EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 18 DÉCEMBRE

Mme Bariza Khiari , rapporteure . - Le livre, objet culturel par excellence, fait traditionnellement l'objet, en France, d'une attention toute particulière des pouvoirs publics. Soutenu financièrement, mais surtout encadré normativement, le marché du livre se maintient tant bien que mal, dans un contexte où les industries culturelles souffrent sans exception de la révolution numérique.

En effet, la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, celle du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique, mais également l'application d'un taux réduit de TVA sur les livres imprimés et homothétiques constituent le socle sur lequel s'est développé et modernisé l'ensemble de la chaîne du livre et grâce auquel a survécu un réseau de librairies indépendantes dense et de qualité.

Signe de l'intérêt non démenti des Français, y compris des plus jeunes, pour la lecture, la fréquentation du Salon du livre de Paris comme celle du Salon du livre jeunesse de Montreuil ne cesse de croître.

Ce satisfecit ne doit toutefois pas masquer les difficultés, parfois considérables, que rencontrent les libraires depuis l'arrivée, sur le marché, des plateformes de vente de livres en ligne et spécialement d'un concurrent hors du commun de par sa puissance financière et l'agressivité de sa stratégie commerciale : Amazon.

En effet, implantée au Luxembourg, la société n'est imposée qu'à la marge à l'impôt sur les sociétés et, s'agissant des livres numériques, bénéficie d'un taux de TVA particulièrement bas.

Si le livre, produit refuge extrêmement valorisé socialement, a longtemps été épargné par la crise, la situation devient inquiétante, particulièrement depuis le mois de septembre dernier. 2012 et 2013 ont ainsi vu la chute de maisons bien connues - Virgin et Chapitre - et la fermeture de nombre de petits détaillants. En novembre, les ventes de livres en commerce physique enregistrent une diminution de 10 % par rapport à l'année 2012. Désormais, la vente en ligne représente l'unique segment dynamique de l'économie du livre ; Amazon détient 70 % de parts de ce marché.

Le soutien public aux librairies doit donc franchir une étape supplémentaire, intégrant les conséquences, sur le commerce physique, de cette nouvelle forme de concurrence. Déjà, lors de la première lecture du projet de loi relatif à la consommation par le Sénat, le Gouvernement a introduit, cet automne, un dispositif de contrôle et de règlement amiable des contentieux de la législation applicable au prix unique du livre, grâce à la création d'un médiateur et à l'assermentation d'agents du ministère de la culture et de la communication. Annoncé en juin dernier par la ministre de la culture et de la communication, le « plan librairie » offrira en outre, dès 2014, de nouvelles modalités de soutien aux commerces en difficulté et favorisera la transmission des fonds de commerce.

Afin de compléter ces dispositifs favorables aux librairies, la présente proposition de loi tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres vise à renforcer l'environnement normatif du marché du livre.

L'article 1 er de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre dispose que tout éditeur ou importateur doit fixer, pour chaque ouvrage, un prix de vente au public, tenu d'être respecté par les détaillants, quels qu'ils soient.

Toutefois, le commerçant peut appliquer à ce prix une remise maximum de 5 %, ce pourcentage pouvant être porté à 9 % pour des achats réalisés par les collectivités publiques, entreprises, bibliothèques ou encore établissements d'enseignement.

A contrario , hors les commandes d'ouvrages à l'unité non disponibles en magasin qui doivent demeurer un service gratuit au client, les détaillants peuvent proposer un produit à un prix plus élevé que celui fixé par l'éditeur ou par l'importateur, dès lors que sont facturées des prestations supplémentaires exceptionnelles à la demande de l'acheteur, dont le coût a fait l'objet d'un accord préalable.

Les rédacteurs ne pouvant prévoir l'essor du e-commerce sur le marché du livre, le flou entretenu par le texte sur la facturation des frais de livraison laisse donc libre cours à la systématisation, par certaines plateformes, du double avantage offert au client, qui bénéficie de la remise légale de 5 % et de la gratuité de la livraison.

Un tel niveau de concurrence commerciale ne laisse guère d'espoir aux librairies qui souhaiteraient développer leur activité en ligne. Pire, il contribue à l'érosion du commerce physique de livres, désormais plus coûteux et d'accès moins aisé qu'un site de e-commerce délivrant, rapidement et gratuitement, toute commande à domicile.

Soucieux de rétablir, autant que faire se peut, des conditions de concurrence plus équitables entre les acteurs du marché du livre, les auteurs de la présente proposition de loi ont initialement envisagé de compléter l'article 1 er de la loi du 10 août 1981 précitée par un alinéa disposant que la prestation de livraison à domicile ne peut être incluse dans le prix du livre tel que fixé par l'éditeur ou par l'importateur. Le seul avantage autorisé dans le cadre de la vente en ligne demeurerait alors le rabais de 5 %.

Le débat en commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale a fait montre d'un souci commun à l'ensemble des groupes politiques de soutenir les librairies face à la concurrence des sites de vente en ligne. Pour autant, la rédaction de l'article unique de la proposition de loi a été jugée confuse et le dispositif peu ambitieux au regard des enjeux. En conséquence, fait rare, la commission n'a pas adopté de conclusions sur le texte proposé.

En l'absence de conclusion de la commission des affaires culturelles, le texte initial de la proposition de loi a été discuté en séance publique. Il a cependant été intégralement modifié par un amendement gouvernemental.

La rédaction finalement retenue pour l'article unique de la proposition de loi a pour objectif, en complétant le quatrième alinéa de l'article 1 er de la loi du 10 août 1981, d'interdire le cumul des deux avantages commerciaux que sont le rabais de 5 % et la gratuité des frais de port.

Le soutien du Gouvernement à l'esprit de la proposition de loi constitue la traduction logique des propos tenus par Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, qui avait estimé, lors des rencontres nationales de la librairie en juin dernier, que la suppression du double avantage commercial sur les ventes de livres en ligne permettrait de faire respecter la lettre et l'esprit de la loi de 1981, dans la mesure où le livre est utilisé par ces sites comme un produit d'appel pour écouler d'autres produits, et de rétablir des conditions de concurrence équitables.

Ainsi, les livres commandés en ligne, dès lors qu'ils ne seront pas retirés dans un commerce de vente au détail de livres, ne pourront plus bénéficier de la ristourne légale. Ce dispositif permettra donc aux libraires qui le peuvent et qui le souhaitent de proposer des livres moins chers en vente physique. Par ailleurs, s'agissant du seul e-commerce, la concurrence entre sites ne pourra plus porter que sur les frais de livraison, évitant ainsi une atrophie des marges par l'application quasi systématique de la ristourne de 5 %.

En revanche, il n'est plus question, dans cette version du texte, d'interdire la gratuité des frais de port mais d'offrir la possibilité aux plateformes de vente en ligne d'appliquer, sur ces frais, dont elles fixent elles-mêmes le tarif, une réduction équivalant à 5 % du prix du livre acquis dans le cadre de la transaction.

La proposition de loi, votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale au cours de sa séance du 3 octobre 2013, a été transmise au Sénat dans sa rédaction issue de l'amendement gouvernemental.

Le dispositif prévu demeure, à mon sens, incomplet pour ce qui concerne les frais de port, dont il n'est plus fait mention de la facturation. De fait, certains opérateurs pourront continuer à proposer un service de livraison gratuit, asphyxiant une concurrence qui ne pourrait appliquer de tels avantages.

Certes, le principe de la liberté du commerce comme l'impossibilité de mettre en place un contrôle efficace interdisent toute fixation unilatérale et autoritaire d'un niveau plancher de frais de port, mais également l'établissement de ces frais à leur coût de revient.

Mais, l'interdiction de la gratuité de la livraison aura un effet psychologique sur le consommateur, dont il convient de ne pas méconnaître les conséquences positives, si modiques seront-elles, sur le rééquilibrage de l'environnement concurrentiel du marché du livre en ligne.

Il n'en demeure pas moins qu'en réalité, les plateformes les plus puissantes continueront toutefois à afficher des frais de livraison inférieurs à ceux que proposera une petite librairie en ligne. En effet, les quantités très importantes transportées pour les sites de e-commerce laissent à penser que les prix négociés avec les logisticiens sont singulièrement inférieurs à ceux consentis aux libraires indépendants. En conséquence, les frais de port ainsi facturés seront probablement de l'ordre du symbolique.

C'est le sens de l'amendement que je vous propose d'adopter, mes chers collègues, afin d'indiquer que le service de livraison ne peut être offert à titre gratuit, dès lors que la commande n'est pas remise en magasin.

Le dispositif introduit par la proposition de loi ainsi modifiée, complété du « plan librairie » et d'un contrôle renforcé du respect de la législation sur le prix unique du livre, constituent des signaux indéniablement positifs en faveur les librairies.

Néanmoins, ces mesures ne seront véritablement efficaces que si les libraires utilisent ce répit pour poursuivre leurs efforts de modernisation, notamment en matière de délais d'acheminement, de livraison à domicile et de maîtrise des coûts. Il s'agit pour elles de se donner ainsi les moyens de satisfaire des consommateurs de plus en plus exigeants.

Au-delà, j'estime que les efforts de régulation du marché par les pouvoirs publics comme de modernisation par les libraires n'auront de véritable utilité que lorsque les conditions d'une concurrence saine et équitable seront établies, c'est-à-dire lorsqu'Amazon se verra appliquer les mêmes modalités d'imposition fiscale que les autres acteurs de la chaîne du livre.

En conclusion, je vous propose, mes chers collègues, d'adopter la proposition de loi dans la rédaction modifiée par l'amendement que je viens de vous présenter.

Mme Marie-Christine Blandin , présidente . - Quelle gymnastique arithmétique ! Comme nous ne sommes pas à l'abri de voir émerger un nouveau major de la vente en ligne, je vous suggère donc de viser dans votre rapport, au-delà d'Amazon, « les librairies exclusivement en ligne ».

M. Vincent Eblé . - Comme il ne s'agit pas de librairies à proprement parler, il serait préférable de viser les « plateformes de vente de livres exclusivement en ligne ».

Mme Marie-Christine Blandin , présidente . - Nous ciblons, en réalité, les acteurs de la chaîne du livre qui échappent à la fiscalité française.

Mme Sophie Primas . - Effectivement. C'est la raison pour laquelle il faudrait légiférer avec plus d'ambition.

Mme Marie-Christine Blandin , présidente . - Nous ne pouvons légiférer que pour la France, vous ne l'ignorez pas.

M. Jacques Legendre . - Cette proposition de loi, déposée par les députés UMP, montre l'unanimité de vue de tous les groupes politiques en faveur des librairies physiques. Le rapport présenté par notre collègue Bariza Khiari poursuit un objectif identique.

Cependant, tous nos concitoyens n'habitant pas dans un périmètre proche d'une librairie, ils auront toujours intérêt, en raison des coûts de transport à acheter leur livre sur Internet, même à prix légèrement supérieur. Avec votre amendement, on privera seulement Amazon de son argument publicitaire sur la gratuité des livraisons.

D'une façon plus générale, pourquoi ne pas inclure les livres dans la réflexion actuellement menée sur les aides au portage des journaux à domicile ?

M. David Assouline . - Nous pouvons tous partager la remarque de notre collègue Jacques Legendre, critique quant à l'efficacité de la proposition de loi de l'UMP.

Il faudra mener le combat du livre au niveau européen, afin d'harmoniser la TVA et la fiscalité qui pèsent sur ces grands groupes. Le client, quant à lui, consomme en fonction des prix et des services proposés. Alors que le commerce en ligne est en train de bouleverser les habitudes, il importe de créer des mécanismes de pondération pour éviter la concurrence sauvage. Comme notre présidente, j'estime qu'il ne faut pas trop ostensiblement cibler Amazon car d'autres, demain, pourront se lancer dans cette activité.

M. Vincent Eblé . - La polémique sur la paternité de ce dispositif n'a pas lieu d'être, même si la proposition de loi initiale était insuffisante. Nous avons tous été saisis par les libraires indépendants et Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, a évoqué cette préoccupation à diverses reprises. Le plan de sauvetage de la librairie indépendante intègre des aides de trésorerie, conforte les moyens du Centre national du livre (CNL), crée un médiateur du livre pour régler les litiges, assermente les agents du ministère de la culture et de la communication qui pourront faire respecter la loi de 1981.

Je soutiens l'amendement de notre collègue Bariza Khiari, mais il ne modifiera pas fondamentalement le prix du livre, puisque nous pouvons seulement interdire la gratuité totale des frais de port. Cela étant, l'effet psychologique sera important, car la gratuité constitue un argument publicitaire majeur.

Les libraires ne se bornent pas à vendre des livres : ils assurent une présence culturelle dans nos territoires et assurent la diversité de la production éditoriale.

Mme Marie-Annick Duchêne . - Quelles seront les conséquences du dispositif proposé pour la FNAC, qui livre gratuitement des livres, elle aussi ?

Mme Dominique Gillot . - Cette proposition de loi est un acte législatif symbolique : nous ne voulons pas laisser s'éteindre une activité intellectuelle, sociale, culturelle éminemment créatrice de lien. Même si je doute de la réelle efficacité du dispositif sur tous les publics, je voterai en faveur du texte, afin que les opérateurs de vente en ligne de livres ne se permettent pas d'agir sans régulation. Le progrès, dans le domaine culturel, c'est aussi penser à la valeur ajoutée des liens et des contacts humains.

Mme Sophie Primas . - Merci à notre collègue Bariza Khiari pour son exposé. À mon sens, tout ce qui tend à une diffusion plus économique et plus large du livre est utile. Or, tous les Français n'ont pas de librairie proche de leur domicile. La vente en ligne constitue une chance pour la culture et le livre.

Attachée au commerce de proximité, je constate depuis de longues années que les dispositifs destinés à leur venir en aide ont produit l'effet inverse à celui attendu. Lorsque le petit commerce redevient dynamique, c'est grâce aux commerçants eux-mêmes. Bien sûr, il faut sauver les librairies en centre-ville, comme les opticiens et les pharmaciens. Mais le prix de vente n'est pas forcément déterminant.

Amazon, entreprise de logistique, développe son activité en France. Mais peut-on parler de « cannibalisation », ou les achats sur Amazon sont-ils le fait de nouveaux lecteurs ? Peut-être Amazon soutient-il la vente des livres. Peut-on lui reprocher sa performance ? Je crains que notre combat s'apparente à celui que nous avons eu avec La Poste, à tenter de sauver le courrier concurrencé par les courriels. Je voterai malgré tout cette proposition de loi, mais elle ne règlera pas les difficultés des libraires.

Mme Corinne Bouchoux . - Je ne comprends pas la recherche de paternité de ce texte. Je suis heureuse que l'UMP dépose une proposition de loi enrichie par l'Assemblée nationale et le Gouvernement. Nous la voterons car elle défend les libraires, qui se situent à l'opposé du modèle Amazon, lequel pousse le fordisme à son extrême. Regardez les conditions de travail qui règnent dans ses entrepôts : froid, travail de nuit, cadences infernales, tout cela me choque ! Le texte va au-delà d'une mesure symbolique, car nous soutenons un modèle culturel qui valorise le métier, le conseil, le lien citoyen et les circuits courts de distribution. Il est prouvé que les clients qui commandent une fois sur Amazon ne reviennent pas en arrière. Un nouveau modèle se met en place.

M. Pierre Laurent . - Nous voterons ce texte qui répond à l'attente des librairies indépendantes et qui conforte la législation sur le prix unique. Les forces du marché continueront à attaquer la loi protectrice de 1981 ; que la concurrence ait libre cours, et les vainqueurs seront les entreprises les plus puissantes. Avec cette proposition de loi, nous défendons un modèle culturel car une librairie n'est pas seulement un point d'achat, mais également un point d'accès à la culture, un lieu de dialogue et de diversité. Des stratégies industrielles globales attaquent le marché culturel en France, en Europe et dans le monde. Celle d'Amazon passe aussi par le dumping salarial et nous devrions, dans les aides que nous distribuons, être plus sélectifs. Il serait notamment opportun d'éviter qu'Amazon ne bénéficie du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ! Les collectivités territoriales devraient par ailleurs se garder d'accorder des subventions aux entrepôts d'Amazon, qui les sollicite en invoquant les créations d'emplois.

Mme Françoise Cartron . - Nous avons besoin d'une analyse globale sur la place du livre dans notre culture et notre société. Le système qui s'installe est très agressif, or il atteint malheureusement ses objectifs. Nous voulons que nos concitoyens retrouvent le chemin des librairies, hélas les services en ligne s'imposent progressivement. Pourtant, le livre n'est pas un objet de consommation comme les autres. Les librairies indépendantes sont souvent soutenues financièrement par les collectivités territoriales, mais beaucoup n'en sont pas moins en difficulté. Ce texte, même vertueux, ne leur redonnera sans doute pas l'oxygène nécessaire. Heureusement, le prix unique du livre est en vigueur : il n'existait pas pour les disques et tous les disquaires ont disparu.

Mme Colette Mélot . - Nos concitoyens doivent avoir accès à la culture et, à cet effet, les librairies indépendantes doivent vivre. Un sujet n'a pas été abordé : que se passera-t-il lorsqu'on commandera dans une librairie un livre qui sera ensuite livré à domicile ? Le port sera-t-il payant ou gratuit ?

Mme Bariza Khiari , rapporteure . - Deux principes ont guidé notre travail, monsieur Legendre : le maintien de la diversité culturelle et le maillage du territoire par un réseau de libraires indépendants. Je ne propose pas une révolution copernicienne : la mesure est limitée ; elle aura un impact essentiellement psychologique. Les grands groupes ne pourront plus afficher des frais de port gratuits. Or, c'est aujourd'hui un élément important de leur stratégie commerciale. Le modèle économique d'Amazon est basé sur la gratuité des frais de port, mais, une fois les concurrents éliminés, Amazon les réintroduira. Cette entreprise n'applique d'ailleurs pas la gratuité dans les pays qui n'ont pas de prix unique du livre. Le maintien de la concurrence concerne toute la filière, y compris les éditeurs car Amazon commence à éditer directement des livres numériques.

La proposition de loi offre un répit afin que les libraires organisent la livraison à domicile. Actuellement, le délai de livraison entre l'éditeur et le libraire est trop long. Un effort doit être fait pour le réduire. La livraison par les messageries de presse est une piste à explorer, vous avez raison, monsieur Legendre.

En réponse aux remarques de notre présidente et de David Assouline, je constate qu'il est difficile de ne pas nommer l'entreprise qui est seule sur son créneau. Amazon est d'ailleurs déjà citée dans plusieurs rapports, de même que Facebook, Google ou Apple l'ont été lors de nos débats sur la fiscalité du numérique. Mais nous tâcherons d'être créatifs afin de n'exclure aucun opérateur existant ou à venir.

Les distorsions de concurrence existent. Je ne le nie pas. Nous proposons d'améliorer le texte en y introduisant l'interdiction de la gratuité des frais de port. En outre, la proposition de loi n'est qu'un maillon du plan plus vaste de soutien à la librairie, comme le mentionnait M. Eblé. Je vous renvoie au rapport du président du CNL : 11 millions d'euros de subventions supplémentaires en faveur du livre sont prévues dont 4 pour la transmission des entreprises et 5 d'aides à la trésorerie.

La FNAC profitera de ce dispositif, madame Duchêne, car, à la différence d'Amazon, elle dispose de magasins physiques.

Je suis sensible aux observations de Mme Gillot sur la valeur ajoutée d'un contact humain. Les libraires jouent un rôle extraordinaire d'ouverture à la culture.

Si, en revanche, je devais résumer les propos de notre collègue Sophie Primas, je dirais : « Encore 6 mois, monsieur le bourreau !». Tout est perdu, fors l'honneur ?

Mme Sophie Primas . - Non, je dis simplement que les libraires doivent intégrer la transformation des modes de lecture. Aujourd'hui, Amazon est plus efficace et adopte des méthodes critiquables mais les libraires doivent aussi se remettre en cause.

Mme Bariza Khiari . - Le rapport insiste sur la modernisation que les libraires doivent réaliser.

Mme Primas s'interrogeait sur la « cannibalisation » du marché du livre par Amazon : en effet, les librairies réalisaient 30 % des ventes de livres en 2003 et seulement 24 % en 2011. Dans le même temps, le nombre de livres vendus et le nombre de lecteurs n'ont pas augmenté. Amazon gagne donc des parts de marché aux dépens des librairies physiques. En revanche, Amazon n'est pas particulièrement facteur de vulgarisation de la lecture : on constate que le site est très utilisé à Paris, où la densité de librairies est la plus forte, par des catégories socio-professionnelles aisées et déjà lectrices. Sa performance économique est aussi liée aux avantages fiscaux dont elle bénéficie. Je partage vos critiques sur les conditions de travail des salariés d'Amazon. Je mentionne dans mon rapport un ouvrage intitulé En Amazonie : infiltré dans « le meilleur des mondes » , écrit par un journaliste qui s'est fait embaucher comme intérimaire dans un entrepôt. Il y témoigne des cadences infernales et du climat social détestable dans l'entreprise. Les emplois amazoniens sont bien différents des emplois en librairies, qui sont dix-huit fois plus nombreux.

La remise en cause des acquis législatifs est constante. Nous avons bien résisté pour l'instant aux attaques contre le prix unique. Le principe en a été à plusieurs reprises conforté par les autorités européennes. D'autres pays ont d'ailleurs adopté un dispositif similaire. Il reste le fil conducteur de notre politique depuis 1981. Nous discuterons plus largement du financement des industries culturelles face aux géants d'Internet au moment de l'examen du projet de loi sur la création, qui devrait être adopté par le Conseil des ministres en février prochain.

La présente proposition de loi représente l'effort maximum que nous pouvons consentir en faveur des libraires en agissant sur la loi de 1981. En effet, Amazon achète du cubage, ce qui lui permet de négocier de faibles coûts de livraison auprès des logisticiens. Pour ce site de vente en ligne, le livre est un produit d'appel, qui présente de nombreux avantages : pas de tailles ou coloris différents, un emballage facile, des retours inexistants. Pour le prix des frais de port qu'elle offre, l'entreprise constitue un fichier de clients qui lui coûterait bien plus cher si elle devait l'acheter. Les clients sont « profilés ». J'en ai fait l'expérience : j'ai acheté un livre sur le site, depuis lors, je reçois sans cesse des propositions culturelles.

Il nous faudra agir sur la fiscalité. Notre apport ici est limité, je le répète, mais psychologiquement puissant. Madame Mélot, pour la commande en librairie, la loi de 1981 laisse au libraire la possibilité de choisir de facturer ou non la livraison.

Je vous remercie de votre soutien à l'amendement et au texte. Nous partageons tous la volonté de sauver les librairies.

L'amendement n° COM-1 est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

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