II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une baisse des crédits consommés par les opérateurs de santé en trompe-l'oeil

Le programme 204 enregistre une baisse relative des crédits de paiement consommés en 2018 par rapport à 2017 (- 2,3 %, cf. tableau supra ), principalement en raison de mesures de périmètre. La baisse de la consommation de crédits de paiement observée au sein de du programme 204 est, en effet, en large partie imputable à la diminution de ceux exécutés au titre des subventions pour charges de service public aux opérateurs de santé qui passent de 329,6 millions d'euros en 2017 à 324 millions d'euros en 2018. La loi de finances pour 2018 a constitué, à ce titre, la dernière étape en matière de rationalisation de la participation de l'État au financement des opérateurs de santé. Elle prévoit ainsi la suppression du financement de l'École des hautes études en santé publique (7,4 millions d'euros consommés en 2017) et de l'Agence de la biomédecine - ABM (cofinancement à hauteur de 13 milliards d'euros en 2017). Les parts de financement par l'État de ces deux organismes ont été transférées à l'assurance-maladie en 2018.

Le programme 204 ne finance plus désormais que quatre opérateurs de l'État dédiés à la prévention et à la sécurité sanitaire, contre dix en 2015. Reste que ce recentrage tarde à produire ses effets en termes de coûts puisque les crédits consommés ont augmenté pour chacun des quatre opérateurs. À périmètre constant, les crédits consommés par les opérateurs de santé ont ainsi augmenté de 4,8 % entre 2017 et 2018.

Votre rapporteur spécial relève ainsi que les gains d'efficience attendus du regroupement de trois opérateurs au sein de l'Agence nationale de Santé publique (ANSP) ne sont pas encore avérés puisque les crédits de paiement consommés ont progressé de près de 5 % entre 2017 et 2018. Si une baisse des dépenses de fonctionnement est bien observée (4,2 millions d'euros), la réduction des effectifs apparaît moins conséquente qu'initialement attendue, une augmentation des dépenses de personnel étant même observée (+ 1,2 million d'euros).

L'augmentation des crédits consommés par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et de l'Institut national du cancer (INCa) peut s'inscrire, quant à elle, dans le contexte de l'élargissement de leurs missions prévu par la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016. Votre rapporteur note, cependant, qu'en dépit des réductions de personnels observées en 2018, les masses salariales de l'ANSM et de l'INCa continuent d'augmenter :

- 80,7 millions d'euros pour 947 équivalents temps plein - ETP en 2018 contre 79,8 millions d'euros pour 953 EPT en 2017 à l'ASMN ;

- 13,6 millions d'euros pour 139,4 ETP en 2018 contre 11,8 millions d'euros pour 149 ETP en 2017 pour l'INCa.

Votre rapporteur spécial rappelle que les opérateurs de santé représentent un gisement d'économies que le pilotage resserré de la mission et de son périmètre n'ont pas permis, à ce jour, de mobiliser. Il apparaît ainsi indispensable que soit approfondie la mutualisation de leurs moyens. L'ANSP et l'INCa ont poursuivi dans cette voie, via la signature d'une convention permettant le groupement de commandes relatives à la conception, l'organisation et la réalisation de divers événements (colloques, séminaires, journées scientifiques etc.). Une convention de groupement de commandes inter-agences pour les achats informatiques a également été adoptée.

Subventions pour charges de service public versées aux opérateurs

(en millions d'euros)

Opérateur

Exécution 2016

Exécution 2017

LFI 2018

Exécution 2018

Écart crédits consommés/ alloués en LFI

Écart 2018/2017

Agence de biomédecine (ABM)

13

12,9

Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)

111,8

109,8

118,1

116,6

-1,3 %

+ 6,2 %

Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Ansés)

12,7

13,3

14,2

14,2

+ 0,6 %

+ 7,1 %

École des hautes études en santé publique (EHESP)

7,1

7,4

Institut national du cancer (INCa)

31,4

41,1

42,4

41,2

- 2,6 %

+ 0,7 %

Agence nationale de santé publique (ANSP)

82,9

145,1

151,3

151,9

+ 0,4 %

+ 4,7 %

Total

258,9

329,6

325,9

324

- 0,6%

- 1,7%

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données des projet et rapport annuels de performances de la mission « Santé » pour 2018)

2. Un écart manifeste entre la loi de finances et l'exécution : les cas de l'indemnisation de la Dépakine et de l'Agence de santé de Wallis et Futuna.

Plusieurs actions du programme 204 semblent avoir fait l'objet d'une surévaluation ou, au contraire, d'une minoration excessive au moment de l'élaboration du projet de loi de finances. La loi de finances pour 2018 ne prévoyait pas, ainsi, les frais de jury de certification des diplômes sanitaires, pourtant pris en charges au sein de l'action 19 du programme 204 depuis 2015. Ces frais ont conduit à une dépense de fonctionnement de l'ordre de 2,47 millions d'euros en 2018.

Le cas de l'indemnisation des victimes de la Dépakine est, par ailleurs, particulièrement éclairant quant à l'absence de fiabilité de certaines prévisions budgétaires.

Votre rapporteur relève ainsi que la loi de finances pour 2018 prévoyait au sein de l'action 11 « Pilotage de la santé publique » un montant de 92 millions d'euros, affecté aux dépenses d'intervention. Les crédits effectivement consommés se sont élevés à 26,2 millions d'euros. La loi de finances pour 2018 prévoyait une dotation de 81,4 millions d'euros affectée à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) qui assure, pour le compte de l'État, l'indemnisation des victimes d'accidents médicaux. 3,7 millions d'euros devaient être dédiés à l'indemnisation des victimes d'accidents vaccinaux survenus depuis le 1 er janvier 2006. 77,7 millions d'euros devaient abonder le dispositif d'indemnisation de victimes de valproate de sodium et ses dérivés (Dépakine). L'annexe budgétaire transmise au Parlement justifiait cette somme au regard du nombre potentiel de dossiers, de la ventilation des dommages par pathologies et par gravité et des frais de fonctionnement du dispositif. Rappelons que la loi de finances pour 2017 avait inscrit 9,2 millions d'euros pour les victimes de la Dépakine. 500 000 euros ont été réellement consommés en raison du temps d'instruction nécessaire à chacun des dossiers et du retard pris dans l'installation du comité d'experts, institué par un décret publié seulement en mai 2017. En 2018, seuls 15,3 millions d'euros ont été dédiés à cette indemnisation et 4,90 millions d'euros aux victimes d'accidents médicaux. On peut dès lors s'interroger sur les éléments dont disposait le ministère de la santé pour évaluer le nombre de dossiers.

Le montant de l'indemnisation, entièrement prise en charge par l'État, est estimé à 424,2 millions d'euros sur six ans, soit en moyenne 77,7 millions d'euros par an, chiffre retenu par la loi de finances pour 2018. La direction générale de la santé avait indiqué à la Cour des comptes en 2016 que cette estimation constituait une « fourchette basse », réalisée sur des hypothèses de nombre de bénéficiaires remplissant les critères d'indemnisation. Le coût en année pleine de l'indemnisation des victimes de la Dépakine a été estimé sur la base d'un effectif de 10 290 bénéficiaires remplissant les critères d'indemnisation, sur un total de 30 000 à 40 000 demandes.

Reste que cette estimation est intervenue bien avant que ne soit présentée la première étude scientifique sur le nombre de victimes. Le rapport de l'ANSM n'a en effet été publié qu'en juin 2018. Il évalue le nombre d'enfants touchés entre 16 600 et 30 400. Jusqu'alors, l'ANSM n'avait communiqué que sur les malformations congénitales graves provoquées par la Dépakine et ses dérivés, en évaluant entre 2 150 et 4 100 le nombre d'enfants victimes. Ces chiffres de malformations et ceux des troubles mentaux et du comportement ne peuvent cependant pas être additionnés, car certains enfants peuvent cumuler plusieurs handicaps.

Si l'on ne peut reprocher au Gouvernement d'anticiper un éventuel aléa à venir pour les finances publiques, une approche plus rationnelle du sujet aurait pu être adoptée lors de l'élaboration de la loi de finances, compte-tenu, notamment, des retards déjà enregistrés dans ce dossier courant 2017.

Sur les 77,7 millions d'euros prévus pour l'indemnisation des victimes de la Dépakine, 12,4 millions ont finalement été utilisés pour financer des mouvements internes au programme 2004, en particulier pour financer les dépenses de l'Agence de santé de Wallis et Futuna. La question de la sous-budgétisation est posée concernant cette agence, dont le financement, faute de ressources propres, repose exclusivement sur l'État. 40,25 millions d'euros en crédits de paiement ont été consommés en 2018 alors que les crédits ouverts en loi de finances initiale s'élevaient à 32,45 millions d'euros. Votre rapporteur spécial rappelle que les dépenses de cette agence ne cessent de croître depuis 2013 , les dépenses de fonctionnement étaient alors établies à 27,5 millions d'euros. La principale difficulté de l'Agence tient au coût des évacuations sanitaires (EVASAN) vers la Nouvelle Calédonie ou les établissements métropolitains voire australiens, qui reste, de l'avis du Gouvernement, difficilement maîtrisable. Votre rapporteur s'interroge néanmoins sur la dotation initiale prévue en loi de finances quasi équivalente à celle de 2017 - 31,8 millions d'euros - alors même qu'un écart avait déjà été constaté lors des exercices précédents. Dans ses notes d'analyse de l'exécution budgétaire 2016 et 2017, la Cour des comptes avait pourtant recommandé à l'État de mieux déterminer la dotation destinée à cette agence afin de couvrir ses dépenses et éviter un recours à l'endettement. La dette cumulée de l'Agence atteignait en effet 21,57 millions d'euros fin 2014 avant d'être apurée via un prêt à taux bonifié accordé en 2015. La sincérité de la programmation de dépenses et la soutenabilité du programme 204 sont, en tout état de cause, remis en question par de tels écarts répétés.

3. Les indicateurs : entre crise de performance et manque de pertinence

L'analyse détaillée de l'exécution du programme 204 n'est pas sans générer une certaine inquiétude sur l'efficacité de la dépense publique en matière de prévention. Deux des trois indicateurs de l'objectif n° 1 assignés à la mission « Améliorer l'état de santé de santé de la population et réduire les inégalités territoriales et sociales de santé » ne sont ainsi pas atteints (dépistage du cancer colorectal) ou marquent un retard au regard de la cible définie par l'Organisation mondiale de la Santé - OMS (couverture vaccinale contre la grippe chez les personnes de 5 ans ou plus).

Les prévisions en matière de dépistage n'ont, en effet, pas été atteintes en 2018 , avec seulement 51 % de personnes de 65 ans et plus vaccinées contre la grippe alors que l'OMS table sur un objectif de 75 %. S'agissant de détection du cancer colorectal pour les personnes de 50 à 74 ans, où le taux de participation s'élève à 32,1 %, le Gouvernement ayant initialement prévu un taux de 42,8 % pour 2018 et un objectif de 50 % à horizon 2020.

Plus largement, il convient de s'interroger sur l'indicateur « état de santé perçue » introduit par le projet annuel de performances 2016. Il correspond au pourcentage de la population de 16 ans et plus se déclarant en bonne ou en très bonne santé générale. Aucune cible n'a cependant été indiquée pour 2018. Il est dès lors très difficile d'apprécier sa pertinence. Il en va de même sur celui concernant l'espérance de vie, stable en 2016 et 2017 mais non renseigné en 2018. Votre rapporteur s'interroge sur l'intérêt de suivre un tel indicateur dont les variations à court terme apparaissent imperceptibles.

L'indicateur relatif au délai de traitement des autorisations de mises sur le marché (AMM) nationales n'est pas assorti de chiffres, un processus optimisé devant être opérationnel en septembre 2019. Dans ces conditions, il apparaît très difficile d'apprécier l'utilité de l'indicateur et l'efficacité de la stratégie mise en oeuvre.

4. L'aide médicale d'État (AME) une nouvelle fois sous-budgétée

En 2018, 903,3 millions d'euros de crédits de paiement ont été consommés au titre de l'Aide médicale d'État (AME), soit une augmentation de 98,9 millions d'euros par rapport aux crédits consommés en 2017 (+ 12,3 %).

La loi de finances pour 2018 avait bien anticipé une majoration des dépenses mais celle-ci s'est avérée une nouvelle fois insuffisante. Un décret de virement du 23 novembre 2018 et la loi de finances rectificative pour 2018 ont permis de combler cet écart. Le décret vise un virement de 9,7 millions d'euros à partir du programme 204.

Cela étant, contrairement à 2017, le recours au virement et à l'ouverture de crédits a évité d'augmenter la dette de l'État vis-à-vis de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM).

Celle-ci avance en effet le remboursement des dépenses des bénéficiaires de l'AME. La dette de l'État vis-à-vis de la CNAM, établie à 49,8 millions d'euros fin 2017, a même diminué pour revenir à 35,3 millions d'euros fin 2018. À cette dette s'ajoute celle résultant de l'écart entre la dotation forfaitaire de 40 millions d'euros au titre des soins urgents de l'AME et les dépenses effectivement prises en charge par l'assurance maladie (47,4 millions d'euros en 2017).

Le remboursement de la dette permet, toutefois, au Gouvernement d'afficher une réalisation des dépenses d'AME en 2018 inférieure de 14,5 millions d'euros aux prévisions.

Crédits consommés au titre de l'AME

(en millions d'euros)

2017

2018

Évolution 2018/2017

AME

AME de droit commun

763

862

+ 12,9 %

Soins urgents

40

40

-

Autres

0,99

1,3

+ 31,3%

Total

804,3

903,3

+ 12,3 %

Source : commission des finances du Sénat

Votre rapporteur spécial estime cependant que cet effort de maîtrise reste en large partie cosmétique, si l'on compare les montants dépensés de l'exécution 2018 à ceux de 2017 et si l'on prend en compte un certain nombre d'indicateurs. L'effectif moyen de bénéficiaires a augmenté de 0,5 % pour atteindre 314 447 personnes. Dans le même temps, le coût moyen par bénéficiaire a progressé de 5,1 % entre 2017 et 2018, passant de 641 à 674 euros. Cette majoration est principalement imputable aux dépenses hospitalières : + 7 % en 2018 contre + 1,9 % en 2017 et + 3 % en 2016.

L'exécution du budget 2019 devait constituer un véritable test pour la maîtrise de la dépense, compte-tenu de l'importante majoration des crédits enregistrée dans la loi de finances. Un montant de 934,9 millions d'euros a ainsi été prévu. L'effet d'annonce - + 53,1 millions d'euros par rapport à la loi de finances pour 2018 - est cependant déjà fragilisé par l'exécution 2018. L'écart entre les crédits consommés en 2018 et ceux prévus par la loi de finances 2019 n'est plus que de 31 millions d'euros, soit à peine un tiers de plus que l'écart constaté entre les montants prévus par la loi de finances pour 2018 et ceux constatés en fin d'exercice. De fait, comme le relevait la Cour des comptes dans sa note de 2017, en l'absence de mesure structurelle, tout effort en la matière paraît condamné. L'augmentation des contrôles, 10,8 % des dossiers contrôlés en 2018 contre 10 % en 2017, peut apparaître encore trop faible. Le rapport annuel de performance table désormais sur un objectif de 12 % à l'horizon 2020, facilité par la centralisation attendue cette année de l'instruction des demandes d'AME au sein des caisses d'assurance maladie de Paris, Bobigny et Marseille.

Les réponses au questionnaire budgétaire adressé par votre rapporteur au moment de l'examen de la loi de finances pour 2019 traduisent cependant un certain fatalisme quant à la maîtrise des dépenses, la direction de la sécurité sociale indiquant que « les effets des flux migratoires sur l'AME sont incertains ... ».

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