AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Depuis un peu plus d'un an, des Hauts-de-France à l'Occitanie, les trottoirs de nombreuses communes sont régulièrement jonchés de petites cartouches d'aluminium. Le gaz qu'elles contiennent suscite un engouement croissant chez les étudiants, qui l'utilisent comme un nouveau « carburant de la fête » 1 ( * ) , à l'instar de l'alcool ou des stupéfiants, mais aussi chez les lycéens, voire les collégiens, qui croient s'initier sans risque à une forme anodine d'ébriété.

Le mode opératoire est simple : les cartouches de gaz normalement destinés aux siphons à chantilly, vendues en grande surface ou dans les petits commerces par boîtes de dix à environ un euro pièce, sont ouvertes à l'aide d'un petit ustensile - cracker - et leur contenu propulsé dans un ballon de baudruche avant d'être inhalé au rythme de la respiration. La durée des effets n'excédant pas quelques minutes, la consommation devient parfois frénétique.

Cette pratique, potentiellement addictive, a rapidement nourri un marché que l'on n'ose qualifier de stupéfiant : les grandes plateformes numériques vendent à présent des bonbonnes entières dont la réclame - « ballons offerts » - achève de convaincre de l'usage auquel elles sont réellement destinées ; de nouveaux entrants produisent un gaz de moins bonne qualité ; des sites de vente à domicile, reprenant le marketing des plateformes de livraison de repas, proposent des quantités astronomiques de gaz à un prix dérisoire.

L'usage récréatif du protoxyde d'azote, car c'est le nom de ce gaz, dit hilarant mais dont les effets sur la santé ne devraient guère susciter l'hilarité, est en réalité ancien, puisqu'il est de peu postérieur à sa découverte, à la fin du XVIII e siècle. De retour mais cantonné aux milieux festifs à la fin des années 1990, il suscite depuis le milieu des années 2010 une réelle inquiétude.

En premier lieu celle des maires, donc, débordés par les nuisances occasionnées par ces nouveaux comportements à risque. La consommation de protoxyde d'azote par les jeunes menace très directement la tranquillité, la sécurité, et la salubrité publique. Dans certaines communes de l'agglomération lilloise, la quantité de capsules vides retrouvées sur le trottoir et envoyées au recyclage représentent 100 kilogrammes par mois.

Ce sont les maires qui ont, les premiers, sonné l'alerte, en prenant des arrêtés nécessaires pour rétablir l'ordre public sur le territoire de leur commune. Ces armes ont toutefois des limites : territorialisés, donc contournables, d'une applicabilité qui dépend des effectifs disponibles de la force publique et de sa capacité à qualifier l'usage d'un produit qui reste de consommation courante, parfois fragiles juridiquement, les arrêtés municipaux ne sauraient suffire à juguler le phénomène.

Ce dernier inquiète également les autorités sanitaires. Depuis le début de l'année 2019, vingt-cinq signalements d'effets sanitaires sévères ont été recensés par la Direction générale de la santé, dont dix graves, aux conséquences potentiellement irréversibles. Plus inquiétant encore : l'âge des victimes des incidents graves portés à la connaissance des centres d'addictovigilance est orienté à la baisse, et l'expérimentation de ce gaz, légal, se fait de plus en plus jeune : il n'est plus rare que des collégiens s'en voient proposer à la sortie de leur établissement scolaire !

La France s'avise un peu tard de la gravité du phénomène, bien connu de nos voisins britanniques. Outre-Manche, le protoxyde d'azote a tué 36 personnes depuis 2001, et il en tue aux États-Unis une quinzaine par an. Cette comparaison ne devrait avoir aucun effet rassurant, car c'est aussi précisément de l'importation d'une mode festive anglo-saxonne qu'il s'agit, qui a déjà alerté nos voisins hollandais, belge ou espagnol.

Pour le combattre, un nombre croissant d'États a fait le choix de légiférer, et de viser précisément le protoxyde d'azote dans leur législation, en complément d'une politique de prévention solide. Votre commission estime, à la suite de la petite centaine de nos collègues cosignataires de ce texte, qu'il serait temps de suivre le même chemin.


* 1 D'après l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies.

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