N° 30

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 octobre 2019

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) sur la proposition de résolution tendant à créer une commission d' enquête afin d'évaluer l' intervention des services de l' État dans la gestion des conséquences environnementales , sanitaires et économiques de l' incendie de l' usine Lubrizol à Rouen, de recueillir des éléments d'information sur les conditions dans lesquelles les services de l'État contrôlent l'application des règles applicables aux installations classées et prennent en charge les accidents qui y surviennent ainsi que leurs conséquences et afin de tirer les enseignements sur la prévention des risques technologiques ,

Par M. Hervé MAUREY,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Hervé Maurey , président ; M. Claude Bérit-Débat, Mme Pascale Bories, MM. Patrick Chaize, Ronan Dantec, Alain Fouché, Guillaume Gontard, Didier Mandelli, Frédéric Marchand, Mme Nelly Tocqueville, M. Michel Vaspart , vice-présidents ; Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Jean-François Longeot, Cyril Pellevat , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Jérôme Bignon, Joël Bigot, Jean-Marc Boyer, Mme Françoise Cartron, MM. Guillaume Chevrollier, Jean-Pierre Corbisez, Michel Dagbert, Michel Dennemont, Mme Martine Filleul, MM. Hervé Gillé, Jordi Ginesta, Éric Gold, Mme Christine Herzog, MM. Jean-Michel Houllegatte, Benoît Huré, Olivier Jacquin, Mme Christine Lanfranchi Dorgal, MM. Olivier Léonhardt, Jean-Claude Luche, Pascal Martin, Pierre Médevielle, Louis-Jean de Nicolaÿ, Jean-Jacques Panunzi, Philippe Pemezec, Mme Évelyne Perrot, M. Rémy Pointereau, Mme Angèle Préville, MM. Jean-Paul Prince, Christophe Priou, Mmes Françoise Ramond, Esther Sittler, Nadia Sollogoub, Michèle Vullien .

Voir les numéros :

Sénat :

20 et 31 (2019-2020)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

À la suite de l'incendie de l'usine Lubrizol, survenu dans la nuit du 25 au 26 septembre 2019, une proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête a été déposée le 4 octobre par l'ensemble des présidents de groupe et des présidents de commission.

En application du premier alinéa de l'article 8 ter du Règlement du Sénat, cette proposition a été inscrite à l'ordre du jour du Sénat le jeudi 10 octobre et envoyée pour examen au fond à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Au cours de sa réunion du mardi 8 octobre, la commission a examiné la résolution et l'a adoptée sans modification, sur le rapport de M. Hervé Maurey, président et rapporteur.

Sa recevabilité juridique au regard de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 1 ( * ) sera examinée, en application du troisième alinéa de l'article 8 ter du Règlement du Sénat, par la commission des lois 2 ( * ) à l'occasion de sa réunion du mercredi 9 octobre.

Cette proposition de résolution vise à « évaluer l'intervention des services de l'État dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen , [...] recueillir des éléments d'information sur les conditions dans lesquelles les services de l'État contrôlent l'application des règles applicables aux installations classées et prennent en charge les accidents qui y surviennent ainsi que leurs conséquences et [..] tirer les enseignements sur la prévention des risques technologiques ».

Elle a donc deux objectifs principaux :

- d'une part examiner la gestion par les services de l'État des conséquences de cette catastrophe - qu'elles soient de nature environnementale, sanitaire ou économique. En réponse aux différentes lacunes identifiées en matière de transmission de l'information, il est indispensable de se poser la question de la manière dont ces accidents sont pris en charge par les services de l'État, pour en tirer des leçons pour l'avenir ;

- d'autre part, faire la lumière sur les conditions dans lesquelles les services de l'État ont été en capacité (ou en incapacité) de contrôler l'application des règles relatives aux installations classées , ce qui sera l'occasion d'évaluer le cadre juridique existant et de renforcer la prévention de tels risques .

I. LA GESTION PAR LES SERVICES DE L'ÉTAT DES CONSÉQUENCES DE L'ACCIDENT

Un incendie s'est déclaré dans la nuit du 25 au 26 septembre dans l'enceinte de l'usine Lubrizol, située à proximité du centre-ville de Rouen. En raison de la nature des substances stockées sur le site - l'usine produit des additifs pour les lubrifiants industriels et pour l'essence et le carburant diesel - l'incendie a provoqué un épais panache de fumée noire qui a par la suite causé d'importantes retombées de suie. Grâce à l'intervention des sapeurs-pompiers et des forces de l'ordre, le feu a finalement pu être maîtrisé dans la journée du 26 septembre.

Cet accident a plongé les habitants dans un profond désarroi, d'autant plus important que les communications successives du Gouvernement et des services de l'État ont pu donner le sentiment d'une information confuse et peu transparente.

La présente proposition de résolution vise à créer une commission d'enquête pour faire toute la lumière sur les modalités d'intervention des services de l'État dans la gestion des conséquences de cet accident.

Ces conséquences sont de plusieurs ordres :

- il s'agit d'abord de dégâts environnementaux : les fumées ainsi que les retombées de suie ont sans doute pollué l'air, les sols et l'eau ;

- il s'agit également de dégâts sanitaires puisqu'il est question de l'incendie de plus de 5 000 tonnes de produits chimiques . D'une part, certaines sources rapportent que plusieurs des sapeurs-pompiers, policiers et gendarmes intervenus sur les lieux n'auraient pas disposé d'équipements de protection suffisants , d'autre part, de nombreux habitants se sont plaints de maux de tête, ou encore de difficultés respiratoires après avoir respiré les fumées ;

- les conséquences sont enfin économiques pour le territoire et ses nombreuses activités, au premier rang desquelles l'agriculture.

Pour autant, et malgré les inquiétudes et la colère légitimes qu'ont exprimées des habitants de la région, les informations qui ont été diffusées par le Gouvernement et les différents services de l'État ont semé la confusion chez nos concitoyens.

Le Premier ministre a indiqué que les odeurs étaient « gênantes » mais « pas nocives », précisant par ailleurs que les premières analyses de la qualité de l'air n'avaient pas mesuré de « toxicité aiguë de l'air » alors même que la ministre de la santé annonçait quelques jours plus tard que personne ne savait « ce que donnent ces produits mélangés quand ils brûlent » et que la liste des produits stockés dans l'usine n'avait pas encore été publiée. Dans le même temps, le préfet a pris des mesures conservatoires sur les productions agricoles environnantes et l'Agence régionale de santé de Normandie invitait quant à elle à éviter tout contact avec les suies.

Ces communications peu coordonnées, parfois contradictoires , loin de rassurer les populations, ont conduit à accroître la suspicion quant à la véracité et à la crédibilité des informations communiquées par les services de l'État. Plusieurs milliers de personnes ont ainsi manifesté dans la ville de Rouen (et notamment devant la préfecture), pour réclamer « la vérité sur l'incendie ». De nombreuses fausses informations ont en outre été diffusées sur les réseaux sociaux.

Et, si le Gouvernement ainsi que la préfecture ont prôné la transparence - le Premier ministre a d'ailleurs évoqué devant le Sénat « l'engagement absolu du Gouvernement à la transparence » - force est de constater que la communication autour de l'incident et de ses conséquences a été chaotique .

Concernant les fermetures d'écoles par exemple, l'information des directeurs a été clairement défaillante : plusieurs d'entre eux, mais aussi de nombreux élèves se sont présentés dans leurs établissements respectifs sans avoir été informés de leur fermeture. Quelques jours plus tard, la réouverture des écoles après leur nettoyage n'a pas mis fin aux inquiétudes des familles et des enseignants. Plusieurs ont d'ailleurs décidé d'exercer leur droit de retrait, estimant que les conditions sanitaires n'étaient pas réunies pour accueillir les élèves.

L'information des élus a elle aussi été lacunaire . Plusieurs maires des communes proches de l'accident en ont été informés tardivement par les services de l'État. Certains d'entre eux ont eu connaissance des faits par les informations ou les réseaux sociaux avant d'être contactés par la préfecture. Dans ces conditions, comment pouvaient-ils être en mesure d'informer à leur tour la population ?

Enfin, la publication, plus d'une semaine après l'accident, de la liste des produits stockés dans les enceintes de l'usine a généré un nouveau sentiment de confusion. Comment en effet se satisfaire de documents inexploitables pour le plus grand nombre ? Il s'agit en effet de tableaux de plusieurs milliers de colonnes et de plusieurs centaines de fiches de sécurité portant chacune sur une substance.

La création d'une commission d'enquête doit donc permettre d'évaluer les modalités d'intervention des services de l'État dans la gestion de cet accident.


* 1 Ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

* 2 Article 8 ter du Règlement du Sénat : « 3. - Lorsqu'elle n'est pas saisie au fond d'une proposition tendant à la création d'une commission d'enquête, la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale émet un avis sur la conformité de cette proposition avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. »

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page