III. LA POSITION DE LA COMMISSION : SE DONNER LE TEMPS DE MIEUX COMPRENDRE UN PHÉNOMÈNE COMPLEXE

Pour le rapporteur, aucune loi ne permettra de résoudre, une fois pour toute, le problème du suicide en général et celui des agriculteurs en particulier.

Les cas dramatiques d'agriculteurs ayant mis fin à leurs jours relèvent de décisions qui sont, le plus souvent, l'aboutissement d'une accumulation de difficultés , d'une concordance de drames individuels de nature très différente.

Parmi ces derniers, figurent, de manière non exhaustive, les difficultés financières, les drames personnels, la maladie, l'isolement social et géographique, le célibat, la perte d'estime de soi, le sentiment d'échec, la surcharge de travail . Il y a, bien sûr, des centaines d'autres facteurs. Plus largement, ce phénomène dramatique rappelle la nécessité de mener au niveau national et européen une politique agricole qui permette de résoudre la crise structurelle de ce secteur. L'Europe et la France se sont construites autour de ce secteur agricole. Dans le contexte actuel marqué d'une part par la nécessité de mettre en oeuvre une transition énergétique et environnementale, et d'autre part par des préoccupations de sécurité alimentaire et sanitaire, répondre à la crise économique, sociale, environnementale et humaine que traverse ce secteur est par conséquent une priorité politique majeure .

En outre, ces décisions individuelles s'inscrivent dans un contexte d' agri-bashing , lequel exerce une pression supplémentaire sur nos agriculteurs, sans que les chiffres datant de 2011 ne permettent de réellement l'appréhender.

Ainsi, s'il peut aider à mettre en place des dispositifs préventifs, jamais le législateur ne pourra, en édictant une norme, répondre aux défis posés par ces centaines de situations individuelles . Chaque cas est singulier.

Toutes les solutions qui pourront être préconisées relèvent d'actions au plus près du terrain , éventuellement relevant du pouvoir réglementaire, mais non d'un code de lois. Bien sûr, s'il est nécessaire que la loi intervienne pour déterminer des grands principes, elle devra le faire. Toutefois, à ce stade des travaux menés par le rapporteur, cela ne semble pas être le besoin prioritaire.

En matière d'identification, de prévention et de prise en charge des agriculteurs en situation de détresse, des besoins très spécifiques ont été identifiés : nécessité de faire émerger des bases statistiques fiables et suivies de manière pluriannuelle ; amélioration de la lisibilité et de l'articulation des dispositifs d'identification des agriculteurs en difficulté ; renforcement de la communication autour des dispositifs de signalement pour que les agriculteurs concernés, leurs proches ou les personnes qu'ils côtoient puissent mieux se saisir des outils déjà mis en place.

En outre, aux yeux de l'auteur de la proposition de loi , il faut regretter le caractère impersonnel du dispositif préventif . Le rapporteur ne peut qu'aller dans ce sens. Il importe de remettre l'humain au coeur de la détection et de la prévention des cas désespérés.

Un seul acteur individuel ne pourra pas, à lui seul, améliorer l'efficacité du dispositif d'identification. Seule la mobilisation de toutes les énergies permettra d'avoir une prévention plus efficace. C'est la clé pour aider au mieux les agriculteurs en difficulté.

Ces trois impératifs ( meilleure connaissance de la réalité, amélioration des dispositifs existant et humanisation des procédures ) doivent être respectés pour que le dispositif de prévention fonctionne davantage.

Pour le rapporteur, dans un souci d'humilité face à une problématique aussi complexe et dramatique que le suicide des agriculteurs, il convient de prendre le temps de mieux étudier et de mieux comprendre le phénomène pour apporter, autant que possible, des idées permettant d'améliorer la prévention . Tous les efforts doivent converger vers un objectif de réduction du nombre de drames humains dans nos campagnes.

Tout en rappelant l'intérêt d'avoir un débat important avec le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur le sujet lors de la séance publique du 12 décembre 2019, le rapporteur a proposé à la commission des affaires économiques, en accord avec Henri Cabanel, auteur de la proposition de loi, et de son groupe politique, de déposer une motion de renvoi en commission afin de disposer de davantage de temps pour investiguer, entendre, aller sur le terrain à la rencontre des acteurs mobilisés dans les dispositifs préventif dans la perspective de produire un rapport faisant état de la situation et formulant les recommandations qui s'imposent.

Cette proposition, fruit d'un accord salué par l'ensemble des membres de la commission des affaires économiques, permettra à la commission dans son ensemble, sous la houlette du rapporteur et de l'auteur de la proposition de loi, de travailler sereinement sur ce sujet complexe mais essentiel. Postérieurement à la séance publique du 12 décembre, la commission va ainsi créer un groupe de travail de douze membres relatif aux moyens mis en oeuvre par l'État en matière de prévention, d'identification et d'accompagnement des agriculteurs en situation de détresse .

Cet engagement transpartisan à ne pas se précipiter pour travailler toute la complexité du sujet, de manière collégiale, en faisant fi de toute querelle politicienne, laisse présager un rapport attendu, qui, dans quelques mois, proposera des solutions pour améliorer ce que l'État propose en matière de prévention du suicide des agriculteurs.

Lors de sa réunion du mercredi 4 décembre 2019, sur proposition de son rapporteur, la commission des affaires économiques a acté le dépôt d'une motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi n° 746 (2018-2019) de Henri Cabanel et plusieurs de ses collègues visant à prévenir le suicide des agriculteurs.

En conséquence, elle n'a pas adopté de texte.

En application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

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