B. AU TOTAL, LA DÉGRADATION DE LA CONJONCTURE ET LES MESURES DE SOUTIEN DÉFENSIVES DEVRAIENT FORTEMENT DÉGRADER LE DÉFICIT PUBLIC

1. Dans ce contexte, le Gouvernement entend légitimement laisser jouer les « stabilisateurs automatiques » et mettre en oeuvre des mesures de soutien « défensives »

Aussi, le rapporteur général partage la stratégie budgétaire proposée par le Gouvernement, qui comporte deux volets .

Tout d'abord, laisser jouer les « stabilisateurs automatiques » , en ne cherchant pas à augmenter les impôts ou à diminuer les dépenses pour atteindre les objectifs budgétaires initialement fixés pour 2020.

La faiblesse de la croissance va en effet se traduire naturellement par une perte de recettes et une augmentation des dépenses sociales - et ce d'autant plus que les « stabilisateurs automatiques » sont particulièrement élevés en France.

Ainsi, une diminution de la croissance de 1,0 point se traduit mécaniquement en France par une hausse du déficit public de 0,63 point de PIB : il s'agit du niveau le plus élevé au sein de l'Union européenne.

Importance des « stabilisateurs automatiques »
au sein des pays de l'Union européenne

(en pourcentage)

Note méthodologique : l'importance des « stabilisateurs automatiques » est ici appréhendée par le niveau de la semi-élasticité budgétaire, qui correspond à la sensibilité du solde public à la variation de l'écart de production.

Source : commission des finances du Sénat (d'après : Gilles Mourre, Aurélien Poissonnier et Martin Lausegger, « The Semi-Elasticities Underlying the Cyclically-Adjusted Budget Balance : An Update & Further Analysis », Commission européenne, European Economy - Discussion Paper 098, mai 2019)

Au-delà des « stabilisateurs automatiques », des mesures de soutien budgétaire à vocation défensive ont été légitimement annoncées par le Gouvernement afin de permettre aux entreprises et aux travailleurs de surmonter le choc temporaire lié aux mesures prises pour lutter contre l'épidémie, avec :

- « 45 milliards d'euros de mesures de soutien immédiates », prévues par le présent projet de loi de finances et le projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ;

- « 300 milliards d'euros de prêts garantis par l'État » , portés par l'article 4 du présent projet de loi de finances rectificative.

L'impact de ces mesures de soutien sur les indicateurs maastrichtiens est toutefois nettement plus faible à ce stade , car l'essentiel des « mesures de soutien immédiates » consistent en un simple étalement des charges fiscales et sociales des entreprises, tandis que les garanties constituent un engagement « hors bilan » de l'État.

D'après le Gouvernement, le coût budgétaire au titre de l'exercice 2020 se limiterait dès lors à 11,5 milliards d'euros , dont :

- 8,5 milliards d'euros pour le dispositif exceptionnel de chômage partiel ;

- 2 milliards d'euros pour les dépenses additionnelles de santé ;

- 1 milliard d'euros pour le fonds de solidarité des très petites entreprises (TPE).

2. En conséquence, le déficit public s'élèverait à 3,9 % du PIB à l'issue de l'exercice 2020, tandis que la dette publique dépasserait le seuil symbolique de 100 % du PIB

Au total, la prévision de déficit public s'en trouve fortement dégradée : alors que celui-ci était attendu à 2,2 % du PIB, il s'élèverait finalement à 3,9 % du PIB à l'issue de l'exercice 2020.

Évolution du tableau de synthèse de l'article liminaire

(en points de PIB)

Exécution 2018

Prévision d'exécution 2019

Prévision 2020 du PLF

Prévision 2020 du PLFR

Solde structurel (1)

- 2,3

- 2,2

- 2,2

- 2,2

Solde conjoncturel (2)

0

0

0,1

- 1,3

Mesures exceptionnelles et temporaires (3)

- 0,2

- 0,9

- 0,1

- 0,4

Solde effectif (1 + 2 + 3)

- 2,5

- 3,1

- 2,2

- 3,9

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents budgétaires)

Cette dégradation traduit à la fois l'effet de la conjoncture et le coût des mesures de soutien , qui ne sont que marginalement compensés par un accroissement ponctuel des recettes lié à l'amende de 2,1 milliards d'euros payée au mois de janvier par Airbus dans le cadre d'une convention judiciaire d'intérêt public .

Décomposition de l'évolution de la prévision de déficit pour 2020

(en points de PIB)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents budgétaires)

Le dépassement du seuil de 3 % du PIB ne conduira pas à l'ouverture d'une procédure pour déficit excessif , dès lors que la Commission européenne a indiqué être prête à activer la « clause de sauvegarde » prévue par les traités, ce qui aurait pour conséquence de suspendre l'application des trajectoires de redressement 15 ( * ) .

Le déficit structurel resterait par ailleurs inchangé (2,2 %). En effet, le Gouvernement considère que l'intégralité du coût des mesures de soutien peut être catégorisée au sein des mesures exceptionnelles et temporaires, qui ne sont pas prises en compte dans son calcul.

Il peut être noté que le Gouvernement n'a initialement pas souhaité communiquer sur l'évolution de sa prévision d'endettement , fixée à 98,7 % dans le cadre de la loi de finances pour 2020. Interrogé sur ce point, il a seulement indiqué que « la dette publique dépassera les 100 points de PIB cette année ».

Sur la base du scénario macrobudgétaire sous-jacent au projet de loi de finances pour 2020, modifié uniquement pour tenir compte de la nouvelle prévision de croissance et du surcoût lié aux mesures de soutien, le modèle de la commission des finances suggère que le ratio d'endettement s'élèverait à environ 102,5 % du PIB à l'issue de l'exercice 16 ( * ) .

3. La nouvelle trajectoire budgétaire est soumise à des aléas d'une ampleur inédite

Le nouveau scénario budgétaire présenté par le Gouvernement pour l'exercice 2020 apparaît en tout état de cause soumis à des aléas d'une ampleur inédite et sera, selon toute vraisemblance, substantiellement modifié lors des prochaines semaines.

La prévision de croissance constitue naturellement la principale source d'interrogation, ainsi que cela a été précédemment rappelé .

À titre d'illustration, un recul de 5 % du PIB en 2020 tel qu'envisagé par les instituts de conjoncture les plus pessimistes pèserait à hauteur de 2,4 points de PIB supplémentaires sur le déficit public 2020, ce qui porterait ce dernier à 6,3 % du PIB .

À prévision de croissance inchangée, l'élasticité des recettes à la conjoncture constitue également un aléa notable .

En effet, le Gouvernement table sur une élasticité des prélèvements obligatoires à l'activité économique unitaire, alors que celle-ci varie en fonction de la position de l'économie dans le cycle et est généralement plus faible lorsque l'économie ralentit , ainsi que l'a d'ailleurs rappelé le HCFP dans son avis sur le présent projet de loi 17 ( * ) .

L'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB

L'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB est le coefficient par lequel il faut multiplier la croissance du PIB en valeur pour obtenir la croissance « spontanée » des prélèvements obligatoires (c'est-à-dire avant les modifications du droit, appelées « mesures nouvelles »), l'année considérée.

Sur longue période, les prélèvements obligatoires « spontanés » tendent à augmenter à la même vitesse que le PIB. On dit alors que leur élasticité au PIB est égale à 1.

En revanche, il arrive fréquemment à court terme que cette élasticité s'éloigne de l'unité . Ainsi, certaines années (en général quand la croissance du PIB est forte), les prélèvements obligatoires augmentent plus rapidement que le PIB : leur élasticité au PIB est alors supérieure à 1 . D'autres années (en général quand la croissance du PIB est faible), les prélèvements obligatoires au PIB augmentent moins rapidement que le PIB : leur élasticité au PIB est alors inférieure à 1 .

Source : « Quels prélèvements obligatoires pour la sortie de crise ? », rapport d'information n° 45 (2009-2010) de Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances et déposé le 15 octobre 2009

Le coût des mesures de soutien annoncées pour faire face à la crise sanitaire constitue un troisième aléa majeur .

Tout d'abord, le scénario budgétaire retenu pour l'exercice 2020 suppose que les charges sociales et fiscales décalées soient intégralement remboursées et que les garanties octroyées ne soient pas appelées . Si tel n'était pas le cas, les indicateurs budgétaires maastrichtiens seraient grevés d'autant. Ce risque apparaît plus important encore dans certains secteurs pour lesquels la perte d'activité ne pourra pas être intégralement rattrapée à l'issue de la crise sanitaire (ex : aérien, événementiel, etc .).

En outre, le calibrage des mesures de soutien « défensives » pourrait être revu à la hausse en fonction de la durée des mesures de confinement , en particulier s'agissant du dispositif rénové de soutien à l'activité partielle.

Enfin, il ne peut être exclu que le Gouvernement décide dans les prochains mois de mettre en oeuvre des mesures de soutien « offensives » visant à accélérer le rattrapage du terrain perdu une fois l'épidémie endiguée. Après avoir « sauvé » le tissue économique, il conviendra probablement de mettre en oeuvre un plan de relance.


* 15 Commission européenne, « COVID-19: Commission sets out European coordinated response to counter the economic impact of the Coronavirus », 13 mars 2020.

* 16 Le niveau d'endettement à la fin 2019 ne sera toutefois connu que le 26 mars lors de la publication par l'Insee des résultats provisoires des comptes annuels, qui pourraient être meilleurs qu'escompté.

* 17 Haut Conseil des finances publiques, Avis n° HCFP-2020-1 précité, p. 5.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page