SECTION 5
COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES

Article 12
(art. L. 32, L. 32-1, L. 33-1, L. 33-2, L. 36-7, L. 39, L. 42, L. 130, L. 135 du code des postes et des communications électroniques et art. 302 bis KH du code général des impôts)

Suppression de l'obligation de notification à l'ARCEP s'appliquant aux opérateurs de communications électroniques

Objet : cet article supprime l'obligation de déclaration préalable auprès de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (ARCEP) pesant sur les opérateurs de communications électroniques.

I - Le texte européen

a) Un cadre européen visant à garantir le libre accès au marché des communications électroniques

Sous l'impulsion du droit européen, la libéralisation du marché intérieur des télécommunications a été actée en 1998 177 ( * ) .

En 2002, le cadre européen de régulation a fait l'objet d'une réforme d'ampleur, par le biais d'un « paquet télécoms » composé de cinq directives, d'une décision et d'un règlement du Parlement européen et du Conseil.

Cette révision, qui visait à parachever l'ouverture à la concurrence du marché, semblait s'imposer en réponse à un double constat : d'une part, les opérateurs dits « historiques » conservaient une large part des marchés, en raison d'importantes barrières d'accès ; d'autre part, les législations nationales restaient fortement hétérogènes. Enfin, la capacité des réseaux à supporter de nombreux types de services (téléphone, télévision) a conduit à une certaine convergence technologique, qui semblait justifier une plus grande harmonisation des régimes juridiques.

Au sein de ce paquet, la directive 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l'autorisation de réseaux et de services de communications électroniques, dite « directive autorisation », vise plus particulièrement à faciliter l'accès au marché des opérateurs.

b) La directive 2002/20/CE : l'interdiction d'un régime d'autorisation préalable

La directive 2002/20/CE établit à l'article 3 le principe de « liberté de fournir des réseaux et des services de communications électroniques » , en indiquant que : « Le meilleur moyen d'atteindre ces objectifs consiste à instaurer un système d'autorisation générale pour tous les réseaux et services de communications électroniques, sans exiger de décision expresse ou d'acte administratif de la part de l'autorité réglementaire nationale, et à limiter les procédures à la seule notification. [...] Cette preuve ne devrait en aucun cas être ou nécessiter un acte administratif de l'autorité réglementaire nationale à laquelle la notification doit être faite. » 178 ( * )

L'article 3 de la directive prévoit donc une « autorisation générale » de fourniture de réseaux ou de services, et interdit aux États membres de mettre en place tout autre régime d'autorisation préalable nécessitant une décision des autorités nationales. De tels régimes d'autorisation préalable individuelle étaient alors en vigueur dans la plupart des pays membres. Seules sont désormais permises les autorisations relatives aux ressources rares, telles que les radiofréquences et les numéros).

Toutefois, au même article, la directive admet que les États membres conservent une obligation de déclaration préalable , en l'espèce, que les entreprises concernées puissent « être invitées à soumettre une notification » à l'autorité règlementaire nationale. Celle-ci doit se limiter :

- « À une déclaration établie par une personne physique ou morale à l'attention de l'autorité réglementaire nationale, l'informant de son intention de commencer à fournir des réseaux ou des services de communications électroniques »

- « Ainsi qu'à la communication des informations minimales nécessaires pour permettre à l'autorité réglementaire nationale de tenir un registre ou une liste des fournisseurs de réseaux et de services de communications électroniques. Ces informations doivent se limiter au strict nécessaire [...], comme le numéro d'enregistrement de la société et ses points de contact, son adresse, une brève description du réseau ou du service ainsi que la date prévue du lancement de l'activité. »

La directive encadre donc précisément le contenu et les modalités de cette déclaration, afin qu'elle ne puisse in fine s'assimiler à une autorisation.

Le cadre européen a fait l'objet d'une révision en 2009, et est actuellement en cours de modification. Une proposition de nouvelle directive a fait l'objet d'un accord politique en juin 2018 et devrait être définitivement adopté par le Conseil de l'Union et le Parlement européen d'ici à la fin de l'année 2018.

L'article 12 de cette proposition de « directive établissant un code européen des communications électroniques » maintiendrait la possibilité pour les États membres de requérir une déclaration préalable, mais préciserait encore davantage les informations exigées, qui devraient de surcroît être transmises par les autorités nationales à l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE).

II - Le droit national en vigueur

a) Une obligation de déclaration préalable pénalement sanctionnée

Lors de la transposition de la directive de 2002, la France a opté pour une obligation de déclaration préalable.

L'article L. 33-1 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) dispose ainsi, depuis la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle que « l'établissement et l'exploitation des réseaux ouverts au public et la fourniture au public de services de communications électroniques sont libres sous réserve d'une déclaration préalable auprès de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes » , l'ARCEP. 179 ( * )

MODALITÉS ET CONTENU DE LA DÉCLARATION PRÉALABLE À L'ARCEP

Les articles D. 98 et suivants du code des postes et des communications électroniques (CPCE) précisent règlementairement les modalités de mise en oeuvre de cette déclaration :

- Elle doit être adressée à l'ARCEP en un exemplaire, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, rédigée en langue française ;

- Elle doit indiquer l'identité du demandeur, sa dénomination, son adresse, son statut juridique, le cas échéant, l'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, accompagnée d'un extrait K bis ou d'un équivalent ;

- Elle doit inclure une brève description de la nature et des caractéristiques du réseau et des services fournis et leur zone de couverture géographique, le calendrier de déploiement et de mise en service et, le cas échéant, les éléments qui permettent à l'ARCEP de vérifier le caractère expérimental du réseau.

Toute modification d'un de ces éléments et toute cessation d'activité doit également faire l'objet d'une déclaration dans un délai d'un mois. Trois semaines après la réception de la déclaration, le président de l'ARCEP délivre un récépissé de déclaration ou informe le déclarant que sa déclaration n'est pas conforme et l'invite à compléter ou corriger sa déclaration. Le récépissé comporte un numéro d'enregistrement qui constitue pour le déclarant son numéro d'opérateur.

L'article L. 39 du CPCE punit le défaut de déclaration d'un an d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

L'article 121 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron » a rendu plus efficace le mécanisme déclaratif, en permettant à l'ARCEP de déclarer d'office un opérateur de réseaux et de services.

L'objectif de cette disposition était d'éviter les distorsions de concurrence entre les opérateurs traditionnels et les nouveaux acteurs de l'Internet, qui offrent des services équivalents sans pourtant être soumis à une quelconque obligation. Ces acteurs 180 ( * ) sont désignés par l'acronyme « OTT » ( over the top ), car ils utilisent les réseaux des opérateurs traditionnels pour délivrer leurs contenus. L'ARCEP avait par exemple alerté en 2007 et en 2013 181 ( * ) le Procureur de la République de Paris de l'absence de déclaration en France de l'opérateur Skype.

Dans son avis relatif au présent projet de loi 182 ( * ) en date du 25 septembre dernier, l'ARCEP précise que le rythme annuel des déclarations est en constante augmentation et serait actuellement de l'ordre de 350 à 400 (alors que le nombre d'opérateurs recensés sous le régime d'autorisation individuelle précédent ne dépassait pas quelques dizaines). 183 ( * ) Le graphique reproduit ci-après est tiré de l'avis précité.

Évolution du nombre d'opérateurs déclarés auprès de l'ARCEP

b) Les opérateurs soumis à l'obligation de déclaration sont redevables d'un impôt spécifique

L'article 302 bis KH du code général des impôts assujettit tout opérateur ayant effectué une déclaration préalable auprès de l'ARCEP à une taxe spécifique, dite « taxe TOCE » ou « taxe Copé ».

Cette taxe est assise sur le montant 184 ( * ) des abonnements et autres sommes acquittés par les usagers aux opérateurs en rémunération des services de communications électroniques qu'ils fournissent en France. Créée par la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, elle avait pour objectif de compenser la perte de recettes résultant de la suppression de la publicité après 20 heures sur les chaînes de France Télévisions 185 ( * ) .

III - Le projet de loi

Le I de l'article 12 du présent projet de loi supprime le régime de déclaration préalable auprès de l'ARCEP s'imposant aux opérateurs de communications électroniques.

Le 3° supprime l'obligation de déclaration instaurée par l'article L. 33-1 du code des postes et des communications électroniques, en affirmant le principe de liberté de fourniture de services et d'exploitation de réseaux. La rédaction proposée conserve toutefois les règles encadrant ces activités.

En conséquence, les 1° à 2° et 4° à 9° opèrent diverses coordinations juridiques tirant les conséquences de la disparition du régime déclaratif aux articles L. 32, L. 32-1, L. 33-2, L. 36-7, L. 39, L. 42, L. 130 et L. 135 du même code. Ces coordinations visent notamment à mettre en cohérence les missions de l'ARCEP à l'article L. 36-7 et à modifier le régime des sanctions pénales de l'article L. 39.

Le II du présent article supprime la condition de déclaration préalable auprès de l'ARCEP pour définir les opérateurs redevables de la taxe dite « taxe TOCE ». Au titre de la rédaction actuelle, seuls les opérateurs déclarés étaient assujettis à cette taxe.

Afin que cette modification n'ait pas pour effet d'étendre le champ d'application de la taxe, la nouvelle rédaction en exclut les opérateurs qui fournissent un service sur un réseau interne ouvert au public, c'est-à-dire « entièrement établi sur une même propriété, sans emprunter ni le domaine public -y compris hertzien- ni une propriété tierce » 186 ( * ) . Ces opérateurs particuliers ne sont actuellement pas redevables de la taxe.

L'étude d'impact du Gouvernement justifie la suppression de la déclaration préalable à l'ARCEP des opérateurs de réseaux et de services de communications électroniques :

- Par le fait que la France ait choisi de mettre en oeuvre une option autorisée par la directive 2002/20/CE , mais non obligatoire au titre de cette directive, ce qui induit des contraintes pour les opérateurs qui s'assimilent à une barrière à l'entrée sur le marché ;

- Par le caractère superflu des informations contenues dans cette déclaration, l'administration pouvant obtenir celles-ci par d'autres moyens .

Le Conseil d'État a validé l'analyse du Gouvernement sur la suppression de cette mesure, en particulier le maintien de l'exclusion des opérateurs non soumis à déclaration du champ de la « taxe TOCE » 187 ( * ) .

IV - La position de la commission

Les motifs avancés par le Gouvernement en faveur de la suppression de l'obligation de déclaration préalable auprès de l'ARCEP des opérateurs de réseaux et de services de communications électroniques appellent les remarques suivantes de votre rapporteur :

- Mise en oeuvre d'une option non imposée par la directive, qui génère des contraintes pour les opérateurs

L'obligation de déclaration préalable auprès de l'autorité de régulation nationale est une option laissée aux États membres par la directive 2002/20/CE, mais n'est pas rendue obligatoire.

À ce titre, votre rapporteur remarque qu'il ne s'agit pas à strictement parler d'une sur-transposition, mais que la mesure proposée relève plutôt de la simplification administrative. Cette mesure avait déjà été identifiée par le rapport inter-inspections remis au Gouvernement en avril 2018. 188 ( * )

Toutefois, le maintien de l'obligation déclarative par la France représente une contrainte plus stricte que le régime harmonisé de base prévu par la directive. Les opérateurs doivent notamment prendre en compte les délais de réception et de traitement de la déclaration par l'ARCEP, qui représentent une étape administrative supplémentaire.

L'ARCEP souligne que la suppression de cette obligation alignerait le droit français avec les droits danois et britannique.

- Caractère superflu des informations contenues dans la déclaration

L'ARCEP, consultée par votre rapporteur, a indiqué que les informations contenues dans la déclaration ne permettent pas nécessairement d'obtenir une image fiable du marché des communications électroniques , les opérateurs fournissant souvent par prudence des informations vagues et prospectives ne reflétant pas leur activité à un moment donné. A l'inverse, l'ARCEP indique que les opérateurs mettant un terme à leurs activités n'en informent que rarement l'Autorité, et ne sont alors pas radiés de la liste.

À titre d'exemple, l'ARCEP estime que 25 opérateurs environ sont actuellement actifs dans la téléphonie mobile française, alors qu'ils seraient plus 700 au regard des déclarations effectuées. Près de la moitié des opérateurs déclarés ne sont pas actifs, ou auraient un niveau d'activité négligeable.

D'autre part, l'ARCEP a indiqué disposer d'autres sources d'informations fiables, permettant à la fois de déterminer quels sont les opérateurs actifs et le champ des opérateurs soumis à la « taxe TOCE ». Parmi ces sources, elle cite entre autres les attributions des ressources en numérotation ou en fréquence, les déclarations des collectivités basées sur l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, les conventions d'interconnexion reçues en application de l'article L. 34-8 du code des postes et des communications électroniques.

Par ailleurs, le seuil de contribution au financement du service universel ayant été élevé à 100 millions de chiffre d'affaires annuel en 2016, et la taxe administrative supprimée, l'ARCEP estime qu'il n'est pas nécessaire de disposer en amont de déclarations de la part de tous les opérateurs, les plus actifs étant identifiés par les moyens précités.

Enfin, l'objectif poursuivi lors de l'introduction, par la loi de 2015, de la possibilité pour l'ARCEP de déclarer d'office un opérateur ne paraît plus d'actualité : d'une part, l'Autorité ne s'en est pas saisie, et le projet de code européen des communications électroniques prévoit d'imposer de nouvelles obligations aux acteurs définis comme offrant des services de communication interpersonnelle avec ou sans numéro.

Votre rapporteur s'est assuré auprès de la Direction générale des finances publiques (DGFIP) que l'administration disposerait toujours d'informations fiables permettant un recouvrement efficace de la « taxe TOCE ».

D'autre part, il a consulté l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) pour déterminer les sources alternatives d'information dont l'Autorité disposerait en cas de suppression de l'obligation de déclaration. L'ARCEP s'est déclarée favorable à la mesure proposée par le présent article. Enfin, votre rapporteur a consulté la Fédération française des télécoms (FFT), afin de mieux estimer la contrainte que représente cette déclaration pour les opérateurs français. Ceux-ci ont accueilli favorablement la suppression du régime déclaratif, bien qu'ils aient relevé qu'il s'agit d'une mesure très limitée au regard des nombreuses sur-transpositions existant en matière de communications électroniques.

Sur proposition de son rapporteur, la commission a adopté un amendement COM-25 visant à opérer plusieurs coordinations juridiques :

- Trois coordinations visent les articles 21 et 24 de la loi n°2009-1572 du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, qui font actuellement référence aux obligations déclaratives de l'article L. 33-1 du code des postes et des communications électroniques ;

- Une coordination vise l'article 30-2 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, qui contient une référence similaire.

Elle a également adopté deux amendements COM-24 et COM-23 rédactionnel et de coordination juridique.

Votre commission a adopté l'article 12 ainsi modifié.

Article 13
(art. 42 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique)

Suppression de l'obligation de compatibilité des nouveaux équipements terminaux radioélectriques avec la norme IPv6

Article examiné dans le cadre de la législation en commission

Objet : cet article supprime l'obligation de compatibilité des équipements terminaux destinés à la vente ou à la location sur le territoire français avec la norme IPv6.

I. - Le texte européen

La directive 2014/53/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative à l'harmonisation des législations des États membres concernant la mise à disposition sur le marché d'équipements radioélectriques et abrogeant la directive 1999/5/CE, dite « RED » , règlemente la mise sur le marché intérieur de matériel radioélectrique.

Ces équipements recouvrent, au sens de la directive, tout « produit électrique ou électronique qui émet et/ou reçoit intentionnellement des ondes radioélectriques à des fins de radiocommunication et/ou radiorepérage » et tout « produit électrique ou électronique qui doit être complété d'un accessoire, tel qu'une antenne, pour émettre et/ou recevoir intentionnellement des ondes radioélectriques à des fins de radiocommunication et/ou radiorepérage ». Les équipements terminaux fixes sont exclus du champ d'application de la directive.

La directive définit à l'article 3 les « exigences essentielles » qui s'imposent aux équipements radioélectriques , en particulier en matière de protection de la santé et de la sécurité des personnes, et de protection des biens. Ils doivent aussi respecter un niveau adéquat de compatibilité électromagnétique. La directive prévoit également les modalités de contrôle de la conformité aux exigences essentielles.

Cette directive est d'harmonisation maximale : au 1 de l'article 9, il est prévu que : « les États membres n'empêchent pas, pour des raisons liées aux aspects couverts par la présente directive, la mise à disposition sur le marché sur le territoire des équipements radioélectriques conformes à la présente directive ». Elle interdit donc que toute disposition de droit national n'établisse des exigences supérieures à celles explicitement prévues.

II. - Le droit national en vigueur

a) Le passage à la norme IPv6 est à terme inévitable

Dans un but d'identification des terminaux radioélectriques, et afin d'orienter correctement les flux (« paquets ») d'information, les différents noeuds du réseau internet se font attribuer des adresses IP ( Internet Protocol ). Parmi les équipements disposant d'adresses IP, on trouve en particulier les terminaux destinataires : les serveurs, les routeurs, les ordinateurs, les tablettes, ou encore les téléphones intelligents.

La version actuelle du protocole IP est l'IPv4 (version 4). Utilisée depuis 1983 - la date de son adoption par le réseau informatique précurseur Arpanet - l'IPv4 permet aujourd'hui de gérer environ 4,3 milliards d'adresses IP. 189 ( * ) Celles-ci étant limitées en nombre, elles constituent une ressource rare.

La gestion des adresses IP est effectuée à l'échelle mondiale par l' Internet Assigned Numbers Authority (IANA), branche de l' Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) qui attribue des blocs d'adresses aux cinq registres internet régionaux (en Europe, le RIPE-NCC, pour « Réseaux IP Européens - Network Coordination Centre »), qui attribuent à leur tour des sous-blocs aux registres internet locaux (en France, l'Association française pour le nommage internet en coopération, l'AFNIC).

Ce protocole n'est plus adapté à l'usage croissant d'internet, qui engendre une multiplication exponentielle du nombre d'adresses IP.

Afin de répondre à l'épuisement du stock d'adresses IP, l'IPv6 a été défini à la fin des années 1990 dans le cadre de l' Internet Engineering Task Force (IETF). L'IPv6 encode les adresses IP en 128 bits, ce qui donne 2 puissance 128 adresses potentiellement disponibles. Selon l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), cela représente environ 667 millions d'adresses IP pour chaque millimètre carré de surface terrestre.

La date de fin de disponibilité de l'IPv4 est estimée à fin 2021 en Europe. L'ARCEP signale que le prix des adresses IPv4 est déjà en hausse, ce qui érige une barrière à l'entrée significative pour les nouveaux acteurs du marché de l'équipement radioélectrique.

Source : Rapport 2018 de l'ARCEP sur l'état d'internet en France

Par ailleurs, le protocole IPv6 offre de nouvelles fonctionnalités pouvant renforcer la sécurité et optimiser le routage. Il confère plus de liberté aux utilisateurs et aux éditeurs de contenus, en favorisant ainsi l'innovation. Enfin, l'utilisation d'IPv6 pourrait également profiter aux services de sécurité, qui pourraient mieux identifier les cybercriminels, le contournement de la pénurie d'adresses IPv4 s'effectuant aujourd'hui à travers le partage d'une même adresse.

Les deux protocoles IPv4 et IPv6 sont incompatibles entre eux. Une transition entre les deux versions est nécessaire.

Du fait de la complexité du marché et de la technologie, la transition doit être progressive. Elle passera nécessairement par une phase de cohabitation (déjà entamée en 2003), puis par une phrase d'extinction de l'IPv4, lorsque tous les acteurs auront migré vers IPv6.

La transition emporte néanmoins d'importants coûts à court terme pour les entreprises fabricantes des terminaux, alors que les bénéfices du passage à l'IPv6 ne se matérialiseront que d'ici quelques années. Cela explique une certaine réticence des opérateurs économiques de la chaîne technique à s'engager dans cette voie.

L'utilisation d'IPv6 en France reste à ce jour peu élevée, bien qu'en forte progression depuis 2016, comme le montre le graphique ci-dessous 190 ( * ) . Selon l'ARCEP, la France se situe dans la moyenne des pays européens.

Évolution du taux d'utilisation d'IPv6 en France observé par Google

Source : ARCEP, baromètre 2018 de la transition vers IPv6 en France, d'après données Cisco - 6Lab

b) L'introduction d'une obligation de compatibilité en 2016

En juin 2016, l'ARCEP a remis au Gouvernement un rapport sur l'état de déploiement du protocole IPv6 en France. 191 ( * ) En réponse, elle a ensuite mis en place un observatoire de la transition vers l'IPv6 , dont les dernières conclusions ont été publiées le 10 octobre 2018.

De surcroît, depuis 2017, conformément à l'article L. 135 du code des postes et des communications électroniques, dans sa version issue de la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, le rapport annuel d'activité de l'Autorité « dresse l'état de l'internet, en intégrant notamment les problématiques liées à la neutralité de l'internet ainsi qu'à l'utilisation des technologies d'adressage IPv6 ».

L'ARCEP entend également rassembler les acteurs afin de trouver des réponses opérationnelles aux recommandations d'ordre général formulées dans le rapport de juin 2016. C'était l'objet d'un premier atelier organisé le 10 octobre dernier.

Issu d'un amendement adopté en séance publique à l'initiative de Mme Corinne ERHEL, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, l'article 42 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique dispose que, « à compter du 1er janvier 2018, tout nouvel équipement terminal (...) destiné à la vente ou à la location sur le territoire français doit être compatible avec la norme IPV6 ».

Cette disposition au champ large, puisqu'elle couvre tous les équipements terminaux, entrait en vigueur de façon différée, puisqu'elle laissait plus d'un an aux fabricants pour mettre leur production en conformité avec l'IPv6.

III. - Le projet de loi

L'article 12 du présent projet de loi propose d'abroger l'article 42 de la loi pour une République numérique précitée.

Il supprime ainsi l'obligation de conformité avec le protocole IPv6 de tous les équipements terminaux vendus ou loués en France, entrée en vigueur au 1 er janvier 2018.

Le Gouvernement indique avoir consulté l'ARCEP, qui a rendu un avis en date du 25 septembre 2018. L'étude d'impact du Gouvernement justifie la suppression de cette obligation par :

- l'existence d'une sur-transposition de la directive 2014/53/UE ;

- le caractère disproportionné et difficilement applicable de cette obligation.

IV. - La position de la commission

Les motifs avancés par le Gouvernement en faveur de la suppression de l'obligation de conformité avec la norme IPv6 appellent les remarques suivantes de votre rapporteur :

- Disposition contraire à la directive 2014/53/UE

Votre rapporteur souligne que l'obligation qu'il est proposé de supprimer ne constitue pas seulement une sur-transposition, mais est en réalité contraire au droit européen.

En effet, la directive 2014/53/UE étant d'harmonisation maximale, il n'est pas loisible aux États membres d'ajouter de nouvelles exigences de conformité non prévues par la directive.

Comme l'indique le Conseil d'État dans son avis sur le présent projet de loi, cette suppression est « commandée par la nécessité de respecter le droit de l'Union européenne » . 192 ( * ) Il considère en effet que l'exigence introduite dans le droit en vigueur « excède celles résultant de la directive » et méconnaît donc son article 9.

Votre rapporteur relève de surcroît que le champ d'application de la directive, qui concerne les équipements radioélectriques, est plus restreint que celui de l'article 42 de la loi pour une République numérique, qui recouvre l'ensemble des équipements terminaux. 193 ( * )

Votre rapporteur relève que le rapport inter-inspections identifie cette sur-transposition, 194 ( * ) tout comme le rapport d'information présenté en juin 2018 par notre collègue René Danesi 195 ( * ) . Ce dernier remarque notamment que « les industriels français subissent de ce fait une lourde contrainte, en dehors de tout cadre européen, alors même que les équipements concernés ne sont pas développés et fabriqués pour le seul marché français mais au minimum destinés à l'ensemble du marché intérieur ».

- Obligation disproportionnée et difficilement applicable

Le rapport inter-inspections précité fait état de difficultés d'application par les acteurs économiques concernés. Celles-ci tiennent notamment :

- Au champ d'application de l'obligation, jugé très vaste et comprenant, comme le relève l'avis de l'ARCEP, 196 ( * ) des terminaux ne possédant pas d'adresses IP (tels que les objets connectés qui ne communiquent que par bluetooth et ne sont pas reliés à internet).

- À l'absence de période transitoire appropriée, « indispensable pour le renouvellement d'une gamme de produits qui peut prendre de 18 à 24 mois » 197 ( * ) , qui imposerait aux entreprises de production d'abandonner leur stock d'équipements non conformes et d'engager très rapidement des investissements conséquents.

De surcroît, comme le relève l'étude d'impact, cette mesure ne semble actuellement pas appliquée, au vu de sa difficile mise en oeuvre et en l'absence de contrôles. Aucun mécanisme de contrôle de la conformité ou de sanction n'a été mis en place par la loi pour une République numérique précitée.

Selon les informations recueillies par votre rapporteur, la disposition en vigueur n'a pas été notifiée à la Commission européenne , contrairement aux exigences de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information.

Or, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne précise que l'adoption d'un texte sans notification préalable peut être déclarée inopposable aux particuliers par une juridiction nationale .198 ( * ) .

Par ailleurs votre rapporteur note que, lors de l'examen en commission de la loi pour une République numérique précitée, le Sénat avait supprimé l'obligation de conformité au protocole IPv6 adoptée par les députés, par la suite inscrite à l'article 42 de ladite loi. Le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques avançait deux principaux arguments :

- D'abord, qu'il n'est « pas du ressort de la loi que de normer le protocole utilisé par les équipements connectables internet, mais du pouvoir règlementaire, s'agissant de considérations très techniques » ;

- D'autre part, qu'» une telle mesure ferait peser des contraintes trop lourdes sur nos industriels et interviendrait en-dehors de tout cadre européen ».

Votre rapporteur invite toutefois le Gouvernement et l'ARCEP à poursuivre leurs travaux pour encourager une transition rapide vers l'IPv6, sous peine de créer un désavantage compétitif à long-terme pour l'industrie française des équipementiers radioélectrique.

C'est, du reste, ce que rappelle l'ARCEP dans son avis sur le projet de loi, faisant état de ce que « certains acteurs n'envisagent toujours pas un déploiement qui permettrait d'avoir terminé la migration à moyen terme » . L'Autorité appelle ainsi le Gouvernement à « mettre rapidement en place des mesures additionnelles » , telles que « la mise en place de calendriers de déploiement opposables aux opérateurs » , « idéalement au niveau européen » .

Votre rapporteur a interrogé la Direction générale des entreprises (DGE) sur les raisons justifiant la suppression de cette obligation. Il a également consulté la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC), la Fédération des entreprises internationales de la mécanique et de l'électronique (FICIME), ainsi que la Fédération française des télécoms (FFT) au sujet de la présente mesure. Leurs adhérents, qu'ils soient opérateurs et fabricants, sont tous favorables à la suppression de cette obligation démesurée et inapplicable. Certains ont d'ailleurs indiqué avoir sollicité le Gouvernement de nombreuses fois à ce sujet, sans avoir reçu de réponse jusqu'à aujourd'hui.

Votre commission a adopté l'article 13 sans modification.


* 177 Directive 97/51/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 octobre 1997, modifiant les directives 90/387/CEE et 92/44/CEE en vue de les adapter à un environnement concurrentiel dans le secteur des télécommunications.

* 178 Article 3, directive 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l'autorisation de réseaux et de services de communications électroniques.

* 179 Le formulaire de déclaration préalable est consultable sur le site internet de l'ARCEP.

* 180 Tels que le service d'appels en ligne Skype ou la messagerie en ligne Whatsapp .

* 181 Communiqué de presse de l'ARCEP du 12 mars 2013.

* 182 Avis n° 2018-1163 de l'ARCEP.

* 183 La liste des opérateurs déclarés est consultable parmi les ressources en ligne de l'ARCEP.

* 184 Montant hors taxe sur la valeur ajoutée.

* 185 Le projet de loi de finances initiale pour 2019 supprime toute affectation à France Télévisions des ressources issues de cette taxe.

* 186 Au 5° de l'article L. 32 du code des postes et des communications électroniques. Ces services ne sont, en droit positif, pas soumis à déclaration (voir l'article L. 33-1, I, alinéa 2 du même code).

* 187 Avis consultatif du Conseil d'État sur le projet de loi relatif à la suppression des surtranspositions des directives européennes en droit français, 4 octobre 2018.

* 188 Rapport inter-inspections « Inventaire des sur-transpositions de directives européennes » (rapport conjoint IGAS-IGA-CGEDD-IGF-CGE-CGAAER), remis en avril 2018.

* 189 Les adresses IPv4 sont codées sur 32 bits. En conséquence, 2 32 , soit 4 294 967 296 adresses peuvent, en théorie, être attribuées simultanément.

* 190 Ce graphique donne une idée de la pénétration pour l'ensemble des acteurs. L'observatoire de l'ARCEP, consultable en ligne, détaille plus précisément la progression de l'IPv6 au sein de chaque maillon de la chaîne technique.

* 191 Rapport de l'ARCEP au Gouvernement sur l'état de déploiement du protocole IPv6 en France, présenté en juin 2016.

* 192 Avis consultatif du Conseil d'État sur le projet de loi relatif à la suppression des surtranspositions des directives européennes en droit français, 4 octobre 2018.

* 193 La plupart des terminaux qui disposent d'un système d'exploitation leur permettant d'accéder à internet sont des équipements radioélectriques au sens de la directive « RED ». Les cas dans lesquels le constructeur du terminal a exclu toute utilisation d'une fréquence radioélectrique est de plus en plus rare. Il s'agit des équipements filaires dont il est prévu qu'ils n'utiliseront jamais le wi-fi, comme les routeurs, les téléviseurs, les téléphones fixes...

* 194 Rapport inter-inspections « Inventaire des sur-transpositions de directives européennes » (rapport conjoint IGAS-IGA-CGEDD-IGF-CGE-CGAAER), remis en avril 2018.

* 195 Rapport d'information du Sénat n°614 du 28 juin 2018, « La surtransposition du droit européen en droit français : un frein pour la compétitivité des entreprises », présenté par M. René Danesi.

* 196 Avis n° 2018-1163 de l'ARCEP en date du 25 septembre 2018 sur les dispositions relatives aux communications électroniques du projet de loi portant suppression des surtranspositions des directives européennes en droit français

* 197 Cette analyse du rapport inter-inspections ne rejoint pas le rapport de l'ARCEP publié en juin 2016, qui affirmait que la quasi-totalité des terminaux étaient déjà compatibles IPv6.

* 198 CJCE, 30 avril 1996, CIA security et 26 septembre 2000, Unilever. Ces arrêts portent sur la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information, qui a été remplacée par la directive 2015/1535.

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