EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Bien que le Gouvernement ait fait part à votre rapporteur de sa confiance - manifestement excessive rétrospectivement - dans la possibilité de trouver un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et sur la proposition de loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour l'orientation et la protection des lanceurs d'alerte, les commissions mixtes paritaires réunies le 14 septembre dernier sur ces deux textes ont échoué.

Au surplus, en dépit de l'esprit de dialogue affiché, votre rapporteur relève que le Gouvernement a déposé un nombre très limité d'amendements devant l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, ne préservant guère les points d'accord ou de convergence trouvés entre le Gouvernement et le Sénat - aucun amendement en commission et treize seulement en séance, dont seuls neuf ont été adoptés.

Selon les sujets, l'Assemblée nationale a ainsi très diversement pris en compte les apports et les modifications du Sénat, de sorte que, en fonction de ces sujets, votre rapporteur vous propose d'approuver, le cas échéant avec quelques modifications, le texte de l'Assemblée nationale, de rechercher une rédaction de compromis ou encore de rétablir le texte adopté par le Sénat en première lecture, comme l'a fait l'Assemblée nationale parfois sans avancer aucune justification.

En nouvelle lecture, votre commission demeure saisie de 64 articles encore en discussion dans le projet de loi, outre la brève proposition de loi organique. Par délégation au fond de votre commission, la commission des finances et la commission des affaires économiques restent respectivement saisies de 20 et de 18 articles : pour ces articles, votre commission s'en remet, par principe, à l'appréciation des commissions saisies pour avis.

S'agissant des diverses mesures de prévention et de répression de la corruption , l'Assemblée nationale a rétabli son texte de première lecture, en écartant presque systématiquement les apports du Sénat, que ce soit pour la dénomination et les prérogatives de l'Agence de prévention de la corruption ou pour les nouvelles obligations de prévention de la corruption concernant les entreprises.

Nos collègues députés ont rétabli une dénomination trompeuse
- celle d'Agence française anticorruption - sur la nature réelle des missions de l'agence ainsi que son pouvoir de sanction administrative à l'encontre des entreprises méconnaissant leur obligation de prévention de la corruption, alors que cette problématique relève de façon éminente de la compétence du juge judiciaire.

Dans ces conditions, votre commission a rétabli en large partie la logique du texte adopté par le Sénat en première lecture, tout en prenant en compte les précisions apportées par l'Assemblée nationale.

Seule la procédure transactionnelle ouverte aux entreprises mises en cause pour des faits de corruption, à l'initiative du parquet, semble pouvoir faire l'objet d'un accord, les améliorations du Sénat ayant été conservées, à l'exception, là encore, de la dénomination du dispositif.

Concernant les autres dispositions sur la corruption, l'Assemblée nationale a notamment rétabli l'extension de la compétence exclusive au profit du parquet national financier en dépit des difficultés juridiques et opérationnelles soulignées par le Gouvernement et par votre commission.

De plus, en nouvelle lecture, nos collègues députés ont introduit, en lien avec la sanction d'inéligibilité pour les élus condamnés, une disposition que votre rapporteur juge clairement contraire à la Constitution, en prévoyant l'inéligibilité de toute personne condamnée pour un certain nombre de délits d'atteinte à la probité publique, en raison de l'obligation de présenter un casier judiciaire vierge. Votre commission a dû supprimer cette disposition.

S'agissant du régime général des lanceurs d'alerte , nos collègues députés, sur certains aspects, ont confirmé certaines modifications du Sénat et, sur d'autres, sont revenus à leur texte de première lecture. Par exemple, sur la définition du lanceur d'alerte, qui doit être une personne physique, ou sur la procédure graduée de signalement de l'alerte, le texte du Sénat n'a pas été complètement écarté.

Dans ces conditions, votre commission a tenté de proposer une voie intermédiaire, tout en restant fidèle à sa position de première lecture, attachée à un équilibre entre protection et responsabilité du lanceur d'alerte. Elle a aussi supprimé le dispositif inapproprié d'aide financière des lanceurs d'alerte par le Défenseur des droits.

S'agissant du répertoire des représentants d'intérêts et des mesures de prévention des conflits d'intérêts , si l'Assemblée nationale a entendu, en partie, les diverses objections de nature tant pratique que constitutionnelle exprimées par votre commission à l'encontre du texte qu'elle avait adopté en première lecture, le texte issu de ses travaux en nouvelle lecture présente toujours des difficultés de principe pour le Sénat. D'une part, l'Assemblée nationale a conservé au bureau de chaque assemblée la compétence pour déterminer les règles applicables aux relations avec les représentants d'intérêts dans leur enceinte, mais a fixé dans la loi, le champ d'application du répertoire, les obligations à la charge des représentants d'intérêts ainsi que les exemptions à ces obligations, réduisant d'autant l'autonomie normative des assemblées. De surcroît, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, chargée de tenir ce répertoire, pourrait être appelée à statuer sur la qualification de représentant d'intérêts d'une personne intervenant dans les enceintes parlementaires, au mépris de la séparation des pouvoirs. Enfin, l'Assemblée nationale a maintenu, contre l'avis du Sénat, les collectivités territoriales dans le périmètre du répertoire, le rendant, du fait du grand nombre de personnes visées, impraticable et provoquant, en raison des différences de traitement entre collectivités territoriales concernés ou non par ce répertoire, une rupture d'égalité entre elles.

S'agissant du droit de la commande publique , sous réserve de la question de la possibilité pour les organismes d'habitations à loyer modéré de recourir à des marchés de conception-réalisation, nos collègues députés ont globalement approuvé les ajouts du Sénat, issus pour la plupart des travaux conduits par notre collègue André Reichardt, au sein de votre commission, sur la ratification de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.

S'agissant des mesures relevant du droit des sociétés au sens large, en nouvelle lecture, l'Assemblée nationale n'a tenu aucun compte des ajouts et des améliorations apportés par le Sénat, alors même que le présent projet de loi se veut un texte de modernisation de la vie économique. Le Sénat avait notamment intégré les mesures de la proposition de loi de simplification, de clarification et d'actualisation du droit des sociétés, présentée par notre collègue Thani Mohamed Soilihi et adoptée par votre commission sur le rapport de notre collègue André Reichardt le 1 er juin 2016.

Le Sénat avait également transformé des habilitations à légiférer par ordonnance en modifications directes du code de commerce, de façon à accélérer la mise en oeuvre de certaines mesures de simplification.

Votre rapporteur relève que, devant le Sénat en première lecture, le Gouvernement était pourtant ouvert à un nombre important de ces mesures de simplification. Notre collègue député Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, a indiqué dans son rapport que ces dispositions étaient à ses yeux « le point d'achoppement le plus important, bien que d'autres aient davantage focalisé l'attention, notamment celle des médias », au nom du respect des prérogatives de l'Assemblée nationale en matière d'élaboration de la loi : « il me semblait absolument exclu qu'une CMP, soit sept députés et sept sénateurs seulement, entérine une réforme du droit des sociétés dont nous n'avions jamais discuté la moindre virgule. » 1 ( * )

Votre rapporteur observe que la logique de la navette parlementaire, en cas de procédure accélérée, veut que la seconde assemblée saisie puisse introduire des dispositions additionnelles qui ne seront ensuite examinées qu'en commission mixte paritaire, sans examen par la première assemblée saisie. Il s'étonne donc d'un tel argument, alors que la commission des lois de l'Assemblée nationale, il y a quelques mois, a introduit dans le projet de loi de modernisation de la justice du XXI ème siècle des dispositions nouvelles particulièrement importantes - réforme du divorce par consentement mutuel sans juge, abandon de la collégialité de l'instruction... - sans que le Sénat, saisi en premier lieu du texte, ait pu les examiner avant la réunion de la commission mixte paritaire...

En conséquence, votre commission a rétabli l'ensemble des mesures de simplification et de clarification du droit des sociétés adoptées par le Sénat en première lecture.

Concernant spécialement le rôle des actionnaires dans la fixation de la rémunération des dirigeants des sociétés cotées , l'Assemblée nationale, tout en clarifiant sa rédaction en intégrant des améliorations rédactionnelles du Sénat et en cherchant à se rapprocher de la logique de la future directive relative aux droits des actionnaires - laquelle distingue un vote contraignant ex ante sur la politique de rémunération et un vote consultatif ex post sur les rémunérations effectivement versées -, a rétabli pour l'essentiel la logique de son texte initial, conditionnant le versement de la rémunération variable à l'approbation expresse des actionnaires chaque année.

Votre commission, sur la proposition de son rapporteur, a préféré s'en tenir à la logique du texte adopté par le Sénat en première lecture, en conformité avec la future directive.

Ainsi, consciente de la prise en compte par nos collègues députés d'une partie du travail réalisé par le Sénat, mais d'une prise en compte qui n'est que partielle et incomplète, votre commission a adopté sur le projet de loi un total de 76 amendements , dont 58 à l'initiative de son rapporteur, visant à revenir en tout ou partie à son texte de première lecture dans un certain nombre de cas, prenant en considération, pour chaque article, la recherche ou non de compromis exprimée par nos collègues députés, ainsi que 12 à l'initiative des deux rapporteurs pour avis. Elle a également adopté un amendement, à l'initiative de son rapporteur, sur la proposition de loi organique.

Sur les 64 articles dont elle était encore saisie en nouvelle lecture, votre commission en a donc adoptés 15 sans modification.

Elle a également été vigilante aux règles de recevabilité résultant de l'article 48 du règlement du Sénat, en supprimant à nouveau les dispositions qui ne présentaient aucun lien avec le texte, dans la continuité de sa position de première lecture, ainsi que les quelques dispositions sans relation directe avec une disposition restant en discussion ajoutées par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, en violation de la règle dite de l'« entonnoir ».

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Votre commission a adopté le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et la proposition de loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour l'orientation et la protection des lanceurs d'alerte ainsi modifiés.


* 1 Rapports de Sébastien Denaja (n° 4045 et 4046, XIV ème législature), faits au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et la proposition de loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour l'orientation et la protection des lanceurs d'alerte, p. 22.

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