B. LE GOUVERNEMENT N'A PAS ENCORE FIXÉ D'OBJECTIFS CLAIRS À LA POLITIQUE DU LOGEMENT D'ABORD, QUI DEVAIT RÉDUIRE LES BESOINS EN HÉBERGEMENT D'URGENCE...

Les personnes sans abri sont traditionnellement orientées vers un parcours progressif vers le logement qui passe, « en escalier », par différentes étapes et structures d'hébergement pour aller vers le logement autonome.

1. Le « Logement d'abord » a produit des résultats quantitatifs notables...

Dans les années 2010, cette stratégie paraissait à bout de souffle : chaque année, la « gestion au thermomètre » conduisait à ouvrir des places au fur et à mesure de l'apparition des besoins en hiver. En parallèle, les centres d'hébergements d'urgence ont dépassé vers 2016, en nombre de places, les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), où les personnes sont plus proches de l'autonomie. L'engorgement de plus en plus marqué des structures se traduisait par une dérive des coûts constatée par la commission des finances lors des ouvertures de crédits en lois de finances rectificatives : l'hébergement d'urgence , autrefois conçu comme une réponse à une crise, était devenu un dispositif pérenne et l'urgence se transformait en norme d'intervention 9 ( * ) .

Face à ce constat, le « Logement d'abord », sous l'impulsion de la délégation interministérielle pour l'habitat et l'accès au logement (DIHAL), propose une solution alternative qui est de faire passer les personnes directement de la rue à un logement , avec un accompagnement. Des expérimentations menées à l'étranger, puis en France avec le dispositif « Un chez-soi d'abord », qui concerne des personnes sans abri qui souffrent de troubles psychiques, ont montré la capacité de cette stratégie à favoriser le retour à un logement normal de personnes à grandes difficultés.

Porté sur le plan politique dès 2009 par la stratégie nationale de l'hébergement et de l'accès au logement des personnes sans-abri ou mal logées, le « Logement d'abord » a fait l'objet, au début du quinquennat précédent, d'objectifs chiffrés présentés par le président de la République le 11 septembre 2017 10 ( * ) : produire 40 000 logements très sociaux par an dès 2018, ouvrir sur cinq ans 10 000 places en pensions de famille, créer sur cinq ans 40 000 places supplémentaires d'intermédiation locative principalement dans le parc locatif privé, via les dispositifs d'intermédiation locative.

Les résultats sont indéniables sur le plan numérique . Le nombre de places en intermédiation locative financées par le programme 177, qui était de 33 604 places en 2017, dépassait les 70 000 places à la mi-2022, de sorte que l'objectif de 40 000 places supplémentaires pourrait être atteint d'ici à la fin de l'année. Dans le même temps, 6 221 places en pensions de famille ont été ouvertes, soit 62 % de l'objectif total du plan Logement d'abord 11 ( * ) . Les attributions de logements sociaux à des personnes sans abri ont également augmenté.

L'intermédiation locative

L'intermédiation locative est un dispositif qui fait intervenir un tiers (opérateur, organisme agréé ou association) entre le locataire et le bailleur. Des déductions fiscales peuvent atteindre jusqu'à 85 % des revenus locatifs, aux bailleurs qui acceptent de louer leur logement à des ménages en difficulté. Il existe deux formes d'intermédiation locative :

- la location/sous-location : le propriétaire loue son logement à une association agréée, qui assure le paiement des loyers et des charges, l'entretien courant et la remise en état du logement. Elle met le logement à disposition du ménage. Pour le propriétaire, le paiement du loyer est garanti même en cas de vacance ;

- le mandat de gestion : le propriétaire fait appel à une agence immobilière sociale (AIS) qui le met en relation avec le locataire ; le bail est établi entre le locataire et le propriétaire. L'AIS se charge de percevoir pour le compte du propriétaire les loyers et les charges. Elle peut également proposer une garantie de loyers ainsi qu'un accompagnement social du locataire en fonction des besoins.

Source : commission des finances, ANIL 12 ( * )

2. ... avec des moyens financiers en hausse

Dans le prolongement des années précédentes, les crédits du logement adapté connaissent une très nette augmentation dans le présent projet de loi de finances, ceux destinés à l'intermédiation locative dépassant les crédits consacrés aux pensions de famille et aux résidences d'accueil.

Crédits du logement adapté

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des projets annuels de performance

La dépense en intermédiation locative couvre la différence entre le loyer social et le prix du marché, ainsi que les charges de fonctionnement des opérateurs et l'accompagnement des ménages bénéficiaires. L'augmentation en 2023 couvre la création de 8 000 nouveaux postes, mais aussi le coût de la revalorisation salariale des professionnels de l'accompagnement, déjà pris en compte au titre de 2022 par l'ouverture de crédits en loi de finances rectificative du 16 août.

Le poste « Autres », qui porte notamment les crédits du dispositif « Un chez-soi d'abord », est également impacté par cette revalorisation ainsi que par l'augmentation du nombre de sites.

3. Le Gouvernement n'a toutefois toujours pas annoncé sa stratégie pour le Logement d'abord

Si ces crédits semblent impliquer une poursuite de la montée en puissance du dispositif, tout particulièrement de l'intermédiation locative, aucune stratégie précise n'a été annoncée, contrairement aux annonces faites en début de quinquennat précédent.

Selon les auditions réalisées par le rapporteur spécial, un nouveau plan pourrait être annoncé au début de 2023, ce qui signifie que les crédits demandés dans ce projet de loi de finances pourraient être insuffisants, ou mal ciblés, sur les priorités qui seront annoncées.

Le rapporteur spécial regrette cette absence de clarté sur les objectifs , qui risque de démobiliser les acteurs si elle se poursuit trop longtemps. L'abandon de l'objectif - pourtant fort limité - de baisse de 14 000 places du parc d'hébergement est un signe de « navigation à vue » peu propice à la réalisation d'objectifs ambitieux.

En outre et surtout, force est de constater que , malgré les résultats proclamés et les vertus intrinsèques du programme, le « Logement d'abord » n'a pas permis d'inverser la courbe ascendante des besoins en hébergement.


* 9 Nicolas Henckes, Logement d'abord : agenda et conditions d'une politique publique , dans La politique du Logement d'abord en pratique , sous la direction de Nicolas Chambon, Pascale Estecahandy, Élodie Gilliot et Manuel Hennin, Les Presses de Rhizome, septembre 2022.

* 10 Plan quinquennal pour le logement d'abord et la lutte contre le sans-abrisme 2018-2022 , dossier de presse.

* 11 Réponses au questionnaire budgétaire.

* 12 Agence nationale d'information sur le logement, L'intermédiation locative .

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