B. QUELLES CONSÉQUENCES SUR L'ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITÉ DES PERSONNES PUBLIQUES ?

Le projet présenté par le Gouvernement n'aurait donc pas pour effet, contrairement à ce que celui-ci prétend, de créer de toutes pièces une obligation constitutionnelle, pour les pouvoirs publics, d'agir pour la protection de l'environnement. Il importe néanmoins d'examiner si l'obligation qui leur est assignée par la rédaction proposée ne va pas au-delà, par son contenu ou par les sanctions dont elle serait susceptible, de celles qui leur incombent d'ores et déjà .

Le vocabulaire employé et l'interprétation formulée par le Gouvernement laissent entendre, en particulier, que ce texte faciliterait l'engagement de la responsabilité des personnes publiques . Lors de son audition du mercredi 24 mars dernier devant la commission des lois, le garde des sceaux a ainsi déclaré, à propos des verbes utilisés (« garantir » et « lutter ») : « Les conséquences de l'emploi de ces verbes ne sont pas neutres. Et telle est bien la volonté du Gouvernement, parfaitement conscient des impacts que cela pourra avoir sur l'engagement de la responsabilité des pouvoirs publics en matière environnementale. Il s'agit de mettre à leur charge, comme l'a souligné le Conseil d'État, une quasi-obligation de résultat . »

En droit civil comme en droit administratif, on peut dire - en un sens large - que la méconnaissance d'une obligation par son débiteur engage la responsabilité de celui-ci lorsque les personnes intéressées (en particulier, le ou les créanciers) sont en droit de saisir la justice pour obtenir, soit le prononcé de mesures tendant à ce que l'obligation soit honorée (exécution forcée 33 ( * ) ou injonction, assortie le cas échéant d'une astreinte), soit la réparation des préjudices causés par ce manquement (en nature ou par le paiement de dommages-intérêts) 34 ( * ) .

1. Obligations constitutionnelles et responsabilité administrative
a) Les conditions d'engagement de la responsabilité des personnes publiques en cas de méconnaissance de leurs obligations constitutionnelles

Rappelons d'abord que la principale sanction des obligations constitutionnelles est d'une autre espèce. Les obligations et autres principes constitutionnels sont avant tout des règles de validité des actes des pouvoirs publics, dont le juge sanctionne la méconnaissance, soit en empêchant que ces actes n'entrent en vigueur, soit en imposant leur sortie de vigueur (déclaration d'inconstitutionnalité des lois avant ou après promulgation, annulation des actes administratifs). Le Conseil constitutionnel, seul habilité à constater la méconnaissance de la Constitution par le législateur, ne dispose d'ailleurs à son égard d'aucun pouvoir d'injonction, pas plus que du pouvoir de condamner l'État à des dommages-intérêts ou à toute autre forme de réparation.

En revanche :

- le juge administratif dispose, à l'égard des autorités administratives, d'un pouvoir d'injonction qui lui permet de les contraindre à respecter leurs obligations constitutionnelles . La théorie de la « loi-écran » y fait néanmoins obstacle, dès lors que des dispositions législatives déterminent les conditions d'application à l'espèce du principe constitutionnel dont la méconnaissance est invoquée ;

- comme toute illicéité, la violation par une personne publique d'une de ses obligations constitutionnelles est constitutive d'une faute qui, lorsqu'elle cause un dommage, oblige son auteur à le réparer . Jusque tout récemment, la juridiction administrative ne faisait application de ce principe que lorsque la violation était le fait de l'administration. Cependant, par trois décisions du 24 décembre 2019, l'assemblée du contentieux du Conseil d'État a reconnu de manière inédite que la responsabilité de l'État pouvait être engagée pour obtenir la réparation des préjudices causés par l'application d'une loi déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel 35 ( * ) . L'application de ce nouveau régime de responsabilité de l'État du fait des lois inconstitutionnelles suppose donc que le juge constitutionnel se soit préalablement prononcé 36 ( * ) .

b) Le cas du contentieux climatique

Dans le domaine qui nous intéresse, deux décisions de justice récentes méritent d'être mentionnées.

Dans l'affaire dite de Grande-Synthe , la commune ainsi dénommée et son maire demandaient au Conseil d'État, d'une part, d'annuler le refus par le Président de la République, le Premier ministre et le ministre de la transition écologique et solidaire de prendre (notamment) « toutes mesures utiles permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national », d'autre part, d'enjoindre au Premier ministre et au ministre de prendre de telles mesures dans un délai de six mois. Par sa décision du 19 novembre 2020 , le Conseil d'État a considéré qu'il résultait effectivement de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), de l'accord de Paris, de plusieurs décisions, directives et règlements des autorités de l'Union européenne prises dans le cadre des deux « Paquets Énergie Climat » et des dispositions du code de l'environnement prises pour leur application, diverses obligations pour les autorités administratives de l'État, notamment celle de fixer par voie réglementaire une trajectoire permettant d'atteindre l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national de 40 % entre 1990 et 2030, et celle de prendre les mesures utiles au respect de cette trajectoire. Un supplément d'instruction a été ordonné pour vérifier si le refus opposé à la commune de Grande-Synthe était compatible avec ces obligations. Il convient de noter que ni les requérants, ni le Conseil d'État ne se sont fondés sur les obligations constitutionnelles des pouvoirs publics , en particulier celles qui résultent de la Charte de l'environnement.

Dans « l'affaire du siècle » , en revanche, les associations requérantes demandaient au tribunal administratif de Paris de reconnaître le préjudice écologique causé par la méconnaissance par l'État, d'une part, d'une « obligation générale de lutter contre le changement climatique », trouvant son fondement, notamment, dans les articles 1 er à 3 et 5 de la Charte de l'environnement, d'autre part, d'obligations spécifiques issues des conventions internationales, du droit de l'Union européenne et du droit interne. La ministre de la transition écologique et solidaire soutenait que la méconnaissance de la Charte de l'environnement était « inopérante en l'absence de question prioritaire de constitutionnalité » et que cette Charte « ne cré[ait] pas d'obligation de lutte contre le changement climatique ».

Par un jugement rendu le 3 février 2021, le tribunal a constaté que l'État s'est engagé à mener « une politique publique de réduction des gaz à effet de serre émis depuis le territoire national » et « à atteindre, à des échéances précises et successives, un certain nombre d'objectifs dans ce domaine ». Selon les motifs de cette décision, cette obligation résulte, d'abord, des conventions internationales, ensuite, du droit européen, enfin, du droit national, à savoir l'article 3 de la Charte de l'environnement (principe de prévention) et plusieurs dispositions législatives du code de l'énergie qui en « précisent » les conditions d'application en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre. Le tribunal a donc refusé de se fonder directement sur les dispositions de valeur constitutionnelle de la Charte, comme l'y invitaient les requérants, pour déclarer la responsabilité de l'État engagée . Néanmoins, le tribunal a reconnu la carence fautive de l'État à respecter ses obligations et l'existence d'un préjudice écologique causé par celle-ci , lequel, en application de l'article 1249 du code civil, doit être réparé par priorité en nature et, à défaut seulement, par une condamnation à des dommages-intérêts. Considérant que l'état de l'instruction ne lui permettait pas de déterminer avec précisions les mesures devant être ordonnées à l'État à cette fin, le tribunal a ordonné un supplément d'instruction.

2. Obligations de moyens, de résultat et de garantie

Selon le Gouvernement, le projet de loi constitutionnelle imposerait aux pouvoirs publics une « quasi-obligation de résultat » en matière environnementale.

Élaborée par la doctrine civiliste pour distinguer deux types d'obligations contractuelles 37 ( * ) , la distinction entre obligations de moyens et de résultat a été étendue au droit de la responsabilité extracontractuelle (en matière civile ou administrative), pour le cas notamment où la faute reprochée au défendeur tient à la méconnaissance d'une obligation légale ou réglementaire. Elle a été rapidement adoptée par la Cour de cassation, puis par le Conseil d'État.

Cette distinction, dont la pertinence a été souvent mise en doute, repose sur des critères tenant à la fois au contenu de l'obligation (et, partant, aux motifs d'exonération de la responsabilité du débiteur en cas d'inexécution) et au régime de la preuve . On peut la décrire à grands traits de la manière suivante.

Le débiteur d'une obligation de moyens est tenu d'accomplir toutes les diligences raisonnablement attendues (celles d'un « bon père de famille », pour reprendre l'ancienne terminologie du code civil) en vue d'exécuter la prestation à laquelle il s'est engagé ; en cas d'inexécution, il appartient au créancier d'établir le contraire. Le niveau de diligence normal dépend des circonstances : ainsi, l'obligation de moyens est moindre si elle résulte d'un contrat à titre gratuit (par exemple, l'obligation de restitution du dépositaire à titre gratuit 38 ( * ) ) que d'un contrat à titre onéreux. De même, l'obligation de moyens d'un non-professionnel est appréciée moins rigoureusement que celle d'un professionnel 39 ( * ) .

À l'inverse, le débiteur d'une obligation de résultat ne peut dégager sa responsabilité qu'à condition d'avoir été empêché d'exécuter celle-ci par force majeure 40 ( * ) , et c'est à lui qu'il incombe de le prouver.

Des catégories intermédiaires ont été définies par la doctrine et la jurisprudence : ainsi, une obligation de moyens est dite « renforcée » lorsque c'est au débiteur qu'il revient de prouver qu'il a accompli toutes les diligences raisonnablement attendues 41 ( * ) ; une obligation de résultat est dite « atténuée » lorsque le débiteur peut s'exonérer en démontrant qu'il a été empêché de l'exécuter par une cause extérieure n'ayant pas les caractères de la force majeure 42 ( * ) .

L'obligation de résultat est, au contraire, renforcée lorsque même la force majeure est inopérante, ce qui la transforme en garantie (sur cette notion, voir ci-dessous). Comme le souligne le professeur Hélène Boucard 43 ( * ) , l'obligation de garantie a fait son entrée dans le régime général des obligations lors de la réforme du droit des obligations de 2016, puisque l'article 1351 du code civil dispose désormais : « L'impossibilité d'exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu'elle procède d'un cas de force majeure et qu'elle est définitive, à moins qu'il n'ait convenu de s'en charger ou qu'il ait été préalablement mis en demeure. »

Obligations de moyens, de résultat et de garantie
(La réalité de l'obligation et celle de son inexécution étant établies,
conformément aux règles de preuve applicables)

Motifs d'exonération de responsabilité

Régime probatoire

Obligation de moyens

Avoir accompli
les diligences normales

La charge de la preuve
pèse sur le créancier

Obligation de moyens renforcée

Avoir accompli
les diligences normales

La charge de la preuve
pèse sur le débiteur

Obligation de résultat atténuée

Cause étrangère
ne présentant pas
le caractère de force majeure

La charge de la preuve
pèse sur le débiteur

Obligation de résultat

Force majeure

La charge de la preuve
pèse sur le débiteur

Obligation de garantie

Néant

Sans objet

Source : commission des lois du Sénat

Pour déterminer si une obligation est de moyens ou de résultat, dans le cas où cela ne ressort pas clairement des termes du contrat, de la loi ou du règlement, le juge a recours à plusieurs indices , dont le principal est le caractère aléatoire ou non du résultat recherché . En d'autres termes, plus le débiteur a la « maîtrise » de ce résultat, plus le juge a tendance à considérer qu'il est soumis à une obligation de résultat (il en va ainsi de l'obligation de délivrance d'un bien, d'une information ou d'un conseil). À l'inverse, plus des circonstances extérieures à la volonté du débiteur sont susceptibles d'influer sur le résultat, plus le juge est enclin à retenir la qualification d'obligation de moyens (par exemple, l'obligation incombant au médecin de prodiguer ses soins à son patient n'emporte pas l'obligation de le guérir).

3. La notion de garantie et le droit de la responsabilité

Pas plus que dans la langue courante, le nom « garantie » et le verbe « garantir » ne revêtent en droit une signification univoque - pas même en droit de la responsabilité civile ou administrative où ces deux mots ont leurs acceptions les mieux définies.

Étymologie des mots garantir et garantie
et acceptions dans la langue courante

Garantir et garantie sont issus, par l'intermédiaire du nom garant , d'un ancien verbe garir , issu du francique warjan qui signifie « désigner quelque chose comme vrai ». Il se rattache à une racine indo-européenne wer- que l'on retrouve dans le latin verus et ses dérivés, ainsi que dans l'allemand wahr . Le nom garant désigne d'abord (au XI e siècle) « une personne qui certifie la vérité de quelque chose », d'où vient (au XII e siècle) le sens de « personne qui répond de la dette d'autrui » 44 ( * ) .

Aujourd'hui, selon le Dictionnaire de l'Académie française 45 ( * ) , le verbe garantir signifie :

1. « Se porter garant, répondre d'une chose, du maintien d'un droit, de l'exécution d'une obligation, etc . » ;

spécialement, « Se porter garant de l'authenticité, de la qualité d'un produit, s'engager à assurer le bon fonctionnement d'un appareil, la régularité d'un service, etc . » ;

et, par extension, « Se porter garant de l'existence, de la réalité de quelque chose » (« Il nous a garanti l'authenticité de la nouvelle », « Je vous garantis qu'il s'en tiendra là ») ;

2. « Défendre quelqu'un contre une demande, l'indemniser d'un dommage éventuel » (« Garantir quelqu'un de toutes poursuites ») ;

3. « Protéger, préserver, mettre à l'abri de » (« La Constitution garantit le citoyen contre toute atteinte à ses droits fondamentaux », « Ce manteau vous garantira du froid »).

Il existe, semble-t-il, un noyau sémantique commun à l'ensemble de ces acceptions, à savoir l'idée de prémunir contre un aléa , dans le double sens de « rendre certain ce qui est incertain » et de « rendre nécessaire ce qui est contingent ». La recherche de garanties est le propre d'une époque qui doute et s'inquiète de son avenir...

En droit général des contrats , comme cela vient d'être indiqué, on appelle « clause de garantie » celle par laquelle le débiteur s'engage à indemniser le créancier en cas d'inexécution due à la force majeure .

En droit des contrats spéciaux , la loi nomme « garanties » certaines « obligation[s] accessoire[s] qui nai[ssent] de certains contrats à la charge d'une partie , et qui renforce[nt] la position de l'autre lorsqu'en cours d'exécution celle-ci n'obtient pas les satisfactions qu'elle était en droit d'attendre 46 ( * ) ». Le terme semble particulièrement approprié pour désigner, à propos de contrats relatifs à une chose, des obligations qui, incombant à l'une des parties, dérogent au principe selon lequel l'autre partie assume les risques de la chose . Il en va ainsi des garanties après-vente (garantie d'éviction, garantie des vices cachés, garantie de conformité due par le vendeur professionnel au consommateur), obligations qui continuent d'incomber au vendeur après le transfert de propriété, alors que celui-ci emporte en principe transfert des risques à l'acquéreur 47 ( * ) . De même, les garanties légales des constructeurs (garantie de parfait achèvement, garantie de bon fonctionnement, garantie décennale) prémunissent le maître de l'ouvrage contre des risques qui ne se matérialiseront qu'après la réception. Dans tous les cas, l'action en garantie permet d'obtenir la réparation du préjudice subi (restitutions, dommages-intérêts ou réparation en nature, selon le cas).

Par ailleurs, les sûretés visant à prémunir un créancier contre le risque d'inexécution de sa créance sont souvent désignées comme des garanties, à savoir, d'une part, les sûretés personnelles (qui, malgré leur diversité - cautionnement, lettre d'intention, garantie autonome... - ont en commun d'être une obligation venant en supplément d'une autre et ouvrant au créancier un recours contre un autre débiteur, sans que celui-ci doive contribuer définitivement à la dette) et les sûretés réelles (accessoires d'une créance conférant au créancier le droit au paiement préférentiel sur la valeur d'un bien affecté à cet effet : gage, nantissement, hypothèque, etc .) 48 ( * ) .

En matière extracontractuelle , on rattache parfois à la notion de « garantie » divers régimes de responsabilité qui ont en commun de mettre à la charge d'une personne l'indemnisation de dommages qu'elle n'a pas causés par sa faute - ce que la doctrine contemporaine justifie le plus souvent par une « théorie du risque » 49 ( * ) : les régimes de responsabilité du fait d'autrui ou du fait des choses , le régime d'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation , ou encore (en droit administratif) la responsabilité sans faute de l'administration du fait des risques créés par son activité.

Au-delà, le terme « garantie » peut désigner des dispositifs assurantiels visant à prémunir contre les risques de dommage. La loi désigne ainsi comme des « garanties » les prestations prévues par un contrat d'assurance ; il existe aussi des « fonds de garantie », financés par le biais de prélèvements obligatoires, pour indemniser les victimes d'accidents ou d'actes délictueux commis par des auteurs inconnus, insolvables, non assurés, ou encore assurés auprès d'une société d'assurances défaillante.

Ainsi, la notion de « garantie » englobe divers dispositifs juridiques visant à assurer à une personne, pour le cas où un événement préjudiciable surviendrait, la réparation du préjudice qui en résulterait, en palliant les insuffisances des règles de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun.

4. Une « garantie » aux contours flous inscrite à l'article 1er de la Constitution

Quelle serait donc l'incidence, sur la responsabilité des personnes publiques, de l'ajout proposé par le Gouvernement selon lequel « [La France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique » ?

À titre liminaire, il faut observer que le texte semble imposer des obligations de type ou de degré différent en ce qui concerne la préservation de l'environnement et de la diversité biologique, d'une part, la lutte contre le dérèglement climatique, d'autre part . Dans le premier cas, il est fait appel à la notion de « garantie » ; dans l'autre, l'on s'en tient à la valeur impérative de l'indicatif, qui dénote une obligation sans plus de précision. C'est d'autant plus étonnant que la lutte contre le dérèglement climatique fait, à l'évidence, partie de la préservation de l'environnement, comme cela a déjà été jugé 50 ( * ) .

Dans son avis du 14 janvier 2021, le Conseil d'État a attiré l'attention du Gouvernement sur la portée juridique de ces choix lexicaux : « En prévoyant que la France " garantit " la préservation de la biodiversité et de l'environnement, le projet imposerait aux pouvoirs publics une quasi-obligation de résultat dont les conséquences risquent d'être plus lourdes et imprévisibles que celles issues du devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement résultant de l'article 2 de la Charte de l'environnement. » Par cette mise en garde, le Conseil d'État n'a pas entendu fixer l'interprétation des dispositions proposées, mais, au contraire, souligner le caractère très incertain de leurs effets juridiques . La notion de « quasi-obligation de résultat » n'a d'ailleurs aucun contenu défini en droit. Il est, par conséquent, assez surprenant d'entendre le Gouvernement s'en prévaloir pour vanter les effets de sa réforme...

Compte tenu des significations habituelles de la notion de garantie, la rédaction proposée se prête, en ce qui concerne ses effets sur la responsabilité des personnes publiques, à trois interprétations principales , qui comportent elles-mêmes des variantes.

a) Une véritable garantie ?

Si l'on prend le verbe « garantir » dans son sens le plus fort, alors le texte proposé semble signifier que l'État et les autres personnes publiques s'engagent :

- à ne rien faire qui porte atteinte à l'environnement ou à la diversité biologique et à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour qu'aucune atteinte ne leur soit portée ;

- à réparer tout dommage causé à l'environnement ou à la diversité biologique, quelle qu'en soit la cause (si du moins il n'est pas réparé par l'auteur du dommage lui-même).

Autrement dit, le texte impliquerait l'institution d' un nouveau régime de responsabilité des personnes publiques entièrement détaché de toute faute et même de toute action ou omission de leur part . Les pouvoirs publics seraient ainsi obligés de réparer, en nature ou par des dommages-intérêts, tout dommage causé à l'environnement ou à la biodiversité, même s'il était le fait de personnes non placées sous leur autorité (par exemple des États étrangers), voire de choses sur lesquelles ils n'ont aucune prise (par exemple un astéroide). L'institution d'une telle « garantie » serait non seulement inacceptable, mais plus encore aberrante , les personnes publiques françaises n'ayant tout simplement pas les moyens de l'assumer.

b) Une obligation sans réserve ?

Selon une deuxième interprétation, reposant sur un sens atténué du verbe « garantir », les personnes publiques de droit français s'engageraient :

- à ne rien faire qui porte atteinte à l'environnement et à la biodiversité et à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour qu'aucune atteinte ne leur soit portée ;

- à réparer tout dommage causé par un manquement à cette obligation (autrement dit, tout dommage de leur fait ou qu'elles auraient pu empêcher).

Cela s'apparenterait davantage à une obligation de moyens qu'à une obligation de résultat . Il resterait à déterminer qui supporterait la charge de la preuve, autrement dit s'il s'agirait d'une obligation de moyens « simple » ou « renforcée » ; mais la réponse à cette question est d'une moindre portée en contentieux constitutionnel ou administratif, où la procédure est inquisitoire, qu'en contentieux civil.

Si tel est l'objectif, il est en partie satisfait par le droit constitutionnel en vigueur . En effet, non seulement les personnes publiques ont d'ores et déjà, comme toute autre personne, le devoir de « prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement », et, dans les conditions prévues par la loi, de prévenir les atteintes qu'elles sont susceptibles de porter à l'environnement ou d'en limiter les conséquences, ainsi que de contribuer à leur réparation ; mais en outre, en ce qui ce qui concerne l'État, ses autorités (notamment le législateur) sont soumises, notamment, à l'obligation d'assortir de garanties suffisantes le « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et de mettre en oeuvre l'objectif de valeur constitutionnelle de « protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains ». Sous les conditions qui ont été rappelées, la méconnaissance par les personnes publiques de ces diverses obligations constitutionnelles engage leur responsabilité devant la juridiction administrative.

Néanmoins, il subsisterait une différence importante avec le droit en vigueur. En effet, malgré la précision et la rigueur des obligations issues de la Charte de l'environnement, celles-ci doivent toujours être conciliées, dans l'action des pouvoirs publics, avec les autres exigences constitutionnelles ou d'intérêt général . La loi, en particulier, peut porter atteinte à l'environnement sans méconnaître la Constitution, si elle opère une juste conciliation entre ces différentes exigences ; la responsabilité de l'État ne saurait alors être engagée du fait du préjudice causé.

c) Une obligation devant être conciliée avec les autres exigences constitutionnelles et d'intérêt général ?

Selon une troisième interprétation, les personnes publiques s'engageraient :

- à ne rien faire qui porte atteinte à l'environnement ou à la diversité biologique et à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour qu'aucune atteinte ne leur soit portée, sous réserve des autres exigences constitutionnelles et d'intérêt général ;

- à réparer tout dommage causé par un manquement à cette obligation.

Un tel objectif est, cette fois, pleinement satisfait par le droit en vigueur , abstraction faite de la question de la charge de la preuve, et sous la réserve des limites fixées au contrôle juridictionnel d'éventuelles carences du législateur.

Si l'on écarte l'interprétation maximaliste de la notion de « garantie », l'incidence du projet de révision constitutionnelle sur la responsabilité des personnes publiques dépend donc, pour l'essentiel, de la question de savoir si la rédaction proposée écarte ou non, au bénéfice de la préservation de l'environnement et de la diversité biologique, le principe de conciliation entre les règles et principes de valeur constitutionnelle . La même incertitude se retrouve en ce qui concerne les effets de cette rédaction sur la validité des actes des pouvoirs publics, c'est-à-dire sur le contrôle de constitutionnalité des lois et le contrôle de légalité des actes administratifs.


* 33 Étant entendu que les voies d'exécution de droit commun ne sont pas applicables aux personnes publiques débitrices. Il existe néanmoins des voies d'exécution administrative, prévues par la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public .

* 34 Selon l'usage le plus courant, en droit administratif notamment, la notion de responsabilité se limite à la réparation des préjudices.

* 35 Conseil d'État, Ass., n° 425983, Société hôtelière Paris Eiffel Suffren , ainsi que les décisions du même jour n° 428162, M. A . et n° 425981, Société Paris Clichy . Ce régime a toutes les apparences d'un régime de responsabilité pour faute, même si le Conseil d'État évite cette qualification à propos d'actes du législateur.

* 36 Il n'existe, en revanche, aucune voie de droit permettant de constater une carence du législateur dans l'application de principes constitutionnels (sauf, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois, par le biais de la sanction de l'incompétence négative et de l'abrogation de lois antérieurement promulguées - voir ci-dessus) et d'en tirer les conséquences sur la responsabilité de l'État, ce qui, au regard de l'équilibre des pouvoirs, apparaît tout à fait cohérent.

* 37 Voir René Demogue, Traité des obligations en général , 7 vol., Paris, A. Rousseau, 1923-1933 (notamment t. 5, § 1237 et t. 6, § 599). Demogue envisageait déjà l'extension de la notion d'obligation de résultat à la responsabilité extracontractuelle pour risque.

* 38 Articles 1927 et 1928 du code civil.

* 39 Cour de cassation, 1 e chambre civile, 16 octobre 2001, n° 99-18.221.

* 40 Article 1351 du code civil.

* 41 Cour de cassation, 1 e chambre civile, 21 mai 1996, n° 94-16.586, à propos de la responsabilité encourue par une clinique en cas d'infection contractée par un patient en salle d'opération.

* 42 Cour de cassation, 1 e chambre civile, 9 juin 1993, n° 91-17.387, à propos de l'obligation de sécurité du garagiste (qui peut s'exonérer en prouvant qu'il n'a pas commis de faute). Même si la réforme du droit des obligations de 2016 semble avoir assimilé la cause étrangère libératoire à la force majeure (voir le nouvel article 1351 du code civil, comparé à l'ancien article 1148), l'appréciation très casuistique par les juridictions des caractères d'extranéité, d'imprévisibilité et d'irrésistibilité propres à la force majeure laisse penser que des formes atténuées d'obligation de résultat perdureront.

* 43 H. Boucard, « Responsabilité contractuelle », Répertoire Dalloz de droit civil , juillet 2018, § 328.

* 44 Dictionnaire historique de la langue française , sous la dir. d'A. Rey, Paris, Le Robert, 1992, s.v. « Garant ».

* 45 Dictionnaire de l'Académie française , 9 e édition (1992-2011), consultable à l'adresse suivante : https://www.dictionnaire-academie.fr , s.v. « Garantir ».

* 46 Vocabulaire juridique de l'association Henri-Capitant , sous la dir. de G. Cornu, 11 e éd., Paris, P.U.F., 2016, s.v. « Garantie ».

* 47 À l'inverse, et malgré l'usage, le terme « garantie » semble moins adapté à propos de certaines obligations du bailleur (« garantie des vices cachés », « garantie contre les troubles de jouissance ») qui ne sont que des composantes de son obligation générale d'assurer au preneur la jouissance paisible de la chose louée. Voir, en ce sens, A. Bénabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux , 13 e éd., Paris, LGDJ, 2019, § 357.

* 48 Voir les définitions proposées par M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés , Paris, LexisNexis, 2010.

* 49 On n'entrera pas ici dans les subtilités de la « théorie du risque » développée en doctrine depuis Raymond Saleilles, ni dans le détail de ses relations avec la « théorie de la garantie » élaborée notamment par Boris Starck ( Essai d'une théorie générale de la responsabilité civile considérée en sa double fonction de garantie et de peine privée , Paris, L. Rodstein, 1947).

* 50 Voir la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-395 QPC du 7 mai 2014, Fédération environnement durable et autres .

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