D. DES INTERROGATIONS SUR L'EFFICACITÉ DE LA PROPOSITION DE LOI AU REGARD DES OBJECTIFS RECHERCHÉS

Les auteurs de la proposition de loi établissent un lien de causalité entre le fait de recruter des ministres du culte convenablement formés, grâce à l'obligation de formation, et la limitation, notamment, du risque de prêches de haine ou hostiles à la République.

Le rapport de la mission d'information précitée soulignait quant à lui « l'importance qu'il y a à disposer d'un encadrement formé, maîtrisant à la fois la théologie musulmane et le contexte français et qui puisse développer un contre-discours face aux discours de surenchère radicale. Précisément parce que tout fidèle peut devenir imam, il faut que la formation des imams soit en mesure de faire émerger des cadres qui maîtrisent le texte et s'investissent dans son interprétation adaptée au contexte français. »

Si la formation des cadres religieux musulmans est à encourager, de même que son organisation, par l'intermédiaire notamment du conseil français du culte musulman, le manque de formation ne saurait suffire à expliquer les dérives constatées, lesquelles peuvent résulter de multiples facteurs sociaux, culturels ou bien géopolitiques. De même, une telle formation, même assurée en France, ne peut prémunir à elle seule contre ces dérives. Par conséquent, votre rapporteur doute de la consistance du lien de causalité entre obligation de formation et limitation des risques de dérives et s'interroge sur l'efficacité de l'obligation de formation assurée par une instance cultuelle représentative de chaque culte pour prévenir par elle-même ces risques.

Se pose également, s'agissant de l'islam, la question sous-jacente du financement de la formation des imams, dans le cadre de la question plus vaste de la rémunération des cadres religieux et du financement de cette confession en France, examinée dans le rapport de la mission d'information précitée.

De plus, en dépit des infractions pénales envisagées par la proposition de loi, des réunions cultuelles privées voire clandestines pourront toujours avoir lieu et propager des idées contraires aux valeurs de la République. Le fondamentalisme restera possible.

Au surplus, comme la notion de ministre du culte - identifiée de façon claire dans les religions présentes en France en 1905, avec les prêtres, pasteurs et rabbins - n'est pas adaptée au fonctionnement de l'islam, puisque tout fidèle peut diriger la prière commune, votre rapporteur s'interroge sur la portée réelle de cette obligation de formation et sur l'étendue des personnes auxquelles elle devrait effectivement s'appliquer. La définition suggérée par la proposition de loi, selon laquelle « le titre de ministre du culte est (...) conféré à toutes les personnes qui occupent, en vertu d'un contrat ou à quelque titre que ce soit et en quelque lieu que ce soit, une fonction primordiale dans la direction, le déroulement, l'animation et l'enseignement d'un culte » (article 4), pourrait faire échapper à l'obligation de formation bon nombre de fidèles musulmans qui peuvent aujourd'hui guider la prière de leurs coreligionnaires. Par ailleurs, dans le bouddhisme, la notion de ministre du culte n'a pas non plus de signification.

Plus globalement, dans certaines religions, on peut célébrer un culte sans être ministre du culte. Même l'Église catholique, en l'absence de prêtre, admet une forme adaptée de culte qui peut être célébrée par un laïc 22 ( * ) . Au sein des Églises protestantes, des fonctions de direction peuvent être assurées par des laïcs, qui ne peuvent être qualifiés de ministres du culte. De même, au sein de l'islam, les associations assurant la gestion de lieux de culte sont dirigées généralement par des fidèles.

Tous les représentants des cultes entendus par votre rapporteur ont émis de nombreuses réserves à l'encontre des nouvelles obligations envisagées par la proposition de loi, en particulier le conseil français du culte musulman, concerné au premier chef par le texte selon ses auteurs. Le président du conseil a en effet jugé ce texte stigmatisant pour les musulmans. Les représentants des autres cultes ont également estimé, pour certains d'entre eux, qu'il n'était pas légitime qu'ils soient contraints par de telles obligations en raison du manque d'organisation du culte musulman.


* 22 Il s'agit des assemblées dominicales en l'absence de prêtre (ADAP).

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