B. LE NOUVEAU CADRE CONSTITUTIONNEL

L'article 67 : les principes d'irresponsabilité et d'inviolabilité du Chef de l'Etat

Le constituant a distingué deux situations :

- le Président de la République, pour les actes qu'il accomplit en cette qualité est irresponsable ; il n'a à en répondre ni pendant, ni après son mandat, sous deux réserves : d'une part, en vertu de l'article 53-2, en cas de génocide ou de crime contre l'humanité, afin de permettre l'exercice de la compétence de la Cour pénale internationale ; d'autre part, en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatibles avec l'exercice de son mandat » comme le prévoit, dans sa nouvelle rédaction, l'article 68 de la Constitution ;

- pour les actes détachables du mandat -commis avant le mandat ou ne présentant pas de lien direct avec celui-ci- le président bénéficie de l' inviolabilité : il ne peut être l'objet d'aucune action devant une juridiction ou une administration pendant la durée du mandat . En revanche, cette immunité cesse avec ses fonctions et le Chef de l'Etat relève alors du droit commun.

Comme l'observait notre ancien collègue Robert Badinter lors du débat sur la révision constitutionnelle : « le jour où le président quitte ses fonctions, il redevient un citoyen ordinaire. A ce moment-là, l'horloge se remet en marche et les poursuites reprennent à l'encontre du président sortant ».

L'article 68 : la nouvelle procédure de destitution

Elle répond à trois principes complémentaires.

Elle ne reprend pas la notion de haute trahison. Désormais, la responsabilité du Chef de l'Etat peut être mise en cause en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat . ». Il s'agit avant tout de protéger le mandat présidentiel , y compris, le cas échéant, contre celui auquel il a été confié, s'il ne s'en montre pas digne.

L'article 68 substitue, par ailleurs, à une procédure de mise en accusation une procédure de destitution fondée sur une appréciation politique de la nature du manquement reproché au Chef de l'Etat. La révision constitutionnelle a ainsi rompu avec l'ambiguïté d'un système qui laissait la Haute Cour de justice déterminer souverainement la sanction du Président de la République coupable de haute trahison. Comme le Président Jean-Jacques Hyest le rappelait dans le rapport sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution 6 ( * ) , l'article 68 permet « une nette distinction entre les champs institutionnel et juridictionnel : après avoir sanctionné l'incompatibilité entre un acte ou un comportement et la poursuite du mandat, la destitution rend le Président de la République à la condition de citoyen ordinaire, passible des juridictions de droit commun ».

Enfin, la destitution répondant à une logique politique, elle ne peut être décidée que par le Parlement , seul le représentant du peuple souverain pouvant apprécier les manquements dont serait responsable une autorité issue du suffrage universel. Aussi, l'article 68 prévoit-il que « la destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour ». Contrairement au dispositif antérieur, les parlementaires ne sont pas des juges politiques mais des « représentants prenant une décision politique afin de préserver les intérêts supérieurs de la nation ». 7 ( * )

Lors de l'examen, par le Sénat, de la loi constitutionnelle du 23 février 2007, le nouveau statut juridictionnel du Chef de l'Etat avait fait l'objet de nombreuses critiques qui, du reste, dépassaient les clivages partisans. Les objections portaient sur deux points essentiels : l'immunité totale, en particulier, au regard des actions de caractère civil, accordée au Chef de l'Etat, la notion ambigüe de manquement aux devoirs « manifestement incompatibles » avec l'exercice du mandat.

Le président Robert Badinter s'était ému d'une situation selon laquelle « le Président de la République française est le seul Français sous cloche immunitaire [qui] ne répond de rien pendant la durée de son mandat, ni de ses actions pénales, ni de ses actions civiles, ni même de la haute trahison ». Il avait relevé que « l'épouse du Président de la République serait la seule française à ne pas pouvoir divorcer, pendant cinq ans, dix ans, à moins que son mari n'y consente » : « c'est de la répudiation ! » s'était-il exclamé. Notre ancien collègue, M. Pierre Fauchon avait également critiqué l'inégalité entre un « président qui conserverait le droit d'agir en justice et des tiers qui n'auraient pas la faculté d'introduire une instance contre celui-ci ».

Quant au manquement aux devoirs manifestement incompatibles avec l'exercice du mandat, il serait susceptible de donner lieu à une appréciation purement politique, voire partisane.

Le Constituant s'étant toutefois prononcé en faveur de la révision, les nouvelles dispositions doivent pouvoir s'appliquer.

L'article 68, dans sa nouvelle rédaction, précise plusieurs points de procédure.

- D'abord, la procédure de destitution peut indifféremment être déclenchée par l'Assemblée nationale ou par le Sénat par l' adoption d'une proposition de réunion de la Haute Cour qui doit être aussitôt transmise à l'autre assemblée. Celle-ci dispose d'un délai de 15 jours pour se prononcer. Une assemblée qui n'adopterait pas la proposition transmise par l'autre mettrait fin à la procédure.

- Ensuite, la Haute Cour, réunion de l'Assemblée nationale et du Sénat, présidée par le Président de l'Assemblée nationale , doit statuer dans un délai d'un mois à bulletin secret sur la destitution. Ce délai permet de ne pas laisser perdurer une situation de crise préjudiciable à la stabilité des institutions.

- Les décisions concernant l'adoption de la proposition de réunion de la Haute Cour ainsi que la destitution du Président de la République doivent être prises à la majorité des deux tiers des membres composant l'assemblée concernée ou la Haute Cour. L'exigence d'une majorité qualifiée résulte d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale à l'initiative de notre collègue M. André Vallini et des membres du groupe socialiste afin d'éviter un usage partisan de la procédure de destitution. Le quatrième alinéa de l'article 68 interdit toute délégation de vote et prévoit que seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.

- La décision est d' effet immédiat.

Néanmoins ces indications demeurent insuffisantes pour déterminer l'ensemble des conditions régissant le déclenchement et le déroulement de la procédure de destitution.

Au reste, le dernier alinéa de l'article 68 de la Constitution renvoie à la loi organique le soin de fixer les conditions d'application de la procédure de destitution en particulier les conditions de dépôt et d'inscription à l'ordre du jour de la proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour et les modalités d'examen et d'adoption de la proposition de destitution.

Faute de dispositions communes aux deux assemblées sur ces questions, la procédure prévue par l'article 68 ne pourrait être mise en oeuvre.

Il va de soi, par ailleurs, que l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de Justice n'est plus applicable.

Le Sénat et l'Assemblée nationale ont abrogé dans leurs règlements respectifs, les articles relatifs à la Haute Cour de justice (articles 85 et 86 par la résolution sénatoriale du 2 juin 2009 ; article 157-1 par la résolution de l'Assemblée nationale du 27 mai 2009), tout en faisant référence à la Haute Cour dans l'intitulé de chapitres qui demeurent, néanmoins, jusqu'à présent, des « coquilles vides » (même si l'Assemblée rappelle dans un article de principe -article 157- que « le Parlement constitué en Haute Cour prononce la destitution du Président de la République dans les conditions prévues par l'article 68 de la Constitution et la loi organique à laquelle il fait référence »).


* 6 Rapport au nom de la commission des lois sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution, par M. Jean-Jacques Hyest, Sénat n° 194, 2006-2007, p. 39.

* 7 Rapport précité, p. 39.

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