EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 3 FÉVRIER 2021

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M. Laurent Lafon , président. - Mes chers collègues, je vous propose à présent d'entendre le rapport de notre collègue Elsa Schalck et d'établir le texte de la commission sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l'efficacité de la lutte contre le dopage.

Mme Elsa Schalck , rapporteur. - Le 11 janvier dernier, la présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) recevait un courrier de la part de l'Agence mondiale antidopage (AMA) constatant les manquements de notre pays dans la transcription en droit français du dernier code mondial antidopage, entré en vigueur le 1 er janvier 2021. L'AMA a ainsi adressé à l'organisation antidopage française un rapport de mesure corrective qui qualifie de « critique » cette irrégularité, soit le plus haut niveau de gravité dans l'échelle de l'AMA, et indique que l'AFLD dispose d'un délai de trois mois, jusqu'au 12 avril 2021, pour se mettre en conformité.

Que risquent nos sportifs à l'issue de ce délai ? Selon l'AFLD, les sanctions encourues pourraient être les plus lourdes de l'arsenal à disposition de l'AMA, à savoir tout simplement une exclusion des sportifs français des compétitions internationales. Au-delà de cette menace « atomique », sachant que les procédures prévues par l'AMA comportent plusieurs étapes, il ne faut pas non plus négliger les dégâts en termes d'image une fois les sanctions devenues publiques.

Je rappelle que le statut privé de l'AMA a pour conséquence que ses décisions ne sont pas contraignantes pour les États. Cependant, la France a ratifié la convention internationale contre le dopage adoptée sous l'égide de l'Unesco en 2005, dont l'article 3 dispose que « les États parties s'engagent à adopter des mesures appropriées aux niveaux national et international qui soient conformes aux principes énoncés dans le code ». La France est donc obligée de modifier sa législation et il y a urgence à agir. C'est pourquoi le Gouvernement a déposé au Parlement, voilà bientôt un an, le 19 février 2020, un projet de loi l'habilitant « à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l'efficacité de la lutte contre le dopage ».

Le recours aux ordonnances est une procédure à laquelle on recourt habituellement afin de mettre en conformité notre ordre juridique avec les révisions successives du code mondial antidopage. Le délai prévu pour la mise en oeuvre du nouveau code, adopté en novembre 2019, était très bref, mais il aurait sans doute pu être tenu sans la crise sanitaire. L'encombrement de l'ordre du jour parlementaire que nous connaissons depuis la reprise de nos travaux a compliqué la tâche du Gouvernement pour assurer la transcription de cette nouvelle version. Même si nous n'aimons pas la multiplication des recours aux ordonnances, il faut bien convenir que, dans la situation présente, cet outil apparaît adapté pour éviter que le sport français soit durement sanctionné.

Les auditions que j'ai menées m'ont permis d'établir que le travail sur la rédaction de l'ordonnance était déjà bien avancé - à 90 % selon la présidente de l'AFLD - et que les services du ministère avaient également commencé à préparer les dispositions d'application réglementaire. Subsistent néanmoins quelques points d'achoppement, que je vous proposerai d'essayer de lever par nos travaux.

Nous avons besoin que la ministre des sports prenne des engagements sur deux sujets en particulier : le statut du nouveau laboratoire antidopage et les pouvoirs d'enquête de l'AFLD. Seule une clarification des intentions du Gouvernement sur ces deux points pourrait, à mon sens, justifier un vote conforme au Sénat.

J'en viens tout d'abord au contenu de l'habilitation qu'il nous est proposé d'adopter. L'article unique du projet de loi comprend trois paragraphes.

Le premier paragraphe autorise le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance en matière de lutte contre le dopage afin de poursuivre trois objectifs distincts, mais complémentaires. Premièrement, le recours à la législation déléguée doit permettre d'assurer la mise en conformité du droit interne avec les principes du code mondial antidopage, dont l'Assemblée nationale a précisé par voie d'amendement qu'il s'applique à compter du 1 er janvier 2021. Deuxièmement, l'ordonnance doit permettre de définir le nouveau statut du laboratoire dont le code mondial antidopage prévoit qu'il doit être dorénavant séparé de l'agence. Troisièmement, il reviendra également au Gouvernement de renforcer l'efficacité du dispositif de lutte contre le dopage en facilitant le recueil d'informations par l'AFLD et la coopération entre les acteurs, l'Assemblée nationale ayant précisé par voie d'amendement que ces nouvelles dispositions devaient être conformes aux principes constitutionnels et conventionnels en vigueur sur le territoire de la République.

Ces trois objectifs dessinent en réalité un changement de nature de la lutte antidopage : alors que la réglementation avait eu pour effet, ces dernières années, de dessaisir les fédérations de la lutte antidopage, les nouvelles dispositions doivent permettre de créer une politique de lutte contre le dopage beaucoup plus collaborative entre les différents acteurs du monde du sport.

Les aspects répressifs, qui relèvent de la justice sur le volet pénal et de l'AFLD sur le plan administratif, doivent effectivement être complétés par la mise en place d'une vraie politique d'information, de formation et de prévention associant l'ensemble des acteurs. C'est là que réside le vrai défi. Le changement de nature de la politique antidopage tient également dans la nécessité de renforcer les moyens d'action de l'AFLD, aujourd'hui inexistants dans le champ des enquêtes, et de mieux associer les différents opérateurs du sport à l'application des sanctions. Renforcer les pouvoirs d'enquête de l'AFLD, c'est défendre l'éthique du sport et l'efficacité de la politique de lutte contre le dopage.

Sans être considérables, les apports du nouveau code mondial antidopage n'en sont pas pour autant négligeables.

Concernant les violations des règles antidopage, les dispositions protégeant les personnes qui dénoncent des faits de dopage aux autorités sont renforcées. En matière de substances interdites, une nouvelle catégorie est créée concernant les stupéfiants pour adapter les sanctions selon que les substances ont été utilisées ou non dans un contexte sportif. Une évolution tout à fait essentielle concerne le laboratoire, qui doit dorénavant être administrativement et opérationnellement indépendant de toute organisation antidopage. En conséquence, le laboratoire de Châtenay-Malabry, qui est depuis 2006 un département de l'AFLD, ne peut plus être administré par l'agence et doit relever d'une autre entité juridique, afin de prévenir tout conflit d'intérêts.

Concernant les sanctions d'interdiction, de nombreux ajustements sont réalisés à la hausse ou à la baisse. Le nouveau code ouvre également la possibilité d'adapter les sanctions pour une nouvelle catégorie concernant les « sportifs de loisir », au motif qu'ils n'ont pas nécessairement eu connaissance des règles applicables dans les mêmes conditions que les sportifs de haut niveau. Il réintroduit la notion de « circonstances aggravantes » et prévoit une réduction de la durée d'interdiction pour aveu rapide et acceptation des conséquences.

Enfin, le nouveau code mondial antidopage prévoit un dispositif d'effet automatique des décisions prises par des organismes antidopage sur les activités relevant des autres signataires - en l'espèce, les fédérations internationales. Il rappelle également le rôle de l'éducation dans les programmes antidopage.

En résumé, les apports du nouveau code me semblent rechercher une meilleure efficacité sur de nombreux aspects. Cela peut passer par le durcissement des sanctions ou, au contraire, par leur adaptation pour les rendre plus effectives. L'éducation devient par ailleurs clairement une priorité.

J'en viens aux conséquences des apports du nouveau code sur les différents acteurs, à savoir les fédérations sportives, l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), mais aussi l'Agence nationale du sport (ANS).

Compte tenu du changement de nature de la politique antidopage, l'ensemble de ces acteurs vont devoir très clairement se réapproprier cette priorité qu'ils ont un peu perdue de vue depuis 2018, lorsque l'AFLD s'est vu reconnaître un rôle exclusif dans la mise en oeuvre de la politique de contrôle.

Lors de la table ronde que j'ai organisée avec plusieurs fédérations sportives - football, rugby, athlétisme, gymnastique, cyclisme - pour connaître leur niveau d'implication, j'ai été surprise de constater que les fédérations étaient aujourd'hui « désarmées » et que leur rôle se limitait pour l'essentiel à coopérer avec l'AFLD. Or l'expérience de ces dernières années a montré que les organisations nationales antidopage ne pouvaient seules conduire cette politique dans toutes ses dimensions si l'on souhaitait faire face aux moyens considérables mobilisés par les contrevenants. Reconstruire une compétence et des équipes pour s'occuper de ce sujet est aujourd'hui un défi pour les fédérations.

Je crois qu'elles y sont prêtes, mais nul doute qu'elles auront besoin d'aide, de la part de l'ANS notamment. Il est en particulier fondamental que les fédérations soient étroitement associées à l'exécution des décisions de l'AFLD, ce qui nécessite une modification législative. Aujourd'hui, par exemple, une fédération n'a pas le droit d'informer un club de la sanction qui affecte un athlète. Or le nouveau code prévoit que tous les signataires du code mondial, soit également les fédérations internationales, sont comptables de l'application des décisions des organisations antidopage, ce qui crée, par construction, une obligation nouvelle pour les fédérations nationales qui en dépendent. Avec l'ANS et l'Insep, c'est un véritable écosystème qu'il convient de mettre en place pour être efficace contre le dopage.

J'en viens à la question du nouveau laboratoire de l'AFLD. Celui-ci est appelé à rejoindre le giron de l'Université de Paris-Saclay, plus particulièrement sa faculté de pharmacie, qui déménage également dans l'Essonne. Ce déménagement a été soutenu depuis plusieurs années par nos collègues qui suivent les questions relatives au sport, notamment Jean-Jacques Lozach, Michel Savin et Claude Kern. Ce projet indispensable a mis du temps à aboutir. Malheureusement, l'audition de Sylvie Retailleau, présidente de l'Université de Paris-Saclay, a mis en évidence plusieurs zones d'ombre, qu'il est urgent de demander à la ministre des sports de lever.

Alors qu'il est prévu que le laboratoire rejoigne administrativement l'orbite de la faculté dès le 1 er novembre 2021, il ressort des auditions que les conditions de cette intégration ne sont toujours pas réunies. Le modèle économique n'a pas été arrêté et aucune garantie n'a été apportée à l'université concernant la compensation des charges, en particulier en ce qui concerne le coût des fonctions support. Or l'université n'a clairement pas les moyens de prendre à sa charge ces dépenses nouvelles.

Je souhaite vivement que la ministre des sports s'engage sur les garanties attendues par l'université d'ici au débat prévu dans deux semaines au Sénat et je crois, monsieur le président, qu'il pourrait être utile que vous relayiez auprès d'elle notre préoccupation. Cette question de l'intégration du laboratoire au sein de l'Université de Paris-Saclay se situe au coeur de trois de nos compétences : le sport, la recherche et l'enseignement supérieur. Nous sommes donc parfaitement légitimes à demander des réponses pour lever tout malentendu.

Le second sujet sur lequel nous devons obtenir des précisions de la part du Gouvernement concerne le renforcement des pouvoirs de contrôle de l'AFLD. La formulation de l'habilitation est ambiguë, puisqu'elle évoque simplement la nécessité de faciliter le recueil d'informations par l'AFLD. Cette formulation relève plus de la litote que d'un engagement clair du législateur à doter l'agence des compétences qui lui manquent. J'aurais préféré que les termes de la loi d'habilitation soient beaucoup plus précis et ambitieux, d'autant plus que se cache, derrière cette formulation très générale, un débat persistant entre le ministère des sports et la chancellerie sur les pouvoirs qui pourraient être accordés à l'AFLD.

L'agence ne dispose pas actuellement de pouvoirs d'enquête pour la recherche et le constat de manquements administratifs. Sa capacité d'action se limite à un pouvoir de contrôle, à travers la réalisation de prélèvements biologiques. Comme nous l'a indiqué la présidente de l'agence, l'impossibilité de mener des enquêtes administratives constitue une carence très préjudiciable pour la lutte contre le dopage, puisque 90 % des violations des règles antidopage ne peuvent être démontrées par des analyses de laboratoire. Les contrôles antidopage ne permettant pas de mettre en évidence l'ensemble des violations des règles antidopage prévues par le code du sport, l'AFLD a demandé à être dotée d'un pouvoir de procéder à des enquêtes administratives, comparable à celui dont disposent d'autres autorités indépendantes, comme l'Autorité des marchés financiers.

Il me paraît très important que les termes de l'ordonnance permettent de consacrer ce pouvoir d'enquête administrative. Selon l'agence, ses agents assermentés doivent pouvoir se faire communiquer tout document relatif aux nécessités de l'enquête en cours. Ils doivent avoir la possibilité de convoquer et d'entendre toute personne susceptible de leur fournir des informations utiles à l'enquête administrative. Ils doivent ensuite pouvoir accéder aux locaux à usage professionnel où se déroulent les activités sportives dans les mêmes conditions que pour les contrôles antidopage. Il leur est également nécessaire de pouvoir faire usage d'une identité d'emprunt pour accéder aux informations et éléments disponibles sur internet concernant des produits ou des méthodes interdits. Je sais que cette faculté fait débat aujourd'hui, mais je rappelle que beaucoup des violations des règles trouvent leur origine dans des « conseils » donnés sur internet par des « coachs ». Les enquêteurs ne peuvent évidemment pas utiliser leur identité réelle pour démarcher ces sites spécialisés !

L'AFLD souhaite également que ses agents puissent se faire communiquer des données par les opérateurs de télécommunication compte tenu de l'importance prise par les messageries cryptées dans les trafics de substances illicites. Il lui paraît également indispensable de disposer d'un pouvoir d'effectuer des visites en tous lieux sous le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD).

Sur cette question des pouvoirs d'enquête demandés par l'AFLD, des points de blocage sont apparus dans les échanges menés entre les ministères des sports et de la justice.

Nos débats au Sénat montrent que le législateur est parfaitement conscient de la nécessité de mieux armer l'AFLD pour combattre les comportements répréhensibles, mais aussi pour protéger les sportifs, y compris contre eux-mêmes, compte tenu des tentations qui existent sur internet. Là encore, il me semblerait souhaitable, monsieur le président, que notre commission obtienne des engagements de la part du Gouvernement sur le fait que l'ordonnance accordera à l'AFLD deux compétences indispensables pour conduire des enquêtes administratives : le pouvoir de convocation et la capacité à utiliser une identité d'emprunt et à réaliser des « coups d'achat ».

Mes chers collègues, vous aurez compris que le projet de loi que nous devons examiner aujourd'hui constitue d'abord pour moi une source d'interrogations. Certes, nous pouvons comprendre que le Gouvernement ait été empêché par la crise sanitaire de conduire un débat qui nous aurait permis d'adapter notre législation au nouveau code mondial antidopage. Il est moins acceptable que le projet de loi d'habilitation reste très flou sur des aspects essentiels. Nous savons que l'ambiguïté en cette matière cache souvent une absence d'arbitrage au sein du Gouvernement.

Le texte de l'habilitation qui nous est proposé n'apporte pas toutes les réponses attendues. Si je vous propose aujourd'hui de l'adopter, c'est pour mieux nous donner le temps, d'ici au débat en séance publique, qui aura lieu dans deux semaines, d'obtenir des garanties plus fermes sur les deux points qui nous préoccupent le plus : les moyens dont disposera l'Université de Paris-Saclay pour développer le nouveau laboratoire antidopage et le détail des pouvoirs d'enquête administrative qui seront accordés à l'AFLD. Ces précisions doivent être la condition d'un vote sans modification par le Sénat.

Le dialogue avec le ministère des sports continue. Il est dense et confiant, mais il doit désormais aboutir dans les meilleurs délais. Sous ces réserves, je vous propose pour l'heure d'adopter ce projet de loi sans modification.

M. Laurent Lafon , président. - Je vous remercie de la qualité de votre rapport et d'avoir aussi bien présenté les enjeux.

Avant d'ouvrir le débat, il nous faut définir, comme il est désormais d'usage, le champ d'application de l'article 45 de la Constitution.

Mme Elsa Schalck , rapporteur. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la conférence des présidents, je vous propose de considérer que le périmètre inclut des dispositions relatives au code du sport concernant la lutte contre le dopage, au statut, aux missions et aux moyens de l'Agence française de lutte contre le dopage, y compris des dispositions lui permettant de mener des enquêtes administratives, au statut et aux moyens du laboratoire antidopage, au rôle du ministère chargé des sports, de l'Agence nationale du sport, de l'Insep et des fédérations sportives dans la lutte contre le dopage.

En revanche, je vous propose d'estimer que ne présentent pas de lien, même indirect, avec le texte déposé les amendements relatifs au sport en général, sans rapport avec la politique de lutte contre le dopage.

M. Claude Kern . - Je veux féliciter Mme le rapporteur pour le brillant rapport qu'elle vient de nous présenter.

La France est en retard : nous faisons partie du trio de queue européen en matière de transposition du nouveau code mondial antidopage. Nous ne pouvons pas nous le permettre, surtout en prévision de l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Je regrette que nous devions encore une fois travailler dans l'urgence. Le 12 avril, c'est demain ! Aujourd'hui, on attend de nous un vote conforme. Encore faudrait-il que les engagements de l'État répondent aux besoins ...

Si je suis d'accord avec les constats dressés par notre rapporteur, je serai un peu plus dur sur la conclusion. En l'état des engagements du Gouvernement, je pense que nous ne pouvons pas voter ce texte conforme en séance publique. Le ministère doit nous donner des garanties dans les quinze jours quant aux moyens dont disposera l'Université de Paris-Saclay, mais surtout sur les pouvoirs d'enquête administrative qui seront accordés à l'AFLD. Nous ne voterons le texte que si nous obtenons ces garanties. À défaut, je déposerai, avec Michel Savin et Jean-Jacques Lozach notamment, des amendements relatifs au laboratoire et aux pouvoirs de l'Agence.

M. Michel Savin . - Je veux à mon tour souligner l'excellent travail de notre rapporteur. Je veux témoigner de la qualité des auditions qui ont été organisées, mais aussi de sa volonté de partager les problèmes soulevés lors de ces échanges. Nous avons pu constater que de nombreux points restaient à régler concernant l'antidopage : moyens, partenariats, organisation, collaboration entre les fédérations, l'ANS et l'Insep... Ce texte était annoncé comme une simple formalité. En réalité, la situation est beaucoup plus compliquée qu'on ne le pensait.

Sur la forme, il y a urgence à agir, l'AMA ayant laissé à l'AFLD un délai de trois mois pour se mettre en conformité. La France, qui était encore un modèle de la lutte contre le dopage il y a quelques années, fait désormais partie des trois derniers pays à ne pas être en règle vis-à-vis du code mondial. On nous a dit, lors des auditions, que le sport français serait sanctionné en cas de manquement, avec un risque d'exclusion de nos athlètes des compétitions internationales. Alors que nous allons organiser la Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024, cette situation fait un peu tache...

Le Gouvernement est seul responsable de cette situation. Nous aurions pu discuter de ce texte depuis plus d'un an. Certes, la situation sanitaire a fait naître d'autres priorités, mais, aujourd'hui, le Gouvernement recourt une nouvelle fois aux ordonnances pour aboutir dans les plus brefs délais. C'est une nouvelle occasion manquée d'avoir un véritable débat de qualité sur la lutte contre le dopage dans notre pays.

Sur le fond, même si le texte de l'ordonnance est bien avancé, il reste des points sur lesquels le ministère refuse encore de répondre. Je suis en parfait accord avec votre rapport, madame le rapporteur, et partage pleinement vos interrogations. La démarche que vous allez engager auprès du Gouvernement correspond à la volonté affichée par la Haute Assemblée d'être toujours constructive et de faire des propositions.

Avec Claude Kern, nous prendrons nos responsabilités, mais nous soulignons que le Gouvernement doit aussi prendre les siennes. N'ayant aujourd'hui aucune garantie de la part du Gouvernement, nous avons commencé à travailler sur des amendements relatifs aux moyens nécessaires pour développer le nouveau laboratoire antidopage et aux pouvoirs d'enquête administrative qui seront accordés à l'AFLD, afin d'obtenir les garanties qui nous semblent importantes. Nous serons attentifs aux réponses qui seront apportées par le Gouvernement.

M. Jean-Jacques Lozach . - Madame le rapporteur, je vous remercie pour le travail accompli, notamment pour la manière dont se sont déroulées les auditions.

Les lois d'habilitation à recourir aux ordonnances sont des machines à fabriquer de la frustration. Au reste, c'est la troisième fois que cette procédure est choisie sur le même objet, après 2009 et 2015, et ce n'est sans doute pas la dernière fois.

Le monde de l'antidopage est en pleine évolution. Les politiques nationales de lutte contre le dopage évoluent également. On peut d'ailleurs regretter que ne soit pas annexé au projet de loi un bilan des deux premières lois d'habilitation. Des ajustements permanents sont sans doute nécessaires afin d'harmoniser les politiques nationales. Le seul garant en est l'AMA. Il faut donc jouer le jeu de cet organisme.

Le texte comporte des éléments très importants, mais ces derniers ne recouvrent pas la totalité du problème. La France doit respecter ses engagements internationaux. Il faut bien avancer. Le contenu des futures ordonnances est très important. On nous annonce des avancées pour l'efficacité de la lutte antidopage : plus grande harmonisation, priorité à l'éducation, meilleure circulation des informations entre l'AFLD et les autres acteurs, plus grande individualisation des sanctions, indépendance véritable des laboratoires antidopage... Ces points justifient que nous souhaitions tous un vote conforme. Il faudra tout de même, à un moment ou un autre, donner du contenu à l'héritage olympique, notamment à l'idéal d'un sport propre et sain. La lutte antidopage en fait à l'évidence partie.

Cela dit, je souscris aux réserves exprimées et aux demandes d'engagement que notre président de commission va relayer auprès de la ministre des sports, même si le ministère de la justice est lui aussi concerné par le pouvoir d'enquête.

Depuis des décennies, entre 1 et 2 % seulement des contrôles sont positifs, dans tous les sports et dans tous les pays. On sait très bien que cela ne correspond pas à la réalité du dopage. Il faut donc compléter ces contrôles par un pouvoir d'enquête. À cet égard, les sportifs repentis jouent un rôle-clé : la connaissance du phénomène vient essentiellement de ce qu'ils nous disent. Or, aujourd'hui, le pouvoir d'enquête de l'AFLD est quasiment nul. Sa présidente s'est félicitée que le nombre d'équivalents temps plein (ETP) passe de 4 à 5. Est-ce bien sérieux ? Si l'on veut avancer efficacement, il faut compenser le recul du nombre de contrôles, passé de 12 500 voilà dix ans à 9 000 l'année dernière, par un pouvoir d'enquête plus musclé.

Pour ce qui concerne le laboratoire, nous pensions que les travaux préparatoires étaient plus avancés qu'ils ne le sont en réalité. La situation est même très inquiétante.

Pour conclure, je partage tout ce que vous avez dit, madame le rapporteur. Si un certain nombre de nos demandes ne sont pas satisfaites dans les prochains jours, nous nous rapprocherons pour déposer des amendements.

Mme Laure Darcos . - Je m'associe aux félicitations de mes collègues, madame le rapporteur. Votre rapport est très concis et très intéressant.

Surtout, je vous remercie d'avoir autant souligné les problèmes d'installation de l'AFLD sur le plateau de Saclay. Pour être élue sur ce territoire, j'ai suivi ce dossier de près. Il y a eu un flottement. La région Île-de-France, qui est propriétaire de l'ancien site à Châtenay-Malabry, a voulu le récupérer de manière très précipitée à la fin 2019. Évry voulait accueillir cette agence dans le même périmètre que le génopole, mais il était logique que le laboratoire s'installe au plateau de Saclay, où il rejoindra la faculté de pharmacie, qui va également s'installer sur le plateau. Je vous remercie d'avoir auditionné Sylvie Retailleau. Il est important d'alerter les autorités sur les aspects matériels de la création de l'agence. Au conseil départemental, nous nous inquiétons des financements. Le ministère des sports et le ministère de l'enseignement supérieur se renvoient la balle. Bien évidemment, le département et le plateau de Saclay se retrouvent en première ligne pour décaisser des financements supplémentaires, qui ne relèvent absolument pas de leurs prérogatives. Je vous appuierai dans votre demande. Pour l'instant, le dossier est très mal engagé, et c'est bien dommage.

M. Jacques Grosperrin . - Je félicite également Mme le rapporteur pour la qualité de son rapport.

Je suis scandalisé par l'attitude du Gouvernement. Le travail aurait pu être fait en amont. La méthode qui consiste à recourir aux ordonnances paraît toujours très cavalière. On demande au Sénat et à l'Assemblée nationale de rattraper les difficultés rencontrées.

Le programme de contrôle a été suspendu du fait de la covid. De nombreux sportifs disent redouter la reprise du sport. Certains athlètes n'ont pas été contrôlés depuis des années...

L'aspect préventif est lui aussi important. C'est un vrai défi que nous devons relever.

Enfin, je m'interroge sur le régime juridique de l'inversion de la charge de la preuve, issue du droit anglo-saxon, que l'on rencontre dans les contrôles antidopage. Nous pourrions y réfléchir.

M. Julien Bargeton . - Je remercie Mme le rapporteur de la qualité de son travail.

Le droit français n'est plus en conformité avec la nouvelle version du code mondial antidopage, entrée en application le 1 er janvier dernier. Cela va à rebours de nos engagements, qui sont très forts sur le dopage. En outre, nous nous exposons à une procédure de sanction en cas de non-transposition du code. La transposition est donc urgente, raison pour laquelle notre groupe votera ce texte.

J'ai entendu les regrets que suscite le recours aux ordonnances, mais je fais remarquer que ce sont trois gouvernements différents, d'orientations politiques différentes, qui, en 2009, 2015 et 2021, ont demandé à y avoir recours.

M. Max Brisson . - On s'aperçoit que le sujet n'est pas aussi simple qu'il en a l'air.

Dans un rapport très circonstancié et très contextualisé, Mme le rapporteur a pris soin de dire les choses sans enflammer le débat. Un certain nombre de mes collègues ont joué les procureurs en portant haut le discours.

Tout le monde s'offusque des ordonnances, mais cette pratique est presque devenue une habitude. Ce que je ne comprends pas, c'est que ce texte nous est transmis alors que les arbitrages ministériels entre la chancellerie, le ministère de la recherche et le ministère des sports n'ont manifestement pas été rendus. Que fait le Premier ministre ? Par respect pour le Sénat, le Gouvernement aurait dû clarifier les choses avant de nous le présenter.

M. Jean-Raymond Hugonet . - Je vous remercie de ce travail.

Les auditions ont bien montré que le bât blessait au niveau de la coordination interministérielle. Et je ne parle même pas du tempo... Pour un pays comme le nôtre, qui se fixe des objectifs en termes de médailles, cet aimable bricolage sur un sujet d'une importance capitale pour le sport est insupportable.

L'audition du patron de l'Insep, Ghani Yalouz, a été à la fois très rassurante et particulièrement enrichissante. Il a évoqué la réalité des produits dopants utilisés par les sportifs professionnels et amateurs. Si nous voulons lutter contre ce fléau, nous devrons nous doter d'une autre organisation.

Je suis très heureux que notre commission prenne des positions fortes et envoie des messages, en toute sérénité. Nous démontrons ainsi que nous ne sommes pas une chambre d'enregistrement. Force est de constater que le ministère des sports se réduit définitivement à peau de chagrin. On voit où cela nous mène !

M. Pierre Ouzoulias . - Je souscris totalement à ce qui a été dit, notamment par Mme le rapporteur, que je remercie de ce coup de maître, et par nos collègues spécialistes du sport.

En réalité, c'est une habilitation à la procrastination que nous demande le Gouvernement. On ne voit pas par quel miracle trois mois supplémentaires permettraient de rendre des arbitrages interministériels que nous attendons depuis trois ans...

Je suis conseiller départemental des Hauts-de-Seine. Je suis très heureux que l'agence quitte Châtenay-Malabry pour rejoindre le plateau de Saclay. Voilà cinq ans que le projet est en cours, dix ans que l'on parle du déménagement de la faculté de pharmacie ! Tout le monde sait depuis longtemps qu'il faudra trouver une solution.

On nous demande aujourd'hui de régler l'urgence par une ordonnance alors que rien n'a été fait depuis dix ans. Je crois sincèrement que ce n'est rendre service ni aux sportifs ni au Gouvernement que d'accepter cette ordonnance ! Il faut au contraire laisser le Gouvernement régler le problème, procéder aux arbitrages interministériels et revenir devant nous dans les trois mois avec une loi qui permette enfin de savoir où l'on va. Sinon, on ne fera que reporter le problème trois mois de plus.

Au reste, accepter cette façon de faire revient à accepter que le ministère des sports soit un ministère de seconde zone, qui ne parvient jamais à obtenir les arbitrages ministériels qu'il réclame. Je préconise donc une position plus ferme, pour aider le sport.

M. Michel Savin . - Quelles seraient les conséquences d'un rejet du texte ou d'un vote non conforme ?

Mme Elsa Schalck , rapporteur. - Mes chers collègues, je vous remercie de la manière très constructive dont nous avons pu travailler. Alors que nous étions partis sur l'idée d'un vote conforme sans difficulté au regard des exigences de l'AMA et des événements internationaux que la France accueillera, nous nous sommes rendu compte, au fur et à mesure des auditions, que les termes du projet de loi étaient très ambigus et qu'existaient des zones d'ombre.

La nécessité d'une traduction rapide et complète du code mondial antidopage dans notre droit interne ne doit pas dispenser le Sénat d'une vigilance toute particulière sur les mesures que le Gouvernement va prendre sur la base de ce texte. Les auditions des fédérations sportives nous ont permis d'aller au-delà de ce qu'a fait l'Assemblée nationale. Il convient de se donner les moyens de lutter effectivement et efficacement contre le dopage.

Pourquoi l'arbitrage entre ministères n'a-t-il pas eu lieu en amont ? C'est le point que nous allons soulever auprès des ministères. Nous nous sommes rendu compte il y a quelques jours que cet arbitrage sur les pouvoirs d'enquête de l'AFLD posait une vraie difficulté. Or l'AFLD demande simplement les moyens d'exercer les missions pour lesquelles elle a été créée en 2006.

Pour ce qui concerne la méthode, il n'y a jamais eu de débat au Parlement sur cette question en tant que telle. La transposition a systématiquement eu lieu par voie d'ordonnances.

Cela dit, on comprend bien que l'équilibre soit compliqué à trouver. Se mettre en conformité avec le code mondial antidopage est une exigence internationale, d'autant que ce code est d'ores et déjà en vigueur. L'AFLD a été mise en demeure par l'AMA de s'y conformer d'ici au 12 avril 2021. Nous allons regarder de quelle manière une seconde délibération permettrait de respecter ce délai, mais on ne peut pas non plus se mettre en difficulté au regard des championnats et des événements internationaux que la France va accueillir en 2023 et 2024.

Nous voulons profiter des deux semaines qui nous restent avant l'examen du texte en séance publique pour mettre la pression sur le ministère, d'autant que nous avons compris que celui-ci voulait vraiment obtenir un vote conforme et pouvait se montrer flexible sur un certain nombre de sujets.

M. Laurent Lafon , président. - Le débat montre bien qu'il ne s'agit pas seulement de voter un texte pour se mettre en conformité avec l'AMA. Il y va plus largement de l'ambition que nous portons en matière de lutte contre le dopage.

J'entends bien la nécessité de respecter les engagements internationaux et de ne pas pénaliser les athlètes qui préparent un certain nombre de grands événements, mais le travail parlementaire ne doit pas être mis à mal par un calendrier que nous n'avons pas souhaité et parce que ce qui aurait dû être fait au niveau ministériel ne l'a pas été.

Je veux saluer le travail de Mme le rapporteur et la qualité de son rapport. Les auditions qu'elle a menées nous ont permis de saisir les enjeux que dissimulait l'apparence facile du projet de loi.

Il reste quinze jours d'ici à l'examen du texte dans l'hémicycle. Je vous propose d'aborder cette phase dans un esprit constructif avec le Gouvernement, en toute sérénité et avec le souci de bien faire, mais aussi avec détermination. L'argument du calendrier ne suffit pas à nous faire accepter les projets de loi d'habilitation. Nous allons donc continuer à dialoguer avec la ministre des sports, sans oublier la Chancellerie et Matignon, pour que les choses avancent. Nous vous tiendrons au courant des discussions qui pourront avoir lieu.

Il est important que nous ayons bien en tête les différents scénarios possibles sur le plan de la procédure législative comme du point de vue des procédures internes à l'AMA. Nous les récapitulerons par écrit.

Il nous appartient désormais de nous prononcer sur l'adoption du texte. Aucun amendement n'ayant été déposé, c'est en tout état de cause le texte proposé par le Gouvernement qui viendra en débat le 16 février prochain. Nous aurons peut-être à examiner des amendements en séance.

M. Max Brisson . - Tout en saluant la qualité du rapport, le groupe Les Républicains s'abstiendra sur l'adoption de ce texte.

M. Claude Kern . - Le groupe UC s'abstiendra également, malgré la très bonne qualité du rapport.

M. Pierre Ouzoulias . - Nous voterons contre l'adoption de ce texte. Je salue le travail de Mme le rapporteur, qui nous a permis de déceler des points fondamentaux derrière une rédaction anodine.

M. François Patriat . - Le groupe RDPI votera pour le texte.

M. Olivier Paccaud . - J'avais envie de voter contre ce texte, car j'estime que nous ne pouvons pas être la voiture-balai de la médiocrité gouvernementale, mais je serai solidaire de la position de mon groupe, d'autant que Mme le rapporteur a réalisé un travail remarquable.

M. Thomas Dossus . - Le Gouvernement brutalise une nouvelle fois le Parlement avec un calendrier très serré et des transpositions obligatoires. Nous nous abstiendrons.

Le projet de loi n'est pas adopté.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte adopté par l'Assemblée nationale.

PROJET DE LOI N° 198 HABILITANT LE GOUVERNEMENT
À PRENDRE LES MESURES RELEVANT DU DOMAINE DE LA LOI NÉCESSAIRES POUR ASSURER LA CONFORMITÉ DU DROIT INTERNE AUX PRINCIPES DU CODE MONDIAL ANTIDOPAGE ET RENFORCER L'EFFICACITÉ DE LA LUTTE CONTRE LE DOPAGE

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