EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi du troisième volet de la réforme territoriale initiée par le Président de la République.

Il fait suite à la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles - dite loi « MAPTAM » - dont il modifie l'équilibre sur plusieurs points, ainsi qu'au projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral 1 ( * ) , qu'il prolonge en réglant la situation des personnels des régions regroupées.

Le projet de loi traduit les orientations fixées par le chef de l'État lors de sa conférence de presse du 14 janvier 2014, avant même la promulgation de la loi « MAPTAM », et précisées par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale le 8 avril suivant.

Il souffre de deux handicaps majeurs : d'une part, il a été conçu pour permettre la suppression des conseils départementaux en 2020 ; d'autre part, il n'est pas articulé avec la réforme de l'État que celui-ci, en trois décennies de décentralisation, n'est pas parvenu à conduire à son terme. Il en résulte un défaut de clarté et d'efficacité de l'action publique, des entraves à la gestion locale et des doublons contraires à l'effort de réduction de la dépense publique. Or il n'est pas de décentralisation réussie sans déconcentration aboutie.

Votre commission des lois s'est appliquée à simplifier un texte souvent confus pour clarifier et faciliter l'articulation des différents niveaux de collectivités territoriales, offrir un cadre souple à l'exercice de la décision locale, renforcer l'accessibilité des services publics - une ardente nécessité dans une société en proie à de graves difficultés économiques et sociales.

La proximité doit être le socle de cette réforme : elle commande de rationaliser les structures et d'adapter la décision publique aux spécificités du terrain.

Votre commission regrette par ailleurs que le projet de loi qui lui est soumis ne marque pas une nouvelle étape pour renforcer la décentralisation mais se limite à ébaucher un nouveau cadre, imparfait, pour l'organisation territoriale de la République.

C'est pourquoi elle s'est attachée à élaborer un texte autour de quelques principes majeurs destinés à offrir aux collectivités territoriales les moyens de mettre en oeuvre leurs projets et d'assumer leurs compétences, clarifiées par niveau, sans contraintes et complexités inutiles. L'évolution de la décentralisation, après trente ans d'exercice, conduit à offrir aux collectivités aujourd'hui « majeures » les outils nécessaires à la diversité des territoires. Plus de deux siècles après le découpage uniforme du périmètre national, alors indispensable pour affermir l'autorité de l'État, l'évolution du développement des territoires conduit à diversifier l'organisation territoriale dans le cadre tracé par la Constitution d'un État unitaire.

Les commissions des affaires économiques, des affaires sociales, de la culture, du développement durable et des finances se sont saisies pour avis des dispositions du projet de loi les concernant. Vos rapporteurs renvoient à la lecture de leurs conclusions en complément des leurs 2 ( * ) .

I. LE TROISIÈME VOLET DE LA RÉFORME TERRITORIALE : UNE RÉORGANISATION SANS APPROFONDISSEMENT DE LA DÉCENTRALISATION

Le présent projet de loi est présenté comme « une étape, complémentaire et ambitieuse (...) pour moderniser en profondeur notre organisation territoriale » 3 ( * ) . Il répond aux objectifs fixés par le Premier ministre, lors de sa déclaration de politique générale, le 8 avril 2014. Afin de réformer le « millefeuille » territorial, le Premier ministre avait proposé quatre objectifs :

- la réduction de moitié du nombre de régions en Métropole ;

- la fixation d'une nouvelle carte intercommunale, fondée sur les bassins de vie à compter du 1 er janvier 2017 ;

- la clarification des compétences et le renforcement des compétences régionales ;

- l'engagement d'un débat sur l'avenir des conseils départementaux, avec leur suppression à l'horizon 2020.

Le premier objectif fait l'objet du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, actuellement en discussion au Parlement, tandis que les trois autres sous-tendent les orientations du présent projet de loi.

Toutefois, vos rapporteurs rappellent que le contexte politique qui a conduit au dépôt de ce projet de loi, le 18 juin dernier, a fortement évolué. Texte de clarification, il préparait aussi, lors de son dépôt sur le Bureau du Sénat, la disparition alors programmée des conseils départementaux. Il n'est désormais plus question de les supprimer en raison des difficultés constitutionnelles que semblait alors sous-estimer le Gouvernement mais aussi des nombreuses critiques qu'un tel dessein a soulevées. Or cet objectif sous-tend l'architecture du projet de loi.

Parallèlement, le projet de loi s'attache à clarifier les compétences locales en renforçant le rôle stratégique de la région.

A. UNE REDISTRIBUTION DES COMPÉTENCES DESTINÉE INITIALEMENT À PRÉPARER LA DISPARITION PROGRAMMÉE DU DÉPARTEMENT

Le projet de loi comporte un ensemble de mesures de nature à « dévitaliser» les conseils généraux.

1. La clause de compétence générale des départements et des régions à nouveau supprimée après son rétablissement par la loi MAPTAM

Les articles 1 er et 24 du projet de loi proposent respectivement la suppression de la clause de compétence générale des régions et des départements, pourtant réintroduites par l'article 1 er de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles. Alors que l'objectif, lors de la discussion parlementaire de cette loi, tendait à préserver les capacités d'action de chaque catégorie de collectivités territoriales au bénéfice des citoyens, le Gouvernement d'alors estimait que « la suppression de la clause de compétence générale des départements et des régions n'est pas déterminante pour la clarification de l'action publique locale ». La suppression de cette clause est désormais, au contraire, avancée comme un moyen de clarifier les compétences.

Compte-tenu du périmètre parfois important que recouvriront certaines nouvelles régions et du renforcement de l'hétérogénéité de ces territoires, l'article 1 er tend à confier aux régions un embryon de pouvoir réglementaire, limité à la possibilité de saisir le Premier ministre pour lui proposer une modification législative ou règlementaire portant sur l'exercice d'une compétence qui relèverait exclusivement des conseils régionaux.

Les départements, quant à eux, bénéficieraient d'une compétence de solidarité territoriale, définie à l'article 24, comme une participation au financement des projets visant à préserver les services non marchands dans certains territoires défavorisés.

En revanche, le tourisme, le sport et la culture, en application de l' article 28 , demeureraient partagées entre les différents niveaux de collectivités territoriales et de leurs groupements.

Enfin, l' article 29 prévoit la possibilité pour les collectivités territoriales et l'État de créer des guichets uniques pour l'instruction et l'octroi de subventions dans le cadre de leurs compétences respectives. L'objectif, déjà proposé par nos collègues MM. Jean-Pierre Raffarin et Yves Krattinger 4 ( * ) , est de simplifier l'action publique locale et de réduire les coûts et les délais de réalisation des projets.

2. Le dépérissement du niveau départemental par la voie du transfert de compétences

Le projet de loi, sous couvert d'une clarification des compétences entre échelon local, prévoit un renforcement des compétences régionales par le transfert de certaines compétences départementales. Ainsi, les régions seraient désormais compétentes en matière de transports scolaires et de transports interurbains ( article 8 ), de voirie routière départementale ( article 9 ) et de collèges ( article 12 ).

La nouvelle architecture proposée se justifie uniquement par la « dévitalisation » progressive des départements, non par un souci de gestion efficace de l'action publique locale. Les compétences ainsi transférées nécessitent en effet une proximité que les nouvelles régions ne pourront assumer. Par ailleurs, les départements ont démontré leur expertise en matière de voirie routière, de transports scolaires ou de gestion des collèges.

Pour sa part, l 'article 11 prévoit le transfert à la région ou au bloc communal de la propriété, l'aménagement, l'entretien et la gestion des ports appartenant au département.

Les départements perdraient leurs compétences sur les ports maritimes et intérieurs alors qu'ils sont aujourd'hui compétents à titre principal sur les ports maritimes de pêche et subsidiairement sur les ports de commerce, les ports maritimes de plaisance et les ports intérieurs transférés par l'État.

Le projet de loi règle les modalités des transferts selon les principes fixés au fil du temps par les précédentes lois de décentralisation. L' article 37 définit un dispositif de compensations financières adapté à la redistribution des compétences entre collectivités territoriales proposée, reposant sur les principes de compensation des transferts de compétences entre l'État et les collectivités territoriales. Une commission locale pour l'évaluation des charges et des ressources transférées serait créée dans chaque région pour contrôler l'évaluation des charges transférées. Enfin, est prévue la gratuite des transferts des biens et organisée la sécurité des actes juridiques entre les anciennes et les nouvelles futures régions.


* 1 Dont le processus d'examen devant le Parlement devrait s'achever à la fin de l'année 2014.

* 2 Cf. avis de Mme Valérie Létard (commission des affaires économiques), M. René-Paul Savary (commission des affaires sociales), Mme Catherine Morin-Dessailly (commission de la culture), M. Rémy Pointereau (commission du développement durable) et M. Charles Guené (commission des finances).

* 3 Cf. exposé des motifs du projet de loi n° 636 (2013-2014).

* 4 Rapport n° 49 (2013-2014), « Des territoires responsables pour une République efficace », de MM. Jean-Pierre Raffarin et Yves Krattinger, au nom de la mission commune d'information sur l'avenir de l'organisation décentralisée de la République.

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