B. DANS UN ENVIRONNEMENT DE TAUX BAS PROLONGÉ, PRIVATISER POUR RÉDUIRE LA DETTE MAASTRICHTIENNE CONSTITUE UN CHOIX SOUS-OPTIMAL

1. Compte tenu du coût de refinancement de l'État, l'affectation du produit des cessions au désendettement apparaît sous-optimal

Tout d'abord, il peut sembler inopportun d'engager un plan de privatisations de grande ampleur dans le contexte de marché actuel.

En effet, il est généralement admis que lorsque les marchés financiers entrent dans une phase de correction, les actifs ont tendance à être sous-évalués , compte tenu notamment de la difficulté pour les investisseurs de discriminer les risques pendant une période de turbulence. Les cours des entreprises sont alors exposés à des mouvements de sur-réaction et de mimétisme de la part des marchés financiers. À titre d'exemple, plusieurs études ont mis en évidence que les prix des actions étaient fortement sous-évalués par rapport aux fondamentaux après l'éclatement de la crise en 2008 57 ( * ) .

Aussi, un contexte de marché baissier est souvent jugé peu propice à la mise en place d'un plan de cessions de grande ampleur .

S'agissant du compte spécial, la crise de 2008 a d'ailleurs logiquement provoqué un effondrement des cessions réalisées par l'État actionnaire, suivi d'un rebond à partir de 2013 à la suite du net redressement des marchés actions observé à compter de 2012.

Évolution du produit des cessions depuis 2007

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Alors que la rentabilité du portefeuille de l'État actionnaire devrait pour la deuxième année consécutive se situer en territoire négatif, en raison de la correction générale observée sur les marchés actions européens depuis avril 2015 mais aussi de la déstabilisation des valeurs énergétiques françaises, le contexte actuel semble peu propice à la mise en oeuvre d'un plan de cessions d'une ampleur comparable à celui intervenu au cours de la période 2006-2007 .

Les gérants d'actifs anticipent d'ailleurs une progression de seulement 3 % du CAC 40 et de l'EuroStoxx 50 au cours des six prochains mois, ce qui laisserait les deux indices loin des niveaux d'avril 2015.

Évolution des indices CAC 40 et EuroStoxx 50

(en points, en %)

CAC 40

EuroStoxx 50

Niveau au 15 avril 2015

5 254

3 803

Niveau au 30 septembre 2016

4 448

3 002

Prévision moyenne des gérants à six mois

4 583

3 102

Écart entre le niveau au 15 avril 2015 et la prévision à six mois

- 12,8 %

- 18,4 %

Source : commission des finances du Sénat (d'après le panel actions de l'Agefi et Yahoo ! Finance)

En tout état de cause, quand bien même le Gouvernement estimerait opportun sur le plan financier de mettre en oeuvre un tel plan, l'environnement de taux bas prolongé plaiderait clairement pour réinvestir le produit des cessions plutôt que de l'affecter au désendettement.

En effet, compte tenu notamment de l'orientation de la politique monétaire de la Banque centrale européenne, le coût de refinancement de l'État est aujourd'hui proche de zéro (voire même négatif pour l'endettement à court terme) et devrait rester durablement bas 58 ( * ) .

Pour l'État, affecter le produit des cessions au désendettement reviendrait ainsi sur le strict plan financier à abandonner une rentabilité réelle annuelle moyenne de 6,6 % pour s'épargner le versement, chaque année, d'un taux d'intérêt nominal proche de zéro.

2. La « pause » annoncée dans la contribution du compte au désendettement devra être prolongée aussi longtemps que le coût de refinancement restera proche des niveaux actuels

Dès l'examen du projet de loi de règlement pour 2015, votre rapporteur spécial plaidait ainsi pour une « pause » dans la contribution du compte spécial au désendettement, en écho aux propos tenus par le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique devant votre commission des finances le 25 mai dernier : « ce serait se tirer une balle dans le pied que d'utiliser le capital du compte d'affectation spéciale pour se désendetter » 59 ( * ) .

La programmation traditionnelle du compte spécial - 4 milliards d'euros consacrés au désendettement contre 1 milliard d'euros seulement pour le réinvestissement - avait été revue dès le projet de loi de finances pour 2016, qui prévoyait pour le désendettement et le réinvestissement respectivement 2 milliards d'euros et 3 milliards d'euros.

Un pas supplémentaire a été franchi avec le présent projet de loi de finances, qui ne prévoit plus aucune contribution du compte spécial au désendettement en 2016 et en 2017.

Il faut se féliciter de cette « pause » dans la contribution au désendettement, conforme à l'intérêt patrimonial de l'État et qui devra être prolongée aussi longtemps que son coût de refinancement restera proche des niveaux actuels.


* 57 Cf. pour un exemple : Taisei Kaizoji et Michiko Miyano, « Stock Market Market Crash of 2008: an empirical study of the deviation of share prices from company fundamentals », Cornell University, 12 juillet 2016.

* 58 À titre de rappel, la Banque centrale européenne a amplifié en mars dernier son programme d'achats d'actifs décidé en janvier 2015. La mise en oeuvre de ce programme, qui devait initialement prendre fin en septembre 2016, a par ailleurs été prolongée jusqu'en mars 2017 ou « au-delà si nécessaire ». Le Gouvernement prévoit ainsi un redressement des taux à moyen et long terme au rythme de 75 points de base par an.

* 59 Compte rendu de l'audition le 25 mai 2016 d'Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, devant la commission des finances du Sénat.

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