EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi en premier lieu du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord du 26 novembre 2013 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu.

Cet accord viendra se substituer à la convention fiscale actuellement en vigueur, signée le 30 mai 1984 . Il s'agit notamment de mettre ses stipulations en conformité avec le modèle publié en 2010 par l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Le nouvel accord, attendu par les milieux économiques des deux pays, vise à développer les flux commerciaux et les flux d'investissement entre les deux pays.

En 1984, la Chine représentait à peine plus de 1 % du PIB mondial, et commençait à peine à s'ouvrir aux échanges internationaux, avec la création des premières « zones économiques spéciales » (ZES) sur sa façade maritime. Aujourd'hui, avec un PIB de 13,4 milliards de dollars, soit 15,4 % du PIB mondial, la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale, et de loin le premier exportateur de la planète . Surtout, avec une croissance de plus de 7 % par an et un marché intérieur de 1,4 milliard de consommateurs, la Chine représente une perspective de développement majeure pour les entreprises étrangères .

Pourtant, les entreprises françaises ne prennent pas une part suffisante à cette dynamique . De fait, les relations économiques et financières entre les deux pays apparaissent déséquilibrées : le déficit commercial de la France avec la Chine a atteint 26 milliards d'euros en 2013 et, si la France est le deuxième fournisseur européen de la Chine avec 1,3 % de part de marché, elle demeure loin derrière l'Allemagne et ses 5,3 % de part de marché.

Le présent accord vise donc précisément à fournir un nouveau cadre fiscal aux échanges entre la France et la Chine . Les avantages négociés dans une convention fiscale sont par définition réciproques : le bénéfice retiré par l'un ou l'autre des pays dépend donc de la structure de son économie. Concrètement, les investissements français en Chine excèdent les investissements chinois en France : toutes choses égales par ailleurs, la France a donc intérêt à une baisse des retenues à la source, et la Chine à un maintien des bases taxables sur son territoire.

D'une manière générale, la nouvelle convention offre un cadre plus favorable à l'investissement, ce qui pourrait profiter aux entreprises françaises :

- la retenue à la source opérée sur les dividendes est abaissée de 10 % à 5 % , ce qui permettra aux entreprises françaises détenant des filiales en Chine de faire « remonter » plus facilement leurs bénéfices vers la France ;

- la définition de l'établissement stable est assouplie : pour être imposable en Chine, un chantier devra dorénavant avoir une durée de douze mois, contre six mois auparavant ; quant à « l'établissement stable de services », sa durée sera désormais appréciée au jour près (183 jours sur une période de douze mois), et non plus au mois près (six mois sur l'année civile) ;

- des clauses particulières permettent de protéger certains régimes français incitatifs , notamment celui des sociétés d'investissement immobilier cotées (SIIC) ;

- enfin, le système des crédits d'impôt forfaitaires est supprimé : celui-ci permettait de réduire de 10 % ou 20 % l'impôt payé en France, et ce quel que soit le montant réel de l'impôt payé en Chine ; si la fin de ce dispositif dérogatoire bénéficiera avant tout au Trésor public, une période de transition est aménagée afin de sauvegarder l'équilibre des contrats en cours, notamment les contrats de crédit-bail. Le système des crédits d'impôt forfaitaires, qui représentait une forme de subvention à l'exportation vers les pays en développement, paraît aujourd'hui anachronique dans le cas d'un pays comme la Chine. Il sera remplacé par un crédit d'impôt égal au montant réellement acquitté en Chine , conforme au modèle OCDE.

Les Etats, à la faveur de cette nouvelle convention fiscale, se dotent de possibilités élargies pour imposer les activités sur leur territoire . Ces dispositions, en l'état actuel des relations économiques entre les deux pays, pourraient être favorables à la Chine, en particulier les suivantes :

- le maintien d'une retenue à la source relativement élevée de 10 % sur les intérêts et sur les redevances - ce qui constitue, dans le cas des redevances, une dérogation par rapport au modèle OCDE qui prévoit une imposition exclusive des redevances à la résidence. La Chine pourra donc conserver une part de la valeur créée par les brevets et autres droits de propriété intellectuelle français ;

- la possibilité de taxer à la source les plus-values de cession de participations dans une société , dès lors que le bénéficiaire détient ou a détenu, directement ou indirectement, à n'importe quel moment durant les douze mois précédant l'aliénation, plus de 25 % du capital de la société. Ce périmètre, sensiblement élargi par rapport à la convention de 1984, permettra par exemple à la Chine de taxer les cessions de filiales françaises sur son territoire ;

- une exonération de retenue à la source pour les dividendes, les intérêts et les plus-values bénéficiant aux « fonds souverains ». Deux sont explicitement cités par la convention, mais c'est bien davantage la China Investment Corporation (CIC) qui devrait tirer avantage de cette stipulation que le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) français.

Enfin, la convention comporte une série d'améliorations visant à prévenir la fraude fiscale et l'optimisation fiscale abusive :

- un traitement plus fin des entités « transparentes » , notamment en matière immobilière, afin d'éviter qu'un montage basé sur une structure regardée comme transparente par un État et opaque par l'autre État aboutisse à des situations de double non-imposition ;

- l'introduction de quatre clauses anti-abus spécifiques (dividendes, intérêts, redevances, autres revenus) et d'une clause anti-abus générale , visant à combattre la mise en place de montages dont le but est principalement, sinon exclusivement, d'obtenir un avantage fiscal contraire à l'esprit de la convention ;

- l'actualisation de la clause relative à l'échange d'informations à des fins fiscales, conformément au dernier modèle de l'OCDE : si le système reste fondé sur l'échange à la demande, c'est-à-dire au cas par cas, l'État « requis » ne pourra plus refuser de transmettre les informations au seul motif qu'il n'en a pas besoin pour lui-même, ou que celles-ci sont détenues par un établissement financier. Il convient toutefois de noter que la Chine coopère d'ores et déjà de manière satisfaisante avec l'administration fiscale française.

Bien sûr, cette convention fiscale n'épuise pas le sujet. Au-delà de l'équilibre fiscal persistent des inquiétudes quant à certaines pratiques commerciales prêtées à la Chine : manque de transparence dans l'accès au marché, dumping, espionnage industriel etc. Pour l'essentiel, toutefois, ces problèmes relèvent de la politique commerciale, compétence exclusive de la Commission européenne.

Par ailleurs, le cadre fiscal des relations entre la France et la Chine a vocation à être amélioré dans les années à venir . D'une part, le projet « BEPS » de l'OCDE sur l'érosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices ( Base erosion and profit shifting ), dont les premières conclusions ont été publiées le 16 septembre 2014, devrait déboucher à terme sur une révision de certaines conventions en vue d'en combler les « failles ». D'autre part, l'échange automatique d'informations , bien plus efficace que l'actuel échange à la demande, pourrait bientôt s'imposer comme le nouveau standard international, sous la triple influence des États-Unis avec la loi « FATCA » ( Foreign Account Tax Compliance Act ), de l'Union européenne et de l'OCDE. Il appartiendra alors à la France, très active sur le sujet, d'engager de nouvelles négociations avec ses partenaires internationaux.

Ces perspectives de moyen et long terme ne doivent pas, toutefois, conduire à sous-estimer les bénéfices apportés par la présente convention, pour la France et pour la Chine, pour les entreprises et pour l'emploi .

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