EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le 11 décembre 2013, M. Jean-Pierre Bel, président du Sénat, et les membres du Bureau ont déposé une proposition de résolution tendant à modifier le règlement du Sénat afin de rénover les règles relatives à l'obligation de participation des sénateurs aux travaux des commissions du Sénat.

Cette proposition de résolution fait suite aux travaux du groupe de travail sur les conditions matérielles et financières applicables aux sénateurs, mis en place par le Bureau en son sein. Sur la base des travaux de ce groupe, présidé par nos collègues Thierry Foucaud et Jean-Marc Todeschini, le Bureau du Sénat a déjà pris un certain nombre de dispositions en 2012 et 2013 en vue de rationaliser et de mieux encadrer les moyens mis à disposition des sénateurs pour faciliter l'exercice de leur mandat 1 ( * ) , dans un contexte budgétaire de maîtrise des dépenses de fonctionnement du Sénat. Parallèlement, le président du Sénat a engagé une consultation afin d'améliorer le travail parlementaire.

La présente proposition de résolution vise à traduire les délibérations du Bureau des 27 février et 11 décembre 2013, sur la base des conclusions du groupe de travail 2 ( * ) , portant sur l'obligation de participation des sénateurs aux réunions des commissions permanentes. Elle a ainsi recueilli l'assentiment de l'ensemble des membres du Bureau, tous les groupes y étant représentés.

Pour l'examen en commission de cette proposition de résolution, votre rapporteur a tenu à entendre les présidents des commissions permanentes, les présidents des groupes, le président de la commission des affaires européennes, le président de la délégation à l'outre-mer ainsi qu'une délégation des sénateurs représentant les Français établis hors de France.

L'ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l'indemnité des membres du Parlement dispose que le règlement de chaque assemblée détermine les conditions dans lesquelles le montant de l'indemnité de fonction d'un parlementaire varie en fonction de sa participation aux travaux de l'assemblée à laquelle il appartient.

Selon une formulation quasiment inchangée depuis 1959, l'article 15, alinéa 3, du règlement du Sénat, prévoit la démission d'office de tout commissaire après trois absences consécutives non justifiées, par le président du Sénat, à la demande du bureau de la commission. Jusqu'à l'ouverture de la session ordinaire suivante, le groupe concerné ne peut pas remplacer ce commissaire, lequel se voit également privé pour la même durée de la moitié de son indemnité de fonction.

Il résulte des recherches de votre rapporteur que le seul cas recensé - mais les recherches de votre rapporteur sont peut-être incomplètes et sans doute d'autres cas ont-ils existé dans les années 1960 - remonte à 1959, lorsque le bureau de la commission des affaires culturelles a signalé au président du Sénat trois absences consécutives non justifiées de notre ancien collègue Ménad Mustapha, sénateur des départements d'Orléansville et Médéa en Algérie. Cette disposition est tombée en désuétude depuis.

En effet, ce dispositif comporte une conséquence indirecte difficilement applicable. La sanction financière pour l'intéressé se trouve en définitive moins lourde que la sanction politique pour son groupe. Ce dernier se voit privé d'un représentant au sein d'une commission jusqu'à la session ordinaire suivante. Si la faute est individuelle, la sanction est collective. Un tel dispositif ne semble aujourd'hui plus réaliste. Votre rapporteur relève que l'Assemblée nationale a abandonné un système similaire, à l'occasion de la réforme de son règlement adoptée en 2009, à la suite de la révision constitutionnelle de juillet 2008.

Aussi la présente proposition de résolution vise-t-elle à remplacer un dispositif sévère mais inapplicable en raison de ses conséquences politiques, par un nouveau dispositif réellement opérationnel et qui a vocation à s'appliquer, dès lors qu'il s'agit d'un engagement collégial du Bureau du Sénat. Outre une incitation à l'assiduité en réunion de commission, l'objectif recherché est de sanctuariser les réunions de commission, qui se tiennent en principe le mercredi matin. La participation de nos collègues y est d'autant plus nécessaire qu'en vertu de la révision constitutionnelle de juillet 2008, les discussions législatives en séance publique s'ouvrent dorénavant sur la base du texte de la commission.

Ainsi, l'article 14 de notre règlement prévoit que le Sénat consacre en principe le mercredi matin aux travaux des commissions 3 ( * ) , tandis que l'article 15 dispose que la présence aux réunions de commission est obligatoire, sauf dans les cas ouvrant droit à délégation de vote ou ceux de participation aux travaux d'une assemblée internationale ou d'une commission spéciale.

La présente proposition de résolution substitue au régime actuel de sanction prévu à l'article 15 du règlement un nouveau dispositif de retenue financière sur l'indemnité de fonction en cas d'absences répétées injustifiées aux réunions de commission du mercredi matin ( article 1 er ).

Dans un premier temps, la proposition établit une liste limitative des excuses valables pour justifier l'absence à une réunion de commission, quel que soit le moment de la semaine où elle a lieu :

- se trouver dans l'un des cas prévus pour une délégation de vote, en vertu de l'article 1 er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, parmi lesquels figurent la maladie, un événement familial grave, une mission temporaire confiée par le Gouvernement, la participation aux travaux d'une assemblée internationale ainsi que les « cas de force majeure appréciés par décision des bureaux des assemblées » ;

- participer aux travaux d'une autre commission ;

- en cas d'exercice des fonctions de membre du Bureau ;

- lorsque la réunion de commission a lieu en même temps que la séance publique.

Dans un second temps, en cas d'absences répétées sans excuse valable aux réunions de commission du mercredi matin, en session ordinaire et hors période de suspension des travaux du Sénat en séance publique, la proposition de résolution prévoit un mécanisme de retenue financière partielle puis totale de l'indemnité de fonction à partir de trois absences mensuelles 4 ( * ) . Elle instaure cependant une exonération de sanction pour les présidents des groupes, pour nos collègues d'outre-mer ou représentant les Français établis hors de France ainsi que pour nos collègues en congé du Sénat - ce dernier cas de figure semble être tombé en désuétude 5 ( * ) , mais il demeure prévu par notre règlement.

La retenue ne pourra porter que sur la seule indemnité de fonction, qui s'élève à ce jour à 1420,03 euros bruts mensuels. Cette limitation est imposée par l'ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 précitée, qui ne permet pas d'appliquer des sanctions sur l'indemnité parlementaire elle-même.

En outre, la proposition de résolution procède à une coordination au sein de l'article 20 du règlement ( article 2 ).

Sur la proposition de son rapporteur, votre commission a approuvé l'économie générale de la présente proposition de résolution, tout en ajustant ou en clarifiant certaines de ses dispositions. Elle a ainsi adopté à cette fin onze amendements afin de préciser et simplifier le dispositif envisagé, mais aussi de rendre plus lisible et cohérente la rédaction de l'article 15 du règlement.

Ainsi, l'article 15 du règlement s'ouvrirait, comme actuellement, par le principe de l'obligation de présence en réunion de commission, suivi par la détermination du régime de retenue financière en cas d'absences répétées lors des réunions de commission du mercredi matin en session ordinaire, puis par l'énumération des quelques cas de dispense de retenue et enfin par la fixation des modalités concrète de contrôle et d'application de la retenue. Le régime des délégations de vote en commission serait renvoyé à la fin de l'article.

Le principe de la retenue financière a été généralisé à l'ensemble des sénateurs par votre commission, tout en prenant en compte les spécificités propres aux fonctions de président de groupe et le cas de nos collègues qui se mettent en congé du Sénat, sur demande écrite et motivée, après avis du Bureau et du Sénat lui-même. Toutefois, dans l'attente de l'élaboration d'un régime adapté à leur situation, dans le prolongement des réflexions engagées par son rapporteur, votre commission a maintenu en l'état l'exonération prévue pour nos collègues d'outre-mer ou représentant les Français établis hors de France.

Votre commission a aussi précisé que le contrôle des absences devait revenir aux questeurs, à l'aide le cas échéant de pièces justificatives, et non aux présidents de commission, chargés uniquement de transmettre aux questeurs la liste des absences. La retenue serait appliquée sur décision des questeurs.

Enfin, votre commission a décidé que ce nouveau dispositif entrerait en vigueur à compter du prochain renouvellement du Sénat, en septembre 2014, c'est-à-dire pour la session ordinaire 2014-2015.

Toutefois, votre rapporteur considère que le nouveau dispositif mis en place n'atteindra pleinement son objectif qu'à partir du moment où le Bureau du Sénat exercera véritablement la compétence qu'il tient de l'ordonnance organique du 13 décembre 1958 précitée en matière de vérification des absences pour cas de force majeure 6 ( * ) . En effet, l'expérience montre que le cas de force majeure est le motif le plus fréquemment utilisé pour déléguer son vote en commission, sans que la réalité de la force majeure puisse être avérée.

Dans la pratique, il n'est pas possible de soumettre au Bureau l'examen des cas de force majeure qui, par définition, se produisent peu de temps avant la réunion de commission 7 ( * ) . Votre rapporteur propose toutefois que le Bureau définisse mieux cette notion de force majeure, en s'inspirant du droit commun, notion que la doctrine définit comme un « événement imprévisible et irrésistible (...) provenant d'une cause extérieure » 8 ( * ) .

Dans le cadre fixé par le Bureau, le Conseil de questure pourrait ainsi examiner a posteriori les motifs d'absence invoqués, y compris la force majeure, en vue de l'application du nouveau mécanisme de retenue financière.

Votre commission a adopté la proposition de résolution tendant à modifier le règlement du Sénat afin de rénover les règles relatives à l'obligation de participation des sénateurs aux travaux des commissions du Sénat ainsi modifiée .


* 1 Réduction de l'indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) et des indemnités particulières de fonction, diminution de certaines facilités matérielles, entre autres dispositions.

* 2 Ce groupe de travail s'est notamment appuyé pour conduire sa réflexion sur une étude comparative avec certains Parlements étrangers, qui figure en annexe du présent rapport.

* 3 L'article 14 précise en outre, à titre subsidiaire, que les travaux des commissions peuvent aussi se tenir le mardi matin avant les réunions des groupes et une autre demi-journée, en fonction de l'ordre du jour de la séance publique.

* 4 En dehors des périodes de suspension des travaux parlementaires en séance, la grande majorité des mois d'une session ordinaire compte trois ou quatre mercredis en moyenne et rarement cinq.

* 5 La possibilité pour un sénateur de solliciter, sur demande écrite motivée, à être mis temporairement en congé du Sénat n'a pas été utilisée depuis 1994, la demande précédente remontant à 1984.

* 6 La délégation de vote pour cas de force majeure ne figurait pas initialement dans l'ordonnance organique n° 58-1066 du 7 novembre 1958. Elle a été introduite par la loi organique n° 62-1 du 3 janvier 1962, validée sur ce point par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 61-16 DC du 22 décembre 1961, selon laquelle « il appartiendra aux bureaux des Assemblées, chargés d'apprécier lesdits cas de force majeure, de veiller à la stricte application » du principe constitutionnel selon lequel le droit de vote est personnel et la délégation de vote ne peut qu'exceptionnellement être autorisée.

* 7 Incident de transport par exemple.

* 8 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique , 1987, p. 392.

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