CHAPITRE VI - DISPOSITIONS VISANT À INSTAURER UNE CONTRIBUTION POUR L'AIDE AUX VICTIMES

Article 18 quater (art. 121-8 [nouveau] du code pénal ; art. 409-1 [nouveau] du code des douanes ; art. L. 612-42 et L. 621-15 du code monétaire et financier ; art. L. 464-5-1 [nouveau] du code de commerce ; art. 44 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne) - Majoration du montant des amendes pénales et douanières et des sanctions financières pour financer l'aide aux victimes

Le présent article est issu d'un amendement adopté par la commission des lois de l'Assemblée nationale à l'initiative de Mmes Nathalie Nieson et Martine Carrillon-Couvreur.

Il vise à instaurer une forme de taxe, ou de « sur-amende », s'élevant à 10 % du montant de l'amende recouvrée, afin de financer l'aide aux victimes.

Dans leur récent rapport d'information consacré à l'indemnisation des victimes d'infractions pénales, nos collègues Philippe Kaltenbach et Christophe Béchu ont souligné la situation fragile dans laquelle se trouvent aujourd'hui de nombreuses associations d'aide aux victimes, éléments pourtant essentiels de la politique d'aide aux victimes du ministère de la justice :

« En 2012, les 173 associations locales d'aide aux victimes conventionnées par les cours d'appel ont aidé 293 477 personnes dont 216 924 victimes d'infractions pénales (215 331 victimes en 2011) et plus de 40 000 victimes ont été accueillies au sein des bureaux d'aide aux victimes (BAV).

« Or ces associations sont depuis plusieurs années fragilisées par les importantes diminutions des crédits alloués tant par l'État que par les autres acteurs publics (collectivités locales notamment) .

« M. Jacques Degrandi, premier président de la cour d'appel de Paris, a ainsi fait part de son inquiétude face à la situation matérielle de nombre de ces associations. Sur les 13 associations d'aide aux victimes relevant du ressort de la cour d'appel de Paris, deux sont quasiment en procédure d'alerte et une a déposé son bilan. Le département de Seine-et-Marne risque, à terme, de ne plus être couvert par un réseau viable. Les autres associations rencontrent des difficultés récurrentes et sont très prudentes dans leur gestion.

« Comme il l'a rappelé, plus de 90 % des charges des associations sont représentées par les coûts salariaux : il leur est par conséquent difficile d'innover ou d'accepter des missions nouvelles sans aide financière complémentaire ou sans le recours à des bénévoles.

« S'agissant des seuls BAV, la dotation de l'État (20 000 euros par an par BAV) paraît largement insuffisante , alors que les associations ont besoin de juristes mais aussi de psychologues dont le recrutement peut s'avérer difficile.

« La fragilité financière des associations d'aide aux victimes a également été relevée par la Cour des comptes dans son rapport annuel pour 2012 [...] » 140 ( * ) .

Cette situation préoccupante a conduit à une réflexion sur les conditions d'une nécessaire sanctuarisation des crédits alloués aux associations, dans un contexte de maîtrise des dépenses publiques et de désengagement d'un certain nombre d'acteurs locaux.

Nommée parlementaire en mission par le Premier ministre, Mme Nathalie Nieson, députée, a remis en juillet 2013 un rapport sur la question de l'indemnisation de l'aide aux victimes. Elle y propose diverses pistes de réflexion, dont la création d'un fonds national d'aide aux victimes d'infractions pénales, qui serait l'organisme collecteur de nouvelles ressources affectées à la mission d'accompagnement des victimes, et la mise en place d'une majoration des amendes pénales, de l'ordre de 10 euros, permettant d'abonder ce nouveau fonds.

Puis, en février 2014, une proposition de loi de M. Bruno Le Roux et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen et apparentés de l'Assemblée nationale a proposé d'instituer une telle contribution, dont le montant s'élèverait à 1 % du montant total des amendes pénales recouvrées 141 ( * ) .

En mars 2014, notre collègue Philippe Kaltenbach et les membres du groupe socialiste et apparentés du Sénat ont également déposé une proposition de loi similaire, proposant d'affecter à un fonds de financement de l'aide aux victimes une contribution de 1,5 % instituée sur l'ensemble des amendes pénales recouvrées 142 ( * ) .

Le présent article s'inscrit dans la continuité de ces réflexions, mais son champ est significativement plus large que les propositions formulées jusqu'à présent.

Ainsi, son montant s'élèverait à 10 % du montant des amendes recouvrées (à l'exception des amendes forfaitaires), et son assiette serait assise, non seulement sur les amendes pénales ( I du présent article ), mais également sur les amendes douanières ( II du présent article ), sur les sanctions prononcées par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ( 1° du III ), sur celles prononcées par l'Autorité des marchés financiers ( 2° du III ), sur celles prononcées par l'Autorité de la concurrence ( IV du présent article ) ainsi que sur celles prononcées par l'Autorité de régulation des jeux en ligne ( V du présent article ).

Ces dispositions entreraient en vigueur à compter du 1 er janvier 2015.

Comme l'indique le rapport de M. Dominique Raimbourg, « en définitive, le présent article repose sur l'idée d'associer les auteurs d'infractions pénales à la contribution financière des dispositifs d'aide et d'assistance aux victimes. Les auteurs d'infractions pénales doivent comprendre que la réparation des préjudices, l'accompagnement et l'orientation des victimes sont générateurs de coûts qu'ils doivent à leur tour compenser. Elle procède des grands principes contenus dans les lois relatives à l'aide aux victimes » 143 ( * ) .

Lors de l'examen du projet de loi en séance publique, le Gouvernement a défendu, sans succès, un amendement tendant à porter cette contribution à 8 % du montant des amendes recouvrées et à restreindre le champ de cet article aux seules amendes prononcées par les juridictions répressives - excluant de ce fait les sanctions prononcées par des autorités administratives indépendantes afin, comme l'indique l'exposé des motifs de l'amendement, de respecter les principes constitutionnels de nécessité et de proportionnalité et d'égalité devant la loi.

Cet amendement a toutefois été rejeté, les députés faisant valoir l'intérêt, en termes financiers, d'asseoir cette nouvelle contribution sur les sanctions prononcées par ces autorités administratives indépendantes, dont les montants peuvent être très élevés.

À titre d'exemple, l'Autorité de la concurrence a prononcé en 2012 13 décisions de sanctions dont le montant s'est élevé à 540,5 millions d'euros 144 ( * ) . De son côté, l'Autorité des marchés financiers a prononcé en 2013 des sanctions pour un montant total de 30,84 millions d'euros (contre 18 millions d'euros en 2012) 145 ( * ) . Les sanctions de l'ACPR ont quant à elles atteint en 2012 1,22 millions d'euros 146 ( * ) .

À titre de comparaison, d'après l'exposé des motifs de l'amendement présenté par le Gouvernement et rejeté par les députés, le montant des amendes en matière criminelle, correctionnelle et conventionnelle (5 ème classe) prononcé par les juridictions judiciaires s'est élevé en 2012 à environ 303 millions d'euros.

Le dispositif proposé par le présent article n'est pas inédit . Ainsi le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) est-il alimenté, notamment, par une majoration de 50 % des amendes prononcées , d'une part, pour violation de l'obligation d'assurance des véhicules (article L. 211-27 du code des assurances) et, d'autre part, pour un acte de chasse effectué sans permis ou dans un lieu, un temps ou au moyen d'engins prohibés (article L. 421-8 du code des assurances). Rappelons que le FGAO est chargé d'indemniser les victimes ou les ayants droit des victimes des dommages nés d'un accident survenu en France dans lequel est impliqué un véhicule.

Plusieurs pays étrangers ont mis en place un système analogue : ainsi le Québec a-t-il institué une « sur-amende » pénale de 10 dollars pour financer les centres d'aide aux victimes d'actes criminels ; en Belgique, le montant de la contribution alimentant le Fonds d'aide aux victimes s'élève à 137,50 euros.

Tout en partageant l'objectif poursuivi par le présent article, votre commission a adopté un amendement de son rapporteur tendant à appliquer un « plafond » à cette « sur-amende » - fixé à 1 000 euros pour les personnes physiques et 5 000 euros pour les personnes morales - afin de limiter les risques de contestation de ce dispositif innovant sur le fondement du principe de proportionnalité.

Elle a par ailleurs exclu du champ de ces dispositions les infractions donnant déjà lieu à une majoration de 50 % et prévu que cette « sur-amende » bénéficierait également, s'il y a lieu, de la diminution prévue par l'article 707-3 du code de procédure pénale en cas de paiement volontaire.

Il appartiendra ensuite au Gouvernement de prendre les mesures d'application nécessaires pour affecter les sommes ainsi collectées au financement de l'aide aux victimes.

Votre commission a adopté l'article 18 quater ainsi modifié .


* 140 « Pour une meilleure indemnisation des victimes d'infractions pénales », rapport d'information n°107 (2013-2014) de MM. Christophe Béchu et Philippe Kaltenbach, fait au nom de la commission des lois du Sénat, pages 41-42. Ce rapport peut être consulté à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-107-notice.html .

* 141 http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion1826.asp .

* 142 http://www.senat.fr/leg/ppl13-414.html . En juillet 2011, notre collègue François Zocchetto avait également proposé l'instauration d'un mécanisme similaire, sans toutefois préciser le montant auquel s'élèverait cette contribution : http://www.senat.fr/leg/ppl10-751.html .

* 143 Rapport précité, page 390.

* 144 Rapport d'activité pour 2012, page 24.

* 145 Rapport annuel pour 2013, page 131.

* 146 Rapport d'activité pour 2012, page 129.

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