B. LE PLAN DE SOUTIEN FRANÇAIS CONTINUE DE SE SINGULARISER PAR LE RECOURS À DES MESURES SANS EFFET IMMÉDIAT SUR LE DÉFICIT

1. Le renforcement des mesures de soutien ayant un impact sur le déficit public est insuffisant pour combler l'écart avec nos principaux voisins

En dépit de ce rééquilibrage, les comparaisons internationales suggèrent que le renforcement des mesures de soutien ayant un impact sur le déficit public est insuffisant pour combler l'écart avec nos principaux voisins.

Mesures de soutien ayant un impact sur le déficit public

(en points de PIB)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires pour la France et l'édition d'avril 2020 du Moniteur des finances publiques du Fonds monétaire international pour les autres pays)

Si la situation américaine peut difficilement être rapprochée de celle de la France, dans la mesure où les « stabilisateurs automatiques » y jouent un rôle significativement plus faible 22 ( * ) , ces derniers ne sont pas de nature à expliquer l'écart avec des pays européens comparables tels que l'Allemagne.

Importance des « stabilisateurs automatiques »
au sein des pays de l'Union européenne

(en pourcentage)

Note méthodologique : l'importance des « stabilisateurs automatiques » est ici appréhendée par le niveau de la semi-élasticité budgétaire, qui correspond à la sensibilité du solde public à la variation de l'écart de production. Un coefficient de 63 signifie qu'une baisse de la croissance française d'un point conduit à une hausse du déficit public de 0,63 point de PIB.

Source : commission des finances du Sénat (d'après : Gilles Mourre, Aurélien Poissonnier et Martin Lausegger, « The Semi-Elasticities Underlying the Cyclically-Adjusted Budget Balance : An Update & Further Analysis », Commission européenne, European Economy - Discussion Paper 098, mai 2019)

Une chute du PIB de 8 points entraîne ainsi automatiquement une hausse du déficit public de l'ordre de 5 points de PIB en France, contre 4 points de PIB en Allemagne, ce qui ne peut donc expliquer qu'une part minoritaire de l'écart de taille entre les plans de soutien des deux pays.

2. À l'échelle européenne, l'Allemagne et le Royaume-Uni vont plus loin que la France dans la prise en charge publique des pertes subies par les entreprises

Afin d'expliquer l'origine de ces divergences, une comparaison détaillée des plans de soutien de deux pays européens de taille comparable, à savoir le Royaume-Uni et l'Allemagne, a été conduite.

Il en ressort que le plan français continue de recourir avec davantage de parcimonie aux outils de prise en charge publique des pertes subies par les entreprises , sous la forme de subventions ou d'apports en fonds propres.

Principaux outils de prise en charge publique des pertes subies par les entreprises

(en milliards d'euros)

Allemagne

Royaume-Uni

France

Nature

Coût

Nature

Coût

Nature

Coût

Chômage partiel

Renforcement du dispositif existant

10

Coronavirus Job Retention Scheme

48

Activité partielle

24

Subventions

Fonds de soutien pour les TPE, indépendants et professions libérales

50

Fonds de soutien aux indépendants ( Self-employed income support scheme )

11,5

Fonds de soutien pour les TPE, indépendants et professions libérales

7

Fonds de soutien aux PME
( Small business grant schemes )

17,5

Annulation de prélèvements obligatoires

Pas d'annonce à ce stade

/

Annulation des taxes sur les biens immobiliers à usage commercial pour certains secteurs ( business rates package )

15

Possible annulation de charges pour l'hôtellerie, la restauration et les arts et spectacles

0,75

Prises de participation

Fonds économique de stabilisation

100

Pas d'annonce à ce stade

/

CAS « Participations financières de l'État »

20

Total

160 Md€
(4,9 % du PIB)

92 Md€
(3,9 % du PIB)

52 Md€
(2,3 % du PIB)

Note méthodologique : le coût des mesures anglaises a été converti avec un taux de change de 1,15.

Source : commission des finances du Sénat (d'après : Office budget responsability, « OBR coronavirus reference scenario : Commentary », 14 avril 2020, p. 18 ; Ministère allemand des finances, « Federal government takes large-scale measures to tackle crisis fallout », communiqué de presse, 23 mars 2020 ; Service économique régional de Berlin, « Mesures de soutien aux entreprises allemandes dans la crise du Covid-19 - état des lieux », 13 avril 2020)

L'écart est particulièrement important s'agissant du fonds de soutien pour les TPE, indépendants et professions libérales, qui apparaît encore sous-dimensionné (7 milliards d'euros, contre 29 milliards d'euros au Royaume-Uni et 50 milliards d'euros en Allemagne), en dépit de son renforcement. Le différentiel s'explique à la fois par le montant des aides (jusqu'à 15 000 euros pour les aides fédérales en Allemagne) et le nombre d'entreprises couvertes (la totalité des entreprises de dix salariés ou moins en Allemagne, soit 3 millions de bénéficiaires) 23 ( * ) . Il peut être noté que l'écart serait encore plus grand en tenant compte du fait que la plupart des Länder allemands ont mis en place leurs propres plans de soutien, incluant pour certains des subventions complémentaires pouvant aller jusqu'à 60 000 euros, auxquelles des entreprises de taille plus importantes sont éligibles 24 ( * ) .

Face à ce constat, le rapporteur général appelle le Gouvernement à expliciter devant le Parlement les raisons pour lesquelles il adopte une approche plus prudente que ses homologues - s'agit-il de minimiser l'impact sur les finances publiques ou a-t-il un diagnostic plus optimiste sur la capacité des entreprises à faire face à la crise ? -, et ce d'autant plus que certains économistes s'inquiètent du déficit de compétitivité qui pourrait en résulter pour les entreprises françaises à moyen terme 25 ( * ) .


* 22 Le terme désigne le fait que la faiblesse de la croissance va se traduire mécaniquement par une perte de recettes et une augmentation des dépenses sociales pour les administrations publiques, qui vont dès lors prendre automatiquement à leur charge une partie du coût de la crise. Les « stabilisateurs automatiques » jouent un rôle plus modeste aux États-Unis, compte tenu de la taille plus faible des administrations publiques.

* 23 Le montant de la subvention n'est pas forfaitaire mais correspond à la différence entre les dépenses matérielles et financières liées à l'entreprise (par exemple les loyers ainsi que les dépenses d'énergie ou de location de matériel) et le chiffre d'affaires prévisionnel, cumulée sur les trois mois qui suivent la demande. Les dépenses de personnel ne sont pas couvertes dès lors qu'elles ont vocation à être prises en charge par le biais du chômage partiel. Cf. Service économique régional de Berlin, « Mesures de soutien aux entreprises allemandes dans la crise du Covid-19 - état des lieux », 13 avril 2020.

* 24 Ibid ., p. 11.

* 25 Elena Carletti, Marco Pagano, Loriana Pelizzon et Marti G. Subrahmanyam, « Germany Will Be a Post-Coronavirus Winner », Bloomberg Opinion, 9 avril 2020.

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