CHAPITRE II - COORDINATION DES PROCÉDURES DE PASSATION DE CERTAINS MARCHÉS DE DÉFENSE

Le chapitre II du projet de loi transpose la directive 2009/81/CE dans ses dispositions qui modifient l'ordonnancement juridique de valeur législative.

On rappelle que la plus grosse partie de la transposition sera effectuée par voie règlementaire et qu'un décret est actuellement en cours d'élaboration par le Gouvernement.

L'article 5 du présent projet de loi modifie l'ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics. L'article 6 modifie quant à lui les dispositions du code de justice administrative.

Article 5 - Régime spécial des marchés de défense ou de sécurité pour les entités soumises à l'ordonnance du 6 juin 2005 et dispositif législatif instituant une préférence communautaire sur ces marchés

L'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 prévoit un régime spécifique, dérogatoire au droit commun des marchés publics, tels que fixé par le code du même nom, pour un ensemble de personnes publiques ou privées. Il s'agit, notamment :

- des autorités administratives indépendantes et des EPIC susceptibles de passer des marchés de sécurité comportant notamment des informations classifiées ou protégées (article 3.1. de l'ordonnance) : Agence française de lutte contre le dopage (ALFD), Cité des sciences et de l'industrie, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, Institut français du pétrole (IFP), Centre national d'études spatiales (CNES), Office national d'études et recherches aérospatiales (ONERA) ;

- des personnes expressément désignées aux articles 3.2 et 3.3 de l'ordonnance, pour leurs marchés de sécurité liés aux transports de fonds et aux réseaux de données : Banque de France, Caisse des dépôts et consignations ;

- les Sociétés d'économie mixte ou sociétés publiques pour leurs marchés de sécurité comportant notamment des informations classifiées ou protégées (article 3.4. de l'ordonnance) : Autorité des marchés financiers, Commission bancaire ;

- les établissements publics ayant dans leur statut une mission de recherche, pour leurs marchés destinés à la conduite de leurs activités de recherche comportant des informations classifiées ou protégées (article 3.5. de l'ordonnance) : Commissariat à l'énergie atomique (CEA), Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace (ISAE) ;

- les personnes exploitant des réseaux fixes d'électricité, de gaz ou de chaleur pour les marchés destinés à la sécurisation de ces réseaux ou à la construction et à l'exploitation des centrales nucléaires (article 26.1. de l'ordonnance) : Réseau de transport d'électricité (RTE), Électricité et réseau distribution France (ERDF), Gaz de France (GDF), Gaz réseau distribution France (GRDF).

Le projet de loi prévoit de modifier l'ordonnance de 2005 sur les articles suivants.

Art. 2 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005
Définition législative des marchés
et accords cadres de défense ou de sécurité

Le projet de loi introduit un nouveau paragraphe II à l'article 2 de l'ordonnance de 2005 dont l'objet est de définir les marchés publics de défense et de sécurité. L'introduction de cette définition dans un texte de niveau législatif permet à d'autres dispositions législatives, ou réglementaires, de s'y référer.

Ces marchés regroupent cinq sous-ensembles, comprenant :

1° les équipements militaires

Le texte proposé pour le 1° du II de l'article 2 de l'ordonnance de 2005 vise :

« La fourniture d'équipements, y compris leurs pièces détachées, composants ou sous assemblages, qui sont destinés à être utilisés comme armes, munitions ou matériel de guerre, qu'ils aient été spécifiquement conçus à des fins miliaires, ou qu'ils aient été initialement conçus pour une utilisation civile puis adaptés à des fins militaires. »

Ce texte fait référence au a) de l'article 2 de la directive 2009/81/CE qui vise les marchés ayant pour objet :

« L a fourniture d'équipements militaires, y compris de leurs pièces détachées, composants, et/ou sous-assemblages » étant entendu qu'un équipement militaire est (art. 1 pont 6 de la même directive) un équipement « spécifiquement conçu ou adapté à des fins militaires, destiné à être utilisé comme arme, munitions ou matériel de guerre ».

La définition des marchés de défense donnée par la France correspond au plus près à la définition donnée par la directive. L'inclusion des équipements à usage dual correspond à l'opposition entre les termes « conçu » et « adapté » qui démontre que la directive a entendu inclure dans son champ d'application à la fois les équipements conçus spécifiquement à des fins militaires mais aussi les équipements conçus à des fins civiles et adaptés à des fins militaires.

2° les équipements de sécurité

Le texte proposé vise, de façon homothétique au précédent paragraphe, la fourniture d'équipements « destinés à la sécurité, y compris leurs pièces détachées, composants ou sous-assemblages, et qui font intervenir, nécessitent ou comportent des supports ou informations protégés ou classifiés dans l'intérêt de al sécurité nationale ».

Cette rédaction est très proche de l'article 2 de la directive qui vise :

« La fourniture d'équipements sensibles, y compris de leurs pièces détachées, composants, et/ou assemblages. » étant entendus que les équipements les travaux et services sensibles sont, aux termes de l'article premier : « des équipements, travaux et services destinés à des fins de sécurité qui font intervenir, nécessitent et/ou comportent des informations classifiées ».

3° Les travaux, fournitures ou services directement liés à un équipement de défense

La définition donnée par le projet de loi est particulièrement précise puisqu'elle vise :

« y compris la fourniture d'outillages, de moyens d'essais ou de soutien spécifique, pour tout ou partie du cycle de vie de l'équipement ; le cycle de vie de l'équipement est l'ensemble des états successifs qu'il peut connaître, notamment la recherche et développement, le développement industriel, la production, la réparation, la modernisation, la modification, l'entretien, la logistique, la formation, les essais, le retrait, le démantèlement et l'élimination ».

La directive se contente de viser les « travaux, fournitures et services directement liés à un équipement (de défense ou sensible) pour tout ou partie de son cycle de vie ». Cette notion est définie à l'article premier point 26 de la directive comme « l'ensemble des états successifs que peut connaître un produit, c'est-à-dire la recherche et développement, le développement industriel, la production, la réparation, la modernisation, la modification, l'entretien, la logistique, la formation, les essais, le retrait et l'élimination ».

4° Les travaux et services ayant des fins spécifiquement militaires, ou des travaux et services destinés à la sécurité

Outre leur objectif ces travaux et services doivent comporter des supports ou informations protégés ou classifiés dans l'intérêt de la sécurité nationale.

La directive (article premier d) ) vise quant à elle des travaux et services destinés à des fins spécifiquement militaires ou des travaux et services sensibles. L'article premier point 8. définit les informations classifiées comme étant : « toute information ou tout matériel quel qu'en soit la forme, la nature ou le mode de transmission, auquel un certain niveau de classification de sécurité ou un niveau de protection a été attribué et qui, dans l'intérêt de la sécurité nationale et conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives en vigueur dans l'Etat membre considéré, requiert une protection contre tout détournement, toute destruction, suppression, divulgation, perte ou tout accès par des personnes non autorisées, ou tout autre type de compromission ».

5° les marchés mixtes

Enfin, le projet de loi inclut également dans les marchés de défense et de sécurité : « les travaux, fournitures ou services mentionnés aux 1° à 4°, et des travaux, fournitures ou services qui n'y sont pas mentionnés, lorsque la passation d'un marché unique est justifiée pour des raisons objectives ».

Cette formulation reprend celle de l'article 3 point 1 de la directive (« marchés mixtes ») qui dispose que : « un marché ayant pour objet des travaux, fournitures ou services entrant dans le champ d'application de la présente directive et en partie dans le champ d'application de la directive 2004/17/CE ou de la directive 2004/18/CE est passé conformément à la présente directive, sous réserve que la passation d'un marché unique soit justifiée par des raisons objectives ».

On peut observer que la notion de « raisons objectives » est floue et donnera sans doute lieu à des précisions jurisprudentielles.

Art. 3 et Art. 4 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005
Possibilité pour les pouvoirs adjudicateurs d'appliquer volontairement les règles relatives aux marchés de défense ou de sécurité.

Le projet de loi modifie les articles 3 et 4 de l'ordonnance de 2005 afin de préciser que les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices peuvent se soumettre aux règles du régime spécifique des marchés de défense et de sécurité, aussi bien pour la passation de ces marchés, que pour leur exécution, voire des deux.

Art. 7 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005
Possibilité d'exclure un marché du régime spécifique des marchés de défense ou de sécurité

Les directives communautaires prévoient des cas dans lesquels les acheteurs publics peuvent se dispenser de toutes procédures d'appel à la concurrence. Il s'agit des « exclusions ». Ces exclusions sont pour partie communes aux trois directives (2009/81/CE, 2004/17/CE et 2004/18/CE).

Le projet de loi modifie en conséquence l'article 7 de l'ordonnance de 2005 en dissociant, dans un souci de clarté pour les acheteurs publics, les exclusions générales, applicables à tous les marchés, et les exclusions spécifiques aux marchés de défense ou sécurité.

I.- Les exclusions générales

Il s'agit des exclusions suivantes :

1° des marchés passés par des acheteurs qui bénéficient, sur le fondement d'une disposition légale, d'un « droit exclusif ». Cette disposition vise les pouvoirs adjudicateurs à la tête de réseaux physiques ou financiers et en situation de monopole.

2° des marchés concernant l'acquisition ou la location de terrains, de bâtiments existants ou d'autres biens immeubles.

3° des marchés passés selon des règles de passation prévus par un accord international.

4°des marchés passés selon des modalités prévues par un accord international.

5°des marchés relatifs à l'arbitrage et à la conciliation.

6°les marchés de service concernant les contrats de travail.

Ces exclusions générales, qui ne sont pas propres aux marchés de défense et de sécurité, n'appellent pas de commentaires particuliers.

II. Les exclusions spécifiques aux marchés civils

1° Les marchés de services financiers, lorsqu'ils ne sont pas conclus en relation avec des contrats d'acquisition ou de location de terrain.

2° Les marchés de services de recherche et développement pour lesquels le pouvoir adjudicateur n'acquiert pas la propriété des résultats ou ne finance pas entièrement la prestation.

3° Les marchés qui exigent le secret ou dont l'exécution doit s'accompagner de mesures particulières de sécurité conformément aux dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ou pour lesquels la protection des intérêts essentiels de l'Etat l'exige.

4° Les marchés qui ont pour objet l'achat d'oeuvres d'art, d'objets d'antiquités et de collection et les marchés ayant pour objet l'achat d'objets d'art.

Les deuxième et troisième exclusions méritent plus particulièrement notre attention.

La seconde exclusion concerne plus particulièrement la recherche et développement et correspond à l'exclusion de ces dépenses du champ de la directive, ce qui était un voeu légitime des négociateurs français.

La troisième exclusion reprend très exactement le champ des exclusions posées antérieurement à l'article 21 de la directive 2009/17/CE et 14 de la directive 2009/18/CE. Ces articles sont transposés dans le code des marchés publics (article 3 - 7°). Il est nécessaire de les avoir également dans le régime spécifique de l'ordonnance de 2005.

III.- Les exclusions spécifiques aux marchés de défense et de sécurité

Sont exclus du champ de l'ordonnance de 2005 :

1° Les marchés de services financiers à l'exception des services d'assurance.

2° Les marchés de services de recherche et développement, lorsque le pouvoir adjudicateur n'acquiert pas la propriété exclusive des résultats ou ne finance pas entièrement la prestation. Il doit être précisé que l'ordonnance donne à cet endroit l'exacte définition de la recherche et développement, telle que prévue par la directive à l'article premier point 27.

3° Les marchés portant sur des armes, munitions ou matériel de guerre, lorsque l'article 346 du TFUE est invoqué afin de protéger les intérêts essentiels de sécurité de l'Etat.

4°°Les marchés pour lesquels l'application obligerait à une divulgation d'informations contraire aux intérêts essentiels de l'Etat. Cette exclusion résulte de l'article 13 a) relatif précisément aux « exclusions spécifiques ».

5° Les marchés spécifiquement destinés aux activités de renseignement. Il s'agit de la transposition de l'article 13 b) de la directive.

6° Les marchés passés dans le cadre d'un programme de coopération fondé sur des activités de recherche et développement mené conjointement par l'Etat français et un autre membre de l'Union (directive art. 13 c) ). Il convient de noter que lorsqu'un tel programme est lancé, l'Etat doit le notifier à la Commission européenne, au moment de la conclusion de l'accord et lui indiquer la part des dépenses de recherche et développement par rapport au coût global du programme, l'accord relatif au partage des coûts, ainsi que le cas échéant, la part envisagée d'achat pour chaque Etat membre, telle que définie dans l'accord ou l'arrangement.

7° Les marchés passés dans un pays tiers, lorsque des forces sont déployées hors du territoire de l'Union et que les besoins opérationnels exigent qu'ils soient conclus avec des opérateurs économiques locaux implantés dans la zone d'opérations (directive art. d) ).

8° L'ensemble des marchés passés au titre des exclusions des marchés de défense (article 2, paragraphe II de l'ordonnance), à savoir : marchés d'équipements de défense, d'équipements de sécurité, de travaux, fournitures et services qui y sont liés, des travaux et services à des fins spécifiquement militaires ou des travaux, fournitures et services inclus dans des marchés mixtes.

Art. 8 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005
Impossibilités de se présenter à l'offre pour certains opérateurs, en raison de condamnations pénales

La transposition de la directive a été effectuée de deux façons.

La première a consisté à ajouter de nouvelles références aux incriminations pénales qui emportent, de façon automatique, lorsqu'elles ont été établies par le juge, l'interdiction de soumissionner pendant cinq ans.

Outre les infractions actuellement listées au 1° de l'article 8 de l'ordonnance, sont notamment ajoutées :

- les infractions liées au financement d'activités terroristes, qui sont imposées par la directive  (articles 421-1 à 421-2-3 du code pénal) ;

- les infractions au secret professionnel (art 226-13 du code pénal). Il convient de noter que cette nouvelle interdiction n'est qu'une simple faculté dans la directive.

La seconde façon (paragraphe 5° nouveau de l'article 8 ) a consisté à ouvrir la possibilité aux acheteurs publics de rejeter, en motivant leur décision et sous le contrôle du juge, les entreprises qui, indépendamment de toute sanction pénale, ont failli à leurs obligations de sécurité d'approvisionnement et d'information lors de la passation ou de l'exécution d'un marché précédent ou ont vu leur responsabilité civile engagée depuis moins de cinq ans, sur le même fondement.

De la même manière (paragraphe 6° nouveau ), les acheteurs publics pourront rejeter « les personnes au sujet desquelles il est établi, par tout moyen, et le cas échéant par des sources de données protégées, qu'elles ne possèdent pas la fiabilité nécessaire pour éviter des atteintes à la sécurité de l'Etat. »

Cette dernière possibilité, conforme à l'article 39, point 2, e) de la directive, donne une marge de manoeuvre considérable aux acheteurs publics, puisque ceux-ci pourront, le cas échéant, se dispenser de rapporter la preuve que les personnes en question n'ont pas la fiabilité nécessaire.

On rappelle que l'article 39 point 2 e) dispose :

« Peut être exclu de la participation à un marché, tout opérateur économique (...) e) au sujet duquel, il est établi par tout moyen de preuve, le cas échéant par des sources de données protégées, qu'il ne possède pas la fiabilité nécessaire pour éviter des atteintes à la sécurité de l'Etat membre. »

Art. 37-1 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005
Possibilité de refuser des sous-traitants à l'offre

L'article 37-1 est créé afin d'ouvrir la possibilité au pouvoir adjudicateur, en application des dispositions de l'article 21 point 5 de la directive de rejeter les opérateurs économiques tiers proposés par le titulaire aux fins de réalisation du marché que ces opérateurs économiques soient qualifiés de sous-traitants ou non. Le rejet des sous-traitants était déjà possible en application de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance.

Le présent projet de loi complète le dispositif en ce qui concerne les fournisseurs.

Les modalités d'application de cet article sont renvoyées à un décret en Conseil d'Etat.

Art. 37-2 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005
Possibilité de fermer les appels d'offre à des opérateurs économiques non membres de l'Union européenne

Cet article 37-2 est au coeur du dispositif prévu par le projet de loi, puisqu'il instaure de façon implicite pour les marchés de défense et de sécurité une sorte de mécanisme de préférence communautaire.

La France n'a pas obtenu que soit insérée dans le dispositif de la directive une clause de préférence communautaire, similaire au Buy American Act et en vertu de laquelle, lorsqu'ils décident d'ouvrir une compétition pour l'acquisition d'équipements militaires, les autorités d'un Etat membre restreignent l'offre aux opérateurs économiques de l'Union européenne.

Par ailleurs, la directive MPDS ne donne aucune définition des opérateurs économiques européens 20 ( * ) et, en l'absence d'une telle définition, il est impossible d'exclure des opérateurs sur la base de leur nationalité. On peut même penser que toute tentative de définition, par le législateur national de ce qu'est un « opérateur économique européen » serait vraisemblablement, dans le silence de la directive à ce sujet, censurée par la CJUE.

En revanche la France a obtenu que soit inséré dans l'exposé des motifs un considérant 18, qui dispose notamment que :

« (...) dans le contexte spécifique des marchés de la défense et de la sécurité, les Etats membres conservent le pouvoir de décider si oui ou non leurs pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices peuvent autoriser des agents économiques de pays tiers à participer aux procédures de passation des marchés.(...) »

Rappelons que selon une jurisprudence constante, le « préambule d'un acte communautaire n'a pas de valeur juridique contraignante » 21 ( * ) et que certains services de la Commission européenne considèrent que seule l'Union pourrait décider de l'ouverture ou de la fermeture des marchés publics à l'égard des opérateurs étrangers. Ce qu'elle n'a pas fait dans le cas présent (voir exposé général).

Ce considérant n'est en aucun cas une « préférence communautaire » si on entend par là une clause donnant un avantage automatique à un approvisionnement dans le marché intérieur européen, au détriment du marché mondial 22 ( * ) . Dans cette acception, seul l'article 58 points 2 et 3 de la directive 2004/17/CE prévoit un mécanisme de « préférence communautaire » 23 ( * ) .

Néanmoins, le considérant 18 est une invitation, à valeur politique, faite aux Etats-membres, à considérer que le principe régissant le marché européen des équipements de défense est que les Etats européens ouvrent leurs offres, préférentiellement , aux opérateurs économiques de l'espace européen et que, s'agissant des opérateurs économiques des pays tiers à l'Union, ils décident souverainement d'ouvrir ou non. Juridiquement rien n'est changé par rapport à la situation actuelle. Politiquement, oui.

C'est donc en quelque sorte l'esprit de ce considérant qu'a voulu transposer la nouvelle rédaction prévue pour l'article 37-2 de l'ordonnance de 2005 par l'article 5 - 7° du projet de loi.

Ce nouvel article prévoit en effet que :

« Art. 37-2.- Un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice peut autoriser des opérateurs économiques n'ayant pas la qualité de ressortissant de l'Union européenne ou de ressortissants de la Confédération suisse ou d'un Etat partie à l'Espace économique européen à participer à une procédure de passation de marchés de défense ou de sécurité ».

Il doit être immédiatement rapproché du nouvel article 38 de l'ordonnance qui prévoit que :

« Les dispositions de l'article 37-1 et 37-2 sont applicables aux personnes soumises au code des marchés publics. ».

Cela signifie que cet article pourra être invoqué par tout pouvoir adjudicateur soumis ou décidant de recourir au code des marchés publics, en particulier l'Etat, et pour ce qui nous concerne plus particulièrement en matière d'équipements de défense : la DGA.

Dans le silence des textes, le droit positif français autorise actuellement les pouvoirs adjudicateurs de notre pays à recourir, pour les équipements de défense et de sécurité, à des opérateurs économiques de pays tiers à l'Union autant qu'ils le souhaitent et pour les équipements qu'ils souhaitent 24 ( * ) . La souveraineté joue à plein et il n'est nullement nécessaire d'invoquer l'article 346 du TFUE qui, par construction, ne concerne que les opérateurs économiques des Etats membres.

Par ailleurs, le commerce des armes étant exclu de l'AMP, aucun opérateur économique d'un pays tiers ne pourrait se prévaloir du fait qu'il n'a pas été admis à une offre concernant un marché de défense ou de sécurité français, sauf à ce qu'il existe un traité particulier le prévoyant entre son pays et le nôtre.

Cette possibilité d'écarter de l'offre des candidats de pays tiers lorsque les pouvoirs adjudicateurs recourent à des procédures de gré à gré ou de procédure négociée ne semble guère contestable devant le juge national.

En revanche lorsque les pouvoirs adjudicateurs lancent des appels d'offre sur la base du code des marchés publics, un opérateur d'un pays tiers à l'Union pourrait vraisemblablement invoquer, devant le juge national, le principe d'égalité à l'appui d'un recours contre un refus de concourir fondé exclusivement sur la nationalité.

Si le pouvoir exécutif avait souhaité écarter ce risque, il eût suffit qu'il inscrive que les pouvoirs adjudicateurs peuvent « exclure », et non autoriser, les opérateurs économiques des pays tiers à l'Union. Sous le contrôle du juge constitutionnel, la loi peut en effet écarter le principe d'égalité pour des raisons d'intérêt général. C'est ainsi qu'un critère de nationalité est posé pour admettre les candidats à la fonction publique.

Le fait au contraire d'écrire que les pouvoirs adjudicateurs « peuvent autoriser » ne prend dès lors tout son sens que si on admet la préexistence d'un principe implicite suivant lequel les marchés de défense ou de sécurité sont, en droit français, fermés aux opérateurs économiques de pays tiers à l'Union et que, par dérogation à ce principe, les pouvoirs et entités adjudicateurs peuvent autoriser de tels opérateurs à concourir.

Dans ces conditions, votre commission considère qu'il serait préférable :

D'une part, de préciser le texte du gouvernement afin de poser de façon plus explicite le principe d'une sorte de préférence communautaire spécifique aux pouvoirs adjudicateurs français, sans aller jusqu'à conférer à ce mécanisme l'automaticité d'une authentique clause de préférence et en permettant donc à ces mêmes pouvoirs d'y déroger, chaque fois qu'ils le souhaiteront.

D'autre part d'autoriser les pouvoirs adjudicateurs français à prendre en compte, dans le respect de la directive, l'implantation géographique des opérateurs économiques, aussi bien au niveau du dépôt de l'offre qu'à celui de son acceptation, afin d'éviter les « faux-nez » et ce que l'on pourrait appeler les « mauvais » européens.

Votre commission a adopté l'article 5 ainsi modifié.

Article 6 - Modalités de recours contre les marchés de défense

L'article 6 vient modifier les conditions de recours contre les marchés publics, qui figurent dans le code de justice administrative, afin d'introduire, en application de la directive MPDS, certaines spécificités relatives aux marchés de défense.

Art. L 551-2 du code de justice administrative
référé précontractuel

Le référé précontractuel, défini à l'article L. 551-1 du code de justice administrative, s'exerce de la façon suivante : le président du tribunal administratif est directement saisi, avant même la conclusion du contrat, du référé, en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation du marché.

Dans la rédaction en vigueur de l'article L. 551-2 du même code, le juge administratif peut alors annuler la passation du marché. Ce pouvoir d'annulation résulte d'ailleurs de la transposition en droit français d'une autre directive européenne sur les procédures de recours (article 2 de la directive 89/665/CEE modifiée 25 ( * ) ).

Or la directive MPDS, dans son article 56, point 1, b, offre la faculté aux États membres de remplacer ce pouvoir d'annulation pur et simple par un pouvoir d'injonction assorti d'astreintes, puisqu'il offre la possibilité de prendre des mesures « ayant pour but de corriger la violation constatée et d'empêcher que des préjudices soient causés aux intérêts concernés; notamment d'émettre un ordre de paiement d'une somme déterminée dans le cas où l'infraction n'est pas corrigée ou évitée . ».

Il faut noter que, dans le code de justice administrative, un tel régime existe déjà, aux articles L 551-6 et L 551-7 ; il s'applique aux entités adjudicatrices.

En conséquence, le présent article rend applicable aux contrats passés dans le domaine de la défense les dispositions prévues, en matière de référé précontractuel, pour les entités adjudicatrices dans l'actuel code de justice administrative.

Art. L 551-19 du code de justice administrative
référé contractuel

Dans le cadre d'un référé contractuel, ouvert après la signature du marché, en application de l'article L. 551-18 du code de justice administrative, le juge administratif peut prononcer la nullité d'un contrat, notamment lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou encore lorsqu'a été omise la publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où elle est prescrite, ou que le contrat a été signé avant l'expiration du délai exigé.

Dans le cas des marchés de défense, l'article 60, point 3 de la directive MPDS introduit toutefois des dispositions dérogatoires en matière de référé contractuel : « un marché ne peut être considéré comme ne produisant pas d'effet si les conséquences de cette absence d'effets peuvent sérieusement menacer l'existence même d'un programme de défense et de sécurité plus large qui est essentiel pour les intérêts d'un État membre en matière de sécurité. Dans tous les cas énumérés ci-dessus, les États-membres prévoient des sanctions au sens de l'article 61, paragraphe 2, qui s'appliquent à titre de substitution ».

En d'autres termes, il est loisible au législateur de prévoir un autre effet que l'annulation pure et simple du marché, dans la mesure où cette dernière pourrait affecter l'existence d'un programme de défense.

L'article 6 du projet de loi propose de transposer cette disposition dans le code de justice administrative, au sein de l'article L.551-19, qui prévoit déjà, dans certains cas, des sanctions de substitution lorsque le juge ne prononce pas la nullité du contrat.

Il est donc proposé d'étendre le champ d'application de l'article L.551-19, pour y préciser que le juge ne peut prononcer la nullité du contrat lorsque cette mesure menacerait sérieusement l'existence même d'un programme de défense ou de sécurité essentiel pour les intérêts de sécurité de l'État. Il lui appartient, dans ce cas, de choisir entre les différentes sanctions de substitution prévues au premier alinéa de l'article L.551-19 (sanction telle que la réduction de durée du contrat par exemple, ou une pénalité financière).

Votre commission a adopté l'article 6 tel que proposé par le texte du Gouvernement, en corrigeant toutefois une erreur matérielle à l'alinéa 7 (faute d'orthographe).


* 20 La directive 2004/18/CE relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services comme la directive 2004/17/CE portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux disposent en leur article premier que : « Le terme «opérateur économique» couvre à la fois les notions d'entrepreneur, fournisseur et prestataire de services. Il est utilisé uniquement dans un souci de simplification du texte ». L'article premier du code des marchés publics se réfère quant à lui à la même notion, mais sans la définir : « les marchés publics sont les contrats à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs définis à l'article 2 et des opérateurs économiques publics ou privés, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services ».

* 21 Cf p. ex. CJCE, 24 novembre 2005, Deutsches Milch-Kontor GmbH, Aff. C-136/04. Rec p. I-10095, pt 32

* 22 L'article 44 du Traité de Rome sur la politique agricole commune (PAC) prévoyait une « préférence naturelle » entre les Etats-membres. Sur le fondement de cet article, la CJCE a fait de la préférence communautaire un principe général avec force contraignante. Toutefois, après l'abrogation de cet article 44 par le Traité d'Amsterdam, elle a fait évoluer sa jurisprudence et dans un arrêt de 2005 (Espagne contre Conseil - CJCE - C-342/03 du 10 mars 2005). Dans cette affaire, le gouvernement espagnol avait exposé que la préférence communautaire est un des principes du Traité CE et le fondement du tarif douanier commun. La CJCE a considéré au contraire que la préférence communautaire n'est qu'un principe parmi d'autres, à valeur politique et que le législateur communautaire peut appliquer ou pas.

* 23 Cet article donne automatiquement avantage à une entreprise dont la qualité de l'offre est équivalente à celle d'un concurrent si l'offre de ce concurrent comporte plus de 50 % de sa valeur, des produits originaires des pays tiers. L'écart des prix entre les deux offres ne doit pas être supérieur à 3 %.

* 24 C'est ainsi que la France a acheté par le passé, entre autres exemples nombreux, des avions AWACS, ou encore récemment des missiles JAVELIN aux Etats-Unis.

* 25 Directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux

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