II. LA CRISE DE LA DETTE SOUVERAINE DANS LA ZONE EURO

A. UN RISQUE DE CRISE AUTORÉALISATRICE POUR TOUT ETAT AYANT UNE DETTE PUBLIQUE DE L'ORDRE DE 100 POINTS DE PIB

Les taux d'intérêt des trois « petits » Etats « périphériques » de la zone euro (Grèce, Irlande, Portugal) atteignent des niveaux très élevés, comme le montre le graphique ci-après.

Les taux d'intérêt à 10 ans sur les emprunts d'Etat de trois Etats « périphériques »

(en %)

Source : Natixis

L'Espagne et l'Italie peuvent cependant toujours se financer à un taux soutenable.

Les taux d'intérêt à 10 ans sur les emprunts d'Etat de l'Espagne et de l'Italie

(en %)

Source : Natixis

Le fait que la crise de la dette souveraine frappe la zone euro, dont la situation globale des finances publiques est globalement plus favorable que celle des Etats-Unis et du Japon, peut sembler paradoxal. Il tient à la nature même de l'euro, qui, en faisant disparaître le risque de change, rend rationnel pour les investisseurs d'accorder une importance prépondérante au risque de défaut, aussi faible soit-il a priori . Par ailleurs, une hausse des taux peut s'auto-entretenir, dans la mesure où elle aggrave le risque de défaut de l'Etat concerné. Un cercle vicieux peut également s'instaurer entre le pessimisme des marchés au sujet de certains Etats et leur pessimisme au sujet de leur système bancaire.

A cela s'ajoute que la Grèce, le Portugal et l'Espagne ont un déficit extérieur courant de l'ordre de 10 points de PIB, ce qui est nettement supérieur à celui de leurs partenaires, et ce qui, compte tenu de leurs perspectives de croissance, n'est pas soutenable sur le long terme : s'il se maintenait, ces pays seraient tellement endettés vis-à-vis de l'extérieur que tôt ou tard leurs administrations publiques feraient défaut, soit directement, soit après s'être portées au secours d'agents privés en difficulté.

Le tableau ci-après montre qu'il existe un risque de crise autoréalisatrice pour tout Etat ayant une dette publique de l'ordre de 100 points de PIB. Il indique plus particulièrement la situation des quatre Etats « périphériques » de la zone euro et de l'Italie.

Solde public primaire nécessaire pour stabiliser
le ratio dette/PIB (en supposant une croissance du PIB de 4 % par an en valeur)

(en points de PIB)

Taux d'intérêt
(en %)

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

Dette publique
(en points de PIB)

10

0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0,6

0,7

0,8

0,9

1

1,1

20

0

0,2

0,4

0,6

0,8

1

1,2

1,4

1,6

1,8

2

2,2

30

0

0,3

0,6

0,9

1,2

1,5

1,8

2,1

2,4

2,7

3

3,3

40

0

0,4

0,8

1,2

1,6

2

2,4

2,8

3,2

3,6

4

4,4

50

0

0,5

1

1,5

2

2,5

3

3,5

4

4,5

5

5,5

60

0

0,6

1,2

1,8

2,4

3

3,6

4,2

4,8

5,4

6

Espagne

Portugal

Irlande

Italie

Grèce

6,6

70

0

0,7

1,4

2,1

2,8

3,5

4,2

4,9

5,6

6,3

7

7,7

80

0

0,8

1,6

2,4

3,2

4

4,8

5,6

6,4

7,2

8

8,8

90

0

0,9

1,8

2,7

3,6

4,5

5,4

6,3

7,2

8,1

9

9,9

100

0

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

110

0

1,1

2,2

3,3

4,4

5,5

6,6

7,7

8,8

9,9

11

12,1

120

0

1,2

2,4

3,6

4,8

6

7,2

8,4

9,6

10,8

12

13,2

130

0

1,3

2,6

3,9

5,2

6,5

7,8

9,1

10,4

11,7

13

14,3

140

0

1,4

2,8

4,2

5,6

7

8,4

9,8

11,2

12,6

14

15,4

150

0

1,5

3

4,5

6

7,5

9

10,5

12

13,5

15

16,5

160

0

1,6

3,2

4,8

6,4

8

9,6

11,2

12,8

14,4

16

17,6

170

0

1,7

3,4

5,1

6,8

8,5

10,2

11,9

13,6

15,3

17

18,7

180

0

1,8

3,6

5,4

7,2

9

10,8

12,6

14,4

16,2

18

19,8

190

0

1,9

3,8

5,7

7,6

9,5

11,4

13,3

15,2

17,1

19

20,9

200

0

2

4

6

8

10

12

14

16

18

20

22

Les cases en gris clair et en gris foncé correspondent aux situations dans lesquelles les Etats doivent dégager un excédent primaire supérieur ou égal à respectivement 3 et 7 points de PIB pour stabiliser leur dette publique (ce dernier montant correspondant au maximum historique dans la zone euro).

Les cercles rouges correspondent à la situation si les taux d'intérêt se maintenaient durablement à leur niveau actuel, les cercles verts à celle s'ils retrouvaient des niveaux plus « normaux » (les ordres de grandeur pour les quatre Etats « périphériques » sont analogues à ceux retenus par Zsolt Darvas, Christophe Gouardo, Jean Pisani-Ferry et André Sapir, in « A Comprehensive Approach to the Euro-Area Debt Crisis », Bruegel, février 2011).

Lecture : plus un Etat se trouve proche du coin inférieur droit, moins sa dette est soutenable.

Source : calculs de la commission des finances

La dette de la Grèce, de 150 points de PIB, est probablement impossible à financer sur les marchés, que ses taux d'intérêt demeurent ou non à leur niveau actuel. Si tel était le cas, la Grèce devrait dégager un excédent primaire de 16,5 points de PIB pour stabiliser sa dette en points de PIB, ce qui est manifestement impossible. S'ils diminuaient jusqu'à 9 %, elle devrait dégager un excédent de 7,5 points de PIB, ce qui serait légèrement supérieur au maximum historique atteint dans la zone euro, et paraît donc peu réaliste.

L'Irlande et le Portugal se situent dans la « zone à risque ». Ils échapperaient à l'insolvabilité si leurs taux d'intérêt retrouvaient un niveau qui, bien que toujours élevé, serait plus « normal ». Le risque de crise autoréalisatrice est néanmoins présent.

La situation de l'Espagne et de l'Italie est quant à elle pour l'instant soutenable. Cela suppose bien entendu que les taux d'intérêt n'augmentent pas comme dans le cas des trois autres Etats. En particulier, le tableau suggère que l'Espagne, avec une dette publique de seulement 70 points de PIB en 2011, et qui emprunte à moins de 6 %, n'a pas besoin de recourir au fonds européen de stabilité financière (FESF). Pour qu'elle se trouve dans la même situation que l'Irlande et le Portugal actuellement, il faudrait que ses taux d'intérêt atteignent près de 10 %.

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