CHAPITRE II : - LES MUTATIONS TECHNIQUES DE L'AUDIOVISUEL : ET LA FONTAINE DE L'ABONDANCE TÉLÉVISUELLE COULER...

1995 est la première année « opérationnelle » du multimédia.

Les technologies de manipulation de plusieurs données, telles que le texte, le son, les images, les photographies et les séquences vidéo étaient autrefois exploitées sur des supports -des média au sens strict- spécifiques. Aujourd'hui, ces données peuvent être regroupées et traitées sur un même support, comme le CD ROM.

Télécommunication et communication se rapprochent.

La télévision sera demain le support de services qui n'auront rien à voir avec l'audiovisuel tel que nous le connaissons aujourd'hui.

Après le discours sur les « autoroutes de l'information », -initiative américaine datant de 1993 et fortement soutenue par les autorités fédérales, une véritable « task force » fut mise en place tout au long de l'année 1994 afin de réaliser ces infrastructures ; cependant les opérateurs de la communication et des télécommunications n'ont entrepris leurs expérimentations qu'avec prudence. Les États, soit de façon concertée, comme ce fut le cas avec la réunion du G 7 des 25 et 26 février 19895, soit de façon autonome, à l'exemple du comité interministériel du 28 février 1995, s'engagent également dans cette voie (IV).

1995 est également l'année d'un développement important des chaînes satellites, avec le lancement des satellites HOT BIRD 1 ou ASTRA. Les premières chaînes numériques sont, de même, apparues.

Outre une modification en profondeur de l'économie du secteur audiovisuel, cette mutation technologique aura des conséquences importantes sur la composition du paysage audiovisuel français, sous réserve de l'évolution du comportement des téléspectateurs à une offre de plusieurs centaines de chaînes, qui, à tout le moins, rendra nécessaire une adaptation de la réglementation (III).

Dans ce contexte, le développement du câble, malgré les efforts des câblo-opérateurs, les adaptations juridiques et les soutiens fiscaux, est beaucoup trop lent. Le paysage audiovisuel câblé, tel qu'on peut le prévoir pour l'an 2000, demeure encore incertaine (II).

Malgré ces mutations toutes proches maintenant, dont il faut évaluer avec soin l'importance et l'influence, les chaînes généralistes diffusées par voie hertzienne demeurent, sans doute, assurées d'un avenir à bien des égards encore prometteur (9 ( * )).

I. LA DIFFUSION PAR VOIE HERTZIENNE

En 1996, la taxation de l'utilisation des fréquences hertziennes d'une part, et l'utilisation du réseau multivilles, d'autre part, pourraient être d'actualité.

A. LA TAXATION DE L'UTILISATION DES FRÉQUENCES HERTZIENNES

L'espace hertzien est une ressource rare.

La transmission de l'information électronique par voie hertzienne -c'est à dire par modulation de l'amplitude de l'onde- nécessite l'utilisation d'une largeur du spectre électromagnétique (ou spectre hertzien) qui varie suivant la quantité d'information transportée.

A la suite d'accords internationaux, le spectre hertzien a été découpé en bandes de fréquences réservées chacune à des usages précis (radio ondes longues, télévision VHF, radio FM, téléphonie...).

En France, l'utilisation de l'espace hertzien est autorisée par le CSA, dont la compétence en la matière est justifiée par la rareté de la ressource naturelle que constitue cet espace. Elle est fondée sur l'article premier de la loi du 30 septembre 1986, qui dispose expressément que :

« L'exercice de cette liberté [de la communication audiovisuelle] ne peut être limité que (...) par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication ».

La taxation, un instant envisagée, de l'utilisation des fréquences hertziennes prouve, s'il en était besoin, combien les conceptions française et américaine divergent.

Aux États-Unis, en effet, le Président de la Fédéral Communications Commission (FCC) a prôné davantage de concurrence accompagnant une déréglementation totale des TÉLECOMmunications. Pour M. Reed Hundt, « les réseaux de TÉLÉCOMMUNICATION ne sont pas des monopoles naturels et n'ont pas besoin d'être contrôlés par le Gouvernement ». En matière de radiotéléphonie, les bandes de fréquences réparties sur tout le territoire américain sont désormais mises aux enchères électroniques.

Il en est de même en Grande-Bretagne, où l'attribution du cinquième réseau, remportée par le canadien Canwest, fut mise aux enchères.

Il en va différemment en France, où l'espace hertzien ne peut faire l'objet d'aucune appropriation privative.

Ni TDF ni aucun autre diffuseur ne dispose d'un droit de propriété sur l'espace hertzien. Les sociétés de diffusion et de transmission de programmes audiovisuels ne sont que des sociétés de service. Les fréquences qu'elles utilisent pour transporter des signaux ne leur appartiennent pas. L'utilisation des fréquences radioélectriques constitue, en effet, un mode d'occupation privatif du domaine public de l'État.

Cette règle résulte de l'article 22 de la loi du 30 septembre 1986 issue de l'article 10 de la loi du 17 janvier 1989. Lorsque le CSA délivre une autorisation d'émettre, il octroie un usage et non pas une fréquence : il s'agit d'un droit d'usage sur une fréquence. Le CSA peut accorder plusieurs usages sur une même fréquence, comme c'est actuellement le cas pour ARTE et La Cinquième.

L'idée a été lancée, le 30 novembre 1994, de créer une « Agence nationale des fréquences radioélectriques », chargée de centraliser la gestion du spectre hertzien et de planifier les demandes émanant des radios et télévisions, qui occupent la moitié du spectre hertzien environ, de l'armée et des télécommunications. Annoncée par le directeur général des postes et télécommunications, cette initiative a cependant suscité une réaction négative des opérateurs audiovisuels et le projet a été abandonné pour des raisons juridiques.

Le Conseil d'État a, en effet, estimé, en application de l'article 34 de la Constitution, qu'un tel organisme ne pouvait être créé par décret et qu'une loi était nécessaire, s'agissant d'un établissement public n'ayant pas d'équivalent sur le territoire.

Au cours de la réunion interministérielle du 20 juin 1995, il a été décidé que le dépôt d'un projet de loi n'était pas urgent et qu'il était préférable d'intégrer cette proposition dans un projet de loi ultérieur ayant pour objet d'adapter le cadre réglementaire des TÉLÉCOMmunications avant la libération du marché européen en 1998.

Dans le projet, la création de l'Agence devait être accompagnée du paiement d'une redevanc e par tout usager d'une fréquence hertzienne.

Cette mesure aurait constitué une véritable révolution. Jusqu'à présent, les télévisions et les radios bénéficient, en France, de la gratuité, contrairement aux règles qui prévalent dans d'autres pays, comme les États-Unis. En revanche, télévisions et radios paient à TDF la location des émetteurs de signaux mais ne paient pas la fréquence elle-même. Les autres utilisateurs du spectre hertzien (services de radiocommunications soumis à une autorisation du ministère -téléphone mobile, transmission de données, et quelque 60 000 réseaux privés de sociétés de taxis, d'ambulances...) acquittent pour leur part une taxe. Celle-ci rapporte 350 millions de francs à l'État. Tous les usagers du spectre auraient été taxés selon le nombre de mégahertz utilisés. L'extension de la location des fréquences à tous les utilisateurs aurait rapporté environ 100 millions de francs de plus à l'État.

Ce projet a suscité de sévères critiques de la part des diffuseurs. Tout d'abord ils ont considéré que « le paiement des fréquences remet en cause le principe de l'intangibilité du contrat passé avec le CSA qui délivre des conventions d'autorisation » puis ils rappelaient qu'ils assurent déjà de nombreuses obligations. Ils ont, enfin, craint que le CSA ne soit dépossédé de certaines de ses prérogatives.

Cette mesure ne peut cependant être définitivement écartée. Comme tout élément du domaine public, l'usage des fréquences hertziennes peut faire l'objet d'une redevance d'occupation sous la condition que soit respecté le principe d'égalité entre opérateurs de l'audiovisuel public et privé.

* 9 Rémy Sautteur, vice-président directeur général de RTL, Le Monde, 4-5 décembre 1994.

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