B. LES INSUFFISANCES DU CADRE JURIDIQUE ACTUEL

Si les forces de l'ordre ne sont pas totalement dépourvues de moyens face au phénomène des rodéos motorisés, l'arsenal législatif actuel apparaît insuffisamment dissuasif et peu adapté pour réprimer efficacement ces comportements dangereux.

1. Des délits qui ne permettent pas d'appréhender l'ensemble du phénomène...
a) La mise en danger délibérée de la vie d'autrui : un délit difficilement caractérisable

En droit, les comportements les plus dangereux résultant de la pratique de rodéos motorisés sont susceptibles d'entrer dans le champ de l'incrimination de mise en danger de la vie d'autrui , prévue par l'article 223-1 du code pénal, qui sanctionne d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende la violation délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, lorsque cette violation crée un risque d'exposer une personne à un danger de mort ou de blessures. L'existence d'un dommage n'est pas exigée, le délit étant constitué du seul fait de l'exposition à un risque.

Selon les informations communiquées à votre rapporteur, le délit de mise en danger de la vie d'autrui se révèle toutefois, dans la pratique, difficile à caractériser dans le cas des rodéos motorisés .

Au-delà du constat de la violation délibérée d'une obligation de prudence ou de sécurité qui, en matière de sécurité routière, constitue généralement à elle seule une contravention au code de la route (excès de vitesse, dépassement de ligne blanche, non-respect d'un panneau stop ou d'un feu de signalisation, etc. ), il doit être établi que cette violation était de nature à exposer autrui à un risque direct et immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente , au regard des circonstances dans lesquelles se sont déroulés les faits 2 ( * ) . Si la jurisprudence n'exige pas qu'une ou plusieurs personnes identifiées aient été effectivement exposées à un risque, il n'en demeure pas moins que les circonstances de commission des faits doivent permettre de constater objectivement l'existence d'un risque qualifié , et non d'une simple possibilité ou probabilité de survenance d'un dommage 3 ( * ) .

En matière de sécurité routière, la jurisprudence a donné une interprétation particulièrement restrictive de la mise en danger délibérée de la vie d'autrui en exigeant, afin de caractériser la présence d'un risque immédiat, que soit démontrée l'existence non seulement de circonstances objectives (présence de piétons sur la voie publique, circulation dense, conditions météorologiques mauvaises, etc. ), mais également d'un comportement particulier du conducteur.

Il résulte de ces éléments que l'incrimination prévue par l'article 223-1 du code pénal, si elle peut être retenue dans certains cas, ne permet pas de sanctionner systématiquement les individus participant à des rodéos motorisés. Il est par exemple peu probable qu'un juge reconnaîtrait l'existence d'un risque qualifié pour autrui pour des « runs » organisés de nuit, sur un parking, alors qu'aucune personne ni aucun piéton ne circulait sur la voie publique.

b) Des délits spécifiques qui n'englobent que partiellement la participation à des rodéos motorisés ou leur organisation

D'autres délits peuvent être retenus dans le cadre des rodéos motorisés. Bien qu'utiles, ils ne couvrent toutefois que des comportements spécifiques et apparaissent, de même que le délit de mise en danger de la vie d'autrui, insuffisants pour sanctionner tous les cas de rodéos motorisés .

Ainsi, le délit prévu par l'article L. 412-1 du code de la route punit de deux ans d'emprisonnement et de 4 500 euros d'amende « le fait, en vue d'entraver ou de gêner la circulation, de placer ou de tenter de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou d'employer, ou de tenter d'employer un moyen quelconque pour y mettre obstacle ». Cette incrimination permet de couvrir les comportements liés à certains rodéos tendant à bloquer la circulation sur une route ou sur une autoroute, mais ne peut être appliquée à l'ensemble des formes de rodéos constatées.

De même, l'article L. 411-7 du code de la route, qui punit de six mois d'emprisonnement et de 18 000 euros d'amende le fait d'organiser une course de véhicules sans avoir obtenu l'autorisation nécessaire , permet de sanctionner les organisateurs de rodéos motorisés, mais non les participants.

Enfin, peut également être retenu le refus d'obtempérer , puni, en vertu de l'article L. 233-1 du code de la route, d'un an d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende, mais uniquement lorsque les circonstances de l'interpellation le justifient.

2. ... sanctionné, en conséquence, sur le fondement des contraventions traditionnelles au code de la route

En raison des difficultés rencontrées par les forces de l'ordre pour caractériser la mise en danger de la vie d'autrui, les participants à des rodéos urbains sont le plus généralement sanctionnés , lorsqu'ils sont interpellés, pour la violation de règles de sécurité et de prudence fixées par le code de la route .

Selon les informations communiquées à votre rapporteur par les forces de police et de gendarmerie, sont le plus souvent relevées à l'encontre des auteurs des rodéos motorisés :

- l' absence de port de casque homologué (article R. 431-1 du code de la route) ;

- les infractions liées à la vente ou à la mise en circulation sur les voies ouvertes à la circulation publique de véhicules non soumis à réception (article L. 321-1-1 du code de la route) ;

- l' utilisation d'un véhicule à un régime moteur excessif (article L. 318-3 du code de la route) ;

- la circulation à vitesse excessive (article R. 413-14 du code de la route).

Le cas des véhicules non-réceptionnés

Une part importante des véhicules utilisés dans le cadre des rodéos urbanisés
- notamment les mini-motos, les motos de cross et les quads - sont des véhicules dits non soumis à réception, c'est-à-dire qui ne peuvent être immatriculés parce qu'ils ne remplissent pas les conditions tenant aux équipements de sécurité et au bridage de la puissance ou de la vitesse pour être autorisés à circuler sur les voies ouvertes à la circulation publique.

Ces véhicules, qui doivent, en application de l'article L. 321-1-2 du code de la route, être déclarés à la préfecture, ne peuvent être utilisés que sur des terrains privés ou sur des voies appartenant au domaine public spécialement désignées par arrêté.

Plusieurs infractions liées à ces véhicules non-réceptionnés sont applicables au cas des rodéos motorisés (article L. 321-1-1 du code de la route) :

- la mise en circulation sur la voie publique d'un véhicule terrestre à moteur non soumis à réception, punie d'une contravention de la cinquième classe ;

- la facilitation de ces faits, punie de la même peine. Cette incrimination permet notamment de sanctionner le propriétaire d'un véhicule utilisé par un tiers dans le cadre d'un rodéo motorisé ;

- la vente, la cession, la location ou la mise à disposition de ces véhicules, punie des mêmes peines.

Ces infractions sont sanctionnées par des contraventions de la quatrième (750 euros maximum) ou de la cinquième classe (1 500 euros maximum, 3 000 euros en cas de récidive), des peines qui se révèlent, dans la pratique, peu dissuasives à l'égard des participants aux rodéos motorisés .

L'ensemble des personnes entendues par votre rapporteur au cours de ses travaux préparatoires s'accordent pour constater qu'il résulte de l'insuffisance du cadre juridique actuel un sentiment d'impunité prégnant au sein de la population qui subit, quotidiennement, le climat d'insécurité et les nuisances engendrés par ces comportements.


* 2 Cour de cassation, chambre criminelle, 16 février 1999.

* 3 Cour d'appel de Douai, 26 octobre 1994.

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