Rapport n° 317 (1981-1982) de M. Pierre SALVI , fait au nom de la commission des lois, déposé le 5 mai 1982

Disponible au format Acrobat (39 Koctets)

N° 317

SÉNAT

SECONDE SESSION ORDINAIRE DE 1981-1982

Annexe au procès-verbal de la séance du 5 mai 1982.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de Législation, du Suffrage universel, du Règlement et d'Administration générale (1) sur la proposition de résolution de MM. Charles PASQUA, Adolphe CHAUVIN, Philippe DE BOURGOING et Jean-Pierre CANTEGRIT tendant à créer une commission de contrôle des services chargés, au ministère de l'Intérieur et de la Décentralisation , d'une mission de sécurité publique.

Par M. Pierre SALVI,

Sénateur.

(1) Cette Commission est composée de : MM. Léon Jozeau-Marigné, président ; Jean Geoffroy, Pierre Carous, Louis Virapoullé, Charles de Cuttoli, vice-présidents ; Charles Lederman, Roland du Luart, Pierre Salvi, secrétaires ; Alphonse Arzel, Germain Authié, Marc Bécam, Mme Geneviève Le Bellegou-Béguin, MM. Roger Boileau, Philippe de Bourgoing, Raymond Bouvier, Michel Charasse, Lionel Cherrier, Félix Ciccolini, François Collet, Etienne Dailly, Michel Darras, Michel Dreyfus-Schmidt, Jacques Eberhard, Edgar Faure, François Giacobbi, Michel Giraud, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jacques Larché, Jean Ooghe, Guy Petit, Hubert Peyou, Paul Pillet, Roger Romani, Marcel Rudloff, Pierre Schiélé, Franck Sérusclat, Edgar Tailhades, Jacques Thyraud,

Voir le numéro :

Sénat : 251 (1981-1982).

Sécurité publique. -- Commissions de contrôle - Ministère de l'Intérieur - Police.

MESDAMES, MESSIEURS,

Votre Commission est appelée à se prononcer sur la proposition de résolution tendant à créer une commission de contrôle des services chargés au ministère de l'Intérieur et de la Décentralisation d'une mission de sécurité publique. Cette proposition est présentée par MM. Charles Pasqua, Adolphe Chauvin, Philippe de Bourgoing et Jean-Pierre Cantegrit. En application de l'article 11 du Règlement du Sénat, votre Commission est appelée, s'agissant d'une proposition de résolution dont elle est saisie au fond, à exercer un double contrôle :


•-- un contrôle de conformité aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires qui détermine les conditions de création des commissions d'enquête et de contrôle ;

-- un contrôle d'opportunité dans la mesure où l'objet de la proposition de résolution recouvre une partie des domaines de sa compétence. Tel est bien le cas de la présente proposition qui touche aux problèmes d'ordre public et d'organisation des services du ministère de l'Intérieur et de la Décentralisation.

Les conditions de création des commissions de contrôle sont définies plus précisément par l'alinéa 3 de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958. Cet alinéa est ainsi libellé : « Les commissions de contrôle sont formées pour examiner la gestion administrative, financière ou technique de services publics ou d'entreprises nationales en vue d'informer l'assemblée qui les a créées du résultat de leur examen. »

Le Parlement a admis à plusieurs occasions qu'il n'était pas nécessaire de viser une administration ou un service public précis, mais qu'il suffisait de vouloir contrôler l'exercice d'une fonction de caractère public.

Au Sénat, ce critère a été notamment retenu en 1966 lors de la création d'une commission de contrôle « chargée d'examiner les problèmes d'orientation et de sélection dans le service public de l'enseignement », puis en 1969, pour la création d'une commission de contrôle « chargée d'examiner l'état d'exécution du V e Plan de développement économique et social en matière d'équipement sanitaire et social ». Que les services chargés d'une mission de sécurité publique constituent un service public au sens de l'ordonnance du 17 novembre 1958 ne paraît donc pas contestable. Dès lors, la recevabilité de la présente proposition de résolution au regard de l'article 6 de l'ordonnance précitée ne laisse aucun doute.

Il reste seulement à s'interroger sur le bien-fondé de la création d'une telle commission de contrôle.

Le problème de la sécurité publique est, hélas !, et sans doute possible, au coeur de l'actualité. De nombreux faits et de multiples manifestations témoignent, en effet, d'un malaise général tant dans la population que parmi les fonctionnaires des services chargés d'assurer une mission de sécurité publique.

Le sentiment d'insécurité , contrairement à ce qui est parfois affirmé, est bien une réalité. Il n'est pas, comme d'aucuns voudraient le faire savoir, exclusivement le produit de campagnes de presse ou de discours de dramatisation qui ne seraient pas fondés sur des causes objectives. En effet, à l'inquiétude déjà ressentie par la population par suite de la croissance de la criminalité, et tout particulièrement du développement de formes violentes de délinquance, s'ajoute aujourd'hui un fait nouveau : la recrudescence en France du terrorisme international. Même si l'on s'en remet aux récentes déclarations ministérielles, selon lesquelles ce terrorisme est suscité « de l'extérieur », et menace gravement la sûreté même de l'Etat, ses manifestations actuelles ont d'indéniables retombées sur la sécurité intérieure des personnes et des biens. Aussi convient-il que le Parlement s'en préoccupe tout particulièrement. Par ailleurs, l'inquiétude de la population est aggravée par le trouble et le désarroi qui règnent au sein des forces de l'ordre. C'est une situation dont elle prend de plus en plus concrètement conscience. Certes, le malaise de la police n'est pas un fait nouveau. Mais ne résulte-t-il pas pour une large part des attaques permanentes dont elle a été hier l'objet sur la façon dont elle exerçait ses responsabilités et ses missions ? On peut penser en effet que ces attaques répétées ont fortement contribué à en présenter une image pour le moins déformée et partisane à l'opinion publique.

Les opinions contradictoires exprimées récemment et publiquement par les principaux membres du Gouvernement directement concernés par le maintien de l'ordre public, les hésitations du Premier ministre lui-même quant à l'opportunité de soumettre au Parlement l'abrogation de la loi dite « Sécurité et liberté », la polémique ouverte au sujet des contrôles d'identité n'ont rien fait, bien au contraire, pour diminuer le désarroi de l'opinion et le trouble de la police.

L'adoption de textes, tels ceux qui ont aboli la peine de mort, supprimé la Cour de sûreté de l'Etat, abrogé la loi « anti-casseurs », élargi considérablement la portée traditionnelle de l'amnistie au lendemain de l'élection présidentielle, a donné le sentiment à la population que la préoccupation de la sécurité des Français ne figurait plus au premier rang des préoccupations des pouvoirs publics. Ce sentiment n'a fait que renforcer son inquiétude.

Ces différents facteurs ont contribué par ailleurs à créer un climat d'incertitude qui a, notamment, pour effet de jeter le doute dans l'esprit des forces de l'ordre quant à l'étendue exacte de leurs pouvoirs d'intervention et de leur mission. Il en résulte parfois une véritable paralysie des moyens et des hommes, préjudiciable à la sauvegarde de cette « sûreté » du citoyen que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen place au même rang que la liberté et l'égalité.

A cette incertitude sur les moyens juridiques s'ajoutent une insuffisance des effectifs et des moyens matériels ainsi qu' une très grande diversité des structures qui nuit à l'unité d'action.

Il est en effet fréquent de voir intervenir, pour une même mission, plusieurs services dépendant de ministères différents : la brigade territorialement compétente des polices urbaines, la police judiciaire, la gendarmerie, la police de l'air et des frontières, etc.

C'est en effet une des caractéristiques de notre organisation administrative que cette dispersion des services appelés à assurer les missions de sécurité intérieure et extérieure qui sont la première justification de l'Etat.

Et cela ne va pas dans certains cas sans contribuer à créer un caractère d'inefficacité dans la mise en oeuvre de certaines missions de sécurité. Sur ces problèmes, le ministre de l'Intérieur est évidemment concerné au premier chef mais il n'est pas seul : le ministère de la Justice assure, à travers le parquet, le contrôle des opérations de police judiciaire ; le ministère des Armées, outre sa mission de défense, assure, à travers la Gendarmerie, des missions de renseignement et de protection des populations, principalement -- mais non exclusivement -- en zone rurale ; d'autres ministères plus spécialisés interviennent également. Pour n'en citer que quelques-uns, rappelons que les services des Douanes dépendent du ministère du Budget, la police maritime du ministère de la Mer, etc. Le ministère des Relations extérieures, lui-même, ne peut rester indifférent au développement du terrorisme international et à ses implications quant à nos choix de politique étrangère.

Lorsque la concurrence débouche sur « la guerre des polices », avec les regrettables méprises qui se sont produites ou encore les impasses qui s'ensuivent, on mesure la nécessité de mettre bon ordre à ces chevauchements et d'élargir par conséquent le champ d'investigation de la commission de contrôle à l'ensemble des services de l'Etat chargés d'une mission de sécurité publique.

Votre commission des Lois, après avoir suggéré un élargissement de la compétence de la commission de contrôle qu'elle vous suggère de créer, souhaite cependant attirer l'attention du Sénat sur deux aspects du problème qui vont au-delà des questions d'organisation ou de compétence.

Le premier est d'ordre philosophique et devrait conduire les réflexions de la future commission vers les aspects juridiques du maintien de l'ordre. On ne peut parler, en effet, de sécurité sans évoquer en même temps le nécessaire respect de la liberté du citoyen. La force publique est, selon l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme du 26 août 1789, « instituée pour l'avantage de tous », et non « pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Si les forces de police doivent pouvoir disposer de droits, clairement et précisément établis, elles ont aussi, dans un Etat républicain, des devoirs. L'impératif de sécurité peut justifier certaines réserves touchant la liberté individuelle. Il ne peut conduire à supprimer cette liberté elle-même. C'est la tâche du législateur d'essayer de définir les contours de cette nécessaire conciliation. Ce pourrait être l'un des objectifs -- très ambitieux il est vrai -- de la future commission que d'apporter une contribution positive à cette recherche.

Toute commission de contrôle se doit de respecter, dans la définition de ses propres compétences, les dispositions de l'ordonnance du 17 novembre 1958 et notamment celles qui ont trait au « principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs ». De la même façon, elle ne peut avoir pour effet de se substituer au pouvoir exécutif dans !a responsabilité de gestion des services. Il reste que les limites respectives des attributions du pouvoir exécutif, du pouvoir législatif et de l'autorité judiciaire ne sont définies que par des règles très générales. Le texte de l'ordonnance du 17 novembre 1958 est un guide mais le contour exact des pouvoirs est affaire de pratique. La création d'une commission de contrôle est une occasion de cerner ce contour dans le domaine particulier de l'activité des services publics que la commission a pour mission de contrôler.

Créer une commission de contrôle des services de l'Etat chargés d'une mission de sécurité conduit donc à poser le problème des pouvoirs d'information des rapporteurs avec une acuité toute particulière.

L'alinéa 7 de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, en effet, prévoit que « les rapporteurs des commissions d'enquête et de contrôle exercent leur mission sur pièces et sur place. Tous les renseignements de nature à faciliter cette mission doivent leur être fournis. Ils sont habilités à se faire communiquer tous documents de service, à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat, et sous réserve du respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs ».

Cette rédaction ne saurait avoir pour effet de supprimer la possibilité pour le Sénat de créer une telle commission. On peut penser au contraire que la création de cette commission pourrait permettre de cerner plus précisément la notion de secret . Ses travaux pourraient se situer ainsi dans la continuité législative de ces dernières années et contribuer à accroître ce qu'il est convenu d'appeler, après les lois relatives, notamment, à la communication des documents administratifs et à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, la « transparence administrative ».

Sous réserve de ces observations, votre Commission vous propose d'adopter la proposition de résolution ci-après :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à créer une commission de contrôle des services

de l'Etat chargés du maintien de la sécurité publique.

(Texte proposé par la Commission.)

Article premier.

Il est créé, conformément à l'article 6 de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958, une commission de contrôle des services de l'Etat chargés du maintien de la sécurité publique.

Art. 2.

Cette commission est composée de 21 membres désignés conformément à l'article 11 du Règlement du Sénat.

Page mise à jour le

Partager cette page