EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 22 octobre 2014, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Francis Delattre, rapporteur spécial, sur la mission « Santé ».

M. Francis Delattre , rapporteur spécial . - La mission « Santé » est une petite mission qui représente environ 1,2 milliard d'euros du budget de l'État. Elle suit une approche binaire, avec un premier volet consacré au programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », qui regroupe les subventions de l'État aux agences sanitaires et les crédits destinés à la politique de prévention des agences régionales de santé (ARS), et un second volet constitué par le programme 183 « Protection maladie », dédié au financement de l'aide médicale d'État (AME). Si le programme 204 était majoritaire il y a quelques années, l'AME y tient désormais une place prépondérante. Sans tenir compte des modifications de périmètre, les crédits de la mission diminuent de 7 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2014. Cependant, un certain nombre de transferts vers l'assurance maladie sont prévus en 2015 - en particulier concernant le financement de la formation médicale des internes effectuée en dehors des centres hospitaliers universitaires (CHU) - ce qui affecte le périmètre de la mission. Les raisons de ces transferts sont peu expliquées ; seul l'argument de la clarification du financement est avancé. Si l'on neutralise ces mesures de périmètre, l'enveloppe de la mission progresse de 3,3 % en 2015. De même, sur le triennal 2015-2017, les crédits progresseraient de 2,2 %. La programmation proposée aboutit à une augmentation en valeur du montant des crédits, alors que l'État s'impose pour l'ensemble de ses dépenses, hors charge de la dette et pensions, une évolution « zéro valeur ». Prise dans son ensemble, la mission ne contribue pas au plan d'économies annoncé par le Gouvernement.

En analysant plus en détail le contenu de la mission, on constate que des efforts de maîtrise de la dépense sont prévus dans le champ des opérateurs sanitaires. Le montant global des subventions pour charges de service public des huit opérateurs financés par la mission diminue de 4,4 % en 2015 et de près de 13 % à l'horizon 2017, par rapport aux crédits inscrits en loi de finances initiale pour 2014. Le plafond d'autorisation d'emplois des opérateurs diminue de 2 % en 2015 et les années suivantes du triennal, ce qui est conforme aux objectifs fixés par la lettre de cadrage du Premier ministre. Un certain flou demeure quant aux effets de la création du nouvel Institut national de prévention, de veille et d'intervention publique, issu de la fusion de trois agences sanitaires relevant de la mission : l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), l'Institut national de veille sanitaire (InVS) et l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS). La ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, Marisol Touraine, a confirmé son souhait de solliciter l'habilitation du Parlement dans le cadre du projet de loi relatif à la santé pour fusionner ces trois agences par ordonnance.

Au vu de l'évolution à la baisse des crédits du programme 204 (- 5,8 % à périmètre constant), la hausse des crédits de la mission « Santé » pour 2015 provient uniquement de la progression des dépenses d'AME. Ce dispositif assure l'accès gratuit aux soins des étrangers en situation irrégulière ; il ne faut pas le confondre avec le dispositif en vigueur pour les demandeurs d'asile, qui ont droit à la couverture maladie universelle (CMU). Depuis sa création en 2001, les dépenses d'AME ont augmenté de 90 %. En 2002, 140 000 personnes étaient concernées, contre plus de 280 000 en 2013. La situation est particulièrement tendue dans les grands hôpitaux de la région parisienne.

En 2013, les dépenses totales d'AME ont atteint 846 millions d'euros - État et assurance maladie confondus - soit une hausse de 20 % par rapport à 2012, pour environ 282 000 bénéficiaires. Le projet de loi de finances pour 2015 propose une augmentation de 12 % des crédits de l'AME par rapport aux crédits programmés pour 2014. Cette prévision se fonde sur des hypothèses optimistes concernant le nombre de bénéficiaires, prévoyant notamment un impact de la réforme du droit d'asile sur les effectifs. Le Gouvernement a donc fait le choix de sanctuariser les dépenses de l'AME tandis que des efforts de plus en plus importants seront demandés aux familles en 2015. Certaines de ces familles n'arrivent plus à payer d'assurance maladie complémentaire ou de mutuelle, alors même qu'elles travaillent et payent leurs cotisations. À l'inverse, des personnes qui ne cotisent pas bénéficient d'une couverture santé gratuite. Que faire pour remédier à cette situation ?

Certaines missions de l'AME ne peuvent pas être remises en cause, comme celle qui touche à la prise en charge des soins urgents, lorsque le pronostic vital est engagé, mais aussi celle qui traite des mesures de prophylaxie. En revanche, il faudrait réétudier les conditions de prise en charge par l'AME des malades chroniques, qui peut s'étendre sur plusieurs années. Le problème est à la fois politique, économique et social. Si les conditions d'accès à l'AME ne sont pas révisées, le budget qui y est consacré atteindra certainement le milliard d'euros d'ici dix-huit mois. Nous ne pouvons pas laisser courir ces dépenses à l'infini. C'est pourquoi, je vous propose de réserver la position de la commission des finances sur l'ensemble des crédits de la mission.

Mme Michèle André , présidente . - Votre demande est faite suffisamment tôt pour que nous puissions prendre position ultérieurement. Il nous arrive souvent, l'année d'un renouvellement, de réserver notre avis en début de session.

M. Roger Karoutchi . - Je tiens à dire combien je suis sensible au rapport spécial qui vient de nous être présenté. J'ai souvenir d'avoir posé le problème de l'AME en termes clairs, ici-même, en juin dernier, lors de l'audition de la ministre Marisol Touraine, et d'avoir obtenu des réponses dilatoires. Il est clair qu'en exécution pour 2015 le budget de l'AME risque d'avoisiner le milliard d'euros, alors qu'il était de 80 millions d'euros, en 2001, lors de sa création. Il a été multiplié par douze ! Il est urgent de corriger la situation. Beaucoup d'étrangers en situation irrégulière sont venus en France pour bénéficier de soins hospitaliers. Il n'y a qu'à entendre les directeurs d'hôpitaux, notamment ceux d'Île-de-France, protester : « nous sommes saturés ! ». À l'étranger, des réseaux font savoir que pour être soignés, il suffit d'aller en France ! La situation n'est pas tenable. Le Gouvernement a envoyé un signal terrible en supprimant le droit de timbre. Certes, il rapportait peu, 5 à 10 millions d'euros, mais c'était un signal disant qu'il n'était pas possible d'avoir tout gratuitement. Les autres pays européens ont révisé leurs dispositifs de soins à l'égard des étrangers en situation irrégulière. L'Espagne ou le Royaume-Uni notamment, ont imposé un droit d'accès plus contraignant. Si la France reste le seul pays attractif, les dépenses exploseront. J'espère beaucoup des deux textes à venir sur le droit d'asile et la politique migratoire. Le Gouvernement devra y prendre acte du besoin de contrôle. Les citoyens qui voient leurs dépenses de santé augmenter n'accepteront pas que les cotisations servent de plus en plus à financer l'AME.

M. Alain Houpert . - Monsieur le rapporteur, je vous félicite pour votre exposé exhaustif. Naguère, un maréchal qui portait votre nom avait pour devise « ne pas subir  ». Nous sommes en train de subir. Je le dis en tant que parlementaire, citoyen et professionnel de santé. Nous craignions la mise en place d'une médecine à deux vitesses. Nous y sommes, mais sous une forme que nous n'imaginions pas : d'un côté, ceux qui arrivent sur notre territoire et bénéficient de notre vertu, de l'autre, les classes moyennes, dont la couverture médicale se restreint. La dernière campagne sénatoriale a montré que notre vertu pouvait devenir une faiblesse. La candeur fait le terreau des extrêmes et donne des arguments au Front national. On soigne ces étrangers et en même temps on les ostracise, on les transforme en boucs émissaires. En tant que professionnel de santé, j'ai été confronté au trafic des cartes vitales distribuées à tout-va et à la surcharge des hôpitaux. Par vertu, on a voulu aligner l'AME sur la CMU : ce fut une erreur. La CMU est réservée aux résidents qui ont de faibles moyens, je trouve cela normal. Mais à cause de l'AME, la France devient un pays attractif pour les candidats à l'exil. Un Premier ministre disait que la France ne pouvait accueillir toute la misère du monde. Actuellement, la France est attractive pour toute la misère du monde, aux dépens de la population. Comme humaniste, je dirai que c'est bien de soigner toutes les personnes qui en ont besoin, mais il faut fixer des limites : l'AME est une bombe à retardement budgétaire et sociale. La France doit rester un pays d'ouverture, mais nous devons nous garder de tout angélisme et nous inspirer de l'exemple des pays voisins.

M. Vincent Delahaye . - Je partage les remarques de bon sens de mes deux collègues. Voilà deux ans que nous relevons le dérapage des dépenses et le laxisme du Gouvernement. Quelles mesures ont été prises et quel impact ont-elles eu ? Visiblement, aucun. Je ne comprends pas qu'on laisse filer l'argent public sans réagir. Est-ce un problème de principe, un problème de fond ? S'agissant des chiffres, je ne comprends pas la différence entre les 744 millions d'euros dépensés en 2013 sur le programme 183 « Protection maladie » et les 715 millions d'euros consommés pour l'AME.

M. Francis Delattre , rapporteur spécial . - Les 715 millions d'euros auxquels vous faites référence correspondent aux dépenses effectives d'AME de droit commun constatées en 2013 (dont 13 millions d'euros de dette de l'État vis-à-vis de l'assurance maladie), tandis que les 744 millions d'euros correspondent aux trois types d'aide médicale d'État financés par l'État en 2013 (702 millions d'euros pour l'AME de droit commun, 40 millions d'euros de subvention à l'assurance maladie pour l'AME soins urgents et environ 2 millions d'euros pour l'AME humanitaire).

M. Vincent Delahaye . - Le Gouvernement prévoit qu'en 2015 les dépenses seront inférieures à celles de 2013.

M. Francis Delattre , rapporteur spécial . - J'ai dit mon scepticisme.

M. Vincent Delahaye . - Comment approuver des crédits lorsque l'évaluation n'est pas sincère ? Par ailleurs, cette année, 10 millions d'euros sont inscrits dans le programme 183 « Protection maladie » pour les victimes de l'amiante. À quoi ces crédits correspondent-ils ?

M. Michel Bouvard . - Effectivement, l'AME pose problème. La Cour des comptes a rappelé qu'en exécution pour 2013, la prévision avait été trop imprudente par rapport à l'évolution du nombre des bénéficiaires. L'exécution 2013 porte le poids d'une opération de cavalerie, à savoir le report d'un certain nombre de mois de facturation hospitalière de 2012 sur 2013. Pour cela, des crédits complémentaires ont été dégagés pour l'exercice 2013 qui se sont révélés insuffisants, tout comme en 2014. À la fin 2012, l'État enregistrait une dette de 38,7 millions vis-à-vis de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAMTS), cette dette montant à 51,7 millions en décembre 2013. Comment évoluera-t-elle en 2014 ? L'existence de cette dette montre que le programme est impossible à exécuter dans les conditions présentées. Même si nous stabilisons le nombre de bénéficiaires de l'AME, il restera à apurer la dette de l'État vis-à-vis de l'assurance maladie. Non seulement le budget n'est pas soutenable, mais il doit encore porter les irrégularités du passé, car la loi de finances initiale pour 2014 n'avait pas prévu de couvrir cette dette.

Lors de sa venue au Sénat, Marisol Touraine a constaté de fortes disparités régionales pour l'ouverture des droits à l'AME. Si ces différences ne sont pas justifiées d'un point de vue géographique ou démographique, l'ouverture des droits serait mieux gérée dans certains territoires que dans d'autres. Cela signifie que de bonnes pratiques existeraient, qui demandent à être développées. Enfin, la disparition du droit de timbre a effectivement pu constituer un signal négatif.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Effectivement, les crédits sont sous-évalués. Je remercie le rapporteur pour sa comparaison avec les autres pays européens : une harmonisation européenne est indispensable. Nous pouvons conserver les prestations médicales de base et les interventions médicales urgentes, mais les prestations ne sont pas sans limite. Voilà des années - six ans maintenant ! - que j'entends la même chose sur ce dossier. Il est temps d'agir, surtout quand on constate que les crédits sont sous-évalués.

Mme Marie-France Beaufils . - Chaque année, le sujet est traité de la même manière. Les chiffres figurant dans votre note montrent que le tourisme médical n'est pas si marquant.  En revanche, l'AME de droit commun est en forte hausse, sans doute à cause du transfert des dépenses d'une année sur l'autre. Il y a un ou deux ans, un débat avait montré l'importance de traiter les populations étrangères arrivant en France dans un état de santé dégradé : les soigner permet notamment d'éviter la recrudescence des maladies pulmonaires. Enfin, je lis, dans votre note de présentation, que les fraudes en matière d'AME sont surtout liées aux conditions de ressources. Pourriez-vous être plus précis ?

M. Marc Laménie . - Tout en saluant le travail du rapporteur, je souhaiterais l'interroger sur la réorganisation des agences sanitaires dont il est fait état dans sa note. Des remarques pertinentes sont faites sur le coût de ces agences, qui représentent plus de 2 500 emplois. Comment imaginer leur avenir ? Elles ont leur utilité tout en menant parfois une action inadaptée. L'INPES, par exemple, a envoyé des affiches de prévention contre la canicule dans les petites communes d'un département où le risque est très réduit. Le coût de ces agences m'interpelle. On est en droit de s'interroger sur leur efficacité sur le terrain.

M. François Patriat . - Dans une commission spéciale du Sénat, nous travaillons actuellement sur la carte territoriale. Je m'interroge souvent sur le manque de courage des élus en matière de cartographie hospitalière.

M. Roger Karoutchi . - C'est vrai.

M. François Patriat . - Souvent, un CHU qui fonctionne bien est mis en péril par l'ouverture de nouvelles unités dans un établissement voisin, et cela avec des coûts supplémentaires. De même, on installe certains appareils de manière irresponsable. À quoi peuvent servir deux appareils d'imagerie par résonance magnétique (IRM) dans un rayon de quarante kilomètres, s'il n'y a pas de radiologue pour les faire fonctionner ? La multiplication des transports héliportés n'est pas non plus souhaitable, si l'on considère leur efficacité relative en termes de conditions climatiques et de géographie, et surtout leur coût. Enfin, le rapporteur nous demande de surseoir momentanément à notre vote sur les crédits de la mission. A-t-il lui-même des solutions à nous proposer ?

Mme Fabienne Keller . - Je voudrais revenir sur la réorganisation des agences sanitaires. Le projet de loi de finances pour 2015 est sous forte pression budgétaire. Pourtant, la restructuration annoncée n'est toujours pas en place. Notre commission peut-elle vraiment contribuer à l'efficacité de la gestion budgétaire ? Le sujet des épidémies est transversal et nécessite la mobilisation de tous. Or, il est traité de façon médiocre. L'INPES, pour des raisons budgétaires a décidé d'interrompre le financement alloué à un réseau médical traitant le H1N1. Il y a Ebola, la tuberculose et le Chikungunya, très présent dans les îles françaises. Les contraintes budgétaires font en général disparaître tout ce qui est transversal... Les agences sanitaires sont éclatées, trop éloignées de la direction générale de la santé (DGS), ce qui nuit à leur efficacité.

M. Philippe Dallier . - Tous les départements ne sont pas concernés au même titre par l'AME ! La Seine-Saint-Denis, par exemple, est particulièrement touchée. Beaucoup de ses hôpitaux ont été mis en difficulté par le délai de remboursement des dépenses de l'AME par l'État. Existe-t-il des indicateurs sur la situation des hôpitaux et les délais de paiement ?

M. Francis Delattre , rapporteur spécial . - Monsieur Bouvard, le rapporteur se doit d'être modéré. Pourtant, je l'ai dit, les prévisions du projet de loi de finances pour 2015 sont irréalistes. Elles ne correspondent pas à la réalité des besoins. Il est possible, effectivement, qu'il y ait un problème de sincérité.

Les fraudes existent, Madame Beaufils. Certains prétendent avoir moins de 700 euros de ressources alors que ce n'est pas vrai. La fraude est aussi variable selon les régions ; la région parisienne et la Guyane, qui concentrent un grand nombre de bénéficiaires, semblent également concentrer les cas de fraude.

Monsieur Patriat, j'ai dit que nous ne pouvions pas transiger sur deux points : les soins urgents et la prévention des épidémies. Mais il y a tout le reste... Pour encadrer le système de prestations, il faudrait se mettre d'accord sur une catégorie de soins à couvrir et surtout sur la durée de leur couverture. L'AME devrait être ponctuelle ; elle dure parfois des années. La France est le seul pays à être aussi généreux. L'Espagne et le Royaume-Uni ont réduit la voilure : nous devrions nous inspirer de ce que ces pays ont fait. Plutôt que de nous opposer simplement au vote des crédits de la mission, nous devrions obliger le Gouvernement à prendre des engagements débouchant sur des résultats.

Quant à la fusion des agences sanitaires, la ministre s'est engagée à poursuivre le processus. Les agences pullulent. Il faut rationaliser leur fonctionnement pour que celles qui sont en charge des épidémies s'en occupent plus efficacement.

Mme Fabienne Keller . - Pour cela, il faut qu'elles agissent ensemble.

M. Francis Delattre , rapporteur spécial . - Bien sûr. La solution ne se trouvera pas en trois jours. Mais le processus de rapprochement semble engagé.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de réserver sa position sur les crédits de la mission « Santé ».

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Réunie à nouveau le mardi 18 novembre 2014, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen des crédits de la mission « Santé », précédemment réservés.

M. Francis Delattre , rapporteur spécial . - Le budget de la mission « Santé » est modeste, 1,2 milliard d'euros, l'essentiel des dépenses figurant dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » ne pose aucun problème. En revanche, je vous propose d'adopter un amendement au programme n° 183 « Protection sanitaire » qui concerne principalement l'aide médicale d'État (AME). L'AME a augmenté de 50 % depuis 2008. Dans le projet de loi de finances rectificative pour 2014, le Gouvernement a prévu d'ouvrir un supplément de crédits de 155 millions d'euros pour couvrir les besoins additionnels, portant ainsi les crédits alloués en 2014 à 760 millions d'euros. Cet amendement constitue un signal. Il diminue les crédits de 156 millions d'euros, à 475 millions d'euros, afin de les ramener au niveau constaté en 2008. Il ne s'agit pas de remettre en cause son rôle pour les soins urgents, mais chacun constate que l'AME de droit commun suscite bien des critiques. Il faut la recentrer, revoir les critères d'attribution. Nos voisins l'ont déjà fait. Nos collègues de la commission des affaires sociales partagent cette analyse et souhaitent une remise en ordre. S'il est normal de soigner les personnes sur notre territoire dès lors que les soins sont urgents, il convient de réformer le système sinon il disparaîtra ; certains réclament d'ailleurs déjà sa suppression. Une réflexion de fond est nécessaire. Les crédits sont passés de 200 millions d'euros à plus de 760 millions d'euros en 2014. En 2015, 632,6 millions d'euros sont prévus, ce qui pose d'ailleurs la question de la sincérité de ce budget. Une précision : les demandeurs d'asile, dès lors qu'ils ont déposé un dossier, bénéficient de la couverture maladie universelle (CMU) ; ils ne sont donc pas concernés par l'AME. En outre, ceux qui souhaitent bénéficier de l'AME exercent souvent, à l'égard des personnels des hôpitaux, une forte pression pour qu'ils ne soient pas regardants... C'est pourquoi je propose d'adopter cette mission en ramenant les crédits à leur niveau de 2008.

Je proposerai aussi, sous réserve de l'adoption d'un amendement rédactionnel, l'adoption de l'article additionnel 59 sexies rattaché, introduit à l'Assemblée nationale, qui réduit le délai de facturation de deux à un an des séjours hospitaliers des patients bénéficiaires de l'AME, ce qui constitue une mesure de saine gestion.

M. Vincent Delahaye . - La dérive de l'AME est préoccupante. Nous avons depuis longtemps attiré l'attention du Gouvernement sur la question, mais en vain ! Une mission devrait se constituer rapidement pour aider le Gouvernement à cadrer le dispositif, en fixant des règles humaines mais en évitant la logique de guichet. Je voterai l'amendement d'appel du rapporteur.

M. Jean Germain . - C'est un appel à 156 millions  d'euros ! L'AME a été créée en 2000 pour les sans-papiers résidant en France depuis plus de trois mois dont les ressources sont inférieures à 720 euros par mois. Les dépenses par an et par personne de l'AME, 1 714 euros, sont plus importantes que pour le régime général, 1580 euros, contre 2 606 euros pour la CMU. Dans la mesure où il s'agit de personnes en situation de grande précarité, le surcoût n'est pas considérable. Personne ne conteste l'existence de fraudes ou de tourisme médical, mais il ne s'agit que de 6 ou 7 % des cas.

Les gouvernements de droite et de gauche ont une approche différente. Une franchise de 30 euros avait été instaurée. La toile de fond est liée à l'immigration. L'AME concerne de plus en plus des personnes venues des pays de l'Est et qui réclament l'asile. La lutte contre la fraude oblige les administrations des hôpitaux à plus de paperasserie et à une suradministration pénible. Le rapporteur, conscient de la complexité du dossier, est partagé entre rationalité et sensibilité : il souhaite réduire les crédits tout en conservant l'accès aux soins urgents pour les étrangers en situation irrégulière. Mais est-ce une bonne méthode  de frapper d'abord pour réfléchir ensuite ? Il faut traiter ce problème en lien avec le Gouvernement, le Défenseur des Droits et le Parlement. Nous ne voterons pas cet amendement. Le problème existe mais nous ne sommes pas d'accord avec la tactique choisie.

M. Richard Yung . - Il y a en effet un problème de méthode. Vous proposez de baisser les crédits de 20 % d'abord puis de créer une mission ensuite. Il faudrait faire l'inverse ! L'un de nos rapporteurs ne devait-il pas chercher une solution avec le Gouvernement ? Où en sont ces discussions ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Il semble que ces discussions n'aient pas été très fructueuses.

Je note que vous avez tous conscience du problème. Les crédits, en hausse constante et rapide, atteindront bientôt un milliard d'euros. Il faut aussi faire preuve d'équité : bien des personnes en France n'ont pas un accès aux soins satisfaisants car ils ne possèdent pas de mutuelles. Certes, il faut conserver l'AME pour les soins d'urgence ou les soins de prophylaxie, mais il faut revoir l'AME de droit commun. La voie budgétaire est un bon moyen de poser la question. Pourquoi ne pas nous inspirer des systèmes européens comparables ?

M. Francis Delattre , rapporteur spécial . - Ce dossier n'est pas simple. J'ai écrit à la ministre à la suite de mon rapport à la commission des finances le 22  octobre. Elle ne m'a pas répondu... Aussi ai-je décidé d'élaborer un amendement. Tous les pays réfléchissent au meilleur système. L'Espagne a ainsi instauré un droit d'entrée. Nous pourrions envisager de recentrer l'AME de droit commun sur les publics fragiles, comme les mineurs ou les femmes enceintes. Nombreux sont nos compatriotes qui n'arrivent plus à se soigner... Cette question est d'une grande complexité. Si nous ne réduisons pas les crédits, rien ne bougera.

La commission a adopté l'amendement n° 5 et a décidé de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Santé » ainsi modifiés.

Article 59 sexies

La commission a adopté l'amendement n° 6 et a décidé de proposer l'adoption de l'article 59 sexies ainsi modifié.

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Réunie le jeudi 20 novembre 2014, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a décidé de confirmer sa décision de proposer au Sénat l'adoption, avec modification, des crédits de la mission « Santé » et l'adoption, avec modification, de l'article 59 sexies .

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