III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION POUR AMÉLIORER LA RÉGULATION DE LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE ET LA GOUVERNANCE DE L'AFP

A. CONFORTER LE RENFORCEMENT DE LA RÉGULATION

1. Assurer la justice du système coopératif

Votre commission a, dès sa mise en oeuvre, soutenu le principe de la péréquation entre les familles de presse, estimant qu'elle constituait non seulement la garantie de la pérennité de la distribution de la presse quotidienne d'information politique et générale , mais également la contrepartie juste des aides reçues par les éditeurs , sans distinction, notamment le taux super réduit de taxe sur la valeur ajoutée à 2,1 %. Elle approuve, en conséquence, la reconnaissance législative de son principe par l'article 1 er de la proposition de loi.

Pour autant, la rédaction proposée par les auteurs et validée par l'Assemblée nationale ne reprend pas la notion de « coûts évitables » développée par le cabinet Mazars dans son étude précitée de 2012. Pour mémoire, la méthode développée par le cabinet Mazars distingue les surcoûts spécifiques de la distribution de la presse quotidienne nationale (travail le dimanche et les jours fériés, transports additionnels spécifiques et vente le soir-même, travail de nuit, gestion du « pic » sur les centres de traitement, etc.) des surcoûts sociaux (ou historiques) imputables à Presstalis. Cette distinction a été reprise par le CSMP dans sa décision n° 2012-05 susmentionnée, afin d' exclure les surcoûts historiques du calcul de la péréquation.

L'absence de cette précision dans l'article 1 er ne doit pas conduire à rendre possible, à terme, l'intégration des surcoûts sociaux dans le calcul de la péréquation , y compris si la société Presstalis traversait à nouveau une crise majeure. C'est pourquoi votre commission a procédé à cet ajout.

De la même manière, il semble important à votre commission que la péréquation, pour utile soit-elle, ne représente pas une charge déraisonnable pour les éditeurs de la presse magazine et de la presse spécialisée. Plusieurs solutions, détaillées ci-après dans le rapport, ont été envisagées par votre rapporteur - la participation des éditeurs de produits « hors presse » à la péréquation ou l'exclusion des quotidiens sportifs et hippiques des bénéficiaires du mécanisme notamment - afin d' assurer l'équité du système.

Désireuse de conserver le principe de solidarité qui s'applique à l'ensemble du système de distribution de la presse, votre commission a préféré ajouter un objectif d'efficience dans la gestion des réseaux de distribution , en vue d'inciter les éditeurs et les logisticiens à poursuivre la réduction des coûts dans ce domaine.

La proposition de votre commission a l'avantage de donner toute sa force à l'inscription de la péréquation dans la loi sans dispenser tous les acteurs de poursuivre leurs efforts, ce dont votre commission leur donne volontiers acte. Il convient de veiller à ce que la distribution des quotidiens ne devienne pas de plus en plus coûteuse pour un nombre toujours plus faible d'exemplaires acheminés . De fait, le développement de la presse numérique et les accords à venir avec la presse quotidienne régionale devraient conduire à limiter le nombre d'exemplaires distribués par le réseau coopératif, sans que les structures, en application des principes de la loi Bichet, ne puissent être réduites en proportion. Dès lors, le coût de la distribution des quotidiens et, partant, le montant de la péréquation, ne cesseraient de croître.

Sans que ce risque ne puisse être totalement annihilé, l'objectif d'efficience permettra de le limiter et d'engager chacun sur la voie des réductions de coûts.

2. Confirmer le rôle majeur confié à l'ARDP
a) Préciser son statut et ses modalités de financement

L'article 3 de la proposition de loi, en ce qu'il donne à l'ARDP le statut d'autorité administrative indépendante, représente une évolution constructive du système de régulation bicéphale créé en 2011, notamment au regard des nouveaux pouvoirs confiés à l'ARDP par le texte.

Dans le prolongement de cette disposition, il a semblé judicieux à votre commission de préciser, à l'article 6, que la nouvelle autorité administrative indépendante dispose des crédits nécessaires à la mise en oeuvre de ses missions , puisque son financement ne sera plus assuré par la profession. Sans que la proposition de loi ne puisse en faire mention, ces crédits devraient être inscrits en loi de finances au programme 180 « Presse » de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

En outre, il lui est apparu utile, pour éviter toute lourdeur administrative, de sortir l'ARDP du champ du contrôle financier de la loi du 10 août 1922 relative à l'organisation du contrôle des dépenses engagées . La rédaction proposée sur ces deux points rejoint celle qui s'attache à d' autres autorités administratives indépendantes , à l'instar de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ou de l'Autorité des marchés financiers (AMF).

L'enveloppe budgétaire consacrée à l'ARDP devra couvrir ses modestes frais de fonctionnement. Comme le Syndicat national des dépositaires de presse l'a indiqué à votre rapporteur, « il convient d'être conscient de l'organisation dans laquelle la répartition des rôles entre le CSMP et l'ARDP s'inscrit aujourd'hui. L'ARDP est hébergée dans les locaux du CSMP. Le secrétariat de l'ARDP est assuré par les collaborateurs du CSMP. La volonté traduite par le législateur de mettre en place une réelle indépendance réglementaire est manifeste. Mais ce qui est en question, surtout après des années d'un fonctionnement réducteur, c'est véritablement la problématique de l'indépendance fonctionnelle (et non simplement formelle) de l'ARDP ».

Votre commission a été particulièrement sensible à cet argument, qui rejoint les préoccupations développées par le sénateur Patrice Gélard dans un rapport relatif aux autorités administratives indépendantes, publié en juin 2006 au nom de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation : « si l'attribution de la personnalité morale ne constitue pas une panacée, il convient toutefois de mieux assurer l'autonomie financière, mais aussi l'indépendance fonctionnelle , de ces autorités et de contrôler parallèlement le contrôle du Parlement sur leur activité ».

Le même rapport estimait, en outre, que « l'indépendance organique de l'autorité doit avoir pour corollaire l'attribution de moyens humains suffisants pour assumer ses missions en toute impartialité . En effet, une autorité administrative indépendante qui ne serait pas suffisamment dotée en moyens d'expertise autonomes pourrait se trouver en situation de faiblesse face à des acteurs professionnels susceptibles de mobiliser des ressources importantes ».

Certes, les contraintes qui pèsent aujourd'hui sur la dépense publique rendent difficile d'imaginer immédiatement les recrutements nécessaires, mais votre commission estime une telle évolution indispensable à terme.

b) Confier à l'ARDP la responsabilité d'homologuer les barèmes

Dans le prolongement des nouveaux pouvoirs attribués à l'ARDP, votre commission a choisi de lui confier , plutôt qu'au CSMP comme le propose l'article 1 er de la proposition de loi, l'homologation des barèmes des messageries.

Elle considère que le Conseil supérieur, où siègent éditeurs, messageries, dépositaires, diffuseurs et salariés, ne constitue pas le lieu adéquat pour évoquer les grilles tarifaires des messageries. Déjà, le législateur de 2011 avait confié à l'ARDP le soin de rendre chaque année un avis sur les barèmes . David Assouline, rapporteur de la loi du 20 juillet 2011 précité pour votre commission, indiquait alors dans son rapport : « compte tenu de la nouvelle configuration du CSMP et pour des raisons juridiques liées à la prohibition des ententes, il appartiendra à l'Autorité, et non au CSMP, de formuler un avis sur l'évolution des conditions tarifaires des sociétés coopératives de messageries de presse. En effet, la présence majoritaire au sein des CSMP des éditeurs ainsi que le rapport de force entre les représentants des deux principales messageries de presse, Presstalis et les MLP, placeraient le CSMP en situation de juge et partie sur une question aussi sensible que l'évolution des barèmes tarifaires des messageries ». L'argument demeure d'actualité, d'autant plus qu'il n'est plus question d'un simple avis mais d'une procédure d'homologation, voire, le cas échéant, de modification des propositions des messageries.

De l'aveu même d'Anne-Marie Couderc, présidente de Presstalis, à votre rapporteur, la composition du CSMP rend la prise de décision très difficile en raison des intérêts divergents qui s'y affrontent : « si la question du respect de la confidentialité et des règles de concurrence ne se pose guère pour les quotidiens nationaux, exclusivement distribués par Presstalis, elle apparaît majeure s'agissant des magazines dans la mesure où les deux messageries, ainsi que les éditeurs de magazines, siègent au CSMP. Il conviendrait donc que le CSMP dispose d'une structure ad hoc pour traiter des barèmes ou que la décision soit prise par l'ARDP ».

Votre commission a choisi la seconde solution, faisant siennes les craintes exprimées par le président du CSMP lors de son audition par votre rapporteur s'agissant du risque contentieux encouru dans le cadre d'une telle procédure. De fait, il ne semble guère envisageable, au regard du droit européen de la concurrence, de conférer à un organisme, dans lequel siègent des entreprises concurrentes, le pouvoir d' homologuer leurs tarifs respectifs. En outre, la validation a posteriori des décisions par l'ARDP comme le respect du secret des affaires précisé par l'Assemblée nationale ne sauraient suffire à faire assurer la sécurité juridique du dispositif.

L'homologation directe des barèmes par l'ARDP possède également l'avantage de réduire les délais - la procédure de double homologation proposée par l'article 1 er de la proposition de loi étant excessivement longue -, alors que, dans son étude de juin 2014 sur ce thème, le cabinet Mazars estimait que ces derniers, compte tenu des procédures internes aux messageries, étaient d'ores et déjà trop étendus au regard des impératifs de réactivité qu'impose l'évolution de la situation de la distribution de la presse.

Dans ce cadre, la désignation d'un quatrième membre au collège de l'ARDP choisi pour ses compétences économiques et industrielles , constitue une évolution utile pour permettre à l'ARDP d'assurer une nouvelle mission d'homologation des tarifs.

Pour autant, votre commission est consciente que cette nomination ne saurait suffire à garantir l'expertise de l'ARDP en la matière. C'est pourquoi elle a prévu que, préalablement à la décision d'homologation, le président du CSMP transmettre à l'ARDP un avis relatif aux barèmes proposés par les messageries . Il pourra, à cet effet , s'appuyer sur sa commission de suivi économique et financière , exempte de représentants de la presse et du système de distribution, qui apporte déjà un soutien technique à l'ARDP dans le cadre de la formulation de son avis annuel sur les tarifs.

c) La nécessité d'aménager les conditions d'exercice du pouvoir de réformation de l'ARDP

Votre commission ne vous proposera pas d'amendement à l'article 8 de la proposition de loi, qui ouvrira à l'ARDP la faculté d'inscrire une question à l'ordre du jour du CSMP et lui accorde un pouvoir de substitution si ce dernier ne donne pas suite à cette demande de l'Autorité. Cette disposition a, en effet, été considérée comme une précaution utile par la majorité des acteurs et notamment les représentants de Presstalis et des MLP.

Le pouvoir de réformation reconnu à l'ARDP par l'article 9 de la proposition de loi a, par contre, soulevé de vives protestations pour au moins deux raisons :

- le délai de deux mois introduit par l'Assemblée nationale pour permettre d'exercer son pouvoir de réformation a été considéré comme trop long puisque cela revient à prévoir un délai de trois mois et demi si l'on tient compte des huit semaines initiales ;

- la formulation retenue à l'article 9 de la proposition de loi, qui évoque le fait que la procédure d'examen serait « suspendue » pendant deux mois afin de conduire toute action « complémentaire », a pu laisser penser que le rôle de l'ARDP serait amené à changer pour évoluer vers celui de « seconde chambre » contrairement aux objectifs de la proposition de loi.

Votre commission vous propose donc une nouvelle rédaction de cette disposition qui prévoit que l'ARDP « peut proroger ce délai dans la limite d'un mois pour procéder à toute mesure utile à la réformation de ces décisions ».

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