EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 5 novembre 2013, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Claude Belot, rapporteur spécial, sur la mission « Médias, livre et industries culturelles » et sur le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ».

M. Philippe Marini, président . - Nous avons le plaisir d'accueillir Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteure pour avis au nom de la commission des affaires étrangères.

M. Claude Belot, rapporteur spécial . - Ayons d'abord une pensée pour les deux journalistes assassinés il y a quelques jours. Ils travaillaient pour RFI, cette entreprise superbe qui honore notre pays.

La mission « Médias, livre et industries culturelles » est composée d'un empilement d'entreprises aux missions diverses, financées par des ressources propres, dédiées comme la redevance, ou au moyen de crédits budgétaires. Un bon budget n'est pas forcément un budget en hausse. Par les temps qui courent, c'est plutôt l'inverse.

Nous nous sommes livrés avec la Cour des comptes à un important travail sur les aides à la presse, dont il ressort que notre presse est la plus aidée des grands pays industrialisés, et simultanément celle qui accuse le plus mauvais état. Elle ne sait pas se moderniser. La volonté d'augmenter les aides qui lui sont allouées, exprimée à l'occasion des états généraux de la presse en 2008-2009, n'avait pas eu grands résultats.

M. Yvon Collin . - C'est vrai !

M. Claude Belot, rapporteur spécial . - Un tableau récapitulatif des aides à la presse figure en page 20 de la note de présentation qui vous a été remise. Les aides à la diffusion, augmentées à l'issue des états généraux, baissent de 33 %. Contrairement à celles au transport postal, les aides au portage, qui fonctionnent correctement, sont maintenues. D'une manière générale, la diminution de ces aides va faire très mal, surtout à la presse spécialisée, essentiellement transportée par voie postale ou ferroviaire. J'ai reçu les représentants du secteur, qui s'interrogent.

Les aides au pluralisme, qui servent souvent d'alibi à l'action publique en faveur de la presse, ne représentent que 3 % à 4 % de l'ensemble des aides. Enfin, les crédits consacrés à la modernisation de la presse sont en baisse. La Cour des comptes a révélé que les soutiens prodigués dans ce domaine ont été détournés ; je pourrais vous citer de nombreux exemples. En toute hypothèse, les résultats n'ont pas été au rendez-vous et les concentrations escomptées n'ont pas eu lieu.

La presse en ligne va remplacer la presse écrite. Le mouvement est déjà en marche aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Des quotidiens papiers, et non des moindres, disparaissent. Or la TVA va passer à 20 % sur la presse numérique, contre 2,1 % pour la presse écrite. Ce n'est certes pas le moment, mais l'harmonisation de ces taux - pas à la hausse - est une exigence de cohérence. L'histoire va vite : n'attendons pas que les titres meurent. Les projections faites jusqu'en 2015 confirment ces tendances, lourdes de conséquences.

La dotation de l'Agence France presse (AFP), qui a été légèrement augmentée, s'élève à 123 millions d'euros. C'est une superbe entreprise, la troisième agence de presse dans le monde, et la première en matière de photographie. Il faut néanmoins - je le dis depuis des années - y mettre de l'ordre, car elle n'a pas de statut et fait en définitive ce qu'elle veut.

Un mot sur le programme « Livre et industries culturelles » : pour éviter toute dérive financière, le chantier de rénovation du quadrilatère Richelieu, site historique de la Bibliothèque nationale de France (BnF) devra être suivi avec attention.

La création de la Hadopi résultait des plaintes, légitimes, des producteurs de contenus audiovisuels relatives au piratage. Il fallait créer une instance de contrôle pour dissuader les internautes de ces pratiques. Le système retenu rendait les usagers soupçonnés de piratage, après deux avertissements, passibles de poursuites pénales. À ce jour, peu l'ont été : l'opération de dissuasion a été relativement réussie. Le nouveau Gouvernement a toutefois considéré que ce système portait atteinte aux libertés individuelles. Cela peut se concevoir. Il a chargé Pierre Lescure, grand homme de l'audiovisuel, ancien patron de Canal plus, de réfléchir à la question ; son rapport préconise de supprimer la Hadopi en transférant ses compétences au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), de mieux protéger les intérêts de la production audiovisuelle, mais aussi de créer une taxe sur les smartphones . Cette dernière idée a bien sûr été enterrée - vous connaissez l'enthousiasme actuel pour les nouvelles taxes.... Mais il n'en faut pas moins aller au bout de la logique, et supprimer la Hadopi si on ne lui donne pas les moyens de fonctionner correctement. Ses personnels, désoeuvrés, sont démotivés. De grâce, cessons de dépenser de l'argent public inutilement !

Tous les organes de l'action audiovisuelle extérieure de la France ont été regroupés au sein de France Médias Monde, sous le Gouvernement précédent. C'est cohérent. Ce n'est pas un bouleversement. Le contrat d'objectifs et de moyens de la holding est en voie d'achèvement : compte tenu du bal des egos qui se tenait à France 24, avant l'arrivée de Marie-Christine Saragosse, ce n'était pas gagné d'avance !

Les avances à l'audiovisuel public s'élèvent à 3,6 milliards d'euros, en hausse de 3 % par rapport à 2013. Cette évolution de la contribution à l'audiovisuel public, ancienne redevance, s'explique par son augmentation de deux euros l'année dernière, et par l'actualisation programmée en loi de finances qui correspond à la prévision d'inflation. Mais la redevance n'a plus le dynamisme d'antan, car l'usage de l'ordinateur se répand au détriment de celui du poste de télévision. Une partie de ces avances est redistribuée à Arte France, qui marche convenablement, conquiert des parts de marché, mais dont les crédits seront diminués de 0,8 % ; et une autre partie à Radio France, qui fait du bon travail et a engagé la baisse de ses dépenses. L'année 2014 sera celle de la fin de la rénovation de la Maison de la radio.

M. Philippe Marini, président . - Je n'imaginais pas que l'on y parviendrait.

M. Claude Belot, rapporteur spécial . - Moi non plus. C'est une aventure de quinze ans. Quant à l'Institut national de l'audiovisuel (Ina), il y a là une affaire qui m'interpelle. Grâce à son équipe jeune, compétente et pêchue, cette entreprise marche bien, dispose de recettes propres importantes et se situe sur un marché mondial puisqu'elle dispose de l'intégralité des contenus de la télévision publique française depuis ses origines. Mieux que cela : elle avait un projet, celui de regrouper ses cinq installations actuelles sur un site unique en Seine-et-Marne, en vue duquel elle accumulait chaque année un peu d'argent.

M. Philippe Marini, président . - Voilà qui tombe bien...

M. Claude Belot, rapporteur spécial . - Le Gouvernement veut le lui confisquer !

M. Philippe Marini, président . - C'est l'argent de l'État.

M. Claude Belot, rapporteur spécial . - C'est notre argent à tous, mais c'est aussi le produit de leur travail. Résultat : le projet auquel les personnels avaient adhéré n'existe plus. Comment encourager l'innovation, la vision, la création de projet dans ces circonstances ? C'est décourageant.

Avec France Télévisions, on aborde les sujets difficiles. L'entreprise a deux sources principales de recettes : les dotations publiques, en particulier la redevance audiovisuelle, et la publicité avant vingt heures, alors que les trois quarts des recettes publicitaires se font après vingt heures. Contrairement à ce qui se dit parfois, les audiences, qui ne sont pas mauvaises, ne sont pour rien dans la faiblesse de ce poste de recettes. Celle-ci tient essentiellement à ces horaires restreints et au marché de la publicité, dont même les chaînes privées déplorent l'atonie.

Il y a quatre ans, le Gouvernement a annoncé que la suppression de la publicité serait compensée par des crédits budgétaires. Un contrat d'objectifs et de moyens a été signé. Mais l'État ne tiendra pas ses engagements en 2014, ni en 2015. Il faut donc ajuster les dépenses. Un avenant au contrat précité a été signé pour la période 2013-2015, et prévoit notamment une réduction de 650 équivalents temps plein à l'horizon 2015. Il faudra veiller à ce que France 3, qui concentre l'essentiel des troupes, ne soit pas seule à payer les pots cassés.

À titre personnel, je ne voterai pas ce budget et m'en remets à la sagesse de la commission. Je ne conteste pas les diminutions de crédits, qui ont leur logique, mais l'indécision relative à la Hadopi ainsi qu'à l'Ina : la forme plus que le fond.

M. Philippe Marini, président . - Merci pour cet examen très approfondi et les convictions fortes que vous avez exprimées.

M. François Marc, rapporteur général . - La connaissance historique de Claude Belot nous est précieuse.

M. Claude Belot, rapporteur spécial . - Dix-huit ans d'expérience !

M. François Marc, rapporteur général . - David Assouline, rapporteur de la commission de la culture, nous prie d'excuser son absence. Selon lui, la maquette qui nous est soumise est la moins mauvaise possible. Il estime par conséquent souhaitable de la défendre. Le Gouvernement sollicite en effet tous les acteurs pour redresser nos comptes publics. Une dépêche de ce matin titrait que l'État mettait France Télévisions à la diète...

M. Francis Delattre . - C'est une diète légère.

M. François Marc, rapporteur général . - Tout de même. Je souhaite également que France 3 soit préservée. Paris a toujours tendance à protéger son pré carré.

M. Philippe Marini, président . - En effet.

M. François Marc, rapporteur général . - Or France 3 a un rôle majeur dans notre pays. Il est essentiel que les gens soient bien informés, et de manière objective.

M. Philippe Marini, président . - Objective, vraiment ?

M. François Marc, rapporteur général . - Oui. Je me réjouis que les aides au pluralisme soient globalement préservées.

M. Francis Delattre . - Mais les résultats obtenus poussent à s'interroger... Le pluralisme est pourtant une exigence constitutionnelle.

M. François Marc, rapporteur général . - Je préconise donc l'adoption des crédits de la mission. Il faut accompagner les efforts du Gouvernement pour réduire nos déficits. Nous en avions collectivement fait le voeu l'an passé.

M. Vincent Delahaye . - C'est vrai.

M. François Marc, rapporteur général . - Sur la Hadopi, je partage le souhait de notre rapporteur spécial : il faut sortir de cette situation le plus vite possible.

M. Philippe Marini, président . - Mme Garriaud-Maylam se réjouit-elle de la rigueur ou y voit-elle une menace ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Je m'en réjouis. En tant que co-rapporteure de la commission des affaires étrangères pour l'action audiovisuelle extérieure de la France, je n'ai guère d'observations particulières à faire. Je tiens simplement à féliciter Claude Belot pour son excellent travail.

M. Philippe Marini, président . - Soyez remerciée de votre participation à nos travaux. J'y vois le signe de la bonne coopération entre nos commissions.

M. Vincent Delahaye . - Ce rapport est en effet excellent. Une précision sur les aides au transport postal : leur diminution annoncée de 100 millions d'euros est-elle vraie ou fausse, dès lors que ces crédits sont transférés sur le programme 134 ?

Les crédits de l'AFP augmentent de 3 % : ce n'est pas de la rigueur. Cela témoigne plutôt d'une forte priorité. Certes, c'est une excellente entreprise, mais - chose invraisemblable - elle n'a pas de statut et ne veut pas se réformer. Pour combien de temps encore ?

Je m'inquiète également de la hausse des autorisations d'engagement du programme « Livre et industries culturelles ». Certes, les crédits ne seront pas dépensés cette année, mais des engagements seront pris. J'avais déjà émis des doutes sur le déménagement du ministère de l'écologie à la Défense et, quoique ne connaissant pas bien le dossier du quadrilatère Richelieu ou de la BnF, j'estime qu'il y a là matière à faire des économies.

Les recettes de l'audiovisuel public augmentent de 3 % mais les dotations diminuent : comment expliquer ce décalage ? Et avons-nous vraiment besoin de neuf chaînes de télévision publiques ? Quant à la Hadopi, allons au bout de la logique : déposons un amendement visant à la supprimer.

M. Francis Delattre . - Vous soulignez dans votre rapport que l'aide au transport postal diminuera fortement en 2014. La Poste va-t-elle accepter, eu égard à son statut, de poursuivre ses efforts ?

Un mot sur les aides au pluralisme. La liste des titres aidés en fait apparaître une dizaine qui sont relatifs aux programmes télévisés. Télépoche reçoit ainsi 5 millions d'euros d'argent public : quel en est l'intérêt ? Dans le même temps, la presse scientifique et technique ne reçoit quasiment rien. Le résultat est désastreux : la presse consacre des pages entières aux détails croustillants de notre vie politique, mais il n'y a rien sur les sujets sérieux comme les organismes génétiquement modifiés (OGM) par exemple. Il serait bon de faire évoluer les choses en la matière.

S'agissant de la taxe sur les smartphones , je suggère au rapporteur général de conseiller le Gouvernement...

La page 40 de la note de présentation relève que le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) sera neutralisé pour Radio France pour 4,5 millions d'euros. Cela annonce-t-il une réforme du CICE ?

Monsieur le rapporteur général, quand le groupe socialiste était dans l'opposition, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, il avait un vrai projet de réforme du secteur des médias, et j'ai pu faire des propositions qui s'en inspirent partiellement. Que les grands groupes médiatiques dépendent à ce point de la commande publique est une anomalie démocratique. Vous aviez raison de le dénoncer à l'époque. Les grands médias ne respectent pas l'exigence de neutralité qui devrait être la leur, surtout en période de campagne électorale. C'était vrai en 2007 à l'égard de Nicolas Sarkozy, comme en 2012 à l'égard de François Hollande.

M. François Marc, rapporteur général . - En ce moment, je ne vois guère de médias qui soutiennent François Hollande !

M. Francis Delattre . - Vivre de la commande publique prive de libre arbitre. Ces groupes sont tenus par leurs intérêts et perclus de conflits d'intérêts. Aucune entreprise régionale n'a jamais réussi à tisser de partenariat avec ces groupes nationaux - nous devrions y réfléchir. Si vous repreniez votre texte, je le soutiendrais. Mais il est toujours difficile d'être aussi courageux dans la majorité qu'on l'a été dans l'opposition.

M. Philippe Marini, président . - L'opposition procure un certain confort, que l'on regrette parfois...

M. Yvon Collin . - Je remercie à mon tour le rapporteur spécial pour la qualité de son travail. Les aides à la presse représentent près de 7,5 % du chiffre d'affaires du secteur, pour un résultat qui, à l'issue de sa présentation par la Cour des comptes, nous avait édifiés. Le rapporteur spécial souhaite que le débat budgétaire soit l'occasion de trouver le niveau et la forme adéquats de soutien public à la presse. Nous partageons son voeu car l'État n'en a clairement pas pour son argent. Je rejoins Francis Delattre sur le pluralisme. De plus, l'allocation des aides est opaque.

Je suivrai le rapporteur général en soutenant le budget de cette mission, mais en période d'argent public rare, il faut rester vigilant. Le secteur doit se moderniser effectivement, et de sa propre initiative : ce n'est pas aux pouvoirs publics de s'en charger.

M. Claude Belot, rapporteur spécial . - Je partage l'analyse du rapporteur général sur certains points, notamment sur Hadopi.

Monsieur Delahaye, nous déplorons tous la situation de l'AFP, qui est un « ovni » dans le paysage institutionnel français. L'entreprise fonctionne et personne n'a encore eu le courage d'y toucher. Son équilibre financier est assuré par des recettes qui viennent de ses postes du monde entier, surtout d'Amérique et d'Asie - celui de Paris étant déficitaire. J'ai pourtant constaté, notamment à l'occasion d'un contrôle sur pièce et sur place à Hong Kong, le prestige de cette entreprise jalousée dans de nombreux pays.

Rien n'indique que le chantier du quadrilatère Richelieu soit semblable à celui de la Maison de la Radio - il a fallu se débarrasser de l'architecte -, mais restons vigilants.

Au cours de l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes sur les aides à la presse demandée par notre commission des finances, le numéro deux de La Poste nous a confié que l'aide au transport qu'il recevait était pour lui destinée à soutenir la distribution en milieu rural, dont il se passerait en l'absence d'aide. D'où le transfert de ces crédits sur la mission « Economie » au titre de sa mission de service public. La Poste s'accroche à son contrat d'objectifs et de moyens, valable jusqu'en 2016, en conditionnant le maintien du service en zone rurale à la pérennité de l'aide. En 2012, La Poste était bénéficiaire de 600 millions d'euros, et en touchait 450 au titre de l'aide au transport.

Mais les aides au transport postal diminueront bien de 100 millions d'euros l'année prochaine. Bien qu'elles ne soient plus rattachés au programme 180 « Presse » de la mission « Médias, livre et industries culturelles », j'ai souhaité, dans un souci de transparence, présenter leur évolution afin de vous donner une analyse de la trajectoire de l'ensemble des aides directes à la presse écrite.

Yvon Collin a raison : la presse n'a pas su se moderniser. La situation n'est pas satisfaisante. Elle a conservé le même logiciel technique en vigueur depuis quarante ans, et souffre de la même absence de pluralisme. Suivant les régions, quelques familles ou quelques grands groupes quadrillent le territoire. Soutenir financièrement une modernisation qui n'a pas lieu n'est pas de bonne méthode.

M. Philippe Marini, président . - Le rapport de Claude Belot ne sera peut-être pas présenté en séance publique, mais nous veillerons à le diffuser largement.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », ainsi que ceux du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ».

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Réunie à nouveau le jeudi 21 novembre 2013, sous la présidence de M. Philippe Marini, président, la commission des finances a confirmé sa décision de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ».

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