EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Mme Françoise Guégot, députée, a déposé le 22 février 2012, sur le bureau de l'Assemblée nationale, la proposition de loi relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet. Le Gouvernement a engagé sur ce texte la procédure accélérée le 23 février 2012.

Mme Françoise Guégot a été désignée rapporteur par la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui a examiné ce texte le 28 février 2012 au matin, avant son adoption en séance publique le 28 février dans la nuit.

Ce texte a été inscrit par le Gouvernement à l'ordre du jour du Sénat le 1 er mars 2012, soit une semaine après son dépôt à l'Assemblée nationale.

Votre rapporteur observe que cette initiative est destinée avant tout à contribuer au règlement de la situation de la société Petroplus Petit-Couronne, filiale française d'un groupe suisse de raffinage de pétrole et actuellement en procédure de redressement judiciaire, en ouvrant la possibilité d'ordonner la saisie des stocks de pétrole, propriété du groupe, dans l'attente d'un jugement sur la responsabilité de celui-ci dans la cessation des paiements de sa filiale, qui le conduirait à contribuer à la procédure de redressement.

L'exposé des motifs de la proposition de loi indique ainsi qu'il s'agit de prévoir « des mesures permettant de faire obstacle à ce que des tiers prélèvent les actifs de l'entreprise défaillante, organisent leur protection face au risque de voir leur responsabilité engagée, ou privent cette entreprise de toute possibilité de répondre à ses obligations, notamment environnementales ». Il ajoute : « si le maître de l'affaire, véritable dirigeant de la société en difficulté, est propriétaire d'éléments que cette dernière détient pour son compte, la mesure permettra de saisir à titre conservatoire ces éléments d'actif dont il aurait pu exiger la restitution avant qu'une décision judiciaire ne retienne sa responsabilité dans la défaillance de cette société ». Au-delà du cas de Petroplus, l'actualité récente, marquée par la crise économique, en fournit plusieurs exemples.

Quelle que soit sa position sur l'intérêt, l'opportunité ou l'urgence de ce texte et quand bien même il ne comporte que six articles, votre commission ne peut que déplorer des délais d'examen dont la brièveté est presque inégalée sous la présente législature 1 ( * ) . Elle craint en outre qu'il en résulte une éventuelle malfaçon, qui nécessiterait sa modification ultérieure.

La loi ayant vocation à s'appliquer à toutes les situations de manière générale et impersonnelle, votre commission s'interroge enfin sur la méthode consistant à élaborer un texte en fonction d'un cas particulier d'actualité, sans prendre le temps de s'assurer de la cohérence de son insertion dans le droit en vigueur et des conséquences de son application.

Dans ces conditions, votre rapporteur n'a bien évidemment pas été en mesure d'entendre en audition toutes les parties intéressées. Il a néanmoins pris le soin d'échanger avec son homologue, dont il tient à saluer l'approche constructive, afin de faire valoir ses observations et les préoccupations de votre commission dès la première lecture à l'Assemblée nationale.

Au regard de l'intérêt de la société Petroplus Petit-Couronne et de ses salariés, en dépit des objections légitimes opposées à la méthode d'élaboration et d'examen de cette proposition de loi, votre rapporteur estime néanmoins que le principe de réalité impose de l'adopter.

Il constate en outre que le représentant de l'intersyndicale Petroplus a déclaré qu'en dépit du fait qu'un certain nombre d'amendements n'avaient pas été votés à l'Assemblée nationale, « il est primordial que la loi existe » 2 ( * ) .

I. LE DÉVELOPPEMENT DES MESURES CONSERVATOIRES DANS LE CADRE DES PROCÉDURES COLLECTIVES

Dans le droit des procédures collectives, figurant au livre VI du code de commerce relatif aux difficultés des entreprises, le président du tribunal saisi d'une procédure de liquidation judiciaire dispose de la faculté d'ordonner des mesures conservatoires dans le cadre de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, à l'égard des biens des dirigeants à l'encontre desquels est engagée cette action. Le livre VI ne prévoit aucun autre cas dans lequel de telles mesures conservatoires peuvent être ordonnées.

Héritière de l'ancienne action en comblement de passif, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif 3 ( * ) permet de faire supporter par les dirigeants de droit ou de fait d'une société, y compris les représentants des dirigeants personnes morales, une insuffisance d'actif apparue à l'occasion de la liquidation, dès lors que leur est imputable une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif. Lorsqu'une telle action est engagée, toute mesure conservatoire peut être ordonnée à l'égard des biens des dirigeants, de manière à assurer la conservation des biens susceptibles de supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif. La mesure conservatoire peut être une saisie ou une sûreté judiciaire.

Ce dispositif déroge au droit commun des mesures conservatoires, tel qu'il est prévu par les articles 67 et suivants de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution. En effet, l'article 67 dispose que « toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement ». Dans le cas de l'action pour insuffisance d'actif, il n'est guère aisé d'avancer a priori que la créance est fondée dans son principe.

Le présent texte a pour premier objet d'étendre la faculté du président du tribunal d'ordonner des mesures conservatoires à l'occasion d'actions engagées dans le cadre, non seulement d'une liquidation judiciaire, mais aussi des deux autres procédures collectives que sont le redressement judiciaire et la sauvegarde. Sont ainsi concernées l'action en extension 4 ( * ) , applicable dans les trois procédures collectives, ainsi que l'action en responsabilité fondée sur la faute d'un dirigeant de droit ou de fait ayant contribué à la cessation des paiements, organisée par la proposition de loi dans le cadre d'une procédure de redressement ou de liquidation. Dans l'attente du jugement au fond, les biens faisant l'objet d'une mesure conservatoire sont indisponibles pour leur propriétaire.

Ainsi, lorsqu'une société engagée dans une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire exerce son activité avec des machines qui appartiennent à une société-mère qui les met à disposition ou transforme en tant que prestataire des marchandises qui appartiennent à une société-mère, ces machines ou ces marchandises, sur décision du président du tribunal, pourront faire l'objet de mesures conservatoires très rapidement, de sorte que la société-mère ne pourrait pas les récupérer, dès lors que serait engagée contre elle une action en extension ou en responsabilité.

À cet égard, votre rapporteur observe que l'action pour insuffisance d'actif, telle qu'elle avait été créée par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, pouvait être engagée dans le cadre des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire, jusqu'à ce que l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté vienne en restreindre le champ à la seule liquidation judiciaire 5 ( * ) . Dans ce cadre initial, le président du tribunal avait déjà la possibilité d'ordonner des mesures conservatoires à l'égard des biens des dirigeants, ce que le présent texte propose d'instituer pour les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire, dans des situations comparables.

Votre commission s'étonne particulièrement de ce qu'il faille en 2012 revenir en urgence sur des modifications opérées par une ordonnance publiée en 2008, dans le but de se rapprocher, sans le dire explicitement, d'un dispositif adopté en 2005.

Votre rapporteur considère donc que le présent texte n'aurait sans doute pas eu besoin de voir le jour si le Gouvernement, par l'ordonnance du 18 décembre 2008, n'avait pas restreint de manière injustifiée le champ de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif à la seule liquidation. Sur ce point, le 28 février 2012 devant l'Assemblée nationale, M. Michel Mercier, garde des sceaux, a curieusement évoqué un « vide juridique » du code, tandis que M. Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, a parlé quant à lui de « lacune de notre droit ». Si vide juridique il y a, il semble avoir été organisé par le Gouvernement lui-même.

La proposition de loi permet également, dans certaines conditions, la cession de biens faisant l'objet de mesures conservatoires, lorsqu'ils entraînent des frais pour leur conservation ou leur détention ou bien sont susceptibles de dépérissement, ainsi que l'affectation du produit de la cession au paiement des frais inhérents à la gestion des affaires du propriétaire des biens. Ces dispositions étant susceptibles de porter au droit de propriété - droit protégé par la Constitution - du propriétaire des biens une atteinte qui pourrait être disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi, il appartient en tout état de cause à la loi de prévoir des garanties suffisantes, en encadrant strictement les conditions de la cession et surtout de l'affectation du produit de la cession.


* 1 Déposé à l'Assemblée nationale le 13 octobre 2008, le projet de loi de finances rectificative pour le financement de l'économie a été adopté par le Sénat le 15 octobre 2008.

* 2 Dépêche AFP du 29 février 2012, 9 h 27.

* 3 Articles L. 651-1 et suivants du code de commerce.

* 4 Article L. 621-2 du code de commerce.

* 5 Cette même ordonnance a supprimé l'obligation aux dettes sociales des dirigeants, instituée par la loi du 26 juillet 2005, dans le cadre d'une liquidation judiciaire, considérant qu'elle pouvait faire double emploi avec l'action pour insuffisance d'actif. Elle a été prise sur le fondement de l'article 74 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, qui comportait une habilitation permettant de remanier assez largement le droit des procédures collectives. L'habilitation était précise et force est de constater qu'elle ne visait pas expressément la révision du champ de l'action pour insuffisance d'actif ou la suppression de l'obligation aux dettes sociales. On pourrait dans ces conditions s'interroger sur le respect par le Gouvernement de l'habilitation qui lui a été accordée par le Parlement. Le rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance, publié au Journal officiel en même temps que cette dernière, n'évoque même pas la restriction du champ de l'action pour insuffisance d'actif.

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