EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 1 ER MARS 2023

M. François-Noël Buffet , président . - Nous examinons la proposition de loi visant à adapter la défense extérieure contre l'incendie à la réalité des territoires ruraux, présentée par Hervé Maurey, Françoise Gatel et plusieurs de leurs collègues.

M. Loïc Hervé , rapporteur . - La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui entend répondre à un problème lancinant, que les communes, en particulier en zone rurale, ne connaissent que trop bien, à savoir l'exercice particulièrement complexe de leurs missions en matière de défense extérieure contre l'incendie (DECI) - ce problème avait été souligné lors des élections sénatoriales de 2020.

Les difficultés en la matière sont connues de longue date et la consultation du répertoire des questions écrites des députés et des sénateurs corrobore le sentiment d'un État historiquement velléitaire en la matière : de sollicitations restées lettre morte en promesses de réformes non tenues, le sujet a longtemps constitué un « irritant » pour les maires en zone rurale.

Si, aujourd'hui, la passivité et l'inertie de l'État en la matière ne semblent plus de mise, nous le devons tout particulièrement à notre collègue Hervé Maurey, très mobilisé pour défendre les intérêts des communes rurales sur ce sujet, co-auteur avec Franck Montaugé d'un rapport d'information en 2021 et auteur de la proposition de loi que nous examinons.

Le cadre juridique applicable à ces missions avait pourtant été largement révisé par la loi Warsmann du 17 mai 2011. Pour mémoire, ce cadre prévoit une « hiérarchie des normes » entre plusieurs documents dont le règlement départemental de défense extérieure contre l'incendie (RDDECI) constitue le noeud : ces règlements départementaux, établis en concertation avec les maires et arrêtés par le préfet de département après avis du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (SDIS), doivent tenir compte d'un référentiel national de la défense extérieure contre l'incendie (RNDECI) et s'imposent aux communes, dont les arrêtés et les éventuels schémas en matière de DECI doivent être conformes au RDDECI.

Outre le délai, jugé excessif, de mise en application de cette réforme, les difficultés des communes n'ont pas trouvé de solution définitive. Comme l'a relevé le rapport d'information d'Hervé Maurey et de Franck Montaugé précité, ces difficultés, qui demeurent, sont de quatre ordres.

Premièrement, la concertation des élus est jugée « inégale » dans l'élaboration des RDDECI.

Deuxièmement, la couverture du risque est qualifiée de « défaillante ».

Troisièmement, une difficulté tient à l'inadéquation entre les prescriptions des RDDECI et les risques réels, les premières n'étant pas toujours proportionnées aux seconds, en raison d'une évaluation insuffisante de la complexité des règles et, surtout, du défaut d'adaptation de celles-ci aux spécificités des territoires, en particulier ruraux. Nous avons tous entendu parler de la tristement célèbre règle des 200 ou des 400 mètres !

Quatrièmement, enfin, une autre difficulté concerne le coût financier, à la fois budgétaire et en termes de développement économique, notamment lorsqu'une autorisation d'urbanisme ne peut être accordée en raison du défaut de couverture du risque incendie.

La présente proposition de loi tend ainsi à traduire dans la loi ces recommandations, en prévoyant la concomitance de la révision du RDDECI et du schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (SDACR), dont la loi prévoit déjà la révision quinquennale. Elle renforce la concertation des élus en prévoyant que le RDDECI est établi « après avis du conseil départemental et des associations départementales des maires » et contraint à une évaluation plus systématique.

Je partage pleinement l'intention de l'auteur, et je sais que nombre d'entre vous ont rencontré des maires confrontés à de réelles difficultés en la matière.

Les auditions que j'ai conduites m'ont néanmoins amené à vous proposer une réécriture du dispositif proposé par notre collègue Hervé Maurey. En effet, les personnes que j'ai auditionnées ont généralement convenu de l'incongruité que pouvait constituer la coexistence du SDACR et du RDDECI : de l'Assemblée des départements de France (ADF) à la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) en passant par le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, le préfet Alain Thirion lui-même, personne n'était en mesure de m'expliquer l'intérêt de l'existence de deux documents distincts.

Tout porte à croire que la DECI constituant le parent pauvre de l'organisation des moyens de lutte contre l'incendie, il a été fait le choix d'en faire un document annexe, distinct et sans articulation avec le document stratégique que constitue le SDACR.

Or, il me semble que la prise en compte des moyens et des difficultés rencontrées par les communes en matière de DECI doit justement constituer un élément de la stratégie des SDIS. La détermination et l'allocation des moyens de ceux-ci ne sauraient faire l'économie d'une analyse des forces et faiblesses de la DECI dans un département : le SDACR doit prévoir des adaptations de ses prescriptions en fonction de ces forces et faiblesses. Dans certains départements touchés l'an passé par les « mégafeux », le SDACR n'évoque même pas les questions d'eau.

C'est la raison pour laquelle, en lieu et place de la simple révision concomitante proposée par notre collègue Hervé Maurey, je vous proposerai un amendement tendant à simplifier et renforcer la portée de ce dispositif, en faisant du RDDECI un volet à part entière du SDACR. Ce volet continuerait ainsi à porter règlement départemental et, sans qu'il soit besoin de le préciser dans la loi, les arrêtés communaux et intercommunaux en matière de DECI devraient être conformes à ce nouveau volet du SDACR. Cette mesure constituerait également une simplification des documents organisant les SDIS, qui n'ont jamais fait l'objet d'une réforme globale portant une vision d'ensemble et stratégique de ces compétences.

La procédure d'adoption du volet spécifique à la DECI au sein du SDACR s'inspire très largement de celle qui est aujourd'hui applicable pour l'établissement du RDDECI. Elle conserve néanmoins deux apports du dispositif initial : le projet de document ferait l'objet d'une concertation élargie, le conseil départemental et les conseils municipaux et organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) compétents étant désormais consultés pour avis, et d'une évaluation préalable du service public de la DECI, conformément au souhait de l'auteur de la proposition de loi. Le principe d'une révision concomitante du SDACR et de son volet relatif à la DECI serait également conservé.

Ce dispositif me paraît pouvoir être harmonieusement complété par l'amendement de notre collègue Hervé Maurey tendant à créer une commission départementale de suivi de la défense extérieure contre l'incendie. Constituée d'élus, elle aurait pour missions, d'une part, de procéder à l'évaluation régulière de l'état de la couverture des risques au regard des points d'eau situés sur le territoire dont elle ferait état dans un rapport annuel et, d'autre part, de formuler toute proposition d'évolution qu'elle jugerait pertinente. Cette piste d'évolution, évoquée par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) dans un rapport de juin 2022, me paraît consensuelle et permettrait aux élus de disposer d'un espace d'écoute et de dialogue avec le SDIS.

J'émettrai donc un avis favorable à son endroit, sous réserve de l'adoption d'un sous-amendement. Je propose en effet que ce rapport annuel puisse faire fonction, sur décision du conseil d'administration du SDIS, d'évaluation préalable du service public de la DECI l'année précédant la révision du SDACR.

Cette modification me paraît de nature à renforcer la place de cette commission, qui pourrait se voir attribuer un rôle majeur dans l'élaboration du volet « DECI » du SDACR. Elle constitue aussi une mesure de simplification, des évaluations aux objectifs similaires n'ayant pas nécessairement vocation à être multipliées.

Au bénéfice de ces observations, je vous suggère d'adopter la proposition de loi, sous réserve de l'adoption de ces amendements.

Je tiens à souligner que ces orientations ont été pleinement endossées par l'auteur de la proposition de loi, que je remercie pour son écoute attentive et la qualité de notre dialogue. Je crois exprimer notre sentiment collectif en disant que le sujet de la DECI doit beaucoup à Hervé Maurey, et j'espère que nous cheminerons collectivement ce matin vers une amélioration de la vie des communes rurales.

Mme Laurence Harribey . - Merci pour ce rapport très complet.

Sur le fond, nous adhérons totalement à cette proposition de loi ainsi qu'à l'amendement et au sous-amendement proposés. L'article unique qui prévoit de ne plus laisser l'initiative du RDDECI au préfet, avec une révision dans un délai restreint, est de bon sens. Nous ressentons largement sur le terrain le manque de concertation avec les élus locaux. En outre, selon le chiffrage réalisé par le Sénat, 7 millions de personnes ne seraient actuellement pas protégées.

Toutefois, sur la forme, j'attire votre attention sur le fait que ce texte est directement issu des recommandations du rapport d'information publié par Hervé Maurey et Franck Montaugé. L'élégance des relations de travail qui prévaut au Sénat sous-tend que nombre de rapports d'information produits de manière transpartisane font l'objet de propositions de lois, elles-mêmes transpartisanes. Il s'avère que ce texte reprend quasiment mot pour mot, avant le travail du rapporteur, l'article 1 er d'une proposition de loi qui avait été déposée en juin 2022 par Hervé Maurey et Franck Montaugé. Or l'un des auteurs n'a pas été consulté sur la reprise de ces dispositions dans la présente proposition de loi, ce que nous déplorons.

Toutefois, puisque l'intelligence collective et le respect des autres doivent primer, sachant que nous servons tous la cause des élus locaux. C'est pourquoi, dans l'intérêt général, nous voterons cette proposition de loi.

Mme Françoise Gatel . - Je salue l'oeuvre du rapporteur, qui permet une simplification en rapprochant deux dispositifs existants.

En 2020, un grand nombre d'entre nous avons été interpellés sur la question de la défense extérieure contre l'incendie. Les élus locaux découvraient alors la déclinaison départementale des dispositions adoptées en 2015, qui fixaient la possibilité de procéder à toute nouvelle construction à une distance maximale de 400 mètres d'une borne incendie.

Cette question est compliquée. Relevant du SDIS, la défense extérieure contre l'incendie est financée par le département à hauteur de 50 %, l'autre moitié étant financée par les communes et les intercommunalités, lesquelles ont la responsabilité de la sécurité incendie sur leur territoire. Elles doivent faire face aux dépenses prévues par le SDACR défini par le SDIS.

Le Président du Sénat a demandé à la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation un rapport d'information sur ce sujet, qui a été produit par nos collègues Hervé Maurey et Franck Montaugé, et qui a conduit Hervé Maurey à déposer cette proposition de loi, que j'ai cosignée.

Cette proposition de loi, amendée dans le sens indiqué par le rapporteur, répond aux objectifs de simplification et de véritable concertation des élus. Notons que les SDIS imposent parfois aux communes, par souci extrême de sécurité, des dépenses considérables, alors même que de nouveaux engins plus performants existent. Je me félicite donc que le maire soit pleinement associé.

Mme Nathalie Goulet . - J'ai noté que ce sujet avait été un irritant lors des sénatoriales de 2020, mais il l'est toujours en 2023.

Après avoir procédé à quelques acrobaties pour faire en sorte que ces dépenses figurent dans la liste des dépenses subventionnables au titre de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), ce qui grève cette enveloppe, nous en constatons les limites dans la mesure où aucune différenciation n'est réalisée entre les territoires ni entre les outils. Certains départements, dont le mien, disposent effectivement d'engins plus adaptés et plus légers.

J'espère que ce texte, qui est bienvenu et qui est très attendu, fera consensus au Sénat et prospérera à l'Assemblée nationale. Là encore, le Sénat montre sa capacité à écouter les territoires.

M. Loïc Hervé , rapporteur . - Je donne totalement acte à Laurence Harribey de ses observations. Franck Montaugé a évidemment contribué à la rédaction du rapport d'information produit au nom de la délégation aux collectivités territoriales, j'espère que nous répondons aux problématiques qu'il y a soulevées. Il aura sans doute l'occasion de s'exprimer en séance publique.

M. François-Noël Buffet , président . - Concernant le périmètre de l'article 45 de la Constitution, je vous propose de considérer que celui-ci comprend les dispositions relatives à la planification et à l'exercice par les communes et établissements publics de coopération intercommunale des missions de défense extérieure contre l'incendie.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article unique est adopté.

Après l'article unique

M. Loïc Hervé , rapporteur . - J'ai déjà présenté l'amendement COM-2 rectifié tendant à créer une commission départementale de suivi de la défense extérieure contre l'incendie. Les membres de cette commission consultative ne peuvent pas appartenir au conseil d'administration du SDIS. Par ailleurs, les représentants du directeur général du SDIS viendront conseiller techniquement les maires des communes rurales pour ce qui concerne les enjeux réglementaires et les obligations qui s'imposent à la gestion de tels risques. Nous avons voulu éviter tout conflit d'intérêts entre le conseil d'administration du SDIS et cette instance de concertation.

Je suis favorable à cet amendement, sous réserve de l'adoption du sous-amendement COM-3 , qui prévoit que le rapport annuel, l'année précédant la révision du SDACR, vaut évaluation préalable du service public de la défense extérieure contre l'incendie, et ce dans un esprit de simplification.

Le sous-amendement COM-3 est adopté. L'amendement COM-2 rectifié, ainsi sous-amendé, est adopté et devient article additionnel.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

M. Loïc HERVÉ, rapporteur

1

Intégration du règlement départemental de défense extérieure contre l'incendie au schéma départemental d'analyse et de couverture des risques

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article unique

M. MAUREY

2 rect.

Création d'une commission départementale de suivi de la défense extérieure contre l'incendie

Adopté

M. Loïc HERVÉ, rapporteur

3

Permettre que le rapport annuel établi par la commission départemental de suivi ait valeur d'évaluation préalable à la révision du SDACR

Adopté

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