CHAPITRE IER BIS - DISPOSITIONS RELATIVES À LA FILIATION ADOPTIVE ET AU MAINTIEN DES LIENS AVEC L'ENFANT

L'Assemblée nationale a introduit cette nouvelle division et trois des articles qu'elle contient à l'initiative de sa commission des lois, le dernier résultant d'un amendement du rapporteur adopté en séance publique.

Bien que consacré aux dispositions relatives à la filiation adoptive et au maintien des liens avec l'enfant, ce nouveau chapitre n'inclut pas d'article ouvrant expressément l'accès à l'adoption conjointe aux époux de même sexe. En effet, comme on l'a vu précédemment, cet accès découle implicitement, mais nécessairement, de l'article 1 er , au même titre que tous les autres droits et obligations afférents au mariage 97 ( * ) .

Article 1er bis (art. 345-1 du code civil) - Autorisation de l'adoption plénière de l'enfant du conjoint, antérieurement adopté par lui

Cet article, introduit en commission des lois à l'Assemblée nationale, à l'initiative de son rapporteur, M. Erwann Binet, vise à autoriser l'adoption plénière de l'enfant du conjoint, lorsqu'il a déjà fait l'objet d'une adoption plénière par ce dernier.

L'adoption plénière de l'enfant du conjoint n'est en effet permise que dans trois cas, afin d'éviter de priver l'enfant d'une filiation antérieure, sauf circonstance qui le justifient :

- lorsque l'enfant n'a de filiation légalement établie qu'à l'égard de ce conjoint ;

- lorsque l'autre parent que le conjoint s'est vu retirer totalement l'autorité parentale ;

- lorsque l'autre parent que le conjoint est décédé et n'a pas laissé d'ascendants au premier degré ou lorsque ceux-ci se sont manifestement désintéressés de l'enfant.

En outre, afin d'éviter de soumettre l'enfant à des adoptions plénières successives ou multiples, l'article 359 du code civil rend l'adoption plénière irrévocable et l'article 346 interdit qu'un enfant puisse être adopté par plusieurs personnes, exception faite de deux époux.

Appliquée strictement, cette règle interdirait au conjoint d'une personne qui aurait précédemment adopté un enfant, en la forme plénière, de l'adopter à son tour.

Or, une telle situation se trouvera fréquemment au sein des familles homoparentales actuelles, puisque jusqu'à présent, seule la voie de l'adoption par un célibataire leur ouverte pour accueillir un enfant dans leur famille. La régularisation de leur situation filiative passe alors par l'adoption de cet enfant par l'autre conjoint : il est nécessaire d'en réserver la possibilité.

La circulaire du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes de l'état civil relatifs à la naissance et à la filiation 98 ( * ) propose, à cet égard, une interprétation souple de la règle.

Elle défend que, dans la mesure où l'article 343 du code civil ne précise pas que l'adoption conjointe par deux époux soit effectuée simultanément, elle autorise implicitement que l'adoption par les conjoints puisse avoir lieu successivement. À l'appui de cette interprétation, le ministère de la justice fait valoir que, dans le cas de l'adoption par le conjoint, il n'y a pas infraction à la règle de l'irrévocabilité de l'adoption plénière, puisque la filiation à l'égard du conjoint s'ajoute à la filiation antérieure.

Cette interprétation libérale ne paraît toutefois pas conforme à la jurisprudence plus restrictive de la Cour de cassation 99 ( * ) .

Sans remettre en cause la pertinence de l'argumentation de la Chancellerie, les commissaires des lois de l'Assemblée nationale ont d'ailleurs préféré, à l'invitation du rapporteur, M. Erwann Binet, poser une règle explicite, en ajoutant, aux trois cas dans lesquels l'adoption de l'enfant du conjoint est autorisée, un cas supplémentaire : lorsque l'enfant a fait l'objet d'une adoption plénière par ce seul conjoint.

Votre rapporteur partage la préoccupation exprimée par les députés, et juge comme eux souhaitable que la règle soit rendue plus explicite : il s'agit de prémunir les familles homoparentales, qui seront nombreuses dans ce cas, de tout risque d'interprétation divergente par les tribunaux.

Toutefois, le dispositif proposé par l'Assemblée nationale pose une difficulté. Son effet dépasse le strict objet qui le motive, puisqu'en ne précisant pas que la filiation de l'enfant doit être établie à l'égard du seul conjoint l'ayant adopté la première fois, il autoriserait une adoption par l'autre conjoint d'un enfant ayant déjà un autre parent par le sang.

Le cas serait par exemple celui d'un enfant à la filiation biologique établie à l'égard d'un seul parent, qui serait une première fois adopté par le conjoint de ce dernier, puis, une seconde fois, après la séparation du premier couple, par le nouveau conjoint du parent adoptif.

Il n'est pas acquis que l'article 346 du code civil, selon lequel, nul ne peut être adopté par plusieurs personnes, si ce n'est deux époux, serait susceptible, sur ce point, de tenir en échec la règle spéciale ainsi ajoutée à l'article 345-1 du même code, puisque la seconde adoption serait bien une adoption entre époux.

Certes cette seconde adoption ne serait possible qu'avec le consentement du parent biologique évincé 100 ( * ) , mais elle s'écarte du droit en vigueur, qui n'autorise une telle adoption que si le parent biologique s'est vu retiré l'autorité parentale ou s'il est décédé et n'a pas laissé d'ascendants au premier degré ou que ceux-ci se sont manifestement désintéressés de l'enfant. Le dispositif ainsi adopté en 1993, puis en 1996, l'avait justement été pour remédier à des cas difficiles d'éviction de la famille par le sang 101 ( * ) .

Afin de préserver l'état actuel du droit, notamment pour les couples de sexe différent, et circonscrire la règle ainsi posé aux cas où il n'y a pas de filiation concurrente, votre commission a adopté un amendement de son rapporteur inspiré du deuxième alinéa de l'article 346 du code civil 102 ( * ) , qui autorise expressément une nouvelle adoption plénière de l'enfant du conjoint, lorsque ce dernier a fait l'objet d'une adoption plénière par ce seul conjoint, et qu'il n'a de filiation établie qu'à son égard.

Votre commission a adopté l'article 1 er bis ainsi modifié .

Article 1er ter (art. 360 du code civil) - Autorisation de l'adoption simple de l'enfant du conjoint, antérieurement adopté par lui

Cet article, introduit en commission, à l'Assemblée nationale, à l'initiative du rapporteur de la commission des lois et de la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, tend à autoriser l'adoption simple de l'enfant du conjoint, lorsqu'il a déjà fait l'objet d'une adoption simple ou d'une adoption plénière.

Il répond à la même préoccupation que l'article précédent : rendre possible des adoptions intrafamiliales, au sein de familles homoparentales dans lesquelles la filiation des enfants n'est établie, par la voie de l'adoption, qu'à l'égard de l'un des parents.

L'adoption simple, qui conserve la filiation d'origine, pourrait paraître plus ouverte que l'adoption plénière, puisqu'elle est toujours possible, même en cas de filiation déjà établie, sous réserve du consentement des parents biologiques 103 ( * ) .

Toutefois, la même incertitude existe sur la possibilité d'adoptions simples successives 104 ( * ) . Cette incertitude est d'autant plus préjudiciable aux intérêts des familles que plusieurs pays étrangers, source d'un nombre important d'adoption internationale n'acceptent que l'adoption simple en cette matière. Tel est notamment le cas d'Haïti : on ne peut alors exclure qu'un enfant adopté sous cette forme par une personne célibataire ne puisse l'être ensuite, si cette dernière venait à se marier, par son conjoint.

Par ailleurs, aux termes du deuxième alinéa de l'article 360 du code civil, l'adoption simple, après une adoption plénière, n'est autorisée que s'il est justifié de motifs graves : il s'agit là, selon la formule du doyen Carbonnier d'une « solution de rebond » : « après une plénière qui a mal tourné, l'adopté peut être admis à repartir dans une adoption simple » 105 ( * ) . Cette restriction exclut qu'une adoption simple succède à une adoption plénière pour un autre motif.

Dans l'intention de ses auteurs, le présent article vise à remédier à ces deux situations, d'une part, en autorisant l'adoption simple de l'enfant du conjoint déjà adopté par lui en la forme simple et, d'autre part, en permettant à une adoption simple au bénéfice du conjoint d'intervenir après une adoption plénière.

Or, il semble, comme précédemment, que le dispositif proposé dépasse largement ce simple objet.

Aujourd'hui, une adoption simple prononcée sur l'échec d'une adoption plénière est susceptible de réunir, sur la tête du même enfant, quatre liens de filiations différents : les deux premiers, résultant de l'adoption plénière, et les deux derniers, créés par l'adoption simple 106 ( * ) . Cette pluri-parentalité est toutefois justifiée par des motifs graves, qui signalent l'échec de la première adoption et montrent qu'elle n'entre pas en concurrence avec la seconde.

Dans le dispositif proposé, rien n'interdirait qu'il en aille de même : il suffirait pour cela que l'enfant ait fait l'objet d'une adoption plénière conjointe par deux époux, puis qu'après leur séparation, chacun ait réclamé, pour son nouveau conjoint, le bénéfice d'une adoption simple 107 ( * ) .

Pourrait ainsi s'organiser, sans qu'il soit justifié de motifs graves, une pluri-filiation rassemblant autour du même enfant deux couples et quatre adultes, et provoquant un éclatement des attributaires de l'autorité parentale.

De la même manière, autoriser, sans plus de précision, l'adoption simple de l'enfant du conjoint, lorsque celui-là aurait déjà fait l'objet d'une adoption simple conjointe pourrait permettre, sans qu'il soit besoin de justifier de motifs particuliers, d'organiser autour d'un couple pivot ayant adopté l'enfant à l'origine, deux adoptions simples par les nouveaux conjoints de chacun des parents.

De telles configurations joueraient d'ailleurs indifféremment dans le cadre de couples de même sexe ou de sexe différent.

Votre rapporteur souligne que la question de la pluri-parentalité et du statut du beau-parent, qui concerne toutes les familles recomposées, est une question importante, qui mérite une réflexion approfondie sur la filiation et l'autorité parentale . L'examen prochain d'un projet de loi sur la famille en fournira l'occasion.

Dans le cadre de ce texte il lui semble préférable de restreindre le dispositif aux seuls cas où la première adoption a été effectuée par une personne seule, ce qui constitue la principale préoccupation à l'origine du présent article.

À son initiative, la commission des lois a par conséquent adopté un amendement en ce sens.

Votre commission a adopté l'article 1 er ter ainsi modifié .

Article 1er quater (supprimé) (art. 365 du code civil) - Principe de l'exercice en commun de l'autorité parentale en cas d'adoption simple de l'enfant du conjoint

Cet article, résultant d'un amendement du rapporteur, adopté par la commission des lois de l'Assemblée nationale, vise à poser le principe d'un exercice en commun de l'autorité parentale en cas d'adoption simple de l'enfant du conjoint.

L'article 365 du code civil pose la règle selon laquelle l'adoptant en la forme simple est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale.

Cette règle reçoit une exception pour l'adoption de l'enfant du conjoint, qui distingue entre l'attribution et l'exercice de l'autorité parentale. Cette autorité appartient concurremment aux deux. Mais le parent d'origine en conserve seul l'exercice, sauf à ce que les deux époux, par une déclaration conjointe au greffier en chef du tribunal de grande instance, demandent un exercice en commun.

Le présent article supprime cette distinction et pose le principe général d'un exercice en commun de l'autorité parentale. Les époux qui souhaiteraient y déroger devraient saisir le juge aux affaires familiales aux fins d'homologation de la convention par laquelle ils organiseraient différemment les modalités d'exercice de cette autorité.

L'objet de cette modification est de faciliter l'exercice en commun de l'autorité parentale en cas d'adoption simple de l'enfant du conjoint.

L'avantage retiré vaut-il les inconvénients éventuels de cette solution ?

Le droit en vigueur n'interdit nullement l'exercice en commun de l'autorité parentale. Il le soumet seulement à une formalité minime, puisqu'il s'agit d'une simple déclaration auprès du greffe, qui est négligeable par rapport à celles qu'engage la procédure d'adoption simple au terme de laquelle elle intervient.

À titre de comparaison, la saisine du juge aux affaires familiales, qui n'est pas le juge de l'adoption, contraindra les époux à une procédure d'homologation plus formelle et plus longue.

En outre, posant le principe d'un exercice réservé au parent d'origine, la rédaction actuelle de l'article 365 du code civil s'adapte parfaitement à la réalité de l'adoption simple d'un enfant mineur.

Les chiffres de l'adoption simple en 2007

L'enquête « Adoption » du ministère de la justice établissait qu'en 2007, 9 412 personnes avaient été adoptées en la forme simple

L'adoption internationale (1,7 %) et l'adoption nationale non familiale (3,4 %) représentent à peine 5 % du total.

La quasi-totalité de ces adoptions (95 %) correspondent en effet à des adoptions intrafamiliales, principalement (92 %) l'adoption de l'enfant du conjoint actuel (79,5 %) ou d'un ex-conjoint ou d'un conjoint décédé (8 %).

Les adoptés intrafamiliaux sont relativement âgés, puisque le jugement intervient en moyenne lorsqu'ils ont 33,6 ans. 13 % (environ 1160) sont mineurs, 87 % sont majeurs.

Source : Secrétariat général du ministère de la justice, Les adoptions simples et plénières en 2007 , juin 2009.

Beaucoup n'interviennent que tardivement et n'ont d'autre vocation que symbolique et successorale, ni l'adoptant ni le parent d'origine ne souhaitant alors un exercice en commun de l'autorité parentale.

Ainsi, selon les chiffres fournis à votre rapporteur par le ministère de la justice, entre 2004 et 2011, le nombre de déclarations conjointes d'exercice de l'autorité parentale a oscillé entre 9 et 22 demandes par an, ce qui représente moins de 2 % des adoptions simples de mineurs : les demandes d'exercice conjoint de l'autorité parentale sont très faibles et ne sauraient justifier une inversion de la règle actuelle.

En outre, cette préférence donnée au parent d'origine manifeste le privilège qui lui est reconnu : il ne s'agit pas d'une adoption plénière qui supprime toute référence à la famille d'origine et traite également les deux parents adoptifs, mais bien d'une adoption simple particulière, qui, dans le cas général, conserve au parent auprès duquel l'enfant vit depuis sa naissance, une priorité sur celui qui ne le connaît que par son truchement.

D'ailleurs, ce faisant, le droit en vigueur traite de la même façon l'adoptant simple et le parent qui reconnaît tardivement son enfant : l'article 372 du code civil prévoit ainsi que le premier parent reste seul investi de l'exercice de l'autorité parentale, sauf déclaration conjointe des père et mère adressée au greffier en chef du TGI ou décision du juge aux affaires familiales. Le dispositif proposé par les députés créerait une distorsion entre ces deux régimes.

Enfin, même s'il consent à l'adoption de son enfant par son conjoint, le parent peut souhaiter, pour des raisons légitimes, s'en tenir à l'attribution en commun de l'autorité parentale, sans son exercice en commun : l'adoption se limite alors à des obligations et des engagements envers l'enfant, pour sa protection, sans s'étendre à un pouvoir de décision sur son avenir ou son éducation. Les statistiques relatives aux demandes d'exercice en commun corroborent cette analyse.

Certains parents peuvent ainsi juger raisonnable de réserver la possibilité d'une progression dans l'accès de l'adoptant à la décision parentale, afin d'éprouver la force du lien ou éviter qu'en cas de séparation précipitée, le divorce et le conflit éventuel s'alourdissent de considérations sur la résidence de l'enfant ou les modalités d'exercice de l'autorité parentale.

L'ensemble de ces raisons motivent, aux yeux de votre rapporteur, la suppression du présent article.

Votre commission a supprimé l'article 1 er quater .

Article 1er quinquies (art. 353-2, 371-4 et 373-3 du code civil et L. 351-4 du code de la sécurité sociale) - Maintien des liens de l'enfant, en cas de séparation, avec le tiers qui a résidé avec lui et l'un de ses parents et participé à son éducation

Cet article, adopté en séance à l'initiative de notre collègue député Erwann Binet, rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale et avec l'avis favorable du Gouvernement, vise à permettre le maintien de relations personnelles de l'enfant avec son second parent, à l'égard duquel il n'a pas de filiation établie, en cas de séparation du couple.

La préoccupation à l'origine du présent dispositif est susceptible de renvoyer à deux situations différentes : la rupture des liens de l'enfant avec celui qui l'a élevé - seule traitée par le présent article - et l'éviction du premier parent, non reconnu par la loi, par un nouveau parent légal - qui justifierait un dispositif spécifique.


La protection des liens de l'enfant avec celui qui l'a élevé

La situation visée par l'auteur de l'amendement à l'origine du présent article, est celle du parent « social » ou « non statutaire ». En effet, par définition, l'adoption intrafamiliale, qui permettra de concrétiser juridiquement, au sein des familles homoparentales, les liens existants entre le deuxième parent et l'enfant du couple, ne concernera que les familles encore unies à la date d'entrée en vigueur de la loi. Le second parent des couples séparés continuera d'être juridiquement considéré comme un tiers vis-à-vis d'un enfant qui l'a pourtant traité comme un père ou une mère, à égalité avec son autre parent.

Pour remédier à cette situation, le présent article introduit à l'article 373-3 du code civil, consacré à l'intervention des tiers en cas de séparation des parents, lorsque l'un d'entre eux est privé de tout ou partie de l'autorité parentale, un alinéa autorisant le juge à prendre les mesures susceptibles de garantir le maintien de liens personnels entre l'intéressé et l'enfant, lorsque l'intérêt de l'enfant le commande 108 ( * ) . Il donne du parent « non statutaire » la définition suivante : « celui qui a résidé, de manière stable, avec [l'enfant] et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et avec lequel il a noué des liens affectifs durables ».

Ce dispositif appelle plusieurs observations.

La définition retenue recouvre aussi bien le parent non statutaire que le beau-parent, voire le demi-frère, la demi-soeur ou tout tiers qui, résidant au même domicile, se seraient fortement impliqués dans l'éducation de l'enfant et auraient noué avec lui une affection durable.

Ce faisant, son effet dépasse le strict objet qui motive le présent article à l'origine. Elle renvoie à une réflexion plus générale, qui devra être poursuivie dans le cadre du projet de loi sur la famille annoncé par le Gouvernement.

Par ailleurs, le dispositif proposé semble déjà largement satisfait par le droit en vigueur, à la faveur d'une jurisprudence qui prend plus nettement en compte les évolutions de la famille.

L'article 371-4 du code civil impose au juge aux affaires familiales, si tel est l'intérêt de l'enfant, de fixer les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non.

Sur cette base, les magistrats judiciaires ont ainsi accordé à l'ex-compagne de la mère biologique un droit de visite et d'hébergement au motif qu'il était de l'intérêt de l'enfant que soit préservée une stabilité dans ses relations affectives et sociales avec ceux qui ont décidé, dès avant sa conception, d'être ses parents et qui en ont assumé les obligations et la responsabilité depuis sa naissance 109 ( * ) .

De la même manière, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nanterre a refusé de supprimer une mesure de délégation d'autorité parentale dont bénéficie l'ex-compagne de la mère, en dépit de la séparation des parents 110 ( * ) . De même, la cour d'appel de Paris a confirmé un jugement organisant, postérieurement à la séparation du couple, une délégation partielle de cette autorité 111 ( * ) .

Votre rapporteur observe que, si la généralité des termes employés par l'article 371-4 du code civil n'apporte pas toujours une réponse satisfaisante à ceux qui souhaiteraient pouvoir identifier la situation particulière dont ils relèvent, elle est aussi ce qui garantit que le juge puisse adapter sa décision, conformément à l'intérêt de l'enfant, à toutes les configurations familiales envisageables.

L'insertion du dispositif proposé à l'article 373-3 du code civil est-elle vraiment adaptée ? Le paragraphe 4, de la section I, du titre IX sur l'autorité parentale est certes consacré à l'intervention des tiers. Mais, cette intervention est alors conçue en suppléance de la défaillance, volontaire ou involontaire, des parents, ce qui ne correspond pas à la situation visée dans le présent article. L'article 371-4 précité, qui traite aussi du cas particulier des ascendants de l'enfant, accueillerait plus pertinemment un tel dispositif.

Pour l'ensemble de ces raisons, après avoir constaté que le droit en vigueur, tel qu'appliqué par les tribunaux, était susceptible d'apporter une protection efficace aux liens que les parents non statutaires, au même titre que les beaux-parents, auraient noué avec l'enfant qu'ils ont élevé jusqu'à la séparation du couple, votre rapporteur a proposé à votre commission, qui l'a adopté, un amendement ayant deux objets :

- la suppression du dispositif proposé à l'article 373-3 du code civil, afin de s'en tenir au dispositif général et éprouvé de l'article 371-4 du code civi l. Toute réflexion plus poussée sur le statut du tiers non-parent mérite plutôt d'être conduite dans le cadre général du projet de loi sur la famille annoncé par le Gouvernement ;

- la reprise, à titre de précision, à l'article 371-4, de la définition proposée par l'Assemblée nationale, qui peut s'appliquer autant au « parent social » qu'au « beau-parent ». Cette précision imposera aux magistrats d'examiner plus particulièrement cette situation, sans lier d'aucune manière leur appréciation de ce qui est conforme à l'intérêt de l'enfant.


Le risque d'éviction du parent non reconnu par la loi

L'article 1 er quinquies ne répond pas à une des préoccupations légitimes des associations de défense des droits des familles homoparentales, sur l'un des effets indirects de la présente loi.

Lors de leur audition par votre commission, les représentants de l'association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) se sont inquiétés de l'éviction éventuelle du parent « social », par le nouveau conjoint du parent à l'égard duquel la filiation de l'enfant est établie, grâce à l'adoption intrafamiliale . Dans des situations de séparation conflictuelle, le seul parent reconnu par la loi aurait ainsi la faculté d'écarter son ex-compagne ou compagnon, en consentant à l'adoption de son enfant par son nouveau conjoint.

De telles situations ne seront sans doute pas majoritaires, mais l'intérêt de l'enfant et celui de son parent, qui n'aura pu, jusqu'à l'adoption de la présente loi, assurer juridiquement leur lien affectif et filiatif, appelle toute la vigilance du législateur.

Or, l'éviction du parent non reconnu par la loi procède de l'adoption. C'est donc au moment de l'examen de la demande d'adoption ou lorsqu'elle sera contestée, que le juge pourra apprécier si celle-ci est bien conforme à l'intérêt de l'enfant, et si l'antériorité et la force des liens noués avec son premier parent n'imposent pas de la rejeter .

Les voies de recours contre les jugements d'adoption sont limitées. L'article 353-2 dispose ainsi que la tierce opposition n'est recevable qu'en cas de fraude ou de dol imputable aux adoptants.

Cette procédure, cependant, paraît tout à fait adaptée à la situation éventuelle du second parent évincé : le risque est grand, en effet, qu'il n'ait pas été alerté du procès d'adoption et n'ait pu intervenir à ce stade. Or, justement, la tierce opposition constitue une voie de recours extraordinaire, ouverte, pendant trente ans, à celui qui n'a été ni partie, ni représenté à une instance qui lui porte préjudice. Elle lui permet d'obtenir si sa prétention est jugée fondée, l'annulation de la décision pour ce qui le concerne, voire son annulation complète si les conséquences de la décision sont jugées indivisibles de son préjudice. Tel serait le cas pour le prononcé de l'adoption.

Cette procédure a d'ailleurs été utilisée par des grands-parents qui souhaitaient maintenir de forts liens avec l'enfant pour obtenir l'annulation du jugement d'adoption. En effet, le tribunal a considéré que le fait que les adoptants lui aient sciemment caché le voeu des grands-parents de l'adopté, était constitutif d'un dol, dans la mesure où cette circonstance aurait pu influer sur sa décision 112 ( * ) .

La situation d'un second parent évincé serait proche : s'il n'a pas de droit absolu à s'opposer à l'adoption par le conjoint du parent biologique, de l'enfant qu'il a élevé, il doit néanmoins avoir la certitude que le juge aura été informé de cet état de fait. La dissimulation de cette circonstance, par le parent légal, devrait pouvoir être assimilée à un dol.

Votre rapporteur souligne, toutefois, qu'il ne faut pas, pour autant, ouvrir trop largement la tierce opposition, au risque sinon de placer les adoptions dans une situation d'insécurité juridique dangereuse et contraire à l'intérêt des adoptés.

Pour cette raison, il a proposé à votre commission un amendement qu'elle a adopté, qui complète l'article 353-2 du code civil, afin d'établir que constitue un dol imputable aux adoptants la dissimulation au tribunal du maintien des liens entre l'enfant adopté et un tiers, conformément à une décision rendue par le juge aux affaires familiales sur le fondement de l'article 371-4 du code civil.

En effet, cette décision du juge aux affaires familiales, matérialise et valide juridiquement, dans l'intérêt de l'enfant, la persistance des liens qu'il entretient avec un tiers. Il pourra notamment s'agir des grands-parents ou du parent social ou beau-parent tel que défini par la nouvelle rédaction de l'article 371-4 proposée au présent article.

Votre rapporteur rappelle enfin que l'accès à la tierce opposition n'est pas une garantie d'obtenir l'annulation de l'adoption : celle-ci peut être maintenue par le juge, parce qu'il la jugera seule conforme à l'intérêt de l'enfant.

Votre commission a adopté l'article 1 er quinquies ainsi modifié .


* 97 Sur le régime juridique de l'adoption plénière et de l'adoption simple, cf. infra , le commentaire de l'article 1 er .

* 98 Circ. NOR : JUSC1119808C du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes de l'état civil relatifs à la naissance et à la filiation, BOMJL n° 2011-11 du 30 novembre 2011.

* 99 Cf ., Cour de cassation, 1 ère chambre civile, 12 janvier 2011, req. n° 09-16.527, qui censure une cour d'appel ayant autorisé l'adoption simple, par l'épouse du père, d'un enfant adopté précédemment par le mari de la mère, au motif que « que le droit au respect de la vie privée et familiale n'interdit pas de limiter le nombre d'adoptions successives dont une même personne peut faire l'objet, ni ne commande de consacrer par une adoption, tous les liens d'affection, fussent-ils anciens et bien établis ».

* 100 Art. 348 du code civil.

* 101 Cf. sur ce point, le rapport de notre regretté collègue, Luc Dejoie, sur la proposition de loi relative à l'adoption à l'origine de la loi du 5 juillet 1996 (rapport n° 295 (1995-1996), fait au nom de la commission des lois, déposé le 27 mars 1996, p. 44-45 - http://www.senat.fr/rap/l95-295/l95-295.html).

* 102 Cet alinéa autorise expressément une nouvelle adoption par un nouveau conjoint du parent survivant, lorsque le premier adoptant est décédé.

* 103 Art. 348 du code civil, par renvoi de l'article 361.

* 104 L'article 346 du code civil, qui dispose que nul ne peut être adopté par plusieurs personnes, sauf par deux époux est en effet applicable, par renvoi de l'article 361, à l'adoption simple.

* 105 Jean Carbonnier Droit civil , vol. I, PUF Quadrige, 1 ère éd., 2004, p. 1122.

* 106 La règle spéciale posée par l'article 360 du code civil tient ainsi en échec la règle générale selon laquelle « nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n'est par deux époux » de l'article 346 du même code.

* 107 Pour la même raison que pour le deuxième alinéa de l'article 360 du code civil, la règle de l'article 346 du même code serait tenue en échec par cette nouvelle rédaction.

* 108 La seconde modification apportée par le II. du présent article correspond à une simple coordination avec le code de la sécurité sociale.

* 109 TGI Briey, 21 octobre 2010, Revue trimestrielle de droit civil , 2011.118, obs. Jean Hauser.

* 110 TGI Nanterre, 14 décembre 2010, Actualité juridique - Droit de la famille , 2011.426, obs. Siffrein-Blanc.

* 111 Cour d'appel de Paris, 1 er décembre 2011, Actualité juridique - Droit de la famille , 2012.146, obs. Siffrein-Blanc.

* 112 Cour de cassation, 1 ère chambre civile, 7 mars 1989, Bull. civ. I, n° 112 ; ainsi que Cour de cassation, 1 ère chambre civile, 5 novembre 2008, Bull. civ. I, n° 248.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page