EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 9 mars 2016, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, Président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de Mme Gisèle Jourda sur le projet de loi n° 352 (2015-2016) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou.

Mme Gisèle Jourda. - Monsieur le Président, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi n° 352 (2015-2016) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou.

Cette convention a été signée, à Paris, le 15 novembre 2012 à l'issue de négociations entamées en 2003 2 ( * ) , à l'initiative des autorités péruviennes. À cette date, le Pérou a en effet proposé à la France, d'une part, de mettre à jour les clauses de la convention d'extradition de 1874 et d'autre part, de négocier deux autres conventions bilatérales, l'une relative à l'entraide judiciaire en matière pénale que nous examinons aujourd'hui, et l'autre relative au transfèrement de personnes condamnées qui vient juste d'être signée.

Cette convention répond au souhait du Pérou de se doter d'instruments modernes de coopération judicaire et à celui de la France de renforcer ses liens avec ce pays d'Amérique latine. Même si la communauté française au Pérou ne compte guère plus de 4 000 personnes.

Tout d'abord, quelques précisions sur le contexte de cette convention.

Entre la France et le Pérou, il existe une coopération ancienne mais réduite qui repose sur la convention d'extradition de 1874, déjà mentionnée et qui vient d'être remplacée, le 1 er mars 2016, par un nouveau traité d'extradition.

En outre, pour certaines infractions, une coopération spécifique s'exerce, au titre de conventions multilatérales spécialisées, adoptées sous l'égide des Nations unies à laquelle la France et le Pérou sont tous deux parties comme la convention unique sur les stupéfiants, faite à New York le 30 mars 1961 ; la convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, adoptée à Vienne le 19 décembre 1988 ; la convention contre la criminalité transnationale organisée, adoptée à New York le 15 novembre 2000 ; la convention du 31 octobre 2003 contre la corruption et la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York le 10 décembre 1984.

Aucun autre dispositif bilatéral ou multilatéral ne liant la France et le Pérou, la coopération judiciaire en matière pénale s'effectuait jusqu'à présent au titre de la réciprocité dans le cadre de la courtoisie internationale, ce qui signifie concrètement que tous les mandats judiciaires sont transmis par la voie diplomatique.

Depuis 2000, 27 demandes d'entraide ont été adressées par la France au Pérou et 95 par le Pérou à la France. Il s'agit d'affaires de corruption, de stupéfiants, ainsi que d'infractions à caractère financier, à la législation sur le patrimoine culturel et de droit commun (homicides, viols, vols). Côté péruvien, s'y ajoutent des dossiers de terrorisme et des crimes contre l'humanité. Selon les services du ministère des affaires étrangères que j'ai interrogés 3 ( * ) , ces demandes d'entraide judiciaire formulées par la France et le Pérou ont un contenu classique. La France demande pour l'essentiel la réalisation d'auditions, de perquisitions et de saisies ou encore l'identification de titulaires de lignes téléphoniques, accompagnées parfois de demandes de déplacement de magistrats ou d'enquêteurs. Les délais d'exécution de ces demandes varient entre 5 mois et 2 ans avec une moyenne de 14 mois.

Les demandes péruviennes ont, elles-aussi, un contenu classique même si elles portent parfois sur la saisie de biens culturels mis en vente par des sociétés de vente aux enchères françaises. Le délai d'exécution moyen est de 11 mois.

Voyons maintenant le contenu de la convention proprement dit.

Bien que rédigée sur la base d'une trame proposée par le Pérou, les stipulations de cette convention s'inspirent largement des mécanismes de coopération existant au sein de l'Union européenne et dans le cadre du Conseil de l'Europe. Le Pérou a en outre accepté toutes les demandes d'ajouts de la Partie française.

Les 40 articles reprennent donc, pour l'essentiel, les dispositions de la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 et de son protocole additionnel en date du 17 mars 1978 ; de la convention du 29 mai 2000 relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l'Union européenne et de ses deux protocoles additionnels du 16 octobre 2001 et du 8 novembre 2001.

Cette convention appelle donc peu de remarques dans la mesure où les obligations internationales qu'elle contient résultent d'engagements européens et internationaux qui ont déjà été intégrés dans notre ordre juridique et qu'aucune modification des dispositions législatives ou règlementaires actuellement en vigueur n'est à prévoir.

Cette convention de facture classique prévoit « l'entraide la plus large possible » dans toute procédure pénale y compris celles ouvertes à l'encontre d'une personne morale dans la partie requérante, ainsi que dans les actions civiles jointes aux actions pénales, tant que la juridiction répressive n'a pas encore définitivement statué sur l'action pénale.

Elle fixe les règles relatives à l'exécution par la Partie requise des demandes d'entraide judiciaire visant à accomplir certains actes d'instruction ou à communiquer des éléments de preuve relatifs à une affaire pénale conduite par les autorités judiciaires de la Partie requérante. Répondant à une demande du Pérou, l'article 10 prévoit le droit du témoin à ne pas déposer.

Elle précise également les conditions auxquelles doivent répondre les demandes d'entraide judiciaire. Signe d'une confiance réciproque, les documents, dossiers ou éléments de preuve transmis sont dispensés d'authentification.

La double incrimination n'est en principe pas exigée (article 2), sauf si l'exécution de la demande implique des mesures coercitives (article 6).

Afin de lutter contre les opérations de blanchiment d'argent et la corruption, la convention interdit de refuser l'entraide judiciaire pour des infractions fiscales ou en opposant le secret bancaire (Article 4). Elle offre également de larges possibilités d'obtenir des d'informations en matière bancaire comme l'identification de comptes ouverts au nom d'une personne physique ou morale, la communication des opérations bancaires réalisées pendant une période déterminée sur des comptes spécifiés ou encore le suivi instantané de transactions bancaires (Article 25), sans oublier la saisie de comptes bancaires (Article 1).

Elle facilite aussi la lutte contre les trafics transnationaux, qu'il s'agisse de biens culturels sensibles péruviens ou de stupéfiants, en permettant la perquisition, l'immobilisation de biens et la saisie de pièces à conviction ainsi que la confiscation des produits d'une infraction criminelle. Cet ajout obtenu par la France facilite la restitution de ces biens à leur propriétaire légitime (Articles 22,23 et 24). Comme couramment entre pays non frontaliers, les interceptions téléphoniques, les livraisons surveillées, les équipes communes d'enquête et les enquêtes discrètes ou infiltrations ne sont pas expressément prévues, même si elles pourront être mises en oeuvre, au cas par cas, au titre de « l'entraide la plus large possible » qui figure dans la convention. Enfin des techniques modernes de coopération comme des auditions de témoins ou d'experts par vidéoconférence (article 24) pourront être utilisées selon des règles reprises de la convention du 29 mai 2000 relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les États membres de l'Union européenne.

Sous le bénéfice de ces observations, je recommande donc l'adoption de ce projet de loi qui devrait permettre de faciliter les flux de coopération judiciaire entre la France et le Pérou, eu égard à cette nouvelle sécurité juridique apportée aux magistrats des deux pays et à l'établissement de liens directs, sans passer par le ministère des affaires étrangères. D'ailleurs, le Pérou a achevé ses formalités de ratification en juin 2015.

L'examen en séance publique est fixé au mardi 15 mars 2016. La Conférence des Présidents a proposé son examen en procédure simplifiée, décision à laquelle je souscris.

À la fin de la présentation de la rapporteure, un court débat s'est engagé.

M. Joël Guerriau . - Je souhaiterais savoir quel est le volume représenté par ces demandes d'entraide judiciaire en matière pénale ?

Mme Gisèle Jourda , rapporteure . - Le volume est très faible. Depuis 2000, il y a eu 27 demandes d'entraides adressées par la France au Pérou et 95 demandes adressées en sens inverse par le Pérou à la France. Cet accord a surtout pour objet de donner un fondement juridique à l'entraide judiciaire pénale entre nos deux pays qui reposait jusque-là sur la courtoisie diplomatique.

À l'issue de ce débat, la commission, suivant la proposition de la rapporteure, a adopté, sans modification, le rapport et le projet de loi précité. Conformément aux orientations du rapport d'information n° 204 (2014-2015) qu'elle a adopté le 18 décembre 2014, elle a autorisé la publication du présent rapport synthétique.

La Conférence des Présidents a décidé que ce texte ferait l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance publique, le mardi 15 mars 2016 , en application des dispositions de l'article 47 decies du règlement du Sénat.


* 2 Les années 1990 à 2000 ont été marquées par le scandale « Fujimori ». Alberto Fujimori a été Président du Pérou de 1990 à 2000. Accusé de meurtres et de violations des droits de l'homme, il s'est exilé pendant six ans avant d'être extradé vers le Pérou et condamné, en 2009, à une peine de vingt-cinq ans de prison. Il convient de souligner que le pays s'est engagé dans la voie de la lutte contre l'impunité pour les violences ainsi commises avec notamment la mise en place d'une Commission vérité et réconciliation (pour de graves violations des droits de l'homme entre 1980 et 2000 liés au Sentier lumineux et à la répression du gouvernement péruvien).

* 3 Audition du 4 février 2015, liste en annexe.

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