II. TARIFICATION ET CONTRACTUALISATION DU SECTEUR MÉDICO-SOCIAL : DES EFFORTS STRUCTURELS À POURSUIVRE

A. LA FORFAITISATION DES DOTATIONS : UNE DÉMARCHE NÉCESSAIRE QUI NE SE FAIT PAS SANS HEURTS

1. Vers une nouvelle tarification médico-sociale

Le secteur médico-social construit, depuis la promulgation de la loi ASV, un mode de tarification original qui se distingue de la dotation par reconduction historique , qui présente d'importantes inadéquations au contexte budgétaire contraint et à l'impératif de bonne gestion des deniers publics, mais aussi de la tarification à l'acte pratiquée dans le secteur sanitaire. Il s'agit d'instaurer un modèle de tarification médico-sociale fondée sur l'appréciation du besoin de la personne .

Le défi est de taille : il revient à conditionner les dotations tarifiées aux établissements en fonction de critères qualitatifs et souvent subjectifs. Relativement surmontable dans le domaine des personnes âgées, dont les besoins recoupent un faisceau plus ou moins uniformisé, il relève de la gageure dans le domaine des personnes handicapées, où les profils de prise en charge sont presque aussi nombreux que les personnes elles-mêmes.

Selon le public dont ils assurent l'accueil, les établissements médico-sociaux peuvent recevoir des dotations de plusieurs tarificateurs :

• dans le champ des personnes âgées , l'Ehpad, qu'il assure un accueil permanent ou un simple accueil de jour 38 ( * ) , répond à un modèle unique de tarification qui rassemble deux financeurs : l'agence régionale de santé (ARS) qui tarifie une dotation consacrée à la médicalisation de l'hébergement, et le conseil départemental qui tarifie une dotation consacrée aux activités de maintien de l'autonomie ( via le versement direct à l'établissement de l'Apa dont les résidents sont bénéficiaires). Initialement fondées sur une logique de reconduction historique, ces deux dotations ont récemment fait l'objet d'une redéfinition en profondeur, dont les modalités n'ont pas manqué de susciter l'émoi des acteurs 39 ( * ) . La dotation médicalisée , qui s'est traduite par l'établissement d'une équation tarifaire intégrant le Gir moyen pondéré soins (GMPS) et le coefficient Pathos, a été réformée par la loi ASV. La dotation à l'autonomie a quant à elle été remaniée par un décret du 21 décembre 2016 40 ( * ) ;

• dans le champ des personnes handicapées , les établissements et services assurant leur accueil sont beaucoup plus divers et peuvent se voir appliquer une tarification à un financeur unique (l'ARS pour les maisons d'accueil spécialisées ; le conseil départemental pour les foyers de vie ou les foyers d'hébergement) ou à deux financeurs (l'ARS et le conseil départemental pour les foyers d'accueil médicalisés). L'absence de modèle unique de tarification rend beaucoup plus complexe l'élaboration d'une réforme tarifaire systémique ; cette dernière est néanmoins engagée sous la double égide de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et de la CNSA, sous le nom de Serafin-PH . Son échéance prévue varie entre 2020 et 2022 .

2. État des lieux de la réforme tarifaire des Ehpad
a) La redéfinition globalement acceptée de la dotation médicalisée

L'essentiel des mesures nouvelles de l'OGD pour 2017 se concentre sur un appui financier à la réforme tarifaire des Ehpad. L'OGD pour 2018, plus prudent dans ses montants, annonce le même effort d'accompagnement pour une réforme dont l'échéance définitive est fixée à 2021. Sur la période 2017-2021 , la DGCS a confirmé à votre rapporteur que 430 millions d'euros seraient consacrés, au titre des mesures nouvelles, au soutien financier à la réforme, à raison de 100 millions d'euros par an (30 millions d'euros pour 2021).

Le déploiement a débuté au cours de l'exercice 2016 avec la redéfinition de la dotation médicalisée. La construction de la nouvelle équation tarifaire, dont doit résulter le montant de la dotation, a globalement entraîné une augmentation des tarifs versés . 85 % des Ehpad, en majeure partie des Ehpad gérés par des acteurs publics, ont ainsi connu une valorisation de leurs crédits médicalisés. Votre rapporteur souhaite néanmoins souligner une difficulté qu'il pressent pour les prochains exercices et qui regarde les composantes de l'équation.

Formule de la nouvelle dotation médicalisée

Forfait global de soins

+

Financements complémentaires

#177;

Modulation
en fonction
de l'activité
de l'Ehpad

GMPS x valeur de point définie au niveau national x capacité autorisée de l'Ehpad

Le Gouvernement a pris l'engagement d'une revalorisation systématique du GMPS de chaque établissement au moment de la signature de son contrat pluriannuel d'objectif et de moyens (Cpom) ainsi qu'à l'issue des trois années suivant cette signature. Au regard de l'évolution des besoins, ces revalorisations ne manqueront pas de déboucher sur des augmentations du forfait global de soins, dont le niveau risque d'excéder de beaucoup les seuls 430 millions d'euros envisagés sur 2017-2021. Plusieurs acteurs associatifs ont à ce titre fait part de leur inquiétude sur la conséquence qu'une augmentation du GMPS pourrait entraîner sur le versement d'une dotation médicalisée sous contrainte budgétaire globale : la diminution de la valeur de point définie au niveau national , qui ne manquerait pas de pénaliser l'ensemble du secteur. Votre rapporteur invite sur ce point à la plus grande vigilance.

Par ailleurs, il émet quelques doutes sur l'usage que le Gouvernement semble vouloir faire des financements de soutien à la réforme . Ces derniers ne rentrent pas dans le champ de l'équation tarifaire et sont attribués de façon discrétionnaire aux établissements dont la dotation globale (médicalisée et autonomie) aurait connu une diminution nette après la réforme. Les crédits des financements de soutien représentent 48 millions d'euros sur les 100 millions d'euros pour 2017, soit près de la moitié, et 28 millions d'euros sur les 100 millions d'euros annoncés pour 2018 .

b) Un point de crispation récent : la redéfinition de la dotation à l'autonomie

La réforme de la dotation à l'autonomie a connu un déroulement moins consensuel. Plusieurs griefs lui ont été adressés, dont le premier regarde les conditions de consultation du Parlement à son sujet . Alors que la redéfinition de la dotation médicalisée avait fait l'objet d'un débat approfondi lors de la discussion de la loi ASV, celle de la dotation à l'autonomie a fait l'objet d'un décret pris sur la base d'une simple mention figurant dans un amendement du Gouvernement déposé en seconde lecture et n'ayant en pratique fait l'objet d'aucune explication ni discussion devant le Parlement. Ainsi, contrairement à une dotation médicalisée dont le remaniement fut organisé dans la transparence, la nouvelle mouture de la dotation à l'autonomie ne parvint à la connaissance des acteurs qu'au début de l'exercice 2017 pour une application immédiate au 1 er janvier 2018.

Les termes du décret du 21 décembre 2016 suivent les mêmes principes que pour la dotation médicalisée : il s'agit de sortir d'une logique d'attribution de la dotation à l'autonomie fondée sur une reconduction historique, et de prendre en compte le niveau d'activité de l'établissement. Compte tenu de l'intervention accrue du conseil départemental dans son versement, il fallait aussi intégrer le contexte budgétaire contraint dans lequel ces derniers participent au financement des Ehpad.

Formule de la nouvelle dotation à l'autonomie

Forfait global dépendance

+

Financements complémentaires

#177;

Modulation
en fonction
de l'activité
de l'Ehpad

Niveau de dépendance moyen des résidents x valeur du « point Gir départemental » arrêtée par le PCD x capacité autorisée de l'Ehpad

Les termes de l'équation du forfait global dépendance prennent en compte la réalité du niveau de dépendance des résidents. Les protestations qui se sont élevées au cours de l'été 2017 se sont concentrées sur l'intervention d'un « point Gir départemental » arrêté par le président du conseil départemental. L'introduction d'un coefficient susceptible de montrer de grandes disparités entre départements, pour financer une perte d'autonomie dont le « Girage » est quant à lui déterminé au niveau national, présente le risque d'une inégalité territoriale en termes de prise en charge de la dépendance .

Le décret du 21 décembre 2016 prévoit pour chaque point Gir départemental un dispositif de « clapet anti-retour », à savoir l'impossibilité pour le point, revalorisé chaque année, de prendre une valeur inférieure à celle de l'année précédente. Il n'en demeure pas moins que certains acteurs associatifs ont prévenu votre rapporteur des écarts importants que l'on pouvait déjà constater sur le territoire dans la détermination de ce point : onze départements l'ont fixé à moins de 6,5 euros , la très grande majorité d'entre eux l'ont chiffré entre 6,5 et 7,5 euros et douze l'ont porté à plus de 7,5 euros . Ces différences de pratiques laissent en effet songeur : est-il acceptable qu'une perte d'autonomie de même nature soit plus ou moins bien financée selon le département où elle est prise en charge ? Pour le risque de perte d'autonomie, dont le champ est tout de même généralisable à l'ensemble de la population, votre rapporteur trouve curieux que l'on admette une telle inégalité de couverture.

Outre l'écueil de la couverture territoriale, la réforme de la dotation à l'autonomie n'a pas manqué de suscité les réactions des acteurs du secteur des personnes âgées. En effet, contrairement à la réforme de la dotation médicalisée, dont les effets conduisirent à une revalorisation globale des versements, la réforme de la dotation à l'autonomie pénaliserait fortement certains Ehpad , pour lesquels le passage de la reconduction historique au nouveau forfait global dépendance engendrerait des pertes de plusieurs centaines de milliers d'euros . Ce phénomène connaîtrait une circonstance aggravante : inversement à la réforme de la dotation médicalisée, les « perdants » seraient en grande majorité les Ehpad publics et associatifs 41 ( * ) , et les « gagnants » se trouveraient du côté des Ehpad privés à but lucratif .

Plusieurs éléments doivent être rappelés. En premier lieu, votre rapporteur estime qu'il était nécessaire de réformer la dotation à l'autonomie, la perte subie par certains Ehpad reflétant en partie les incohérences du modèle de la reconduction historique jusqu'ici pratiquée. En deuxième lieu, la réforme de l'état prévisionnel de recettes et de dépenses (EPRD) conduite parallèlement à celle de la tarification permet désormais aux Ehpad de pratiquer une fongibilité budgétaire entre les dotations médicalisée et à l'autonomie , les excédents de la première pouvant venir compenser la perte de la seconde.

Une enquête menée par la CNSA et la DGCS a ainsi montré que sur l'ensemble des Ehpad situés sur le territoire français, 2,9 % seulement seraient concernés par une perte nette sur les deux dotations . Les financements de soutien précédemment évoqués de 28 millions d'euros sont destinés à compenser ces établissements particuliers. Votre rapporteur se doit néanmoins d'exprimer un doute sur la méthodologie entourant cette enquête : d'après plusieurs acteurs associatifs, elle reposerait sur un échantillon, certes exhaustif, d'entités juridiques , identifiables par leur numéro du fichier national des établissements sanitaires et sociaux (Finess). Or, une entité juridique se trouve être souvent gestionnaire de plusieurs établissements, dont les activités peuvent largement déborder le cadre de l'accueil des personnes âgées dépendantes. Votre rapporteur estimerait beaucoup plus pertinent que cette enquête soit à nouveau diligentée , en prenant cette fois en compte le numéro Siret de l'établissement , afin de distinguer celui-ci des autres activités de l'entité juridique.

En l'état actuel des choses, demeure donc une inconnue sur la proportion réelle de « perdants nets » à la réforme de la tarification des Ehpad. Il ne s'agit pas de questionner la pertinence et la nécessité de cette dernière, mais d'accompagner au mieux ceux pour qui ses conséquences seront les plus rudes. Les textes prévoient une période de transition budgétaire de sept ans (à échéance 2024) avant que la réforme tarifaire ne soit pleinement appliquée. Pour la dotation à l'autonomie en particulier , ce rythme de convergence sur sept ans peut même être modulé en fonction des années , afin de permettre des amortissements de trésorerie.

Le véritable enjeu de l'identification des « perdants nets » est celui du risque de la déshabilitation à l'aide sociale . Si la réforme tarifaire pénalise bel et bien les Ehpad publics, ces derniers n'auront d'autre choix que de répercuter leur perte sur une augmentation du tarif d'hébergement acquittable par le résident. Le risque est d'autant plus élevé que les Ehpad publics se trouvent en dehors du champ des mesures bénéficiant aux Ehpad privés non lucratifs, à savoir la transformation du crédit d'impôt sur la taxe sur les salaires (CITS) en exonération de charges patronales (article 8 du présent projet de loi) et la fin de l'opposabilité des conventions collectives (article 50 du présent projet de loi).

Les liens entre l'application d'une tarification décidée par le conseil départemental et la déshabilitation à l'aide sociale avaient déjà été explicités par notre ancien collègue Georges Labazée dans un rapport sur les services d'aide à domicile (Saad) 42 ( * ) . Il ne faudrait pas que nous ayons à déplorer le même phénomène dans le secteur des Ehpad. Une des solutions réside dans le renforcement de l'aide ventilée par la CNSA aux conseils départementaux dans le cadre du financement de l'Apa, dont on a vu qu'une partie n'était pas effectivement consommée.


* 38 Les autres formes d'hébergement des personnes âgées en perte d'autonomie (les résidences autonomie notamment) font l'objet d'un financement spécifique et sont encore peu développées.

* 39 Notre collègue députée Monique Iborra, rapporteure de la mission « flash » sur les Ehpad, dans une communication du 13 septembre 2017, va jusqu'à qualifier la tarification des Ehpad de « kafkaïenne » et dénonce le caractère « extrêmement complexe » des nouvelles équations tarifaires. Votre rapporteur adoptera une position plus mesurée.

* 40 Décret n° 2016-1814 du 21 décembre 2016 relatif aux principes généraux de la tarification, au forfait global de soins, au forfait global dépendance et aux tarifs journaliers des établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes relevant du I et du II de l'article L. 313-12 du code de l'action sociale et des familles.

* 41 Selon certains acteurs associatifs, le secteur public et associatif de certains départements connaîtrait des pertes sèches de 800 000 euros (en Seine-Maritime) à 3 millions d'euros (à Paris).

* 42 Mission relative à la tarification et aux perspectives d'évolution des services d'aide et d'accompagnement à domicile , Mission confiée par le Premier ministre à M. Georges Labazée, mars 2017.

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