II. DES MESURES INOPPORTUNES DANS UN MARCHÉ DÉJÀ DÉPRIMÉ

Si l'impact économique de ces compensations ne sera vraisemblablement pas considérable dans un premier temps, il reste :

- que la Commission européenne accepte « d'écorner » un peu plus la préférence communautaire dans le domaine agricole ;

- que les intérêts français sont particulièrement lésés, la France étant le plus important exportateur de pommes dans les échanges intra-communautaires ;

- qu'une fois de plus, le secteur des fruits et légumes est utilisé comme monnaie d'échange dans les négociations d'accords bilatéraux 1 ( * ) , ce qui ne manquera pas d'accroître les difficultés d'un secteur qui, important employeur de main d'oeuvre agricole, devrait mériter une particulière attention.

A. UN SECTEUR AGRICOLE DONT L'IMPORTANCE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE EST INSUFFISAMMENT PRISE EN COMPTE


• Les compensations affectent, en effet, une partie du secteur des fruits et légumes, lequel consomme peu de terres et génère une plus forte valeur ajoutée à l'hectare que les exploitations moyennes. Ce secteur est également le seul grand employeur de main d'oeuvre agricole, de l'ordre de40 à 60 % du total, avec le même pourcentage tout au long de la chaîne de commercialisation. L'arboriculture est, en outre, localisée dans des régions, souvent éprouvées par le chômage, où n'existent pas de réelles possibilités de diversification de l'emploi.


• Avec 2,09 millions de tonnes en 1995, la production française de pommes représente le quart de la production de l'Union européenne
(7,93 millions de tonnes), au deuxième rang derrière l'Italie.

Répartie sur 56.000 hectares, elle est essentiellement concentrée dans le Sud-est et dans le Pays de Loire. Les surfaces en production, après avoir connu une légère hausse entre 1990 et 1991, se sont stabilisées et ont même diminué de 9 % en 1994 et 1995, suite à la mise en oeuvre de programmes d'arrachage de pommiers.

Or, il ne semble pas qu'à l'occasion de la négociation d'accords bilatéraux ou multilatéraux, le poids économique et social de ce secteur soit toujours suffisamment pris en compte.

B. UN SECTEUR SOUMIS À DE FORTES PRESSIONS

1. Des handicaps structurels

Tout d'abord, la consommation progresse moins et se déplace vers des produits exotiques ou transformés. Le ralentissement de la consommation de pommes, notamment, a été amorcé depuis la fin des années 1980.

La mission sénatoriale sur les fruits et légumes avait déjà conclu, en 1993, à une stagnation, sur le long terme, de la demande intérieure de fruits et légumes en valeur absolue, en dépit de l'accroissement de la population et de l'augmentation des prix.

De plus, la fiscalité et les charges sociales pèsent sur ce secteur dont les exploitations peuvent être comparées à des entreprises industrielles. Ces exploitations sont pénalisées par un cadre fiscal et social inadapté, alors même qu'elles sont caractérisées par le poids des investissements nécessaires et l'importance de la main d'oeuvre.

Ensuite, on peut s'interroger sur une éventuelle situation de surproduction structurelle.

L'exemple de la pomme illustre parfaitement l'évolution du verger, non seulement au niveau français mais européen et mondial. Depuis plusieurs années déjà, le verger français de pommiers évolue et se restructure. Le rythme actuel des plantations est compris entre 4.000 à 4.500 hectares par an. À plus long terme, si les plantations se maintiennent à leur rythme actuel, le verger français de pommiers pourrait, d'ici l'an 2000, avoir progressé de plus de 20 % en surfaces.

De même, le développement de la grande distribution, qui parfois « casse » les prix, sans pour autant augmenter les volumes vendus, accentue la pression sur ce secteur. En effet, aujourd'hui, près de trois achats de fruits sur cinq s'effectuent en grande et moyenne surface.

Enfin depuis quelques années, le marché des fruits et légumes a été fortement fragilisé par la multiplication d'accords multilatéraux ou bilatéraux conclus par la Communauté avec les pays tiers. Il serait donc particulièrement opportun que les autorités communautaires ne s'empressent pas d'appliquer le volet de ces accords abaissant les barrières douanières, mais également celui autorisant des mécanismes de protection du marché communautaire.

2. Des déséquilibres conjoncturels

Le marché national est, en outre, en butte à diverses difficultés, d'ordre conjoncturel.

Ce marché est déséquilibré par une offre surabondante et à des prix inférieurs au coût de revient, menaçant ainsi la position française notamment à l'exportation et ce d'autant plus que le premier bilan de l'année 1995 paraît mitigé. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène.

Tout d'abord, les dévaluations monétaires compétitives.

En effet, les monnaies de notre principal client à l'exportation, la Grande Bretagne (200.000 tonnes), et de notre principal concurrent européen sur les marchés étrangers, l'Italie, sont en chute libre : 20 % pour la livre sterling d'août 1992 à décembre 1995 et 31 % pour la lire italienne sur la même période.

Aussi, l'impact des fluctuations monétaires sur le coût du salaire horaire en France (base 100) et en Italie s'avère excessivement pénalisant.

De plus, malgré les arrachages, la conjoncture reste difficile. Les stocks continuent de gonfler en dépit de la baisse de la production.

En novembre 1995, d'après des données de l'AFCOFEL (Organisation nationale des groupements de producteurs), ces stocks étaient supérieurs de 10 % à ceux de 1994, à la même période de l'année. Cette année, cependant, grâce à la faiblesse des récoltes italienne, allemande et espagnole, due aux aléas climatiques, la production française a pu éviter le retrait et s'est dirigée vers la transformation en Allemagne.

Cette situation, pourtant favorable, est cependant loin de satisfaire les producteurs. Dans l'ensemble, l'indice des prix à la production s'établit en deçà de celui de 1994 (- 20, pour le mois de septembre, -14 pour le mois d'octobre). D'une part, en effet, le prix à la transformation reste inférieur au prix normalement payé sur le marché du frais, d'autre part, les stocks de pommes du Chili, arrivées dès le mois de mars, ont pesé sur les prix jusqu'au mois d'octobre.

Depuis août 1995, les prévisions de récolte de l'Union européenne, plus faibles que ces dernières années, laissaient espérer un marché équilibré, donc une campagne de commercialisation 1995/1996.

Il n'en est rien : les importations ont atteint 850.000 tonnes en 1995, avec des prix d'entrée de produits de l'Hémisphère Sud anormalement bas et théoriquement incompatibles avec le système des prix de référence, tel qu'il devait être appliqué à l'époque.

On a donc assisté en 1995 à des importations records en provenance des pays tiers. Premier marché solvable, l'Union Européenne est déjà très largement ouverte aux importations de ses partenaires.

Importations de fruits d'automne

Partie prenante d'un marché largement mondialisé et où la commercialisation n'est plus affaire de saisons, les producteurs de pommes français sont exposés à une concurrence de plus en plus rude.

Enfin, pour le secteur de la poire, les problèmes conjoncturels sont là aussi importants.

En matière de commercialisation, la fin de campagne est désastreuse avec des retraits conséquents, l'indice de prix à la production en septembre étant inférieur de 2 % à celui, déjà très bas, de 94.

* 1 Ce point avait d'ailleurs été souligné dans le rapport d'information de la Commission des Affaires Économiques et du Plan sur la filière "fruits, légumes et horticulture" publié en mai 1993.

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