B. LA NÉCESSAIRE RÉVISION DU RÉGIME COMMUNAUTAIRE APPLICABLE AUX PAYS ET TERRITOIRES D'OUTRE-MER EN MATIÈRE DE LIBRE ÉTABLISSEMENT

L'exposé des motifs de la proposition de résolution souligne que la révision à mi-parcours de la décision d'association laisse subsister le problème du libre établissement des ressortissants communautaires dans les pays et territoires d'outre-mer.

La nouvelle rédaction de l'article 232 confirme en effet ce principe, assorti d'une condition de non discrimination en application de l'article 132 paragraphe 5 du Traité de Rome.

Considérant que la spécificité géographique, économique et statutaire des pays et territoires d'outre-mer nécessite un aménagement du régime applicable en matière d'établissement, la proposition de loi demande au Gouvernement d'intervenir au sein des instances communautaires pour que cette préoccupation soit prise en considération.

Le libre établissement constitue en effet un enjeu crucial pour les pays et territoires d'outre-mer : il apparaît nécessaire d'adapter les règles applicables en la matière afin que la liberté d'établissement ne soit pas un frein à leur développement, qui constitue, aux termes de l'article 131 du Traité de Rome « le but de l'association ».

1. La spécificité des pays et territoires d'outre-mer

a) Une spécificité géographique, économique et statutaire

Les pays et territoires d'outre-mer sont aujourd'hui au nombre de 20. Caractérisés par l'insularité, ces territoires ont une population globale d'environ 850.000 habitants dont plus de la moitié sont des ressortissants des collectivités et territoires français.

Leurs économies locales sont fragiles et connaissent des handicaps multiples : éloignement du marché européen, relief et climat parfois difficiles, économies fondées sur des filières de production ou des activités peu nombreuses et souvent sensibles aux fluctuations de la conjoncture, exiguïté du marché local.

Les taux d'accroissement démographiques dans ces territoires sont souvent très soutenus si bien que l'économie locale ne crée pas suffisamment d'emplois pour absorber chaque année le surplus de main-d'oeuvre.

L'étroitesse du marché du travail et les difficultés économiques auxquelles se heurtent les pays et territoires d'outre-mer justifieraient que ces territoires puissent exercer un contrôle sur l'installation des ressortissants communautaires.

Cette possibilité serait d'ailleurs cohérente avec les principes généraux fondant le régime d'association et énoncé par la décision du Conseil du 25 juillet 1991 : la promotion du développement des pays et territoires d'outre-mer et le renforcement de leurs structures économiques d'une part, la nécessité de tenir compte des difficultés spécifiques auxquelles ils sont confrontés d'autre part.

b) La situation particulière des pays et territoires d'outre-mer français

L'article 232 de la décision d'association, tout en affirmant que « les autorités compétentes des pays et territoires d'outre-mer traitent sur une base non discriminatoire les ressortissants, sociétés et entreprises des États membres » leur permet d' « établir des réglementations dérogeant , en faveur de leurs habitants et des activités locales , aux règles normalement applicables aux ressortissants , sociétés et entreprises de tous les États membres , pour autant que de telles dérogations soient limitées à des secteurs sensibles de l'économie du pays et territoire d'outre-mer concerné et s'inscrivent dans le but de promouvoir ou soutenir l'emploi local ».

Mais les pays et territoires d'outre-mer français ne peuvent bénéficier de ce régime protecteur.

En effet, en vertu du principe de non discrimination, les mesures limitant le libre établissement doivent s'appliquer indistinctement à tous les ressortissants communautaires, y compris à ceux de l'État membre avec lequel le pays ou territoire d'outre-mer concerné entretient des relations privilégiées.

Or, les principes constitutionnels d'égalité des citoyens devant la loi et d'indivisibilité de la République interdisent aux collectivités et territoires d'outre-mer français d'adopter des réglementations discriminatoires s'appliquant aux ressortissants français de métropole ou des départements d'outre-mer.

Ainsi, tout régime d'autorisation se heurte-t-il, pour les territoires d'outre-mer français, soit aux dispositions du Traité de Rome, soit à la Constitution, ce qui crée une rupture d'égalité entre les pays et territoires d'outre-mer français d'une part et les pays et territoires d'outre-mer néerlandais et britanniques d'autre part.

Il apparaît en conséquence nécessaire d'aménager le dispositif juridique communautaire en matière de libre établissement.

2. La nécessité d'adapter les dispositions relatives à la liberté d'établissement

Les dispositions relatives à la liberté d'établissement doivent être adaptées pour tenir compte de la spécificité des pays et territoires d'outre-mer.

Reconnaissant l'importance de cette question, les autorités françaises se sont engagées à en saisir les autorités communautaires. Or, l'ouverture de la conférence intergouvernementale à la fin du mois de mars dernier pour la révision du Traité de Rome constitue une excellente occasion d'actualiser les dispositions de sa quatrième partie consacrée aux pays et territoires d'outre-mer, qui n'ont jamais été modifiées depuis 1957.

a) La portée du principe de non discrimination

Le principe de non discrimination, principe fondateur de la construction européenne, doit être relativisé en ce qui concerne les pays et territoires d'outre-mer.

Ces territoires sont en effet liés à la Communauté européenne par un régime spécifique d'association, seule la quatrième partie du Traité de Rome leur étant applicable.

En outre, ce principe de non discrimination ne revêt pas un caractère intangible. Le rapport d'information du mois de juillet 1995 sur l'avenir de l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté européenne établi, au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, par notre excellent collègue M. Daniel Millaud, en fait la démonstration.

L'exemple du Danemark en est une illustration. Cet État membre a obtenu l'adoption d'un protocole annexé au Traité de l'Union lui permettant de conserver sa législation relative à l'acquisition des résidences secondaires.

De façon plus générale, la décision d'association elle-même (art. 232 b) prévoit une possibilité de dérogation : dans l'hypothèse où un État membre à la faculté, en vertu du droit communautaire ou du droit national, d'appliquer un traitement discriminatoire aux ressortissants d'un pays et territoire d'outre-mer ou à des sociétés ou entreprises qui y sont établies, les autorités de ce pays ou territoire d'outre-mer peuvent également opérer une discrimination à l'égard des ressortissants et sociétés de cet État membre.

b) La nécessaire révision de la IVème partie du Traité de Rome

Auditionné le 19 juillet 1995 par la délégation du Sénat pour l'Union européenne, M. Jean-Jacques de Peretti, ministre de l'Outre-mer, a reconnu que le principe communautaire de non discrimination combiné aux principes résultant de la Constitution française, empêchait les pays et territoires d'outre-mer français d'exercer un contrôle sur l'établissement des ressortissants communautaires et s'est engagé à demander à la Commission européenne la constitution d'un groupe de partenariat qui serait chargé d'effectuer une étude juridique sur cette question.

À une question orale posée par M. Gaston Flosse, le 13 mars 1996 à l'Assemblée nationale, M. Michel Barnier, ministre délégué aux affaires européennes, réitérait cet engagement en déclarant : « (...) dans les jours qui viennent, nous allons produire un mémorandum. Dans ce cadre , nous demanderons , comme vous le souhaitez , la mise en place d'un groupe de travail en commun entre les territoires , la Commission et l'État pour étudier l'application de la liberté d'établissement dans les territoires d'outre-mer ».

Une telle initiative n'a pas encore été mise en oeuvre. Lors du débat au Sénat du 22 février 1996 sur la réforme du statut de la Polynésie française, M. Jacques Larché, Président de la commission des Lois, reconnaissant la nécessité de « modifier la conception du droit communautaire applicable aux territoires d'outre-mer » a observé que « jusqu'à présent , l'opportunité d'une confrontation générale sur les perspectives du droit communautaire (avait) fait défaut , ce qui n'(avait) pas permis au Gouvernement d'agir (...) », mais que « cette occasion (allait) se présenter lors de la conférence intergouvernementale ».

Or, cette conférence s'est ouverte à Turin le 29 mars dernier et les conclusions du Conseil européen définissant son programme de travail prévoient qu'» elle devrait (...) examiner le statut des territoires d'outre-mer ».

Aussi votre commission tout en proposant d'actualiser la rédaction des dispositions de la proposition de résolution se référant à la tenue de cette conférence intergouvernementale, souscrit-elle à sa conclusion tendant à demander au Gouvernement de mettre tout en oeuvre pour que le régime d'association à la Communauté européenne des pays et territoires d'outre-mer, et en particulier les dispositions relatives au libre établissement des ressortissants communautaires, soient réexaminés.

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Compte tenu des observations qui précèdent, votre commission vous demande d'adopter la proposition de résolution dont le texte est reproduit ci-après.

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