas toujours le droit de se comporter d'une manière dictée par une conviction », selon les termes mêmes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, et il ne confère pas aux individus le droit de se soustraire à des règles générales qui se sont révélées justifiées.

Cependant, en dépit des incertitudes sur le caractère constitutionnel de la liberté de dissimuler son visage dans l'espace public, il apparaît préférable et plus sûr juridiquement de fonder l'interdiction sur un principe constitutionnel. L'ordre public constitue le fondement le plus incontestable. Dans sa dimension traditionnelle, il comprend la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques, et il est consacré tant par la jurisprudence du Conseil constitutionnel que par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Il sous-tend déjà plusieurs restrictions qui garantissent l'identification des personnes pour l'accès à certains lieux publics ou la réalisation de certaines démarches, ainsi que certaines incriminations. Toutefois, les restrictions aux droits et libertés doivent être justifiées par l'existence ou le risque de troubles à l'ordre public, et proportionnées à la sauvegarde de l'ordre public. Sans doute pourrait-on arguer qu'il est nécessaire, afin de prévenir les infractions, de pouvoir identifier à tout instant le visage d'une personne sur l'espace public. Mais il demeure délicat de fonder sur l'ordre public matériel une interdiction à caractère général, compte tenu des limites fixées par la jurisprudence constitutionnelle.

On peut toutefois se fonder sur la notion d'ordre public immatériel, dégagée de longue date par la jurisprudence administrative afin de garantir la moralité publique et de fonder des polices administratives spéciales. Cette notion entendue strictement paraît inadaptée à la dissimulation du visage et ne permettrait pas de justifier une interdiction à caractère général, mais le Conseil d'Etat, sans s'engager finalement dans cette voie, a proposé de l'élargir en la définissant comme le « socle minimal d'exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société qui, comme par exemple le respect du pluralisme, sont à ce point fondamentales qu'elles conditionnent l'exercice des autres libertés, et qu'elles imposent d'écarter, si nécessaire, les effets de certains actes guidés par la volonté individuelle. Or ces exigences fondamentales du contrat social, implicites et permanentes, pourraient impliquer dans notre République que dès lors que l'individu est dans un lieu public au sens large, c'est-à-dire dans lequel il est susceptible de croiser autrui de manière fortuite, il ne peut ni renier son appartenance à la société, ni se la voir dénier, en dissimulant son visage au regard d'autrui, au point d'empêcher toute reconnaissance. » Comme l'ont souligné les professeurs de droit que j'ai auditionnés, cette notion élargie de l'ordre public immatériel n'est pas inédite. Selon Mme Anne Levade, elle inspire les positions prises par le Conseil constitutionnel à l'égard de la polygamie : dans une décision du 13 août 1993, le Conseil a estimé que « les conditions d'une vie familiale normale sont celles qui prévalent en France, pays d'accueil, lesquelles excluent la polygamie ». Il est également significatif que le Conseil n'ait pas soulevé d'office l'inconstitutionnalité de dispositions limitatives fondées sur un ordre public sociétal : il a admis implicitement le « respect des valeurs républicaines » fixé par la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail comme critère de la représentativité des organisations syndicales.

L'ordre public renvoie donc à des principes qui n'ont pas de transcription explicite dans notre Constitution. En revanche, associé au respect de la dignité de la personne humaine, il trouve une base constitutionnelle plus sûre. La sauvegarde de la dignité a été consacrée par le Conseil constitutionnel comme principe de valeur constitutionnelle sur le fondement du préambule de la Constitution de 1946, ainsi que par la Cour européenne des droits de l'homme. Sans doute le respect de la dignité peut-il inclure la protection du libre arbitre comme élément consubstantiel de la personne humaine, mais il peut aussi correspondre à une exigence morale collective, fût-ce aux dépens de la liberté de choix de la personne. Or il existe un large consensus dans notre société pour reconnaître dans le visage un élément essentiel de l'identité de la personne, composante de sa dignité. En outre, la dissimulation du visage ne porte pas seulement atteinte à la dignité de la personne dont le visage est couvert, mais met en cause la relation à autrui et la possibilité même de la réciprocité d'un échange ; à ce titre, elle heurte les exigences de la vie collective. L'ordre public « sociétal », ainsi fondé sur un principe de valeur constitutionnelle, peut justifier une interdiction à caractère général.

Le projet de loi est équilibré : il distingue clairement la dissimulation du visage, sanctionnée d'une amende prévue pour les contraventions de deuxième classe, du délit de dissimulation forcée du visage, passible d'un an d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. En outre, l'interdiction de dissimulation du visage comporterait plusieurs exceptions : l'autorisation de la loi ou du règlement, les raisons de santé, les motifs professionnels, les pratiques sportives, fêtes et manifestations artistiques ou traditionnelles. Enfin l'interdiction ne s'appliquerait qu'à l'issue d'un délai de six mois, afin de favoriser une meilleure information sur le texte et d'éviter la coercition.

Tout en répondant aux objectifs des deux propositions de lois sénatoriales, le présent projet de loi doit leur être préféré. Je vous propose de l'adopter sans modification.

M. Yves Détraigne . - Je tiens à féliciter M. Buffet pour son excellent rapport. La burqa pose un problème délicat au plan sociétal et juridique, mais je suis convaincu que l'essence même de la vie en société est la possibilité du dialogue et de la reconnaissance réciproque. Samedi soir, au cours d'une fête foraine dans ma commune, quatre ou cinq jeunes gens déambulaient cagoulés, cherchant la bagarre : je puis vous assurer que c'était très dérangeant. Nous ne pouvions pas même les identifier ! Une société apaisée implique que l'on puisse connaître ses interlocuteurs.

M. Pierre Fauchon . - Je ne m'embarrasserai pas des scrupules juridiques de notre rapporteur : nous sommes législateurs, et confrontés à un problème nouveau, nous avons la faculté d'innover et de proposer une définition nouvelle de l'ordre public. Comme Confucius, je suis très attaché aux manières : eh bien, porter la burqa ou l'imposer est une mauvaise manière, vis-à-vis des tiers et parce que ce vêtement marque la soumission de la femme, volontaire ou non. Toutefois il faut prendre des précautions et plutôt qu'une loi, j'aurais préféré une résolution, quitte à légiférer plus tard faute de résultats. Ce n'est pas la voie qui a été choisie mais je voterai ce texte.

M. Jean-Claude Peyronnet . - Le groupe socialiste condamne unanimement la burqa, mais M. le rapporteur a bien montré que la généralité de l'interdiction posait problème. Cette loi sera-t-elle applicable ? Certes, aucun parlementaire ne devrait saisir le Conseil constitutionnel, mais il faut s'attendre à ce qu'un justiciable le fasse, et le Conseil reprendra certainement les arguments du Conseil d'Etat, pour ne rien dire des instances européennes. Cette loi n'est-elle donc qu'une proclamation ? Nous eussions préféré limiter l'interdiction aux services publics.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Les présidents des deux assemblées ont annoncé qu'ils saisiraient le Conseil constitutionnel avant la promulgation de la loi, pour éviter toute question prioritaire de constitutionnalité. Les choses ont évolué depuis que le Conseil d'Etat a rendu son avis : l'interdiction n'était alors justifiée que par des motifs d'ordre public, ce qui faisait considérer qu'elle n'était légitime qu'en certains endroits, mais le débat à l'Assemblée nationale a montré qu'elle pouvait également être fondée sur la dignité des femmes.

M. François-Noël Buffe t , rapporteur . - D'ailleurs le Conseil d'Etat n'était saisi que de la question du voile ; le représentant du Conseil que nous avons auditionné n'a pas exclu un changement de position, étant donné que le champ de l'interdiction est désormais plus large.

Mme Alima Boumediene-Thiery . - Je crois moi aussi que cette loi sera inapplicable, en raison des contentieux qui ne manqueront pas d'être soulevés devant les juridictions françaises et européennes. Il fallait ménager un équilibre difficile entre la liberté de se vêtir comme on l'entend et de manifester ses opinions, et l'égalité des hommes et des femmes. La notion d'ordre public immatériel me laisse sceptique. En outre ce débat s'inscrit dans un contexte où l'islamophobie gagne du terrain, et même si la burqa n'est pas prescrite par l'islam, cette loi peut donner lieu à des amalgames. Ce n'est pas par la répression que l'on résoudra ce problème, mais par l'éducation et le dialogue. Je ne voterai pas ce texte en l'état.

Mme Éliane Assassi . - Je ne parlerai pas au nom de mon groupe, qui se réunit en ce moment même. Pour ma part, j'estime que le problème de la burqa a été mal posé : le débat de ces dernières semaines a alimenté tous les fantasmes sur l'islam. Je suis foncièrement hostile à la burqa, au nom de la dignité humaine : n'oublions pas que de très jeunes femmes sont contraintes de la porter ! Mais je crains que ce texte ne fasse le jeu des extrémistes : des femmes seront enfermées, manipulées, violentées et coupées de tout lien avec le monde. Voilà pourquoi je ne voterai pas ce texte.

M. François Zocchetto . - La burqa pose aux pouvoirs publics un problème extrêmement délicat, et je trouve très sage d'avoir recueilli l'avis des autorités judiciaires de notre pays et d'avoir pris le temps du débat parlementaire. Nous devons être solidaires, car les fondements de notre république pourraient être atteints par le développement de cette pratique. Son interdiction se justifie par trois raisons : la sécurité, puisqu'il est impossible d'identifier les auteurs d'infractions dont le visage est dissimulé, la cohésion sociale et la dignité de la femme. Ce projet de loi est équilibré, et je me félicite qu'il réprime la dissimulation forcée. Il faut dire clairement dans quelle société nous voulons vivre.

M. Hugues Portelli . - Moi qui suis maire de banlieue, je n'ai jamais aperçu de femme entièrement voilée, mais depuis que ce débat a commencé, j'en vois de plus en plus qui portent un simple voile sur la tête, comme par réaction identitaire. Je n'ai aucun argument juridique contre ce texte, mais méfions-nous de ses effets indirects ! Lors de la première guerre du Golfe, des pratiques radicales s'étaient développées dans certaines cités, et j'avais même aperçu au bas de plusieurs immeubles des graffitis énonçant : « Ici, terre d'islam ! » Il faudrait mesurer les effets involontaires des lois que nous votons.

M. Pierre Fauchon . - La loi sur les signes extérieurs religieux à l'école n'a eu que des effets positifs.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Pour ma part, j'estime que ce débat a fait progresser la connaissance de l'islam, cette grande religion. C'est nécessaire si nous voulons éviter la montée des extrémismes.

M. Jean-Pierre Sueur . - Les membres du groupe socialistes poursuivent leur réflexion et s'exprimeront en séance.

Le projet de loi est adopté sans modification, les commissaires des groupes socialiste et CRC-SPG s'abstenant.

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