II. L'OPPORTUNITÉ DE LA CONSTITUTION D'UNE COMMISSION D'ENQUETE SUR LE FINANCEMENT DES PARTIS POLITIQUES ET DES CAMPAGNES ÉLECTORALES.

Trois considérations ont amené votre commission des Lois à rejeter sans réserve la proposition de résolution qui nous est présentée:

La nécessaire indépendance du Sénat à l'égard de l'Assemblée nationale.

L'essence même du bicaméralisme, auquel la France est profondément attachée, tient autant à l'existence de deux chambres qu'à l'absolue indépendance de chacune d'entre elles à l'égard de l'autre.

Au cas présent, nul n'ignore que l'Assemblée nationale a été saisie le 25 avril 1991, c'est-à-dire très exactement le même jour que le Sénat, d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête rédigée en termes pratiquement identiques, déposée par le Président et les membres de son groupe socialiste.

L'Assemblée nationale y a donné la suite qu'elle a jugée opportune, et a effectivement constitué, en son sein, une commission d'enquête de trente membres, « chargée d'étudier les modalités de financement des campagnes électorales et des partis et groupements politiques ayant soutenu des candidats aux élections nationales depuis 1958 ».

Dans le cadre de ses travaux, il n'appartenait pas à votre commission des Lois d'émettre un jugement sur cette initiative à laquelle les députés se sont ralliés en toute indépendance, conformément au principe de l'autonomie des assemblées parlementaires.

Cette création, en revanche, ne doit aucunement influencer le Sénat. En aucun cas, la seconde chambre du Parlement ne doit devenir cette « Assemblée nationale bis » que, par sa modération, mais aussi souvent par sa fermeté-, notre Haute Assemblée s'est toujours gardée d'être.

La dualité du Parlement affermit la démocratie. Calquer au Sénat une initiative de l'Assemblée nationale au motif d'un prétendu consensus, ou sur la base de considérations purement politiciennes, ne servirait pas la démocratie.

Pour ce seul motif, votre commission ne pourrait que vous proposer de rejeter la proposition de résolution qui nous est soumise. Mais un deuxième élément l'y incite encore plus fermement.


• Le Sénat a rejeté catégoriquement et par trois fois, l'amnistie prévue par l'article 19 de la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990.

La lucidité commande d'admettre que l'initiative qui nous est proposée répond moins à une louable intention qu'à une tentative maladroite d'effacer dans l'opinion publique les incidences désastreuses de la loi d'amnistie du 15 janvier 1990.

Le Sénat a opposé à cette amnistie une attitude intransigeante dont il peut aujourd'hui s'honorer. Par trois fois, c'est- à-dire à chacune des trois lectures du projet de loi relatif au financement des activités politiques, votre Haute Assemblée a émis un vote négatif à l'encontre d'une amnistie dont elle refusait le principe même, au delà du discrédit pourtant éminemment prévisible qu'elle jetterait sur l'institution parlementaire toute entière.

Le Sénat, aujourd'hui, n'a pas à réparer les conséquences d'une situation qui ne lui est pas imputable : la commission d'enquête dont la création lui est proposée, serait l'endos d'une erreur grave qui ne lui incombe pas et qu'il a tenté de prévenir par tous les moyens que lui reconnaît la Constitution. A nouveau, ce second élément ne peut qu'amener votre commission à vous proposer le rejet de la proposition de résolution soumise à notre examen.

Très contestable, la démarche à laquelle nous sommes invités lui apparaît enfin dangereuse.


• Une enquête parlementaire sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales ne peut qu'accroître l'antiparlementarisme et la défiance de l'opinion publique envers la classe politique toute entière.

Quelles qu'en soient les causes réelles, l'antiparlementarisme est une donnée objective dont les assemblées doivent s'efforcer de prévenir les effets. Rempart de la démocratie, le Parlement ne doit pas se prêter à une entreprise qui l'éloignerait encore un peu plus des citoyens dont il est le mandataire.

Trop souvent mal informé sur son Parlement, sur les travaux législatifs de haute qualité qu'il mène, et sur le gage irremplaçable de justice et de démocratie qu'il représente, le citoyen s'interroge, et fréquemment s'inquiète, sur ce qu'il est convenu de désigner la « classe politique ».

Faut-il lui donner à nouveau l'occasion d'évoquer des faits dont la presse s'empare à chaque fois avec empressement, sans toujours disposer de tous les éléments souhaitables d'information ? La démarche serait plus que hasardeuse, comme l'ont déjà démontré les résultats peu probants de certaines commissions d'enquête constituées dans le passé par l'Assemblée nationale sur le problème du financement des activités politiques.

Votre rapporteur en a pris pour exemple la commission d'enquête constituée par la Chambre des Députés en 1924, afin d'enquêter « sur l'origine des fonds électoraux ayant servis à tous les partis » avant cette date.

Comme le rappelait en 1947 le Professeur Laferrière, cette commission ouverte à grand fracas, après des débats interminables puis de plus en plus ralentis, « desinit in picem ». Se référant aux archives parlementaires, votre rapporteur a même pu constater que le rapport final de cette commission, pourtant annoncé en séance publique à l'impression et à la distribution (Chambre des Députés-1925 n° 2098), ne fut en définitive jamais publié.

Dans le même ordre d'idée, Joseph Barthélemy et Paul Duez observaient en 1933 que « la commission d'enquête de 1930-31 sur la collusion de la politique et de la finance a jeté, sans profit, un grand trouble dans le pays et un certain discrédit sur le régime ».

Des griefs identiques furent émis à l'encontre de la commission d'enquête sur l'Affaire Stavinsky ou de la commission chargée d'enquêter sur les événements du 6 février 1934. Constituées la même année par la Chambre des Députés, ces deux commissions furent, l'une comme l'autre, incapables d'établir la vérité sur les faits qui avaient justifiés leur création, -au plus grand préjudice de l'institution parlementaire-.

De nos jours, et compte-tenu du régime juridique institué par l'ordonnance du 17 novembre 1958, la procédure de l'enquête parlementaire, conduite dans la plus absolue confidentialité, s'avère de surcroît inadéquate pour répondre aux questions légitimes de nos concitoyens. Le caractère secret des travaux d'une commission d'enquête, et un rapport publié après six mois de silence complet, ne pourraient en effet qu'être interprétés, à nouveau, comme une manoeuvre d'étouffement d'une vérité qu'il est, du reste, peu probable d'établir entièrement.

On imagine enfin le trouble grave que pourraient ressentir nos concitoyens si au terme de ses travaux, la commission d'enquête qu'aurait constituée le Sénat parvenait, sur un sujet identique, à des conclusions différentes, -voire opposées-, à celles de la commission de l'Assemblée nationale.

Refusant un effet d'affichage dont notre Haute Assemblée n'a rien à attendre, ces considérations ont a mené votre commission à ne pas suivre la proposition qui nous est présentée.

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C'est au bénéfice de ces considérations que votre commission des Lois vous propose de ne pas adopter la proposition de résolution (1990-1991 n° 305) soumise à notre examen.

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