EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
DU PROJET DE LOI ORGANIQUE

Article unique
(tableau annexé à la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010
relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution)
Périmètre de l'avis des commissions parlementaires
sur les nominations du Président de la République

L'article unique du projet de loi organique vise à actualiser la liste des emplois dont la nomination par le Président de la République est soumise à l'avis préalable des commissions parlementaires. Il tend, en conséquence, à modifier le tableau annexé à la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 21 ( * ) .

La commission a adopté plusieurs amendements pour ajouter à cette liste le président de la Commission d'accès aux documents administratifs ( CADA ) et le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ( OFII ). Elle a également préservé le contrôle parlementaire sur la nomination des dirigeants de la SNCF .

1. Le « toilettage » de la liste des emplois

1.1. Prendre acte du changement de dénomination de plusieurs organismes

• L'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER)

Créée en 2009 22 ( * ) , l'ARAFER est une autorité publique indépendante 23 ( * ) chargée de réguler l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire et des voyages en autocar. Elle assure aussi le suivi économique des concessions d'autoroute et émet un avis sur l'évolution des tarifs de péage.

Gouvernance de l'ARAFER

Le collège de l'ARAFER est composé de sept membres désignés pour une durée de six ans non renouvelable.

Son président est nommé par le Président de la République, après avis préalable des commissions compétentes en matière de transports .

L'ARAFER dispose également d'une commission des sanctions, composée d'un membre du Conseil d'État, d'un conseiller à la Cour de cassation et d'un magistrat de la Cour des comptes.

L'ordonnance n° 2019-761 du 24 juillet 2019 24 ( * ) a confié une nouvelle mission à l'ARAFER, la régulation des redevances aéroportuaires , jusque-là assurée par l'Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires (ASI).

Depuis le 1 er octobre 2019, l'ARAFER homologue les tarifs des redevances des aéroports qui accueillent plus de cinq millions de passagers par an. Elle rend également un avis conforme sur les contrats de régulation économique (CRE) conclus entre l'État et les exploitants d'aéroports.

En conséquence, l'ordonnance du 24 juillet 2019 a modifié la dénomination de l'ARAFER, qui s'intitule désormais l'Autorité de régulation des transports (ART) .

Le projet de loi organique vise à prendre acte de ce changement d'intitulé .

• L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP)

Créée en 1997 sous le nom d'Autorité de régulation des télécommunications 25 ( * ) , l'ARCEP est une autorité administrative indépendante chargée de réguler le secteur des communications électroniques et des postes.

Elle répartit les fréquences radioélectriques et délivre les autorisations aux opérateurs de services postaux. Elle définit également des lignes directrices pour l'accès aux réseaux publics de fibre optique.

Gouvernance de l'ARCEP

Le collège de l'ARCEP est composé de sept membres désignés pour une durée de six ans non renouvelable. Il comprend une formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction (RDPI), composée de quatre membres.

Son président est nommé par le Président de la République, après avis préalable des commissions compétentes en matière de postes et de communications électroniques .

La loi n° 2019-1063 du 18 octobre 2019 26 ( * ) a confié une nouvelle mission à l'ARCEP, la régulation de la distribution de la presse écrite , jusque-là assurée par le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) et l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP).

L'ARCEP contrôle désormais le respect de la loi « Bichet » du 2 avril 1947 27 ( * ) , qui garantit à la fois une libre distribution de la presse écrite et une couverture large et équilibrée du territoire.

En conséquence, la loi du 18 octobre 2019 a modifié la dénomination de l'ARCEP, qui s'intitule désormais l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse .

À l'initiative du rapporteur, la commission a actualisé le nom de cette autorité au sein de la loi organique du 23 juillet 2010 (amendement COM-3) .

• L'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL)

Créée en 2010 28 ( * ) , l'ARJEL est une autorité administrative indépendante chargée de réguler les opérations de jeux et de paris en ligne. Elle exerce également une mission de prévention contre le « jeu excessif ou pathologique » 29 ( * ) .

Gouvernance de l'ARJEL

Le collège de l'ARJEL est composé de sept membres désignés pour une durée de six ans non renouvelable. À compter du 1 er janvier 2020, le collège comptera deux membres supplémentaires pour exercer ses nouvelles fonctions.

Son président est nommé par le Président de la République, après avis préalable des commissions compétentes en matière de finances publiques .

L'ARJEL dispose également d'une commission des sanctions, qui comprend six magistrats.

L'ordonnance du 2 octobre 2019 30 ( * ) a élargi les compétences de l'ARJEL à l'ensemble des jeux d'argent et de hasard , à l'exception des casinos dont le contrôle relève du ministère de l'intérieur.

À compter du 1 er janvier 2020, l'autorité sera chargée de réguler l'exploitation des jeux sous droits exclusifs, ce qui concernera l'activité de deux opérateurs : la Française des jeux et le réseau physique du PMU. Ses compétences excèderont donc les jeux et les paris en ligne.

En conséquence, la loi du 18 octobre 2019 a modifié la dénomination de l'ARJEL, qui s'intitulera désormais l'Autorité nationale des jeux (ANJ) .

Le projet de loi organique vise à prendre acte de ce changement de dénomination .

• La Banque publique d'investissement (BPI)

Créée en 2012 31 ( * ) , la Banque publique d'investissement est un groupe public chargé de soutenir l'investissement, notamment en octroyant des crédits ou des garanties bancaires, et d'attribuer des aides financières à l'exportation.

En 2018, la BPI a soutenu 80 000 entreprises et octroyé 7,5 milliards d'euros de crédits à l'investissement.

La société anonyme Bpifrance est détenue par l'État, au travers d'un établissement public créé à cet effet, et par la Caisse des dépôts et consignations. Elle dispose de plusieurs filiales.

Organisation du groupe BPI

Source : Cour des comptes

Gouvernance de la société anonyme Bpifrance

Le conseil d'administration de Bpifrance comprend seize membres , dont quatre représentants de l'État. Il élit son président.

Le directeur général est nommé par le Président de la République, après avis des commissions compétentes en matière d'activités financières . Il siège au conseil d'administration en tant que personnalité qualifiée.

Enfin, les orientations stratégiques de la société anonyme sont soumises, pour avis, à un comité national d'orientation composé de vingt-sept membres.

Les textes législatifs se référaient initialement au terme de « BPI-Groupe » pour désigner la société anonyme.

En pratique, la banque a toutefois « retenu le nom commercial de Bpifrance, qui figure sur son logo . En effet, le nom BPI est déjà utilisé par une banque portugaise (Banco BPI) » 32 ( * ) . La loi « Macron » du 6 août 2015 33 ( * ) a pris acte de ce changement de dénomination, sans pouvoir modifier des dispositions de valeur organique.

Par cohérence, la commission a donc actualisé l'intitulé de la société anonyme en inscrivant le nom de Bpifrance au sein de la loi organique du 23 juillet 2010 (amendement COM-5 du rapporteur) .

1.2. La Française des jeux : tirer les conséquences de sa privatisation

Succédant à France loto en 1991, la Française des jeux est une société anonyme qui bénéficie de droits exclusifs pour exploiter des jeux de loterie (tirage et grattage) et un réseau « physique » de paris sportifs. Elle compte plus de 2 500 collaborateurs, pour 25 millions de joueurs et un résultat net d'environ 170 millions d'euros.

En contrepartie de ce monopole, la Française des jeux doit poursuivre certains objectifs d'intérêt général, notamment pour lutter contre la dépendance aux jeux.

Jusqu'à présent, son capital était détenu à 72 % par l'État.

Gouvernance de la Française des jeux

Le conseil d'administration de la Française des jeux comprenait quinze membres nommés pour une durée de cinq ans renouvelable, dont sept membres désignés sur proposition de l'État.

Son président-directeur était nommé par le Président de la République, après avis préalable des commissions compétentes en matière de finances publiques .

Malgré l'opposition du Sénat, l'article 137 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi « PACTE », a autorisé le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la Française des jeux , l'État conservant une participation à hauteur de 20 %.

L'ordonnance n° 2019-1015 du 2 octobre 2019 a précisé les modalités de cette privatisation, notamment en explicitant les moyens dont disposera l'État pour contrôler l'activité de la société.

La privatisation de la Française des jeux

- Les droits exclusifs pour l'exploitation des jeux de loterie et des paris sportifs « physiques » sont confiés à la Française des jeux pour une durée de 25 ans ;

- Leurs conditions d'exploitation sont précisées par une convention conclue entre l'État et la société et par un cahier des charges , approuvé par décret en Conseil d'État ;

- Les statuts de la Française des jeux doivent être approuvés par décret. Tout actionnaire qui possèderait plus de 10 % du capital doit recevoir l'agrément de l'État ;

- Un commissaire du Gouvernement siège avec voix consultative dans les instances de gouvernance de la société. Il dispose d'un droit de blocage lorsque les orientations prises par la Française des jeux entrent en contradiction avec la stratégie de jeux de l'État ;

- L'activité de la société est soumise au contrôle de l'Autorité nationale des jeux ;

- Son conseil d'administration comprend désormais quatorze membres , dont cinq administrateurs indépendants et deux représentants de l'État.

Les actions de la Française des jeux ont été introduites en bourse le 7 novembre dernier, actant ainsi la privatisation de la société.

De ce fait, le président-directeur général de la Française des jeux ne constitue plus un « emploi civil et militaire » au sens de l'article 13 de la Constitution. Sa nomination ne relève plus du Président de République.

Ce poste est désormais pourvu par le conseil d'administration de la Française des jeux 34 ( * ) , après agrément ministériel et consultation de l'Autorité nationale des jeux 35 ( * ) .

Nommée en septembre 2019 après avis des commissions parlementaires, l'actuelle présidente-directrice générale de la société, Stéphane Pallez, a été confirmée dans ses fonctions par le conseil d'administration.

En conséquence, le projet de loi organique tend à supprimer la fonction de président-directeur général de la Française des jeux de la liste des nominations soumises à l'avis préalable des commissions parlementaires .

Cette coordination semble indispensable sur le plan juridique, malgré les très fortes réserves exprimées par le Sénat concernant le processus de privatisation de la Française des jeux 36 ( * ) .

2. La SNCF : la nécessité d'un contrôle parlementaire sur le réseau

2.1. Le droit en vigueur : trois nominations soumises à l'avis préalable des commissions parlementaires

Depuis la loi du 4 août 2014 37 ( * ) , la SNCF est organisée en trois établissements publics à caractère industriel et commercial ( EPIC ) : SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités .

Organisation de la SNCF

( état du droit)

Source : Autorité de régulation des transports

Gouvernance de la SNCF

L'EPIC de la SNCF dispose d'un conseil de surveillance de 24 membres (dont 12 représentants de l'État) chargé de définir la stratégie de l'établissement et de contrôler l'action du directoire.

La direction et la gestion de l'EPIC est assurée par un directoire. Ce dernier comprend deux personnes :

- un président, qui préside également le conseil d'administration de SNCF Mobilités ;

- et un président délégué, qui préside également le conseil d'administration de SNCF Réseau.

Aujourd'hui, trois dirigeants de la SNCF sont nommés par le Président de la République, après avis des commissions en charge des transports : le président du conseil de surveillance, le président du directoire et le président délégué du directoire .

Les candidats sont proposés par le conseil de surveillance de la SNCF et doivent respecter des exigences complémentaires , fixées par le code des transports. Le président et le président délégué du directoire ont par exemple l'interdiction de siéger au conseil de surveillance.

L'Autorité de régulation des transports bénéficie, en outre, d'un pouvoir de blocage sur la nomination du président délégué du directoire , qui dirige également SNCF Réseau. Elle peut s'y opposer si elle estime que le candidat se trouve en situation de conflit d'intérêts, notamment parce qu'il exerce ou a exercé des responsabilités dans une entreprise de transport de voyageurs 38 ( * ) .

Ces exigences complémentaires s'appuient sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel , qui considère que l'article 13 de la Constitution n'interdit « pas au législateur de fixer ou d'ajouter, dans le respect de la Constitution et notamment du principe de la séparation des pouvoirs, des règles [supplémentaires] encadrant le pouvoir de nomination du Président de la République » 39 ( * ) .

Procédure de nomination des dirigeants de la SNCF

(état du droit)

Poste

Fonctions complémentaires

Conditions à respecter

Autorité chargée de proposer la nomination

Autorité de nomination

Avis des commissions permanentes

Président du conseil de surveillance

-

Représenter l'État au sein du conseil de surveillance de la SNCF

Conseil de surveillance de la SNCF

Président de la République

OUI

Commissions compétentes en matière de transports

Président du directoire

Président du conseil d'administration de SNCF Mobilités

Ne pas siéger au conseil de surveillance de la SNCF

Conseil de surveillance de la SNCF

Président délégué du directoire

Président du conseil d'administration de SNCF Réseau

Conseil de surveillance de la SNCF, avec un pouvoir de blocage de l'Autorité de régulation des transports

Source : Commission des lois du Sénat

2.2. L'évolution institutionnelle de la SNCF

La loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 40 ( * ) et l'ordonnance n° 2019-552 du 3 juin 2019 41 ( * ) ont profondément modifié l'organisation de la SNCF.

Elles créent, à compter du 1 er janvier 2020, un groupe public unifié (GPU) composé de plusieurs sociétés anonymes , dont l'État détiendra l'ensemble du capital.

Ce nouvel ensemble sera organisé autour :

- d' une société mère (société nationale SNCF) , chargée de définir la stratégie du groupe et d'assurer certaines missions « support » ;

- et de filiales comme SNCF Réseau, SNCF Fret et SNCF Voyageurs .

Organisation de la SNCF

(à compter du 1 er janvier 2020)

Source : Autorité de régulation des transports

Les règles à respecter pour constituer un groupe public unifié

La directive 2012/34/UE du 21 novembre 2012 42 ( * ) autorise les États membres à créer un groupe ferroviaire intégré.

Dans un contexte d' ouverture à la concurrence , elle invite toutefois à distinguer :

- le transport de voyageurs, qui peut être assuré par plusieurs entreprises ;

- la gestion du réseau, monopole naturel qui consiste à répartir les « sillons » (ou heures de passage) entre les entreprises de transport et à fixer le tarif de circulation sur les voies.

SNCF Réseau doit donc bénéficier de garanties suffisantes d'indépendance afin d'éviter toute discrimination entre les entreprises de transport de voyageurs (dont SNCF Voyageurs). Sous le contrôle de l'Autorité de régulation des transports, SNCF Réseau doit par exemple établir un code de bonne conduite garantissant l'impartialité de ses décisions 43 ( * ) .

2.3. Les textes du Gouvernement : soumettre une seule nomination à l'avis des commissions parlementaires

Aux termes du projet du Gouvernement, seul le directeur général de la société nationale SNCF serait nommé par le Président de la République, après avis des commissions parlementaires en charge des transports.

Les autres dirigeants du groupe seraient nommés, selon les cas, par le conseil d'administration de la société mère ou par celui des filiales 44 ( * ) .

Procédure de nomination des dirigeants de la SNCF

(projet du Gouvernement)

Poste

Autorité de nomination

Avis des commissions permanentes

Société nationale de la SNCF (société mère)

Première hypothèse : regroupement des fonctions de direction

Président-directeur général

Président de la République, sur proposition du conseil d'administration de la société nationale de la SNCF

Le candidat doit représenter l'État au conseil d'administration

OUI

Commissions compétentes en matière de transports

Seconde hypothèse : dissociation des fonctions de direction

Directeur général

Président de la République, sur proposition du conseil d'administration de la société nationale de la SNCF

OUI

Commissions compétentes en matière de transports

Président du conseil d'administration

Conseil d'administration de la société nationale SNCF

Le candidat doit représenter l'État au conseil d'administration

NON

SNCF Réseau

Première hypothèse : regroupement des fonctions de direction

Président-directeur général

Conseil d'administration de SNCF Réseau, avec une capacité de blocage de l'Autorité de régulation des transports

Le candidat doit représenter l'État au conseil d'administration

NON

Seconde hypothèse : dissociation des fonctions de direction

Directeur général

Conseil d'administration de SNCF Réseau, avec une capacité de blocage de l'Autorité de régulation des transports

Président du conseil d'administration

Conseil d'administration de SNCF Réseau

Le candidat doit représenter l'État au conseil d'administration

SNCF Voyageurs

Première hypothèse : regroupement des fonctions de direction

Président-directeur général

Conseil d'administration de SNCF Voyageurs

NON

Seconde hypothèse : dissociation des fonctions de direction

Directeur général

Président du conseil d'administration

Source : Commission des lois du Sénat

Le dispositif proposé par le Gouvernement constituerait ainsi un recul pour le contrôle parlementaire .

D'une part, les choix de gouvernance qui pourraient être décidés par le conseil d'administration de la société mère auraient un impact direct sur le champ d'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

L'influence des choix de gouvernance de la société nationale SNCF

Plusieurs situations sont envisageables :

- le conseil d'administration de la société-mère opte pour un poste de président-directeur général. Dans cette hypothèse, l'intéressé serait nommé par le Président de la République, après avis préalable des commissions parlementaires ;

- le conseil d'administration dissocie les fonctions de directeur général, d'une part, et de président, d'autre part. Dans cette hypothèse, seule la nomination du directeur général serait soumise à l'avis du Parlement, non celle du président du conseil d'administration .

D'après les informations recueillies par le rapporteur, le conseil d'administration de la SNCF pourrait modifier son choix de gouvernance à tout moment, à la majorité simple de ses membres présents ou représentés.

D'autre part, les dirigeants des filiales, SNCF Réseau et SNCF Voyageurs notamment, seraient désignés par leur conseil d'administration , alors qu'ils sont aujourd'hui nommés par le Président de la République, après avis des commissions parlementaires.

2.4. La position de la commission : soumettre quatre nominations à l'avis préalable du Parlement

À l'initiative de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable , quatre dirigeants de la SNCF seraient soumis au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution (amendement COM-6) .

Cette procédure de contrôle s'appliquerait au directeur général mais également, lorsque ces deux fonctions sont dissociées, au président du conseil d'administration de la société mère 45 ( * ) .

Le président du conseil d'administration exercera, en effet, un rôle majeur dans la gouvernance de la SNCF et donc dans la vie économique de la Nation. Ses fonctions semblent d'ailleurs plus larges que celles de l'actuel président du conseil de surveillance.

Le rôle du président du conseil d'administration de la société nationale SNCF

À compter du 1 er janvier 2020, le conseil d'administration de la société mère sera chargé d'approuver « les orientations stratégiques , économiques, financières, de ressources humaines, industrielles et de valorisation et de gestion des actifs du groupe public unifié ». Il exercera également un « contrôle permanent de la gestion » de la société mère 46 ( * ) .

D'après les informations recueillies par le rapporteur, le président du conseil d'administration organisera les travaux de celui-ci et assura de bon fonctionnement de l'ensemble des organes de la société. Il disposera d'une voix prépondérante en cas de partage des voix au sein du conseil d'administration .

Il présidera également les assemblées générales , pendant lesquelles il rendra compte des travaux du conseil d'administration.

Dans le même esprit, les nominations du président du conseil d'administration 47 ( * ) et du directeur général de SNCF Réseau seraient soumises à l'avis préalable des commissions parlementaires 48 ( * ) .

La gestion des 30 000 kilomètres de voies ferrées présente, en effet, une importance majeure, en particulier dans un contexte d'ouverture à la concurrence. Depuis 2010, le Parlement a d'ailleurs toujours disposé d'un « droit de regard » sur la gouvernance du réseau ferré 49 ( * ) .

Ce contrôle parlementaire permettrait de renforcer les garanties d'indépendance de SNCF Réseau qui, selon l'Autorité de régulation des transports (ART), ne sont « pas à la hauteur du renforcement de l'intégration du groupe public unifié ». L'enjeu est de taille : « un manque d'indépendance du gestionnaire d'infrastructure pourrait conduire à ce que celui-ci décide de retarder ou d'annuler des projets favorisant l'interopérabilité du système ferroviaire », ce qui aurait pour conséquence de « freiner l'arrivée potentielle de nouveaux acteurs sur le marché » 50 ( * ) .

Lors de son audition devant le rapporteur, Bernard Roman, président de l'ART, a confirmé que l'avis préalable des commissions parlementaires « serait de nature à accroître l'indépendance et la légitimité des candidats retenus et plus largement de l'entreprise [SNCF Réseau] en particulier au regard des autres entités » de la SNCF.

3. L'ajout du président de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA)

Créée en 1978 51 ( * ) , la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) est une autorité administrative indépendante qui veille « au respect de la liberté d'accès aux documents administratifs et aux archives publiques ».

Lorsqu'on lui refuse la communication d'un document administratif, l'administré peut saisir la CADA dans un délai de deux mois .

La commission doit alors se prononcer sur sa demande dans un délai d'un mois. Son avis ne lie pas l'administration mais la CADA publie la liste des avis dans lesquels elle a donné raison à l'administré, contre la position initiale de l'administration (« liste noire ») .

Pour l'administré, la saisine de la CADA constitue un préalable obligatoire à la saisine du juge administratif .

La loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique a élargi le champ d'intervention de la CADA , désormais compétente pour rendre un avis sur :

- le refus de publication d'un document administratif en open data ;

- la réutilisation d'informations publiques .

Désormais, la CADA dispose d'un pouvoir de sanction lorsqu'un administré ne respecte pas les règles de réutilisation d'informations publiques (altération des données, violation des stipulations d'une licence d'exploitation, etc .).

Ces sanctions peuvent atteindre :

- 1 500 euros pour l'utilisation non commerciale de ces informations et 3 000 euros en cas de récidive ;

- un million d'euros pour une utilisation commerciale et deux millions d'euros en cas de récidive.

Gouvernance de la CADA

Le collège de la CADA comprend onze membres désignés pour une durée de trois ans 52 ( * ) , renouvelable une fois. Ils sont assistés par des rapporteurs, dont un rapporteur général, chargés d'instruire les dossiers.

Le président de la CADA est nommé par décret du Président de la République, parmi ses membres et sans avis préalable des commissions parlementaires . Il est membre de droit de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

En poste depuis 2014, l'actuel président de la commission a été renouvelé dans ses fonctions au 9 décembre 2017, jusqu'au 31 août 2022 53 ( * ) .

La CADA peut se réunir en formation plénière ou en formation restreinte, notamment pour prononcer des sanctions en matière de réutilisation d'informations publiques.

À l'initiative du rapporteur et de Jean-Yves Leconte, la commission a ajouté le président de la CADA à la liste des emplois soumis au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution (amendements COM-4 et COM-2) .

L'avis préalable des commissions parlementaires sur cette nomination du Président de la République semble nécessaire pour au moins trois raisons .

D'une part, la CADA présente une importance majeure pour la garantie du droit d'accès aux documents administratifs . Pour le Conseil constitutionnel, les règles relatives à la communication de ces documents relèvent d'ailleurs des libertés publiques 54 ( * ) .

D'autre part, la loi « République numérique » du 7 octobre 2016 55 ( * ) a étendu les missions de la CADA à la publication en open data des documents administratifs et à la réutilisation d'informations publiques .

La CADA rencontre aujourd'hui des difficultés pour faire face au volume et à la complexité des demandes reçues . En 2018, la commission a été saisie de 5 867 demandes d'avis ; le délai moyen de traitement des dossiers s'est établi à 128 jours, alors que la loi prévoit un délai théorique d'un mois. Le « stock d'affaires » s'élève actuellement à 1 800 dossiers, ce qui correspond à environ 4 mois d'activité pour la commission.

Enfin, la loi « République numérique » a confié de nouvelles prérogatives au président de la commission , qui peut rendre certaines décisions par ordonnance et demander une réunion conjointe de la CADA et de la CNIL « lorsqu'un sujet d'intérêt commun le justifie » 56 ( * ) .

Reprenant une proposition faite par Jacques Mézard en 2017 57 ( * ) , cet ajout de la commission s'inspire du droit applicable à la plupart des autorités administratives et publiques indépendantes ( AAI-API ).

4. L'ajout du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII)

Créé en 2009 pour remplacer l'Office national de l'immigration (ONI), l'OFII est un établissement public administratif de l'État placé sous la tutelle du ministère de l'intérieur.

Il est chargé, « sur l'ensemble du territoire, du service public de l'accueil des étrangers titulaires, pour la première fois, d'un titre les autorisant à séjourner durablement en France » 58 ( * ) .

Gouvernance de l'OFII

Le conseil d'administration de l'OFII est composé de seize membres, dont un président nommé par décret, huit représentants de l'État, deux représentants du personnel et cinq personnalités qualifiées.

Un directeur général assure la direction opérationnelle de l'établissement. Il est nommé par le Président de la République, sans avis préalable des commissions parlementaires . L'actuel directeur général de l'OFII a été désigné en 2015 pour une durée de trois ans, puis reconduit dans ses fonctions jusqu'au 1 er janvier 2022.

À l'initiative de Jean-Yves Leconte, la commission a ajouté le directeur général de l'OFII à la liste des emplois soumis au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution (amendement COM-1 rect.) .

L'OFII joue, en effet, un rôle majeur pour les droits des étrangers ayant obtenu un titre de séjour ou demandant l'asile .

Les principales missions de l'OFII 59 ( * )

- L'intégration des étrangers ayant obtenu un titre de séjour

. Mettre en oeuvre le contrat d'intégration républicaine (CIR), signé par 97 940 étrangers en 2018, et les formations linguistiques afférentes ;

. Organiser les visites médicales des étrangers primo-arrivants et gérer la procédure dite des « étrangers malades » 60 ( * ) , qui concerne chaque année près de 30 000 personnes ;

. Accompagner les entreprises qui souhaitent recruter un travailleur étranger ;

. Préparer l'arrivée des étrangers accueillis au titre du regroupement familial ;

- L'accueil des demandeurs d'asile

. Participer au premier accueil des demandeurs d'asile, avec 109 783 demandeurs accueillis en 2018 ;

. Organiser l'hébergement des demandeurs d'asile, avec une possibilité d'hébergement directif vers une autre région de France ;

. Verser l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA), qui concerne chaque année environ 130 000 personnes.

Le directeur général de l'OFII serait donc soumis à la même procédure de nomination que celui de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ( OFPRA ), ce qui semble cohérent.

La commission a adopté l'article unique du projet de loi organique ainsi modifié .

*

* *

La commission a adopté le projet de loi organique ainsi modifié.


* 21 Loi organique relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

* 22 Loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports.

* 23 Contrairement aux autorités administratives indépendantes (AAI), les autorités publiques indépendantes (API) disposent de la personnalité morale.

* 24 Ordonnance relative au régulateur des redevances aéroportuaires. Cette ordonnance a été prise sur le fondement de l'article 134 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi « PACTE ».

* 25 Loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications.

* 26 Loi relative à la modernisation de la distribution de la presse.

* 27 Loi n° 47-585 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques.

* 28 Loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne.

* 29 Article 3 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 précitée.

* 30 Ordonnance n° 2019-1015 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard. Cette ordonnance a été prise sur le fondement de l'article 137 de la loi du 22 mai 2019 précitée, dite loi « PACTE ».

* 31 Loi n° 2012-1559 du 31 décembre 2012 relative à la création de la Banque publique d'investissement.

* 32 Rapport n° 370 (2014-2015) fait par Catherine Deroche, Dominique Estrosi Sassone et François Pillet sur le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, p. 482.

* 33 Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

* 34 Article L. 225-51-1 du code de commerce.

* 35 Article 20 de l'ordonnance n° 2019-1015 du 2 octobre 2019 précitée.

* 36 Voir, pour plus de précisions, le rapport n° 254 (2018-2019), tome I, fait par Élisabeth Lamure, Michel Canevet et Jean-François Husson sur le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, p. 560 à 585.

* 37 Loi n° 2014-872 portant réforme ferroviaire.

* 38 Actuel article L. 2111-16 du code des transports.

* 39 Conseil constitutionnel, 3 mars 2009, Loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision , décision n° 2009-577 DC.

* 40 Loi n° 2018-515 pour un nouveau pacte ferroviaire.

* 41 Ordonnance n° 2019-552 portant diverses dispositions relatives au groupe SNCF.

* 42 Directive du Parlement européen et du Conseil établissant un espace ferroviaire unique européen.

* 43 Article L. 2122-4-1-1 du code des transports, dans sa version applicable au 1 er janvier 2020.

* 44 En application, notamment, de l'article 19 de l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique.

* 45 Si une même personne exerce les fonctions de directeur général et de président du conseil d'administration (PDG) de la société mère, le Parlement ne s'exprimerait qu'à une seule reprise sur ce projet de nomination.

* 46 Article L. 2102-9 du code des transports.

* 47 Comme pour la société mère, le président du conseil d'administration de SNCF Réseau sera chargé d'organiser les travaux du conseil et d'assurer du bon fonctionnement de l'entreprise. Il disposera d'une voix prépondérante en cas de partage des voix au sein du conseil d'administration.

* 48 Voir le commentaire de l'article 3 du projet de loi pour plus de précisions sur les conditions que le candidat devra respecter.

* 49 Dans sa version initiale, la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 mentionnait déjà Réseau ferré de France (RFF), devenu SNCF Réseau en 2014.

* 50 Avis n° 2019-028 du 9 mai 2019 relatif au projet d'ordonnance portant diverses dispositions relatives à la nouvelle SNCF.

* 51 Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal.

* 52 À l'exception de certains membres de la CADA, comme le député et le sénateur, qui siègent pour la durée du mandat au titre duquel ils ont été désignés.

* 53 Décret du 19 décembre 2017 portant nomination du président de la Commission d'accès aux documents administratifs.

* 54 Conseil constitutionnel, 23 octobre 2014, Accès aux documents administratifs en Polynésie française , décision n° 2014-5 LOM.

* 55 Loi n° 2016-1321.

* 56 Articles L. 341-1 et L. 341-2 du code des relations entre le public et l'administration.

* 57 Lors de l'examen de la proposition de loi organique relative aux autorités administratives indépendantes et aux autorités publiques indépendantes, devenue la loi organique n° 2017-54 du 20 janvier 2017.

* 58 Article L. 5223-1 du code du travail.

* 59 Les chiffres mentionnés dans cet encadré sont issus du rapport d'activité de l'OFII pour l'année 2018.

* 60 Un étranger pouvant solliciter l'octroi d'un titre de séjour lorsque son état de santé nécessite une prise en charge médicale particulière, dont il ne pourrait pas bénéficier dans son pays d'origine.

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