ANALYSE GÉNÉRALE DE LA MISSION

I. UNE MISSION TOUJOURS SOUS FORTE TENSION

1. Un niveau de dépenses largement déterminé par l'asile

Les dépenses de la mission « Immigration, asile et intégration » sont en réalité très concentrées sur l'asile (instruction et conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile), puisque l'action 2 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303 « Immigration et asile » concentre à elle seule à plus de 70 % des crédits de paiement demandés . En outre, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), dont les dépenses dépendent également du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française », concourt également aux missions relatives à l'asile (guichet unique d'accueil des demandeurs d'asile et d'information des demandeurs d'asile, gestion du plan « Migrants », gestion de l'ADA, frais de transport et frais d'interprétariat pour les demandeurs d'asile, etc.).

Répartition des crédits de paiement demandés pour 2018

(en millions d'euros)

Source : commission des finances

Si les documents budgétaires ne contiennent aucune donnée relative aux prévisions d'évolution de la demande d'asile, cette donnée (flux et stocks), ainsi que le temps de traitement des demandes, constitue le principal déterminant des dépenses de la mission.

2. En France, une poursuite de l'augmentation du nombre de demandeurs d'asile

Après quatre années de baisse de la demande d'asile globale (mineurs accompagnants et réexamens inclus) entre 2004 et 2007, six années de hausse entre 2008 et 2013, une légère baisse en 2014, une forte hausse de la demande d'asile s'est amorcée au troisième trimestre 2015 et s'est intensifiée au quatrième trimestre, conduisant à une hausse globale de 24 % pour l'année 2015. Ce phénomène s'est poursuivi tout au long de l'année 2016, mais dans une moindre mesure (+ 7 %). Cette accélération de la demande résulte pour l'essentiel du contexte de crise de l'asile que connaît l'Europe dans son ensemble depuis la mi-2015, la France étant toutefois moins touchée que certains de ses homologues (Allemagne, Suède, Autriche, etc.). Sur l'ensemble de la période, entre 2007 et 2016, la demande de protection internationale a ainsi augmenté de 141 % en France.

Évolution de la demande d'asile en France

(en nombre de demandeurs)

* : prévision effectuée sur la base du premier semestre 2017

Source : commission des finances

À l'issue du premier semestre 2017, la demande d'asile continue d'augmenter (+ 13,4 % par rapport au premier semestre de 2016) avec une hausse des premières demandes (+ 13,3 %) et des demandes émanant de mineurs accompagnants (+ 25 %), tandis que les demandes de réexamen sont en baisse (- 5,8 %). Au 5 juillet 2017, le nombre de demandes d'asile atteint 47 225, contre 40 072 à la même période en 2016, soit une augmentation de 17 %.

La part des seules premières demandes (hors mineurs accompagnants) dans la demande globale, de l'ordre de 70 % en 2013 et 2014, est désormais de l'ordre de 74 %.

En 2016, les cinq premiers pays pour les premières demandes d'asile sont : le Soudan (5 897 demandes), l'Afghanistan (5 646 demandes), Haïti (4 927 demandes), l'Albanie (4 601) et la Syrie (3 615).

3. Une mission également contrainte par l'évolution des mouvements secondaires intra-européens

La politique d'asile s'inscrit dans un cadre européen. Les statistiques de la demande d'asile en France prennent en compte les demandes présentées auprès de l'Ofpra mais n'incluent pas les demandes d'asile relevant de la compétence d'un autre État membre en application du règlement « Dublin III » 1 ( * ) .

Évolution de la demande d'asile en France et dans l'UE (28)

(en nombre de demandeurs)

* : prévision effectuée sur la base du premier semestre 2017

Source : commission des finances, d'après Eurostat et le ministère de l'intérieur

La France est aujourd'hui confrontée à une hausse de ces flux. Il s'agit de migrants arrivés en Europe en 2015 ou 2016 et qui, après avoir enregistré cette demande dans un premier pays européen, la réitèrent dans un autre État membre de l'Union européenne (UE). La procédure Dublin, qui vise à éviter la multiplication des demandes d'asile dans différents pays de l'UE qui garantissent des standards de protection aussi élevés que ceux en vigueur en France, connaît d'importantes difficultés de mise en oeuvre.

Or, on constate un accroissement, tout particulièrement en 2016 et 2017, du nombre de ces mouvements secondaires de demandeurs d'asile. Le nombre de procédures Dublin engagées par les préfectures en 2016 a en effet augmenté de 114 % par rapport à l'année précédente. En 2016, près de 46 % des demandeurs d'asile se présentant en France étaient connus dans un ou plusieurs États membres alors qu'en 2015, ils n'étaient que 26 %. En 2016, 22 500 procédures Dublin ont été initiées par les guichets uniques, ce qui constitue un niveau inédit. Le nombre de demandeurs d'asile sous cette procédure devrait augmenter de 30 % en 2018, par rapport à 2017.

Ce phénomène a un impact important sur les dépenses de la mission « Immigration, asile et intégration », puisque les demandeurs d'asile sous procédure Dublin sont éligibles à plusieurs dispositifs prévus par la mission, comme l'hébergement (ils ne peuvent toutefois pas bénéficier des Cada, réservés aux demandeurs d'asile nationaux) ou l'ADA jusqu'à leur transfert effectif vers l'État membre responsable de l'examen de leur demande.

En 2016, seules 10 % des procédures de transfert au titre du règlement Dublin ont abouti. Le Gouvernement indique que « le plan d'action du gouvernement 2 ( * ) prévoit de renforcer les moyens dédiés dans les préfectures et de créer des pôles spécialisés dans la mise en oeuvre de la procédure Dublin. Ceux-ci seront adossés à des capacités d'hébergement dédiées, où les personnes concernées pourront être assignées à résidence avant leur transfert ». Le plan d'action prévoit en outre que les demandeurs d'asile sous procédure « Dublin » puissent être placés en rétention administrative dès que la demande a été déposée auprès de l'État compétent, alors qu'il faut aujourd'hui attendre que l'arrêté de transfert soit pris. Un arrêt de la Cour de cassation 3 ( * ) en date du 27 septembre 2017 vient par ailleurs de juger illégal un placement en détention de demandeur d'asile sous procédure Dublin, faute de « disposition contraignante de portée générale, fixant les critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite du demandeur », risquant à terme de complexifier davantage encore leurs transferts par les autorités françaises.

Une évolution sur ce plan requiert une évolution législative, qui pourrait être inclue dans le futur projet de loi pour un droit d'asile garanti et une immigration maîtrisée, dont l'examen par le Parlement est prévu au premier semestre 2018.

4. L'échec et la reconduction incertaine du plan de relocalisation des migrants

L'échéance du premier plan de relocalisation des demandeurs d'asile, qui s'est achevé le 26 septembre 2017, constitue une incertitude supplémentaire pouvant avoir une incidence sur la mission. Décidé par le Conseil de l'Union européenne le 27 mai 2015, ce système a donné lieu à une première répartition qui concernait 40 000 demandeurs d'asile , arrivés en Grèce et en Italie. Il a été modifié en septembre 2015, au regard de l'aggravation de la crise des migrants. Le Conseil, a proposé de relocaliser 120 000 migrants supplémentaires présents en Italie, en Grèce et en Hongrie. Au total, la France devait accueillir 30 783 migrants dans le cadre des programmes de relocalisation d'urgence adoptés au niveau européen .

Début septembre, 27 695 personnes en avaient bénéficié, en provenance de Grèce (19 244) et d'Italie (8 451), soit à peine 28 % de l'objectif initial. La France a, pour sa part, accueilli 4 278 demandeurs en vertu de ce plan (330 d'Italie et 3 948 en provenance de Grèce) 4 ( * ) .

Au total, l'échec de ce plan et la volonté exprimée par la Commission européenne et certains pays, au premier rang desquels la France et l'Allemagne, de voir un tel projet se poursuivre, pourrait avoir un impact sur les dépenses d'asile de la mission. Cet impact est, à ce stade des négociations (qui sont ralenties par le désaccord de certains pays d'Europe centrale et orientale), difficile à évaluer. La pression migratoire subie par la Grèce et l'Italie, notamment, devrait toutefois se répercuter sur la France dans les années à venir. Le projet de limitation des flux de réfugiés pouvant s'installer outre-Rhin à 200 000, annoncée récemment par le Gouvernement allemand 5 ( * ) , pourrait également avoir un impact important sur la hausse du nombre de demandeurs d'asile en France.


* 1 Règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

* 2 Communication rendue publique suite au Conseil des ministres du 12 juillet 2017, Plan d'action pour garantir le droit d'asile et mieux maîtriser les flux migratoires

* 3 Arrêt n° 1130 du 27 septembre 2017 (17-15.160) - Cour de cassation - Première chambre civile - ECLI:FR:CCASS:2017:C101130

* 4 Cinquantième rapport de la Commission européenne sur le plan de relocalisation, 6 septembre 2017.

* 5 Déclaration de la chancelière de la République fédérale d'Allemagne, Angela Merkel, 8 octobre 2016.

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