EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 25 janvier 2023, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport de Mme Laurence Rossignol, rapporteure, sur la proposition de loi (n° 105, 2022-2023) relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous examinons maintenant la proposition de loi relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé.

Mme Laurence Rossignol , rapporteure . - Il y a moins d'un an, sur le rapport de notre présidente Catherine Deroche, la commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France rendait ses conclusions. L'une de ses recommandations était de mettre au point des « standards capacitaires », en utilisant des outils de mesure objective de la « charge en soins », et de mettre en place un mécanisme d'alerte lorsque le ratio « patients par soignant » dépasse un seuil critique.

Notre collègue Bernard Jomier, qui présidait cette commission d'enquête, a choisi de traduire cette préconisation dans une proposition de loi, dont le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a demandé l'inscription à l'ordre du jour du Sénat, dans le cadre de son espace réservé, le 1 er février prochain.

L'hôpital souffre aujourd'hui des départs massifs de soignants, notamment des personnels infirmiers, et en est fragilisé. Les équipes sont au bord de la rupture, et l'activité ne peut reprendre à un niveau comparable à celui qui prévalait avant la pandémie.

Or ces départs ne sont pas dus à un manque d'intérêt pour le métier hospitalier. Le problème de la faiblesse des salaires, auquel le Ségur n'a pas totalement répondu, n'est plus la seule raison de l'hémorragie qui se poursuit.

Le problème du manque d'attractivité des métiers hospitaliers, que nous devons résoudre de manière urgente, n'est pas dissociable des conditions de travail des personnels. Ceux qui restent assument encore davantage de gardes, de nuits, de week-ends pour pallier les vacances de poste. En sous-effectifs, ils sont souvent épuisés et sous pression, et ont peur de commettre des erreurs. Ils font face à une perte de sens des métiers du soin, qui sont aujourd'hui exercés dans la précipitation, sans que le temps auprès du patient soit suffisamment valorisé ou parfois même possible.

C'est une réponse à la dégradation des conditions de travail que les auteurs de la proposition de loi cherchent à apporter. En établissant des ratios et, surtout, disons-le, en se donnant les moyens de les respecter, ceux-ci entendent rassurer les personnels soignants et leur envoyer un message clair : ne partez-pas, revenez, nous posons les jalons de conditions de travail décentes.

Un tel raisonnement n'est pas seulement théorique. En tout cas, il n'est nullement utopique : il s'appuie sur la littérature scientifique établie à partir des expériences menées par d'autres États, en particulier la Californie et le Queensland, en Australie. Les divers exemples de mise en place de ratios dans des établissements de santé montrent que ceux-ci ont un réel effet sur la qualité de vie au travail, le nombre de burn-out enregistrés et l'attractivité des métiers. Ces mêmes ratios ont aussi un effet sur la qualité des soins et se traduisent par une baisse des réadmissions et de la mortalité.

Dans son rapport publié le mois dernier sur les déterminants de la qualité et de la sécurité des soins en établissement de santé, la Haute Autorité de santé (HAS) constatait elle-même une corrélation entre l'effectif médical et le pronostic des patients.

Avec ce texte, nous voulons saisir l'occasion d'améliorer la qualité des soins et les conditions de travail des personnels soignants.

La proposition de loi entend confier à la HAS la mission de définir, par spécialité et par activité de soins hospitaliers, un ratio minimal de soignants par lit ouvert ou par nombre de passages pour les activités ambulatoires, en tenant compte de la charge de soins. Ces ratios s'appliqueraient aux établissements assurant le service public hospitalier, pour l'essentiel les établissements de santé publics et les établissements privés d'intérêt collectif. Leur mise en oeuvre serait confiée à la commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques (CSIRMT).

Je tiens à signaler qu'aujourd'hui des ratios existent pour cinq activités de soins, au titre de la sécurité des patients. Ils sont prévus par décret et constituent des conditions requises pour le fonctionnement des services, faute de quoi leur capacité d'accueil est restreinte. Il s'agit de la néonatologie et de la réanimation néonatale, du traitement des grands brûlés, de la réanimation, des soins intensifs, ainsi que de l'insuffisance rénale chronique. Les activités de soins liés à la naissance et au traitement du cancer obéissent à des exigences du même ordre.

J'ai mené, la semaine dernière, une quinzaine d'auditions, qui m'ont permis d'entendre plus d'une cinquantaine d'intervenants. Le constat est clair : les soignants soutiennent unanimement l'instauration de ratios de soignants par patient à l'hôpital. Quand je parle de « soignants », j'entends les personnels infirmiers, et, plus largement, les professions paramédicales, mais aussi les professions médicales hospitalières, les médecins et les sages-femmes. Tous voient dans ce texte une réponse à leurs attentes, de nature à restaurer une meilleure qualité de vie au travail.

Si le soutien des personnels paramédicaux était attendu, celui des présidents des commissions médicales d'établissement (CME) s'est révélé tout aussi clair. Rémi Salomon, président de la CME de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et de la conférence nationale des présidents de CME de centres hospitaliers universitaires (CHU), et Thierry Godeau, président de la conférence nationale des présidents de CME de centres hospitaliers (CME-CH) ont soutenu le texte sans ambiguïté, considérant qu'il s'agissait d'un signal nécessaire à destination des soignants et d'une mesure indispensable pour faire revenir les personnels ayant quitté l'hôpital et endiguer les départs.

Face à cette demande unanime des soignants, je ne peux que déplorer la frilosité tout aussi unanime des représentants des administrations, au niveau central comme au niveau des directions d'établissement, que j'ai auditionnés. Ils craignent que le dispositif instaure trop de « rigidité », ce dernier mot ayant été très souvent prononcé, alors même que le texte ne prévoit pas de ratios aussi contraignants que les ratios « sécuritaires ».

Mais, soyons honnêtes, la principale crainte que j'ai identifiée chez les directeurs d'établissement était que les recrutements qui seront nécessaires au respect de ces ratios ne soient pas financés. En clair, ils redoutent que l'on crée une contrainte supplémentaire sans que les moyens suivent.

Le message le plus souvent relayé, corollaire immédiat de cette crainte, a été que cette proposition de loi conduirait à fermer des lits. Ce n'est pourtant ni l'intention des auteurs - bien au contraire - ni ce qu'entraînera le dispositif proposé. J'invite tous ceux qui seraient sensibles à ce discours à observer la situation de nos hôpitaux : on constate encore des déprogrammations d'opérations massives et de nombreuses fermetures de lits, faute de personnels - non à cause de ratios ! J'ajoute que les ratios instaurés par la proposition de loi ne contribueront pas à fermer des lits : bien au contraire, ils visent à rétablir les capacités de l'hôpital en faisant revenir les soignants.

Surtout, ce texte se veut, du moins pour une part, une « loi de programmation » : les ratios doivent fixer des cibles à atteindre. C'est donc un travail au long cours que ses auteurs entendent engager. Tout le monde est conscient que les recrutements ne se feront pas en six mois et qu'il est question ici d'enclencher une dynamique.

Ces ratios ne sont que formellement une nouveauté, une « rigidité » supplémentaire. Certes, en dehors des activités que je mentionnais, il n'y a aucun ratio défini officiellement aujourd'hui, mais des ratios informels existent ou ont existé : je pense aux contrats de transformation créés à la suite des recommandations de l'ancien Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins hospitaliers (Copermo), qui reposaient sur le ratio d'un infirmier pour 15 patients.

Or de tels ratios informels sont intenables. C'est pourquoi le texte entend substituer des ratios dits « de qualité » à ces ratios fondés sur la « performance », qui ont fragilisé l'hôpital.

Par ailleurs, à ceux qui craignent que la mise en place de ratios serve ultérieurement, de prétexte à réduire les effectifs dans certains services, je tiens à signaler que l'intention des auteurs du texte est non pas de faire appliquer des quotas sans discernement, mais d'établir des « fourchettes », terme qui ne peut pas figurer tel quel dans la loi.

Il faudra évidemment adapter le dispositif aux contextes locaux, pour tenir compte de la précarité de la population, d'une éventuelle architecture contraignante, des moyens informatiques existants, voire de l'expérience des équipes. Il ne s'agit pas ici, comme certains pourraient le penser, de ratios « aveugles ».

Enfin, pour répondre à la dernière objection que l'on nous a spontanément opposée, nous ne sommes capables d'évaluer les effectifs qui seront nécessaires pour faire respecter ces ratios. Cet argument joue précisément en faveur de ces derniers : alors que, depuis plus de vingt ans, aucun effort n'a réellement été fait pour évaluer correctement la charge en soins, du moins de telle sorte que cela ne crée aucune charge supplémentaire pour les soignants, ces ratios imposeraient, de fait, un vrai travail.

À l'issue de cette semaine d'auditions, j'estime que le présent texte est nécessaire. Je rappelle que le collège de la HAS, dans sa lettre ouverte de mars dernier, considérait que l'enjeu prioritaire était celui des ressources humaines. Or il faut reconnaître que peu de réponses adaptées ont été apportées par les pouvoirs publics depuis.

Si aucune mesure ne contraint à accélérer le rétablissement des effectifs dont l'hôpital a besoin, je crains que le cercle vicieux ne s'accélère. Cependant, pour assurer la bonne mise en oeuvre de ce texte, ménager certaines craintes et élaborer une rédaction susceptible de rassembler une majorité de sénateurs, j'ai déposé un amendement qui a reçu - je m'en félicite - le soutien de notre collègue Bernard Jomier, auteur principal de la proposition de loi.

Il s'agit de modifier le dispositif de l'article unique, afin de mieux articuler les ratios « sécuritaires » existants et les ratios « de qualité » créés par le texte et établis par décret aux côtés du référentiel dont la HAS aura la charge, en prévoyant, en outre, différents critères à prendre en compte.

Je propose également que la commission médicale et la commission des soins infirmiers jouent un rôle dans le schéma d'organisation des soins au regard de ces ratios, ce qui contribuerait à préserver leurs compétences et respecter une adaptation possible au niveau local. Parallèlement, je souhaite l'instauration d'une procédure de signalement à l'agence régionale de santé (ARS), tant pour assurer l'information des tutelles que pour répondre au déficit de données sur le sujet.

Enfin, pour répondre à un besoin de progressivité, je propose une entrée en vigueur différée de ce texte, en deux temps.

Je suis pleinement consciente - Bernard Jomier l'est également - que ce texte n'est pas de nature à répondre à l'ensemble des problèmes de l'hôpital. Cette proposition n'en a d'ailleurs pas l'ambition. Nous devrons continuer de travailler sur une série de sujets directement liés à l'attractivité des métiers et aux conditions de travail, ceux qui concernent le recrutement. De nombreuses personnes auditionnées ont regretté la suppression de l'examen de motivation dans Parcoursup ou la modification des maquettes de formation, et plaidé pour la nécessaire limitation de l'intérim, en début de carrière notamment, ainsi que pour un meilleur accès au logement dans les grandes métropoles.

Il me revient enfin, en tant que rapporteure, de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.

Je considère que celui-ci comprend des dispositions relatives aux missions de la Haute Autorité de santé concernant les établissements de santé, aux conditions de fonctionnement des établissements de santé pour ce qui relève des effectifs soignants.

En revanche, j'estime que n'auraient pas de lien, même indirect, avec cette proposition de loi des dispositions relatives à la gouvernance et au financement des établissements de santé, aux régimes d'autorisation ou d'installation propres aux établissements de santé ou à certains équipements.

Il en est ainsi décidé.

Mme Laurence Rossignol , rapporteure . - Mes chers collègues, j'espère que ce texte saura trouver une majorité au sein de notre commission et, la semaine prochaine, dans l'hémicycle du Sénat. Alors que les voeux du Président de la République n'ont pas dessiné de réelle voie de redressement de notre système de santé, il nous appartient, dans le cadre des compétences qui sont les nôtres, de faire oeuvre utile.

M. Philippe Mouiller . - Je vous remercie pour ces explications, madame la rapporteure, ainsi que pour les perspectives qu'offre l'amendement que vous avez déposé.

Le groupe Les Républicains s'est longuement interrogé sur le soutien qu'il devrait ou non apporter à ce texte. Compte tenu des auditions que la commission a menées, de votre argumentaire et des évolutions que vous envisagez d'apporter, nous porterons un regard bienveillant sur cette proposition de loi. Il s'agit, à nos yeux, d'un message de soutien aux soignants, d'autant plus important que le contexte est tendu.

Comme vous l'avez rappelé, des ratios existent déjà dans un certain nombre de services. D'une certaine façon, ce texte constitue un atout supplémentaire pour établir un bilan précis et global de la gestion de l'hôpital. Il doit également permettre de répondre au problème des conditions de travail, donc de l'attractivité des métiers, tout en étant gage d'efficacité dans la prise en charge des patients.

Nous avons craint un temps que la mise en oeuvre de ces ratios ne puisse causer la fermeture de lits, mais nous avons bien compris que l'intention des auteurs de ce texte était avant tout de fixer un objectif, non d'imposer une réforme par les chiffres.

Nous serons vigilants sur ce point : cette proposition de loi doit avant toute chose contribuer à la mise en place de normes qualitatives. Elle soulève, en outre, une question importante : quid du dispositif en période de crise ? Une forme de souplesse est-elle envisagée ?

Mme Véronique Guillotin . - Nous porterons également un regard bienveillant sur cette proposition de loi de bon sens, qui est très attendue par les soignants.

Je souhaite témoigner de l'expérience que je tire de mon département. On constate aujourd'hui que de nombreuses infirmières résidant en Meurthe-et-Moselle travaillent désormais au Luxembourg, certes pour percevoir des salaires plus élevés, mais aussi - ce que l'on sait moins - pour bénéficier d'une meilleure qualité de vie au travail. C'est aussi pourquoi je pense que ce texte va dans le bon sens.

Il reste qu'un doute persiste sur le risque que l'application d'un tel dispositif puisse entraîner de nouvelles fermetures de lits. J'espère que vous saurez lever ces incertitudes.

M. Daniel Chasseing . - Je pense, tout comme la rapporteure, qu'il faut garantir un nombre minimal de soignants par patient, à la fois parce qu'il est indispensable que les personnels disposent du temps nécessaire pour exercer correctement leur métier et parce que le manque de professionnels favorise leur découragement. Malgré l'augmentation des salaires liée au Ségur de la santé, on constate toujours plus de démissions.

Je suis par ailleurs favorable à ce que le dispositif puisse s'adapter en fonction des circonstances. Je voterai donc cette proposition de loi.

Mme Raymonde Poncet Monge . - Comme vous l'avez indiqué, madame la rapporteure, cette réforme ne suffira pas, mais elle est indispensable. Il s'agit d'un signal fort envoyé aux soignants, à rebours d'une situation qui empire - autrement dit, d'une inflexion absolument essentielle.

Les ratios actuellement appliqués pour certaines activités hospitalières ont permis de garantir un ajustement permanent des effectifs, malgré les contraintes budgétaires. Ils ont contribué à éviter le ballotage des personnels d'un service à l'autre, lesquels ont pu exercer leur spécialité dans de meilleures conditions que certains de leurs collègues.

Cependant, permettez-moi de vous faire observer que le risque de nouvelles fermetures de lits n'est pas un fantasme, car un tel phénomène s'est déjà produit par le passé.

Au-delà de la question du calendrier de mise en oeuvre de ce texte, il faudrait également réfléchir aux distorsions de concurrence entre public et privé. Nous plaidons pour une application différenciée du dispositif à l'hôpital public, afin de prendre en compte les contraintes de garde spécifiques qui s'y attachent et la nécessaire continuité du service.

Dernier point, nous pensons que de tels ratios doivent être mis en oeuvre pour une durée limitée, d'autant que les métiers changent très vite aujourd'hui. Les décrets d'application prévus par le texte devront être régulièrement modifiés pour tenir compte de l'évolution du système de santé et des compétences des soignants.

Pour autant, vous l'aurez compris, le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires est favorable à cette proposition de loi.

Mme Michelle Meunier . - Certains raillent le principe des ratios, notamment ceux qui existent dans le domaine de la santé. Or c'est assez efficace ! Je pense, en particulier, au secteur de la petite enfance, où a été instauré avec succès un nombre minimal de personnels qualifiés par enfants.

J'ajoute que, du point de vue des patients, ce texte est un gage supplémentaire de qualité des soins. Il permettra aussi, je l'espère, d'améliorer les conditions de travail des professionnels.

Mme Laurence Cohen . - Je vais faire entendre une voix un peu discordante. Mon groupe estime, en effet, que l'on ne peut pas prendre position sur un tel dispositif sans prendre en considération le contexte politique actuel et les difficultés auxquelles le système de santé est confronté.

Je sais bien que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat n'a nullement l'intention de causer de nouvelles fermetures de lits et de services - c'est même le contraire de l'objectif affiché -, mais mon groupe se demande tout de même, surtout après avoir entendu un certain nombre de syndicalistes, comment, avec un tel dispositif, il sera possible de maintenir les capacités de l'hôpital, pourtant déjà insuffisantes, surtout à moyens constants. En d'autres termes, où trouvera-t-on l'argent ?

Parmi les risques que fait courir cette proposition de loi, il faut également citer celui que les services entrent en conflit pour attirer les soignants. Autre question concernant la gouvernance du dispositif : pourquoi ne pas associer les associations syndicales à la HAS et la commission des soins infirmiers pour la mise en oeuvre de ces ratios ?

Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste s'abstiendra sur ce texte.

M. Olivier Henno . - Je n'ai aucun doute sur les bonnes intentions des auteurs de cette proposition de loi ni sur le fait que cette dernière pose les bonnes questions, mais les réponses apportées me laissent perplexe.

Je m'interroge sur ce texte, comme sur les autres propositions de loi qui ont successivement été déposées ces dernières années et qui visaient toutes à mettre un terme à la pénurie des personnels soignants. En multipliant de telles initiatives, ne contribue-t-on pas davantage à « stresser » le système de santé qu'à régler le problème, et ce d'autant plus que notre système de formation a du mal à s'adapter ? À mes yeux, c'est notre capacité à former plus de professionnels, plus vite, qui représente l'enjeu prioritaire aujourd'hui.

Mme Jocelyne Guidez . - Cette proposition de loi a le mérite d'exister. Simplement, je reste sceptique, madame la rapporteure, car vous annoncez vouloir limiter le recours aux intérimaires, alors que l'établissement de ratios nous conduira, au contraire, à y faire appel, ce qui creusera inévitablement le déficit de l'hôpital.

Ce texte constitue, j'en conviens, une avancée, mais il me plonge dans la perplexité, notamment au vu du niveau de formation actuel des soignants.

Mme Corinne Imbert . - Le cycle d'auditions a-t-il été l'occasion d'évoquer la question du temps consacré par les cadres de santé à la gestion des plannings ? On peut regretter que ces professionnels très qualifiés ne consacrent plus qu'une partie de leur temps à épauler les équipes soignantes.

M. Jean-Luc Fichet . - Les ratios ont peut-être des effets pervers, mais ils sont aujourd'hui absolument nécessaires, tant les conditions de travail à l'hôpital sont déplorables. Cette proposition de loi constitue une réponse au diagnostic terrible dressé en matière de ressources humaines.

M. Martin Lévrier . - L'enfer est pavé de bonnes intentions : ce sujet ne relève-t-il pas davantage du domaine réglementaire ?

Mme Laurence Rossignol , rapporteure . - En réponse à Martin Lévrier, je précise que l'étape qui suivra l'éventuelle adoption de ce texte et qui en permettra la bonne application relève effectivement du domaine réglementaire. Par ailleurs, le Gouvernement pourrait certainement fixer des ratios lui-même, puisque les ratios « sécuritaires » en vigueur aujourd'hui n'ont pas de fondement législatif précis et relèvent d'un renvoi général au décret pour ce qui est des « conditions techniques de fonctionnement ». Cela étant, nous agissons bel et bien dans le cadre de nos compétences : avec ce texte, nous donnons une impulsion politique et montrons à l'exécutif la voie à suivre.

À ceux de nos collègues qui ont fait part de leur interrogations, je tiens à dire que je me suis posé les mêmes questions.

Pour autant, il faut partir de l'existant : la situation continue de se dégrader et les mesures du Ségur de la santé n'ont pas mis fin à la « fuite » des personnels hospitaliers. Il convient de distinguer les médecins des infirmières et des aides-soignantes. Si nous manquons effectivement de médecins, nous avons suffisamment d'infirmières. Ce qui pose problème aujourd'hui, c'est que ces dernières quittent l'hôpital après quelques années, voire abandonnent pendant ou à l'issue de leur formation. L'enjeu est donc de ramener ces professionnels à l'hôpital public.

Le texte que nous examinons est d'autant plus important que le faible nombre de soignants au chevet des patients a des conséquences néfastes sur le niveau de formation des infirmières, qui ne bénéficient plus suffisamment aujourd'hui du tutorat et de l'expérience des seniors.

Beaucoup d'entre vous craignent que les ratios mis en oeuvre ne puissent devenir un instrument conduisant à la fermeture de nouveaux lits. Regardons, là encore, la situation actuelle : si l'on ne fait rien, on continuera comme aujourd'hui à « déshabiller » les services où les ratios ne s'appliquent pas pour « habiller » ceux où ils s'appliquent. Il convient d'agir, d'autant que les services prioritaires ou critiques sont aujourd'hui bien identifiés.

Notre collègue Laurence Cohen a lancé un appel à l'augmentation du budget de l'hôpital. Nous sommes d'accord : personne ne peut imaginer que le dispositif proposé fonctionnera à budget constant.

Plusieurs collègues ont réclamé de la souplesse. Mon amendement répond à leur inquiétude : il tend à créer deux ratios - l'un dit « sécuritaire », l'autre dit « de qualité » -, tout en prévoyant, au cas où un ratio ne serait pas respecté, que l'agence régionale de santé en soit alertée. En creux, cela signifie qu'un ratio peut ne pas être respecté pendant quelques jours. Une telle rédaction garantit donc une forme de souplesse aux établissements de santé.

Autre point, le Conseil constitutionnel a récemment censuré, comme cavalier social, une disposition interdisant le recours à l'intérim pour les jeunes infirmières dans les trois premières années d'exercice de leur métier. Ce texte ne règle certes pas le problème, madame Guidez, mais je trouvais intéressant d'évoquer cet enjeu dans mon propos liminaire et de rappeler que la mesure déclarée irrecevable par le Conseil allait dans le bon sens.

Enfin, je partage le constat dressé par notre collègue Corinne Imbert, à savoir que les cadres infirmiers passent, hélas, trop de temps à faire des plannings et, surtout, à tenter de « boucher les trous ».

Mme Annick Jacquemet . - En cas de non-respect des quotas mis en place, que se passera-t-il concrètement ?

Mme Laurence Rossignol , rapporteure . - Les services continueront de fonctionner. En revanche, l'ARS sera tenue de réagir, ce qui présente l'intérêt, non pas de rétablir une tutelle, mais d'inciter l'État à une forme de responsabilité dans le fonctionnement des hôpitaux.

M. Bernard Jomier , auteur de la proposition de loi . - Tout d'abord, permettez-moi de remercier la rapporteure pour l'ensemble de son travail.

Malgré tous les obstacles qui peuvent se présenter, je pense que ce texte répond à une demande forte des soignants. D'une certaine manière, les nombreux témoignages de médecins, d'infirmières, de kinésithérapeutes, de présidents de CME, de représentants d'organisations syndicales, de sages-femmes nous obligent. Certes, notre initiative ne résoudra pas la crise actuelle, mais il s'agit d'un signal important.

La mise en oeuvre de cette proposition de loi ne devra être ni brutale ni uniforme, pour ne pas créer d'effets pervers ni devenir inapplicable. Elle représente un cap, lequel contribuera à régler la crise du sens et à combler le manque de temps dont les soignants souffrent au quotidien.

Le ministre de la santé et de la prévention a récemment exprimé son opposition à notre texte. J'espère, pour ma part, qu'il fera l'objet, après tout le travail accompli par notre commission, d'un consensus au sein de notre assemblée.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Avant de passer à l'examen de la proposition de loi, je rappelle que cette dernière tire son origine de l'une des recommandations de la commission d'enquête sénatoriale sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France qui appelait à établir des « standards capacitaires ». Le rapport de cette commission, adopté à la quasi-unanimité, a permis de dresser un bilan exhaustif de la situation des hôpitaux, ainsi que des difficultés des personnels soignants et administratifs.

Au fil des mois, on constate, hélas, que la situation ne s'améliore pas. Il faut donc agir, notamment en créant les conditions d'une plus grande souplesse pour que l'hôpital soit en mesure de faire face aux crises à venir. Cette proposition de loi y contribue, en envoyant un message d'espoir aux professionnels.

J'ajoute que le travail de la rapporteure, au travers de l'amendement qu'elle s'apprête à présenter, permettra d'instaurer davantage de progressivité dans l'application d'un dispositif qui va dans le bon sens, même s'il ne constitue pas une solution miracle.

Je vous invite, mes chers collègues, à voter le texte modifié par l'amendement de notre commission.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

Mme Laurence Rossignol , rapporteure . - L'amendement COM-1 a pour objet de clarifier le dispositif proposé et de préciser son articulation avec les ratios existants.

Il vise, pour ce faire, à donner une base légale claire aux ratios « de sécurité » déjà en vigueur, à créer de nouveaux ratios dits « de qualité », tenant compte de la qualité des soins, des conditions d'exercice des personnels soignants et de la spécialisation ou de la taille de l'établissement de santé, et ce pour une période maximale de cinq années.

Il tend, en outre, à renforcer la progressivité du dispositif, puisqu'il prévoit son entrée en vigueur avant le 31 décembre 2024 pour la partie relative à la HAS et accorde ensuite deux ans au Gouvernement pour déterminer les ratios réglementaires.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Mes chers collègues, je vous remercie pour ce beau message envoyé aux soignants.

TABLEAU DES SORTS

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique
Ratios de soignants par patient hospitalisé

Mme ROSSIGNOL, rapporteure

1

Définition, portée et mise en oeuvre progressive des ratios de qualité

Adopté

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