C. DES CRÉDITS LARGEMENT ABONDÉS PAR DES DÉPENSES FISCALES ET SOCIALES ET DES CRÉDITS DE LA MISSION DÉFENSE

Il convient de compléter la présentation des moyens de la mission par la prise en compte de transferts que ses crédits ne retracent pas, soit qu'ils soient financés à partir d'autres missions budgétaires, soit, c'est l'essentiel, qu'ils résultent d'avantages fiscaux ou sociaux attribués à tout ou partie des anciens combattants.

La prise en compte des seuls avantages fiscaux « hors mission », conduit à rehausser significativement l'effort de la Nation envers les anciens combattants.

Ils ne sont pas complètement évalués, ce qu'il faut déplorer, les seules dépenses faisant l'objet d'une évaluation rehaussent l'effort de la Nation envers les anciens combattants de 699 millions d'euros en 2022.

Sur cette base incomplète, l'effort pour les anciens combattants 5 ( * ) atteint un peu plus de 2,551 milliards d'euros en 2022 contre 1,882 milliard d'euros (valeur à périmètre constant de l'ex-programme 169) quand on ne prend en compte que les crédits budgétaires.

Observation : les transferts découlant d'aménagements des prélèvements obligatoires en faveur des anciens combattants sont incomplètement exposés et évalués.

Recommandation : procéder à une revue des aménagements des prélèvements obligatoires en faveur des anciens combattants afin d'en assurer un compte rendu et une estimation exhaustifs dans les annexes aux documents budgétaires.

1. Les déversements de crédits de la mission défense abondent particulièrement les moyens consacrés au lien armées-jeunesse

Les politiques publiques financées par la mission sollicitent des moyens qui sont loin d'être exhaustivement retracés par les dotations ouvertes en loi de finances au titre de la mission elle-même.

On doit regretter sur ce point une déperdition de l'information budgétaire du fait de la disparition des éléments permettant d'apprécier les crédits complets dédiés à une action publique donnée dans les documents budgétaires.

Toutefois, le ministère des Armées a développé une comptabilité analytique selon laquelle les soutiens apportés par la mission Défense aux activités prises en charge par la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » atteindraient 135,8 millions d'euros en 2022 pour le financement de la JDC et du SMV.

Recommandation : revenir à un état plus satisfaisant de l'information budgétaire en reprenant la présentation des crédits complets consacrés aux actions publiques financées par les programmes budgétaires.

Selon les données transmises au rapporteur spécial, les concours reçus d'autres missions budgétaires concerneraient principalement l'action 08 « liens armée-jeunesse » du programme 169, dont ils multiplieraient les dotations par plus qu'un facteur 4.

À ce niveau, force est de s'interroger sur la justification de l'inscription initiale de certains crédits sous la bannière budgétaire de la présente mission.

Les actions concernées sont l'organisation de la Journée défense et citoyenneté (JDC) avec une participation du ministère des Armées de 90,2 millions d'euros et le Service militaire volontaire (SMV) pour lequel la participation du même ministère s'élèverait à 45,6 millions d'euros en 2022.

Par rapport aux prévisions pour 2021, la première contribution serait légèrement inférieure (-1,3 million d'euros) tandis que la seconde connaît une hausse timide (+300 000 euros).

Les déversements portent essentiellement sur les dépenses de masse salariale et de façon plus marginale, sur les dépenses de soutien communes, d'infrastructure, de systèmes d'informations et de santé.

Les données relatives aux soutiens dont a bénéficié la mission ne semblent pas complètes.

Des contributions financières ne sont pas comptabilisées au motif qu'elles ne sont pas prises en charge par les services gestionnaires des fonds réunis dans la mission . Il en va ainsi de la dotation annuelle de financement versée par le ministère de la santé à l'institution nationale des invalides, dont le montant est fixé par arrêté pris par le ministre de l'action et des comptes publics et la ministre des solidarités et de la santé, et se traduit par une délégation de crédits de l'assurance-maladie à destination de l'INI. Il en va également ainsi des concours que peuvent apporter les collectivités territoriales à l'accomplissement des actions publiques mises en oeuvre.

L'évaluation du concours de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » à la politique de réparation en faveur des victimes de l'Occupation couvert par le programme 158 n'est pas davantage accessible. Ne l'est pas davantage une quelconque information quant à la contribution, en matière de coût, du ministère de la culture aux objectifs poursuivis par la politique de réparation des préjudices subis par les victimes de spoliations antisémites alors même qu'une cellule spécifiquement dédiée a été instituée à cet effet.

Le rapporteur spécial, s'il ne juge pas comme dépourvu de tout fondement les choix analytiques du ministère, regrette toutefois qu'ils aboutissent à édulcorer la réalité des efforts publics effectivement consacrés aux actions mises en oeuvre.

Au total, la logique suivie par la loi organique relative aux lois de finances se perd, du moins quant à l'information fournie aux Français et à leurs élus sur les moyens consacrés aux politiques publiques, ce qu'il convient de déplorer très vivement.

Le rapporteur spécial recommande que le retour à une présentation complète des crédits budgétaires mobilisés par les différentes interventions financées par la mission soit l'occasion de préciser dans les documents budgétaires correspondants l'ampleur du financement versé par le ministère de la santé au profit de l'Institution nationale des Invalides (INI).

De la même manière, compte tenu de la rénovation des missions de la commission d'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), il conviendrait que le coût des entités animées par le ministère des affaires étrangères et, surtout, le ministère de la culture puisse être recensé au titre des coûts complets engagés pour apurer notre dette de réparation des spoliations antisémites.

2. Les transferts au profit des anciens combattants passent de plus en plus massivement par des dépenses fiscales et sociales non retracées dans les crédits de la mission

Si les interventions en faveur des anciens combattants financées sur crédits budgétaires suivent une tendance très nettement baissière qu'illustre le projet de budget pour 2022 (-5,5 % de crédits sur les rentes viagères), il en va différemment des soutiens passant par les avantages fiscaux accordés aux anciens combattants.

a) 699 millions d'euros de dépenses fiscales recensées

Si les transferts directs au bénéfice des anciens combattants s'inscrivent dans une tendance nettement baissière, les dépenses fiscales et sociales en leur faveur, si elles tendent également à se contracter depuis quelques années, après une période d'extension en 2008-2014, le font dans une mesure bien moindre . En conséquence, leur poids dans les transferts aux anciens combattants augmente.

Ces dépenses s'analysent comme des dispositions législatives ou réglementaires dont la mise en oeuvre entraîne pour l'État une perte de recettes et donc, pour une catégorie de contribuables, un allégement de la charge fiscale par rapport à ce qui serait résulté de l'application des principes généraux du droit fiscal français.

Elles s'élèvent à 699 millions d'euros pour 2022. Ce montant est notamment le résultat d'une extension des conditions d'accès à la demi-part supplémentaire pour les contribuables (et leurs veuves) de plus de 74 ans titulaires de la carte du combattant. En effet, cette mesure bénéficie désormais aux veufs et veuves de personnes ayant bénéficié de la retraite du combattant et non plus aux seuls veufs et veuves de bénéficiaires de la demi-part., la différence tenant au fait qu'un ayant droit bénéficie de la retraite du combattant à 65 ans et de la demi-part à 74 ans. Aussi le veuf ou la veuve de 74 ans dont le conjoint ancien combattant serait décédé entre 65 et 74 ans peut désormais bénéficier de la demi-part. Une modification rédactionnelle a également précisé que le reversement de la demi-part bénéficie aussi bien aux veufs qu'aux veuves et non pas aux seules veuves, un état de fait qui était déjà admis par la doctrine administrative. Le surcoût de ces mesures était évalué à 30 millions d'euros.

En conséquence, les dépenses fiscales diminuent entre 2021 et 2022 de 0,7 % là où les rentes viagères diminuent de 5,5 %.

Une conséquence de cette plus grande importance des dépenses fiscales par rapport aux aides universelles est qu'elle entraine une reconnaissance de la Nation moins redistributive. La dépense fiscale la plus importante (un peu plus de 70 % de la dépense fiscale représentant 20 % des transferts totaux aux anciens combattants), à savoir la demi-part supplémentaire pour les contribuables (et leurs veuves) de plus de 74 ans titulaires de la carte du combattant, ne bénéficie qu'aux anciens combattants ou veuves redevables de l'impôt sur le revenu et donc aux anciens combattants les mieux lotis.

b) Un recensement des dépenses fiscales et sociales perfectible

En application de l'article 51 de la loi organique relative aux lois de finances, ces dépenses fiscales, qui peuvent être assimilées à des dépenses publiques, doivent figurer dans les documents budgétaires, projets et rapports annuels de performance.

Or, si les documents budgétaires recensent 699 millions d'euros pour 2022 (contre 704 millions d'euros pour 2021), le rapporteur spécial doit une fois encore regretter que ce recensement ne soit pas complet.

En ce qui concerne les dépenses fiscales recensées, celles-ci sont principalement composées : de la demi-part supplémentaire pour les contribuables (et leurs veuves) de plus de 74 ans titulaires de la carte du combattant (530 millions d'euros en 2022, soit un montant identique à celui de 2021) ; l'exonération d'impôt sur le revenu de la retraite du combattant, des pensions militaires d'invalidité, des retraites mutuelles servies aux anciens combattants et aux victimes de guerre et de l'allocation de reconnaissance servie aux anciens membres des formations supplétives de l'armée française en Algérie (harkis) et à leurs veuves (145 millions d'euros en 2022 contre 150 millions d'euros en 2021) ; et de la déduction des versements effectués en vue de la retraite mutualiste du combattant (24 millions d'euros en 2022, soit un montant identique à 2021).

Elles comprennent également pour des montants beaucoup moins importants (1 million d'euros ou moins) : l'exonération de droits de mutation pour les successions des victimes d'opérations militaires ou d'actes de terrorisme ; la réduction de droits en raison de la qualité du donataire ou de l'héritier (mutilé, etc.) ; et l'exonération des indemnités versées aux victimes des essais nucléaires français et à leurs ayants droit.

Cependant, ne sont pas recensées dans le projet annuel de performance :

- la part des dépenses fiscales découlant des dispositifs prévus par le programme 158 ;

- l'exonération d'impôt sur le revenu des PMI reversées aux ayants cause des militaires et anciens combattants décédés ;

- pour le programme 158, les indemnités versées aux ayants droit des victimes de spoliation qui sont exonérées d'impôt sur le revenu ;

- la transmission du capital de la rente mutualiste, lorsqu'il a été opté pour le régime réservé viagèrement, qui se fait hors droit de succession dans la limite de la fiscalité actuelle ;

- pour les ayants droit des victimes de spoliations, les indemnités versées postérieurement au décès du bénéficiaire ne constituant pas un patrimoine taxable ;

La répartition des bénéficiaires de ces dépenses fiscales n'est pas connue non plus. Le rapporteur spécial appelle à ce que cette situation soit rectifiée, notamment en ce qui concerne le poste de dépense le plus important, la demi-part accordée aux contribuables de plus de 74 ans.

Il faudrait également, pour une parfaite prise en compte des transferts réalisées au bénéfice des anciens combattants prendre en compte les dépenses sociales réalisées en leur faveur.

Observation : l'affectation des dépenses fiscales au bénéfice des anciens combattants et de leurs ayants cause semble inconnue du ministère des Armées.

Recommandation : corriger au plus tôt une situation d'ignorance qui contraste avec le luxe de conditionnalités exigées par le ministère pour l'attribution des transferts sur crédits budgétaires.

En ce qui concerne la répartition entre les ayants droit et les ayants cause, la question ne se pose pas pour la retraite du combattant, qui n'est pas réversible. Pour les autres prestations bénéficiant d'un avantage fiscal, le ministère indique que « (l)a rente mutualiste du combattant est, elle, réversible au conjoint survivant. Toutefois, le ministère des armées ne dispose pas des informations permettant de différencier les rentes mutualistes qui bénéficient directement aux anciens combattants de celles qui font l'objet d'une réversion . En effet, ces rentes sont versées par des organismes mutualistes. Par ailleurs, le ministère des armées ne dispose pas des informations permettant de connaitre la répartition de la dépense fiscale relative à l'octroi d'une demi-part supplémentaire entre les anciens combattants et leurs conjoints survivants. Cette évaluation relève éventuellement des services du ministère de l'économie, des finances et de la relance ».

La montée en puissance des transferts fiscaux et sociaux dans le total des expressions de la reconnaissance de la Nation aux anciens combattants, conjointe avec celle des majorations accordées aux rentes mutualistes, conduit à une concentration des manifestations de soutien de la Nation à ses anciens combattants dans un contexte où les allocations les plus « universelles » ne bénéficient qu'exceptionnellement et de façon très irrégulière de revalorisations significatives.

On relèvera à cet égard que la demi-part attribuée à partir de 74 ans aux titulaires de la carte du combattant et de PMI , pour bénéficier, semble-t-il, à près de 875 000 foyers fiscaux (cette dépense fiscale représente 75,8 % du total des dépenses fiscales recensées et 37,5 % du montant des dépenses budgétaires au titre des PMI et de la retraite du combattant), exerce des effets nettement différenciés selon le niveau de revenu des bénéficiaires. En particulier, cet avantage ne profite pas aux contribuables exonérés d'impôt sur le revenu.

Un même constat s'impose en ce qui concerne l'exonération d'imposition sur le revenu de la plupart des allocations versées par le programme 169 (145 millions d'euros de transferts vers les anciens combattants). On peut illustrer l'impact de cette disposition en indiquant que, pour un titulaire de la retraite du combattant non imposable, elle équivaut à un avantage nul quand pour un titulaire de la retraite du combattant dont le taux moyen d'imposition tend vers le taux marginal supérieur du barème elle représente une économie d'impôt de 346 euros.

Bien entendu, ces données individuelles ont leur pendant macrofinancier. Ainsi, l'extension des conditions d'attribution de la carte du combattant dite « 62-64 » devrait coûter 30 millions d'euros en année pleine, à financer sur des crédits budgétaires, mais également, une trentaine de millions d'euros de dépense fiscale, moyennant toutefois une répartition différenciée. Le montant des aides accordées pourra ainsi varier de manière importante selon la situation fiscale des anciens combattants concernés.

3. Des indicateurs de performance à la pertinence et aux résultats sujets à caution

Le suivi de la performance pourrait être complété pour mieux tenir compte de la vocation principale de la mission d'assurer des transferts au bénéfice des anciens combattants.

L'indicateur 3.1 (ex-2.1) portant sur le « taux d'insertion professionnelle des volontaires du SMV (service militaire volontaire) » avait été ajouté afin de mesurer le niveau d'insertion des jeunes accueillis par ce dispositif dans la vie active. La cible 2020 de plus de 70 % a été maintenue malgré la crise sanitaire. Elle n'a cependant qu'une signification très faible du fait de la définition d'un indicateur, qui agrège des situations post SMV très hétéroclites et non suivies dans le temps . Par exemple, pour la promotion de 2019 (1 090 volontaires), la cible a été respectée bien que parmi eux, seuls 1,9 % avaient rejoint les armées et 42,9 % avaient obtenu un emploi dans le privé.

En ce qui concerne l'indicateur 1.1 (inchangé suite à la modification de nomenclature), renommé « taux de satisfaction du jeune au regard de la journée défense et citoyenneté » (JDC) pour plus de lisibilité, cet indicateur est régulièrement doté d'un objectif très élevé, qui est atteint. Pour autant, sa signification apparaît des plus médiocres. On comprend que les jeunes suivant la JDC n'en éprouvent pas une répulsion considérable au vu du contenu de la JDC.

Le dispositif de performance du programme 169 « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant » avait également évolué au PAP 2020.

L'indicateur 5.1 (ex-3.2), portant sur le « Nombre de titres/cartes d'anciens combattants traités et délai moyen des dossiers », avait été ajouté afin de rendre compte du délai de traitement des dossiers .

La cible 2020 était de 58 725 dossiers traités pour un délai moyen de traitement de 135 jours. Elle a été révisée à la baisse (44 800 titres pour un délai de 140 jours) du fait de la crise sanitaire mais aussi d'un nombre de demandes moindre que prévu. Pour 2021, il était prévu de délivrer 32 000 titres dans un délai de 135 jours, avec une prévision actualisée du nombre de titres établis à 30 000. En 2022, ces objectifs sont fixés 30 000 dossiers avec un délai moyen de 130 jours. L'objectif relatif au nombre de dossiers traités par agent à lui été presque triplé pour 2022, passant de 1 500 à 4 285, du fait de la centralisation du traitement des dossiers au département reconnaissance et réparation.

Ces modifications ne changent guère une situation marquée par l'attention quasi-exclusive donnée à des éléments de gestion, c'est-à-dire à des processus administratifs portant sur la productivité des services sans considération des impacts des interventions financées par la mission sur ses publics.

Dans ces conditions, les indicateurs en cause apportent une information bienvenue, mais ils sont loin de traduire les enjeux sociaux et sociétaux auxquels entendent répondre les transferts au bénéfice des anciens combattants.

L'impact social des choix budgétaires devrait être intégré à la maquette de performance du programme.

Par ailleurs, en restant dans le cadre de l'actuel suivi de la performance, le rapporteur spécial avait pu observer que les résultats, pour s'être légèrement redressés, demeuraient fréquemment en deçà des cibles.

Il apparaissait, en particulier, que, le délai de traitement des dossiers de PMI était excessivement élevé (250 jours pour les nouvelles demandes, soit 20 jours de plus que prévu en 2021 6 ( * ) ), et, s'agissant d'une valeur moyenne, il n'est possible d'exclure que dans certaines régions il dépasse encore plus l'admissible.

Il importe de remédier à cette situation qui, selon le ministère, provient moins de l'efficacité de la sous-direction des pensions, que de la trop faible disponibilité des médecins conseils experts, étiologie qui peut sans doute être augmentée d'autres facteurs.

Quant au dispositif de performance concernant le programme 158, il n'apporte guère d'informations sur les enjeux réels de la réparation due aux personnes auxquelles les actions publiques qu'il finance sont censées apporter satisfaction.


* 5 Mesuré à partir des seules dépenses du programme 169.

* 6 Objectif initial de 2021 fixé à 230, réévalué à 250. L'objectif pour 2022 est fixé à 230 jours de nouveau.

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