TITRE II

SOUTENIR LE FINANCEMENT DE L'ÉCONOMIE POUR ACCOMPAGNER LA REPRISE

CHAPITRE IER

AMÉLIORER LE FINANCEMENT DES GRANDES ENTREPRISES. - OFFRES PUBLIQUES


ARTICLE 8 A

Rapport sur la généralisation du critère du nombre de droits de vote

Commentaire : le présent article, introduit par la commission des finances de l'Assemblée nationale à l'initiative de notre collègue député Jérôme Chartier, rapporteur, prévoit que le Gouvernement remette au Parlement un rapport étudiant la possibilité de généraliser le critère du nombre de droits de vote dans le droit des sociétés et le droit financier.

I. LE DISPOSITIF INTRODUIT PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le présent article, introduit par la commission des finances de l'Assemblée nationale à l'initiative de notre collègue député Jérôme Chartier, rapporteur, prévoit que le Gouvernement remette au Parlement, dans les six mois qui suivent la publication de la présente loi, un rapport étudiant la possibilité de généraliser le critère du nombre de droits de vote dans les dispositions du code de commerce et du code monétaire et financier.

Notre collègue député Jérôme Chartier est en effet parti du constat que le droit des sociétés et le droit financier comportent un grand nombre de dispositions susceptibles de s'appliquer en fonction de l'importance des actionnaires dans une société. Le critère de détermination de leur poids est cependant hétérogène , puisqu'il peut s'agir du nombre de droits de vote ou de la fraction du capital détenue.

Il a, dès lors, considéré que cette hétérogénéité est nuisible à la clarté de notre droit et qu'une harmonisation pourrait procéder de la généralisation du critère du droit de vote, qui traduit le mieux le pouvoir de l'actionnaire.

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Les critères d'évaluation de l'importance des actionnaires, qui déterminent certaines obligations et situations importantes telles que le contrôle d'une société ou les déclarations de franchissement de seuil, sont effectivement hétérogènes.

Ainsi le critère des seuls de droits de vote est, par exemple, prévu dans le code de commerce pour la détermination du champ des conventions réglementées (article L. 225-38) et des associations d'actionnaires (article L. 225-120), le critère du contrôle effectif ou présumé d'une société (articles L. 233-3 et L. 233-16), ou pour la condition de détention des droits de vote d'une société de commissaires aux comptes par lesdits commissaires (article L. 822-9).

Le critère alternatif du capital ou des droits de vote est plus fréquent. Il est notamment utilisé dans le code de commerce pour la détermination des actionnaires majoritaires habilités à convoquer une assemblée générale (article L. 225-103), le régime des obligations de déclarations de franchissement de seuils légaux ou statutaires dans des sociétés cotées (article L. 233-7), ou pour la détermination des clauses conventionnelles prévoyant des conditions préférentielles de cession ou d'acquisition d'actions cotées qui doivent être transmises à la société émettrice et à l'Autorité des marchés financiers (article L. 233-11).

On le retrouve également dans le code monétaire et financier pour définir la notion de participation d'un établissement de crédit (article
L. 511-20), et surtout pour la fixation des seuils déterminant le régime des offres publiques d'acquisition ou de retrait et la procédure de garantie de cours (articles L. 433-3 et L. 433-4). L'article L. 512-106, relatif à la définition et à la détention de l'organe central des caisses d'épargne et des banques populaires, fait en revanche référence à un critère de détention cumulée du capital et des droits de vote .

Une partie de ces dispositions, en particulier celles relevant du droit financier, est issue de la transposition de directives communautaires qui se réfèrent généralement au critère des seul droits de vote, mais sans toujours respecter leur lettre . L'article 5 de la directive du 21 avril 2004 sur les offres publiques d'acquisition (« directive OPA ») dispose ainsi que le seuil d'offre publique obligatoire est fonction des seuls droits de vote 210 ( * ) . Il en est de même pour les obligations de déclaration des acquisitions ou cessions de participations importantes dans des sociétés cotées, prévues par l'article 9 de la directive 2004/109/CE du 15 décembre 2004 211 ( * ) , dite directive « Transparence ».

En outre, ainsi que l'ont relevé le rapport de la Commission européenne sur la transposition de la directive OPA, publié en février 2007, et le rapport de la mission d'information sur les centres de décision économique 212 ( * ) , dont votre rapporteur était président et notre collègue Christian Gaudin rapporteur, la France est un des seuls pays européens à retenir un critère alternatif de capital ou de droits de vote pour le seuil de déclenchement des offres publiques d'acquisition obligatoires . La grande majorité de nos principaux partenaires européens (Allemagne, Espagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède...) retiennent le critère des seuls droits de vote, conformément à la lettre de la directive.

Compte tenu de ces éléments, votre commission a jugé qu'un tel rapport pouvait certes apporter un éclairage utile mais a souhaité élargir et reformuler son objet pour le rendre plus éclairant et opérationnel . Elle a ainsi adopté un amendement prévoyant que ce rapport porte « sur la pertinence, au regard du droit communautaire et des régimes applicables dans les principaux Etats étrangers, des critères relatifs au capital et au nombre de droits de vote dans les dispositions du code de commerce et du code monétaire et financier ».

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article ainsi rédigé.

ARTICLE 8
(Art. L. 233-10 du code de commerce)

Redéfinition de la notion d'action de concert

Commentaire : le présent article propose une nouvelle définition de l'action de concert, qui prévoit une finalité alternative afin d'intégrer la volonté éventuelle des parties de prendre le contrôle de la société.

I. L'ACTION DE CONCERT, UNE NOTION MAJEURE DU DROIT BOURSIER

A. LE CONCERT, UNE ENTENTE VOLONTAIRE ET CONCERTÉE DANS UN BUT DÉFINI

1. Une notion sujette à interprétations mais dont les critères ont été précisés

La notion d'action de concert a été introduite par la loi n° 89-531 du 2 août 1989 relative à la sécurité et à la transparence du marché financier, dans le cadre de la transposition de la directive 88/627/CEE du 12 décembre 1988 213 ( * ) et pour prévenir les contrôles rampants comme améliorer la transparence de l'actionnariat. Selon M. Pierre Bérégovoy, alors ministre des finances, il s'agissait de « rétablir pour l'application des obligations déclaratives de franchissement de seuil et de la réglementation des offres publiques la réalité des actions concertées derrière la dissimulation des actions dispersées 214 ( * ) ».

Cette notion a ensuite été modifiée par la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier, dite « loi MURCEF », puis complétée par la loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 sur les offres publiques d'acquisition (OPA), ainsi qu'il est précisé infra .

Le concert désigne une entente préalable et volontaire entre actionnaires existants ou potentiels d'une société cotée, constituée dans un but précis . Aux termes du I de l'article L. 233-10 du code de commerce, le concert est « un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer les droits de vote, pour mettre en oeuvre une politique (commune) vis-à-vis de la société ». Si la qualification de « commune » a été malencontreusement omise lors de l'examen de la loi MURCEF, la jurisprudence élude légitimement cette « erreur de plume » et retient systématiquement ce caractère commun.

Le législateur français a donc transposé la directive 88/627/CEE précitée en supprimant l'exigence de formalisation écrite de l'accord comme le caractère durable de la politique commune, et en ajoutant, dans l'article 28 de la loi MURCEF, l'accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote 215 ( * ) . La définition communautaire a d'ailleurs évolué par la suite avec la directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d'acquisition (« directive OPA »).

A plusieurs égards, l'action de concert doit être distinguée du pacte d'actionnaires : l'accord peut être temporaire ( cf . infra ), il n'est pas nécessairement écrit ni contractuel et il peut associer des actionnaires et non-actionnaires (mais appelés à le devenir, ou à détenir des droits de vote). Un pacte peut néanmoins constituer un élément caractéristique d'une action de concert. Trois critères apparaissent déterminants pour qualifier celle-ci :

- l'entente organisée : l'accord implique un but commun, une concertation en amont et un consentement des parties, de telle sorte que, comme l'a relevé le professeur Alain Viandier « la cacophonie est incompatible avec l'action de concert ». Aucune condition particulière n'est cependant prévue pour la conclusion de cet accord : il peut être oral ou écrit, formel ou tacite , ainsi que le prévoit l'article 2 de la directive OPA (cf. infra ), et donc occulte ou public. De même, il est admis par l'Autorité des marchés financiers (AMF) et la jurisprudence que l'action de concert ne saurait se déduire du seul parallélisme des comportements ;

- les modalités : la définition de l'action de concert distingue le transfert des droits de vote (acquisition, cession...) et l'exercice de ces droits (centralisation des votes, consensus sur le contrôle, concertation en cas d'opérations sur le capital...) ;

- la finalité : l'accord se matérialise dans une politique commune à l'égard de la société, c'est-à-dire une stratégie et des intérêts communs que les « concertistes » déterminent ensemble, notamment (mais pas exclusivement) dans le but d'exercer une influence sur la gouvernance, la gestion ou les grandes orientations (financières, sociales, commerciales, technologiques...) de la société ou d'en prendre le contrôle.

Pour autant, la politique commune ainsi déterminée ne s'inscrit pas forcément dans la durée ou le long terme, elle est relativement indifférente au temps et l'accord peut n'être mis en oeuvre que de manière temporaire , ainsi que l'a confirmé la chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt de principe du 27 novembre 2009 sur l'affaire Gecina ( cf . infra ). De même, cette politique commune, selon la conception large consacrée par la Cour de cassation dans l'affaire précitée et dans son dernier rapport annuel, est « celle que les concertistes conduisent vis-à-vis de la société et non celle qu'ils se proposent de conduire au sein de celle-ci en influant sur la gestion ou sa stratégie économique ou commerciale ».

2. Les cas de présomption et les obligations solidaires des concertistes

Il existe également une présomption d'action de concert dans cinq situations de lien structurel entre deux ou plusieurs personnes physiques ou morales, prévues par le II de l'article L. 233-10 précité :

- entre une société et ses dirigeants (président du conseil d'administration, directeurs généraux, membres du directoire, gérants) ;

- entre une société et les sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce ;

- entre des sociétés contrôlées par la même ou les mêmes personnes ;

- entre les associés d'une société par actions simplifiée à l'égard des sociétés que celle-ci contrôle ;

- entre le fiduciaire et le bénéficiaire d'un contrat de fiducie, si ce bénéficiaire est le constituant.

L'action de concert implique une solidarité des concertistes quant aux obligations légales ou réglementaires, de sorte que leurs participations en capital ou en droits de vote sont traitées de manière équivalente et assimilées pour le régime des déclarations de franchissements de seuil (article L. 233-7 du code de commerce) et les régimes des offres publiques d'acquisition obligatoires (article L. 433-3 du code monétaire et financier), des offres publiques de retrait (article L. 433-4 du même code) et de garantie de cours (article L. 433-3).

Ainsi en cas de concert, le franchissement d'un seuil - en particulier celui du tiers du capital ou des droits de vote qui détermine l'obligation de déposer une offre publique - est apprécié en agrégeant les participations de l'ensemble des concertistes , qui doivent le cas échéant faire les déclarations correspondantes ou déposer conjointement une offre publique d'acquisition.

L'action de concert, de même que l'entente en matière concurrentielle, reste une notion malléable et demeure donc difficile à prouver lorsqu'elle n'est pas déclarée. L'AMF est, dès lors, conduite à recourir à la technique du faisceau d'indices , ce qui l'expose nécessairement aux critiques.

B. LE CONCERT ET LE CONTRÔLE D'UNE SOCIÉTÉ

Le concert et le contrôle sont distincts mais peuvent s'inscrire dans une même démarche , le concert étant un moyen de parvenir à un contrôle conjoint. Un lien a ainsi été établi dans l'article L. 233-3 du code de commerce, qui définit le contrôle d'une société et a été complété par la loi relative aux nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 puis par la loi MURCEF précitée. Son III dispose ainsi que « deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu'elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale ».

Indépendamment du contrôle conjoint de fait, le concert peut être associé à une stratégie de prise de contrôle par OPA, que ce soit pour la faciliter ou pour y faire obstacle . La directive OPA précitée a ainsi introduit une définition de l'action de concert propre aux OPA , tout en abandonnant le caractère écrit de l'accord. Aux termes de son article 2, les personnes agissant de concert sont « les personnes physiques ou morales qui coopèrent avec l'offrant ou la société visée sur la base d'un accord, formel ou tacite, oral ou écrit, visant à obtenir le contrôle de la société visée ou à faire échouer l'offre ».

Cette définition contextuelle a été transposée par la loi OPA précitée. L'article L. 233-10-1 du code de commerce dispose ainsi qu'en cas d'OPA, « sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord avec l'auteur d'une offre publique visant à obtenir le contrôle de la société qui fait l'objet de l'offre. Sont également considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord avec la société qui fait l'objet de l'offre afin de faire échouer cette offre ».

De manière générale, la doctrine distingue le concert « offensif » , consistant à exercer une influence ou un contrôle (avec ou sans offre publique), et le concert « défensif » , consistant à l'empêcher.

C. LA QUALIFICATION DE L'ACTION DE CONCERT PAR L'AMF ET LA JURISPRUDENCE

1. Le concert comme moyen de se soustraire à la procédure d'offre obligatoire

L'AMF est compétente pour qualifier les concerts, en particulier en cas de franchissement du seuil du tiers du capital ou des droits de vote. S'il y a dépôt d'une offre, l'article L. 233-10-1 du code de commerce s'applique pour qualifier le concert offensif ou défensif. Si aucune offre n'a été déposée, l'AMF peut contraindre à ce dépôt en qualifiant une action de concert dont les parties auraient conjointement franchi le seuil du tiers, sur le fondement de l'article L. 433-3 du code monétaire et financier qui renvoie à la seule définition générale de l'action de concert et donc à la notion de « politique commune ».

Pour caractériser un concert, l'AMF s'appuie d'abord sur les éventuelles énonciations des parties quant à leur volonté d'agir ou non de manière concertée. En l'absence d'une telle « officialisation », elle analyse les clauses des pactes d'actionnaires puis, le cas échéant, recherche des indices dans la durée et le comportement des actionnaires concernés pour mettre à jour une action de concert occulte.

Comme ce fut le cas dans les dossiers Eiffage/Sacyr Vallehermoso en 2008 et Gecina/Metrovacesa en 2009, l'AMF peut être conduite à se prononcer sur l'existence d'une action de concert lorsqu'elle est saisie d'un projet d'offre publique. La preuve d'un tel concert par l'AMF peut la conduire à requalifier l'offre pour la placer sous le régime plus contraignant des offres obligatoires, en particulier en termes de prix proposé et d'information des actionnaires. Une difficulté tient cependant à ce que le concert non déclaré, sauf cas de présomption légale exposés supra , ne se présume pas mais se déduit et se prouve a posteriori en fonction des comportements des concertistes supposés et du résultat obtenu, de sorte que l'action de concert peut apparaître comme une notion « téléologique » 216 ( * ) .

2. L'affaire Eiffage/Sacyr

Sans revenir en détails sur la chronique et les circonstances de l'affaire Eiffage/Sacyr, notamment le déroulement de l'assemblée générale du 18 avril 2007, on peut rappeler que l'AMF a, par sa décision du 26 juin 2007, conclu à l'existence d'une action de concert entre la société espagnole Sacyr Vallehermoso et au moins six autres actionnaires espagnols d'Eiffage, en se fondant sur un faisceau élaboré d'indices précis et concordants venus étayer les soupçons du bureau de l'assemblée générale d'Eiffage 217 ( * ) .

L'ensemble des concertistes ayant franchi à la hausse le seuil du tiers du capital ou des droits de vote sans le déclarer ni déposer de projet d'offre sur Eiffage, le collège de l'AMF a, par la même décision, invalidé le projet d'offre publique d'échange volontaire présenté par Sacyr et exigé que les concertistes déposent un projet d'offre publique d'acquisition sur Eiffage et sa filiale Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR).

Sur un recours de Sacyr motivé par des arguments de forme et de fond, la cour d'appel de Paris a rendu le 2 avril 2008 une décision à mi-chemin : elle a confirmé l'existence d'une action de concert mais a annulé l'obligation de dépôt d'une offre sur Eiffage, au motif que cette demande s'analysait comme une injonction et aurait donc dû faire l'objet de la procédure légale prévue par l'article L. 621-14 du code monétaire et financier.

Dans une seconde décision rendue le 21 avril 2008 et dont l'argumentation « rapide » a été contestée par plusieurs praticiens, l'AMF a ensuite pris acte de ce que Sacyr ne détenait plus aucune action d'Eiffage (entretemps cédées à des investisseurs institutionnels, dont la Caisse des dépôts et consignations) et conclu à la caducité du projet d'OPE comme de son obligation de déposer un projet d'offre visant les actions Eiffage.

Les principaux points de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 avril 2008
sur l'affaire Eiffage/Sacyr

Sur le fond, la cour d'appel de Paris a repris tous les indices retenus par l'AMF et a clairement reconnu l'existence d'une action de concert entre Sacyr Vallehermoso et six sociétés espagnoles, et donc confirmé sur ce point la décision de l'AMF du 26 juin 2007, conduisant à invalider l'offre publique d'échange (OPE) lancée par Sacyr sur Eiffage en avril 2007.

Elle a surtout précisé sa conception de l'action de concert en tant que « démarche collective organisée » : « l'article L. 233- 10 précité n'exige pas que l'accord résulte d'un écrit, ni qu'il revête un caractère contraignant. (...) Les acquisitions successives d'actions d'Eiffage par Sacyr et par les six autres sociétés nommées ont procédé, non d'un simple parallélisme de comportements, mais d'une démarche collective organisée tendant à la poursuite d'une finalité commune consistant à se grouper pour apparaître en force afin d'imposer ensemble, par surprise, lors de l'assemblée générale extraordinaire d'Eiffage du 18 avril 2007, une recomposition à leur avantage du conseil d'administration leur permettant ensuite de réaliser le rapprochement entre les deux sociétés ». La prise de contrôle est donc en l'espèce la finalité du concert.

Elle a également relevé le « caractère subreptice de ces manoeuvres , qui méconnaissaient notamment les obligations d'information sur les prises de participations » pour confirmer l'invalidité du projet d'OPE sur le fondement du non-respect des principes de loyauté et de transparence des offres, visés par l'article 231-3 du règlement général de l'AMF.

La cour a cependant annulé pour raison de forme l'obligation faite par l'AMF à Sacyr de déposer une OPA sur Eiffage. Elle a en effet considéré que cette obligation aurait dû donner lieu de la part de l'AMF à une procédure d'injonction distincte de la procédure l'amenant à statuer sur la conformité de l'OPE. Cette procédure aurait ainsi dû suivre les formes prévues à l'article L. 621-14 du code monétaire et financier, qui exige notamment que les personnes concernées soient mises en mesure de présenter leurs explications.

On comprend bien en l'espèce l'intérêt pour les concertistes de recourir à un accord occulte en maintenant les apparences d'une absence de franchissement du seuil du tiers par l'actionnaire principal Sacyr : il s'agissait de prendre le contrôle d'Eiffage sans en payer le prix requis par la procédure d'offre obligatoire , le niveau élevé du prix escompté (compte tenu du cours maximal d'acquisition des actions Eiffage au cours de la période de douze mois) étant notoirement incompatible avec la trésorerie et les capacités d'endettement de Sacyr.

La principale difficulté pour l'AMF, en présence d'une offre publique non obligatoire, donc moins contraignante, a résidé dans la qualification d'une action de concert entre des actionnaires qui n'avaient pas souscrit d'accord formel et connu, mais surtout qui, en apparence, semblaient agir dans le cadre d'une prise de contrôle de la société Eiffage au profit de la seule société Sacyr et non dans un but commun. En d'autres termes, il pourrait y avoir intention de contrôle et action de concert sans politique commune.

D'après l'AMF, la notion de politique commune, seule disponible pour rechercher le concert en l'absence de déclaration de franchissement de seuil du tiers et de dépôt d'une offre publique obligatoire, se serait avérée insuffisamment précise bien que le concert ait par la suite été reconnu par la cour d'appel de Paris. Votre rapporteur juge cette interprétation discutable , puisqu'il existait manifestement une « politique commune » entre Sacyr et les personnes morales qui accompagnaient sa démarche.

3. L'affaire Gecina

Dans l'affaire Gecina, la situation était bien différente puisque l'accord conclu le 19 février 2007 entre le groupe Sahanahuja, d'une part, et MM. Soler et Rivero, d'autre part, avait été dûment publié et prévoyait la séparation entre des actionnaires de référence de Gecina. L'AMF et le juge judiciaire l'ont cependant assimilé à un « concert de séparation », en apparence paradoxal mais non moins représentatif d'une politique commune.

L'accord prévoyait une série d'opérations financières organisant le dénouement des participations de Sahanahuja dans Gecina et de MM. Rivero et Soler dans Metrovacesa, actionnaire majoritaire de Gecina, dont une offre publique d'échange (OPE) simplifiée initiée par Metrovacesa sur ses propres actions contre des actions Gecina, et une offre publique de rachat d'actions (OPRA) de Gecina sur ses propres actions.

Dans une décision du 13 décembre 2007, en partie contestée par certains praticiens, l'AMF a déclaré le projet d'OPRA sur Gecina non conforme au motif que l'effet « relutif » de l'opération conduisait à placer les deux actionnaires eu cause, considérés comme agissant de concert, en situation de dépôt obligatoire d'une OPA, sans que les autres actionnaires aient pu disposer de l'information requise.

Dans son arrêt du 24 juin 2008, la cour d'appel de Paris a confirmé l'analyse de l'AMF et rejeté le recours en annulation formé à l'encontre de sa décision de non-conformité. Cet arrêt n'a toutefois pas levé toutes les interrogations sur la nature de la « politique commune » à l'égard d'une société.

Par un important arrêt du 27 octobre 2009 , la chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi et enrichi de façon pragmatique la jurisprudence en se prononçant sur le critère intentionnel de la politique commune, entendue extensivement, sur les effets de la disparition du concert et sur la question du périmètre du concert. Elle a ainsi mis en exergue d'importants aspects de l'action de concert :

- concernant la durée de l'accord, un accord ponctuel et instantané ne peut guère caractériser une politique commune, mais celle-ci peut se matérialiser dans des opérations simplement temporaires ;

- le concert n'implique pas que la politique commune se confonde avec celle de la société et que les parties se projettent dans son avenir. Il suffit que les concertistes aient eu pour objectif un comportement commun à l'égard de la société ;

- l'exercice de droits de vote n'est pas un critère nécessaire de qualification de l'action de concert, ce qui écarte une interprétation trop littérale de l'article L. 233-10 ;

- le fait qu'un concert ait conventionnellement cessé est sans effet sur les conséquences du franchissement d'un seuil (en l'espèce, l'obligation de déposer une offre publique).

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article, adopté sans modification par l'Assemblée nationale, modifie le I de l'article L. 233-10 du code de commerce pour introduire une nouvelle définition de l'action de concert, qui prenne en compte la volonté des parties de prendre le contrôle de la société .

L'actuelle définition, qui repose sur le critère de « politique commune », se voit adjoindre une nouvelle finalité. Les personnes considérées comme agissant de concert demeurent celles qui ont conclu un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer des droits de vote, mais la finalité de l'accord devient alternative :

- soit obtenir le contrôle de la société, c'est-à-dire le concert offensif. Cette branche traduit l'idée que l'intention de contrôle pourrait ne pas procéder d'une politique commune ;

- soit mettre en oeuvre une politique commune à l'égard de cette société, objectif maintenu et qui continuerait de recouvrir la généralité des accords de concert.

Cette modification entend remédier aux difficultés rencontrées lors des affaires Gecina et surtout Eiffage/Sacyr, et fait suite à une consultation sur le régime des offres publiques menée par la direction générale du Trésor à la fin du premier semestre de 2009, et qui a également donné lieu à l'insertion des articles 9 à 12 du présent projet de loi.

Les notions de concerts offensif et défensif, liées à l'existence d'une offre publique sur la société concernée et définies à l'article L. 233-10-1, ne sont quant à elles pas modifiées.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre commission considère que la modification de la définition de l'action de concert proposée par le présent article n'est pas réellement satisfaisante , bien qu'elle ait pour objet de clarifier cette notion, de sécuriser le fondement des sanctions et de l'obligation de déposer une OPA que la commission des sanctions de l'AMF pourrait être conduite à décider, et donc de renforcer la sécurité juridique de la place de Paris.

Outre qu'elle tend à doublonner les dispositions de l'article
L. 233-10-1 précité, l'alternative ici proposée peut en effet créer une ambiguïté, car elle implique que la politique commune et l'intention d'obtenir le contrôle soient distincts et exclusifs l'un de l'autre, alors que la cour d'appel de Paris et la Cour de cassation, lors des affaires Eiffage/Sacyr et Gecina, ont mis en exergue que le contrôle est une modalité parmi d'autres de la politique commune . Il s'agit donc d'une fausse alternative qui tend à réduire la portée de la « politique commune ».

S'agissant de l'affaire Eiffage/Sacyr, une question importante a trait aux contours de la « politique commune » et au fait que les concertistes s'étaient alliés en vue d'une prise de contrôle par le principal d'entre eux, et non dans une perspective de contrôle conjoint commun à tous les concertistes. Votre rapporteur estime néanmoins, ne serait-ce que pour rompre une forme d' « hypocrisie », que l'action de concert n'est pas exclusive d'une forme de « complicité consentie » et temporaire , qui peut suffire à caractériser la « politique commune ».

La politique commune n'implique pas que tous les concertistes aient des apports, intérêts et objectifs équivalents ; l'essentiel est qu'ils contribuent collectivement, dans une forme de dépendance mutuelle , à la mise en oeuvre d'une stratégie ou démarche commune et qu'ils en assument dès lors, même de façon minoritaire ou marginale, une part d'implication et de responsabilité. Le « complice », agissant en connaissance de cause, est partie prenante de l'accord, de ses motivations et conditionne le succès de la politique commune, temporaire ou durable.

Au surplus, et compte tenu du dépôt d'une OPE par Sacyr, l'AMF aurait pu se fonder plus explicitement sur la notion de concert offensif prévue par l'article L. 233-10-1 précité, pour en déduire le franchissement non déclaré du seuil du tiers par les concertistes et donc l'obligation de déposer un projet d'offre sur Eiffage conforme au droit des OPA au lieu d'une OPE volontaire.

Le dispositif du présent article n'est également pas tout à fait conforme à la position exprimée lors de la consultation de place précitée sur le régime des offres publiques, puisqu'une une majorité relative des vingt participants avait considéré que la définition actuelle, bien que pouvant donner lieu à interprétation, ne nécessitait pas que la loi soit précisée dans la mesure où l'interprétation jurisprudentielle permet de caractériser suffisamment le champ de la notion de concert. D'autres intervenants avaient néanmoins souligné que le texte de la directive OPA prend en compte, dans la définition du concert, la notion de contrôle. En outre, aucune des deux options proposées lors de la consultation sur le lien entre concert et obligation de déposer une offre , soit la prise en compte des concerts offensif et défensif ou du seul concert offensif, n'a été retenue dans le présent article .

Considérant ces aspects, votre commission a jugé préférable de procéder aux modifications suivantes :

- le maintien de la définition actuelle de l'action de concert dans sa portée générale , prévue à l'article L. 233-10 du code de commerce, en insérant explicitement le terme de (politique) « commune ». Outre que la finalité du contrôle est une sous-espèce de celle de la politique commune et non une alternative, il importe en effet de maintenir une marge d'appréciation sur la notion de politique commune, l'incertitude ayant ici une vertu préventive et dissuasive. Au surplus, la création d'une seconde branche relative au contrôle dans la définition générale du concert crée une « concurrence textuelle » malvenue avec la définition spécifique de l'article L. 233-10-1 ;

- une mention, dans l'article L. 233-10-1 du même code, selon laquelle les notions de concert offensif et défensif sont envisagées « pour l'application des dispositions de l'article L. 433-3 du code monétaire et financier relatives aux offres publiques obligatoires » plutôt qu'uniquement « en cas d'offre publique d'acquisition ». Ces dispositions seraient pleinement conformes à l'article 2 de la directive sur les OPA , conçu pour ne viser que les concerts en vue d'une prise de contrôle et non une définition générale de l'action de concert.

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article ainsi rédigé.


* 210 « Lorsqu'une personne physique ou morale détient, à la suite d'une acquisition faite par elle-même ou par des personnes agissant de concert avec elle, des titres d'une société (...) qui (...) lui confèrent directement ou indirectement un pourcentage déterminé de droits de vote dans cette société lui donnant le contrôle de cette société, les Etats membres veillent à ce que cette personne soit obligée de faire une offre en vue de protéger les actionnaires minoritaires de cette société ».

* 211 Directive 2004/109/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2004 sur l'harmonisation des obligations de transparence concernant l'information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé et modifiant la directive 2001/34/CE.

* 212 « La bataille des centres de décision : promouvoir la souveraineté économique de la France à l'heure de la mondialisation », rapport d'information n° 347 (2006-2007) de M. Christian Gaudin, fait au nom de la mission commune d'information centre de décision économique et publié le 22 juin 2007.

* 213 Directive 88/627/CEE du Conseil du 12 décembre 1988 relative aux informations à publier lors de l'acquisition et de la cession d'une participation dans une société cotée.

L'article 7 de cette directive assimile notamment, dans la détermination du périmètre des droits de vote détenus et soumis à déclaration, « les droits de vote détenus par un tiers avec qui cette personne ou entité a conclu un accord écrit qui les oblige à adopter, par un exercice concerté des droits de vote dont ils détiennent, une politique commune durable vis-à-vis de la gestion de la société en question ».

* 214 Discours devant l'Assemblée nationale, 18 avril 1989.

* 215 Jusqu'à la loi MURCEF, de nombreux débats ont porté sur le fait de savoir si la mise en oeuvre d'une politique commune était une condition de l'action de concert aussi bien pour les accords prévoyant le transfert de droits de vote que pour ceux concernant leur exercice. Cette loi a tranché, grâce à un placement de virgule adéquat et conformément à la jurisprudence du Conseil des marchés financiers, en faveur de l'exigence d'une communauté d'objectifs pour permettre de conclure à l'existence d'une action de concert.

* 216 Frank Martin Laprade, « Affaire Gecina : et si la Cour de cassation s'était trompée de contentieux ? », note sous Cass. Com. 27 octobre 2009. in Revue des sociétes, n° 2, avril 2010.

* 217 Certains de ces indices sont éclairants :

- dans sa déclaration effectuée le 5 avril 2006 pour exposer ses intentions en application de l'article L. 233- 7 du code de commerce, Sacyr avait indiqué ne pas avoir l'intention d'acquérir le contrôle d'Eiffage ou de lancer une offre publique sur cette société, ce qu'elle avait réitéré par des déclarations publiques dans les semaines précédant le dépôt du projet d'OPE ;

- entre le 19 avril 2006 et le 23 mars 2007, Sacyr avait acquis au total 2 245 795 actions Eiffage, dont 661 612 actions dans les quatre derniers jours de la période, portant ainsi sa participation à 33,32 % du capital, soit juste en- dessous du seuil du tiers du capital d'Eiffage ;

- les six sociétés concernées - dont l'exploitant d'un terrain de golf - ont acquis progressivement, entre juin 2006 et mars 2007, des actions d'Eiffage jusqu'à se constituer chacune des participations voisines du seuil de 1 % , dont le franchissement leur aurait imposé une déclaration prévue par les statuts ;

- deux de ces sociétés, qui avaient franchi ce seuil, se sont abstenues de le déclarer mais ont aussitôt revendu le surplus de titres pour ramener leur participation à moins de 1 % ;

- il existait des relations personnelles, capitalistiques et d'affaires entre les dirigeants ou actionnaires de ces sociétés et les actionnaires fondateurs et dirigeants de Sacyr ;

- ces sociétés avaient chacune un objet social sans rapport avec celui de Sacyr ;

- elles n'avaient, pour cinq d'entre elles, pas d'autre participation étrangère que les titres Eiffage ;

- elles ont réalisé un investissement au capital d'Eiffage pour des montants compris entre 50 et 70 millions d'euros, qui paraissent hors de proportion avec leur surface financière réelle sans que le mode de financement n'ait pu être expliqué de manière convaincante ;

- des volumes de transaction intenses et inhabituels ont été relevés, qui ont conduit le titre Eiffage à connaître une très forte hausse en mars et avril 2007 ;

- l'AMF a noté différents propos ou déclarations de représentants de Sacyr montrant que cette société était personnellement intéressée au droits de vote de 99 autres actionnaires qui en avaient été privés par le bureau de l'assemblée générale du 18 avril 2007 à raison d'un soupçon de concert.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page