B. CLARIFIER LES RÈGLES D'INÉLIGIBILITÉ

1. Les différents régimes d'inéligibilité

L'inéligibilité d'un citoyen aux élections peut être prononcée pour six motifs , mentionnés dans le tableau ci-après.

Motifs d'inéligibilité

Motif

Base juridique

Juge compétent

Durée

Articles de la PPL et de la PPLO

Crimes et délits d'une particulière gravité

(peine complémentaire d'interdiction des droits civiques)

Art. 131-26 à 131-26-2 du code pénal

Juge pénal

Jusqu'à 5 ans pour les délits et 10 ans pour les crimes

-

Refus d'exercer des fonctions confiées par la loi

Art. L. 204 et L. 235 du code électoral

Juge de l'élection

Jusqu'à un an

-

Manquement aux obligations déclaratives auprès de la HATVP

Art. L.O. 128 et L.O. 136-2 du code électoral

Juge de l'élection

Jusqu'à un an

-

Manquement aux règles des campagnes électorales

Art. L. 118-3 et L.O. 136-1 du code électoral

Juge de l'élection

Jusqu'à trois ans

Art. 2 de la PPL et art. 1 er de la PPLO

Manoeuvres frauduleuses portant atteinte à la sincérité du scrutin

Art. L. 118-4 et L.O. 136-3 du code électoral

Juge de l'élection

Jusqu'à trois ans

Art. 3 de la PPL et art. 2 de la PPLO

Manquement aux obligations fiscales

(uniquement pour les parlementaires)

Art. L.O. 136-4 du code électoral

Juge de l'élection

Jusqu'à trois ans

Nouvel article 2 bis de la PPLO

Source : commission des lois du Sénat

Le Conseil constitutionnel encadre strictement les sanctions d'inéligibilité . En effet, le législateur « ne saurait priver un citoyen du droit d'éligibilité dont il jouit en vertu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que dans la mesure nécessaire au respect du principe d'égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l'électeur » 20 ( * ) .

2. La clarification de l'office du juge

L'article 2 de la proposition de loi et l 'article 1 er de la proposition de loi organique tendent à clarifier l'office du juge de l'élection lorsqu'il prononce l'inéligibilité d'un candidat pour manquement aux règles de financement des campagnes électorales .

En l'état du droit, les articles L. 118-3 et L.O. 136-1 du code électoral distinguent trois hypothèses d'inéligibilité , l'office du juge variant d'une hypothèse à l'autre.

Inéligibilité pour manquement aux règles de financement des campagnes électorales :
les trois hypothèses prévues par le code électoral

Le juge de l'élection « peut » déclarer inéligible un candidat qui a dépassé le plafond des dépenses électorales .

Il dispose de la même faculté lorsque le candidat n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et les délais impartis.

Enfin, le juge a l'obligation de prononcer l'inéligibilité d'un candidat « dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales » (« excuse de bonne foi »).

En pratique, le juge électoral exerce toujours le même office : « l'inéligibilité est toujours facultative et [il] ne la prononce que lorsqu'il estime que l'irrégularité constatée présente un degré de gravité suffisant » 21 ( * ) .

Pour plus de lisibilité, les textes soumis à votre commission tendent à mettre en accord le code électoral et la jurisprudence : le juge aurait la faculté de prononcer l'inéligibilité d'un candidat « en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales », quel que soit le manquement constaté (dépassement du plafond des dépenses, absence de compte de campagne, etc .).

En cohérence avec la jurisprudence, « une simple erreur matérielle, sans volonté de fraude, ne doit pas entraîner qu'un candidat soit déclaré inéligible » 22 ( * ) .

3. La modification du « point de départ » de l'inéligibilité

En l'état du droit, l'inéligibilité pour manquement aux règles de financement des campagnes électorales s'applique à compter de la décision définitive du juge de l'élection .

Elle concerne donc les élections postérieures à la décision du juge ; elle n'a pas d'effet sur les mandats acquis antérieurement .

Dans ses observations sur les élections législatives de 2017, le Conseil constitutionnel s'est interrogé sur ce « point de départ » de l'inéligibilité. Pour une irrégularité équivalente, l'effet de la sanction varie d'un candidat à l'autre, en fonction du délai d'instruction de l'affaire.

L'effet variable des sanctions d'inéligibilité

Dans l'exemple des élections législatives des 11 et 18 juin 2017 :

- le 13 avril 2018 , le Conseil constitutionnel a prononcé l'inéligible d'un candidat pour une durée de trois ans 23 ( * ) . Ce dernier a donc l'interdiction de se présenter à une élection jusqu'au 14 avril 2021 ;

- le 27 septembre 2018 , un autre candidat a été déclaré inéligible pour une même durée de trois ans 24 ( * ) . Il reste donc inéligible jusqu'au 27 septembre 2021 , soit six mois de plus que le premier candidat.

Ces décalages calendaires sont encore plus marqués pour les élections municipales et départementales , pour lesquelles les décisions du tribunal administratif, juge de l'élection, sont susceptibles d'appel devant le Conseil d'État 25 ( * ) .

Reprenant une préconisation du Conseil constitutionnel, la proposition de loi et la proposition de loi organique tendent à faire « démarrer » l'inéligibilité à la date du premier tour de scrutin, non à la date de la décision du juge de l'élection (article 2 de la PPL et article 1 er de la PPLO) .

Pour rependre l'exemple précédent, l'inéligibilité des candidats aux dernières élections législatives aurait pris effet au 11 juin 2017, date du premier tour.

Par cohérence, l'article 3 de la proposition de loi et l'article 2 de la proposition de loi organique procèderaient au même ajustement en ce qui concerne l'inéligibilité pour fraude électorale, également prononcée pour une durée de trois ans.

Renforçant l'équité entre les candidats, cette solution présente toutefois deux inconvénients :

- dotée d'un effet rétroactif , elle remettrait en cause les mandats acquis entre le premier tour de scrutin, d'une part, et la décision du juge électoral, d'autre part ;

- elle pourrait permettre à un candidat déclaré inéligible de se présenter plus rapidement à un nouveau scrutin.

Sur proposition de son rapporteur, votre commission a privilégié un dispositif alternatif mais poursuivant le même objectif d'équité entre les candidats .

L'inéligibilité prendrait effet, comme aujourd'hui, à compter de la décision du juge de l'élection, afin d'éviter tout effet rétroactif sur les mandats en cours.

Le juge de l'élection devrait toutefois veiller à assurer une certaine équité entre les candidats . Il serait invité à moduler la durée des inéligibilités prononcées afin que les candidats ayant commis des irrégularités comparables soient déclarés inéligibles pour les mêmes échéances électorales.

« Point de départ » de l'inéligibilité : la solution retenue par votre commission

À titre d'exemple, un premier candidat aux élections municipales de 2020 est déclaré inéligible le 1 er mars 2021 , pour une durée de trois ans.

Il pourra donc se présenter aux élections européennes de mai 2024.

Un second candidat a commis une irrégularité comparable. L'instruction de son dossier prenant plus de temps, le juge de l'élection le déclare inéligible le 1 er juillet 2021 . En l'état du droit, ce candidat ne pourrait pas participer aux élections européennes.

Par cohérence avec l'inéligibilité prononcée contre le premier candidat, le juge électoral serait invité à moduler l'inéligibilité du second candidat en prononçant une peine d'inéligibilité de deux ans et neuf mois, non de trois ans.

L'équité entre les deux candidats serait donc assurée, les deux étant autorisés à se présenter aux élections européennes de 2024 .

Enfin, votre commission a clarifié l'inéligibilité prononcée contre les parlementaires pour manquement à leurs obligations fiscales (article 7 de la PPL et article 2 bis de la PPLO) .

Elle a ainsi confirmé que :

- les parlementaires concernés avaient l'interdiction, pendant la durée de leur inéligibilité, de se présenter à d'autres scrutins ;

- cette inéligibilité ne remettait pas en cause les mandats acquis antérieurement à la date de la décision du juge.


* 20 Conseil constitutionnel, 12 avril 2011, Loi organique relative à l'élection des députés et des sénateurs , décision n° 2011-628 DC du 12 avril 2011.

* 21 Conseil constitutionnel, décision n° 2019-28 ELEC précitée. Voir le commentaire de l'article 2 de la proposition de loi pour des exemples concrets de jurisprudence.

* 22 Source : exposé des motifs de la proposition de loi.

* 23 Conseil constitutionnel, 13 avril 2018, Élections législatives dans la neuvième circonscription de la Loire-Atlantique , décision n° 2017-5336 AN.

* 24 Conseil constitutionnel, 27 septembre 2018, Élections législatives dans la première circonscription des Alpes-de-Haute-Provence , décision n° 2017-5391 AN.

* 25 Alors que, pour les élections législatives et sénatoriales, la décision du Conseil constitutionnel, juge de l'élection, n'est pas susceptible d'appel.

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