Mardi 12 février 2013
M. Claude Baty, pasteur, président de la fédération protestante de France (FPF)

_______

- Présidence de M. Jean-Pierre Michel, vice-président -

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Nous consacrerons cet après-midi aux différents cultes pratiqués en France, en commençant par M. le pasteur Claude Baty.

Je vous prie d'excuser M. Jean-Pierre Sueur, qui nous rejoindra dans quelques minutes.

La Fédération protestante de France, depuis 1905, rassemble une trentaine d'églises et 80 associations, même s'il existe quelques églises protestantes en-dehors d'elle.

Le débat en séance publique sera vraisemblablement reporté à partir du 2 avril, ce qui nous laissera le temps de travailler. Je me félicite de ce report.

M. Claude Baty, président de la fédération protestante de France . - Je suis un peu perplexe devant l'exercice qui m'est demandé, car tout a été dit. Il y aurait folie de ma part de vouloir faire changer d'avis des gens aussi éclairés que vous.

Cependant, il peut vous être utile d'avoir une idée de ce que pense la Fédération protestante de France ; cela ne vous donnera pas une image exhaustive de ce que pense les protestants, mais aucune institution aujourd'hui ne peut se prévaloir de ce que pensent tous ses membres...et c'est encore plus vrai des protestants.

La déclaration générale de la fédération protestante de France (FPF) a été faite le 13 octobre 2012. Elle rappelle que depuis l'origine, les protestants ne considèrent pas que le mariage relève de l'ordre du salut. Le mariage n'est donc pas un acte religieux ; pour nous, il n'y a pas de mariage chrétien, mais des chrétiens qui se marient, ou pas.

Nos églises ont refusé de placer sous le contrôle de l'Eglise l'acte constitutif du couple et de la famille, estimant que cela relevait du législateur.

Les protestants sont conscients de la diversité culturelle des modèles familiaux, qui apparaît déjà dans la Bible. Il ne faut pas réécrire l'histoire en décrivant un « âge d'or » du mariage contrastant avec un aujourd'hui catastrophique. Cela dit, l'avis défavorable de la fédération protestante de France est motivé : la question posée par ce projet de loi est fondamentalement sociale et collective ; elle relève de la façon dont une société se perçoit et se construit.

Les distinctions entre homosexualité et hétérosexualité ne sont pas le reflet d'un moralisme d'un autre temps ; elles relèvent d'une exigence profonde du corps social, qui demande à être structuré symboliquement et réellement par l'acceptation d'une différence originelle et fondamentale qui traverse jusqu'au plus intime des corps et des manières d'être. Considérer toutes les formes de sexualité comme indifférentes reviendrait à empêcher toute rencontre véritable et tout métissage, car tout serait déjà mélangé.

Le mariage n'est pas la fête de l'amour, la mise en scène de sentiments, mais une organisation sociale. Il est le lieu où se construit la distinction entre les sexes et les générations, entre ceux qu'on peut et ceux qu'on n'a pas le droit d'épouser.

Depuis quelques dizaines d'années, l'amour semble être la justification ultime de la conjugalité. Le mariage traditionnel, demandant d'abord engagement et fidélité, a été dévalué au profit d'une conjugalité amoureuse, mais éphémère ; la variété des formes d'union actuelles est le reflet de la préférence donnée aux choix personnels et à l'instant sur la durée.

Le « mariage pour tous » est une forme ultime et paradoxale de cette évolution. Il se justifie par l'amour de deux personnes. Au nom de qui, de quoi, jugerait-on cet amour ? C'est l'antienne des personnes favorables à ce mariage. Or la loi est claire : tout amour ne légitime pas un mariage ; de plus, le mariage n'est pas le sceau de l'amour, mais un contrat social engageant la responsabilité. Pourtant, ni l'amour, ni l'égalité ne justifient vraiment ce droit réclamé.

Forme paradoxale, disais-je, car au moment où beaucoup contestent l'institution bourgeoise qu'est le mariage, certains veulent à tout prix se marier : la revendication égalitaire prime, avant même la recherche de sécurité juridique, que nous comprenons et soutenons. Mais il existe d'autres moyens d'obtenir cette sécurité. Qu'un homme ne puisse pas épouser un homme, ou une femme une femme, n'est pas une atteinte à l'égalité, mais le respect d'un agencement du corps social fondé sur des réalités.

La fédération protestante de France est très défavorable au mariage pour tous, convaincue que la famille est le lieu symbolique où se construisent les rapports entre les sexes, entre les générations et entre l'autorité et la liberté.

Un mot sur les méthodes : ce projet de loi bouleverse une pratique ancestrale. Il eût fallu entendre les inquiétudes. Or quand le débat a été ouvert, les conclusions étaient déjà connues. Quand Mme Taubira m'a reçu, elle m'a indiqué que notre position ne changerait pas son opinion. Le Gouvernement a sous-estimé l'impact de cette réforme ; il n'y avait pas d'urgence : il aurait fallu prendre le temps d'écouter tous les avis, comme on l'a fait pour les lois bioéthiques ou sur la fin de vie. Un dialogue apaisé est plus fructueux que l'utilisation d'une majorité parlementaire.

Mais ce qui préoccupe le plus la FPF, c'est la filiation. L'adoption découle du mariage et permet d'introduire indirectement le principe de filiation avec deux parents de même sexe ; dès lors, un couple de femmes peut donner l'illusion à leurs enfants d'être leurs génitrices. Même si l'amour compte pour élever des enfants, il est structurant et important qu'un enfant puisse se situer dans une lignée paternelle et une lignée maternelle. Quoi qu'on puisse dire, notre origine est bisexuée ; les dérives probables se feront au détriment des enfants et encourageront la marchandisation du corps humain.

Nous ne sommes pas la source de nous-mêmes, nous recevons notre identité d'un autre ; nous ne pouvons prétendre tout maîtriser ; et la sexualité est un de ces signes qui appelle à reconnaître l'altérité. L'enfant n'est pas un droit mais une grâce et c'est un sujet. Le corps de la femme ne peut être un outil en location.

Ceux qui mettent l'égalité au dessus de tout doivent admettre que les couples de femmes sont avantagés par rapport aux couples d'hommes. Pour réparer cette inégalité, faut-il accepter la gestation pour autrui (GPA) ? La FPF est opposée à ce commerce qui exploite les plus faibles et se moque de l'inégalité générée par l'argent.

Puisque la loi sur le mariage pour tous semble acquise, il faudrait réfléchir sur la filiation dans un débat serein et contradictoire.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Merci, monsieur le Président.

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales . - Le mariage n'est pas la fête de l'amour, dites-vous, mais une organisation sociale. Pourquoi la place du religieux est-elle si importante ? Dans votre fédération, vous devez accueillir des croyants homosexuels. Quelle place leur faites-vous et quelle est leur position sur ce projet de loi ?

M. Claude Baty . - Il est bien évident qu'il y a des homosexuels protestants. La fédération protestante de France n'est pas une Eglise ; elle est composée d'églises : chacune a sa liturgie, sa discipline propre. Certaines ont des groupes de travail sur l'homosexualité et sur leur mariage. Une seule église a « lancé » la bénédiction de couples homosexuels. A l'avenir, la bénédiction des couples homosexuels dépendra de chacune des communautés.

S'il y a prise de parole des religieux sur ce sujet, c'est qu'on nous a interrogés. Dans la Bible, il y a certes deux passages qui condamnent l'homosexualité, mais Jésus, lui, n'en parle pas.

La fédération protestante de France fait plus de déclarations sur l'inégalité, sur les étrangers, que sur l'homosexualité. Cela dit, nous devions donner notre avis sur le mariage pour tous.

- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président -

M. Jean-Pierre Godefroy . - Vous dites que le mariage n'est pas un acte de salut, c'est vrai. Vous faites référence à la loi bioéthique et à la fin de vie. Tout a été dit, étudié, et le rapport Sicard ne dit pas grand-chose de neuf. Ne croyez-vous pas que le Parlement soit habilité à trancher quand le débat a eu lieu ? Ne croyez-vous pas que nous pouvons maintenant statuer en connaissance de cause ?

L'AMP et la gestation pour autrui (GPA) ne figurent pas dans le texte. Lors de la loi bioéthique, le Sénat avait prévu d'ouvrir la PMA pour des raisons médicales et sociétales ; malheureusement, l'Assemblée ne nous a pas suivis. Vouloir un débat, n'est-ce pas une manoeuvre dilatoire pour repousser au lendemain ?

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Il existe une différence fondamentale entre les protestants et les catholiques. Les premiers n'ont pas de sacrement du mariage, les seconds en ont. Le mariage catholique est un sacrement indissoluble.

M. Claude Baty . - Certes, on ne peut pas toujours discuter et jamais trancher, mais en l'occurrence, on savait avant le début du dialogue quelle en serait la conclusion, d'où les tensions.

Sur la fin de vie, il faut écouter tous les avis afin que la loi soit bien comprise par tous nos concitoyens. Sinon, certains peuvent être frustrés, voire révoltés.

M. Jean-Jacques Hyest . - Vous êtes passé rapidement sur la notion d'égalité. Pourriez-vous développer ?

M. Claude Baty . - Il a beaucoup été question d'égalité. Or, dans bien des domaines, l'égalité n'empêche pas la différence.

Ainsi, pour les Jeux olympiques, il y a des épreuves séparées pour les femmes et pour les hommes, ce qui n'implique pas des dignités différentes. Il faut accepter les différences.

Nous comprenons la recherche de sécurité juridique pour les couples homosexuels, mais elle aurait pu être trouvée autrement.

M. Roland du Luart . - Les mots « mariage pour tous » n'ont pas de réelle signification, selon vous. Une union civile améliorée serait tout à fait recevable. En Espagne et au Portugal, le mariage religieux était obligatoire. Les non croyants souhaitaient une nouvelle formule : désormais, il est prévu une union civile.

M. Claude Baty . - Dans certains pays, les prêtres ou les pasteurs ont rang d'officiers d'état civil. A une union civile améliorée, personne n'aurait trouvé à redire. Avec le mariage pour tous, on n'ajoute pas, mais on transforme.

M. Jean-Yves Leconte . - Je regrette la dramatisation du débat. L'évolution du concept de mariage implique que l'on traite de l'égalité. Pourquoi des personnes de même sexe n'auraient-elles pas droit au mariage civil pour consacrer leur amour et organiser dans le temps leur union?

Pourquoi y a-t-il malheureusement adoption ? Parce que des enfants sont abandonnés, et qu'il faut leur trouver une famille d'accueil. Rien ne démontre qu'un couple homosexuel ne puisse s'occuper d'un enfant avec amour. Actuellement, l'enfant ne peut être adopté que par l'un ; l'autre, en cas de malheur, n'a aucun droit. Ce sont des questions concrètes qu'il faut régler sans les dramatiser à l'excès.

Pour la PMA, la problématique est identique. C'est ce que Roselyne Bachelot avait appelé en son temps le dumping éthique : dès lors que le problème se pose dans d'autres pays, comment y répondre en France ? On ne peut accepter tout ce qui se passe ailleurs, mais il faut prendre en compte l'intérêt des enfants et se montrer pragmatique : les enfants nés par GPA à l'étranger restent des enfants.

M. Claude Baty - Effectivement, il ne faut pas dramatiser ; dès le départ, le débat a été trop idéologique et pas assez pragmatique. Certaines approximations ont été douteuses : non, ce n'est pas le progrès contre l'obscurantisme ! C'est vrai, la famille a beaucoup évolué ; ainsi, les PACS étaient faits pour les homosexuels et ce sont surtout les hétérosexuels qui y ont recours. Notre société est placée sur le signe de l'immédiateté. Un problème de couple ? On se sépare, on ne se répare pas... Le mariage pour tous n'est pas une bonne méthode pour régler ces problèmes sociaux.

M. Hugues Portelli . - Si ce projet de loi était adopté, quelle serait l'attitude de la fédération protestante de France ?

Quelle serait la situation des chrétiens qui voudraient se marier religieusement et qui considèrent que le mariage pour tous est une mascarade ? Peut-on donner des effets civils au mariage religieux ?

M. Claude Baty - Vous êtes arrivé après mon introduction : pour les protestants, il n'y a pas de mariage religieux. Donc, le mariage pour tous ne change rien en ce domaine. Les protestants qui ne se marient pas religieusement peuvent sans aucun problème participer à la vie de la communauté ! Demain, les nouveaux couplent qui se marieront pourront demander à être bénis. Certains pasteurs accepteront, d'autres non.

M. Jean-Jacques Hyest . - Vous avez vécu en Suède pendant quelques années, où l'Eglise est nationale. La loi s'impose-t-elle aux pasteurs luthériens ?

M. Claude Baty - L'Eglise n'est plus d'Etat depuis 2000, comme en Norvège : Les pasteurs peuvent faire des mariages qui donnent un état civil, et tous n'y sont pas prêts. En France, le problème ne se pose pas, heureusement.

M. Jean-Pierre Godefroy . - Pourquoi le débat traîne-t-il en longueur chez nous alors qu'en Grande-Bretagne, il a pris une journée ?

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur. - La GPA y est autorisée depuis longtemps et cela marche bien.

M. Claude Baty - L'Eglise anglicane est dans une situation bien différente. Il est donc difficile de comparer les situations. Aux Etats-Unis, la GPA n'est pas régulée par la loi, mais fait l'objet de contrats... Dire qu'il faut faire comme chez les autres en fonction de ce qui nous arrange n'est pas recevable. Je ne me plains pas que nous discutions longuement d'une question importante : je suis donc plutôt content d'être Français.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Merci, Monsieur le Président, d'être venu et je vous renouvelle mes excuses de n'avoir pu participer au début de cette audition.

Vous avez constaté que le rythme du Sénat permet à chacun de s'exprimer : ce n'est pas toujours le cas ailleurs...

M. Claude Baty - Merci de votre accueil et de vos questions. J'espère que mes réponses vous auront éclairés !

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page