CHAPITRE II : ÉLÉMENTS D'APPRÉCIATION

La proposition de résolution dont la commission des Finances est saisie se conclut par une "demande au Gouvernement de s'opposer fermement à la proposition de révision des perspectives financières présentée par la commission."

Cette position, également exprimée par l'Assemblée nationale 2 ( * ) , paraît être aussi celle du Gouvernement français et des Gouvernements de plusieurs autres États membres (Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Suède, Autriche, Espagne).

Votre rapporteur ne peut que recommander à votre commission des Finances de souscrire à cette conclusion qui est en parfaite cohérence avec ses propres observations et, en particulier, avec celles qu'elle a formulées à l'occasion du débat budgétaire pour 1996.

Approuvant la conclusion de la proposition de résolution examinée elle souscrit également bien entendu à ses considérants. Elle renvoie à ce sujet à l'excellent rapport de M. Denis Badré qui les expose à l'appui de sa proposition de résolution.

Son apport au débat consistera à ajouter quelques éléments d'appréciation et à insister sur quelques uns des enjeux majeurs suscités par la proposition de la commission.

I. REFLÉXIONS SUR LES PERSPECTIVES FINANCIÈRES

La définition de perspectives financières, qui constituent un élément de programmation à moyen terme du budget européen, a répondu au souci d'encadrer l'acte budgétaire européen, en un mot de la discipliner.

Un regard rétrospectif démontre que, soit par une erreur de conception initiale, soit par une pratique abusive, ces finalités n'ont pu être atteintes pleinement.

Les perspectives financières reposent sur l'idée d'un accroissement souhaitable et systématique des dépenses européennes.

Cette conception n'est plus adaptée aux contraintes financières du moment. Elle risque, en effet, de détourner les opinions publiques des pays contributeurs nets de la construction européenne.

La programmation financière de l'Union européenne s'inscrit dans le cadre d'une augmentation régulière de la part des ressources propres dans le PNB communautaire. C'est ainsi que les décisions successives sur les ressources propres ont programmé une montée en charge progressive de celles-ci : de 1,15 % du PNB communautaire en 1988, elles sont censées passer par étapes à 1,27 % du PNB communautaire en 1999.

En l'état, seule la non-ratification de la dernière décision relative aux ressources propres par les Pays-Bas prévient une augmentation de celles-ci conforme à ce qui a été prévu.

Cependant, la logique sous-jacente à la programmation des finances communautaires reste bien celle d'un accroissement de leur part dans le PIB. Mais, en tout état de cause, par le jeu des adaptations financières, les perspectives financières évoluent parallèlement au PIB.

Cette logique contraste à l'évidence avec celle qui prévaut dans les États-membres. Plus encore, elle entre en conflit avec celle-ci et, à la vérité, la question se pose de sa cohérence compte tenu des priorités financières des États-membres.

L'accroissement des dépenses communautaires se traduit par un accroissement des prélèvements nationaux au profit des communautés européennes. Les États-membres subissant, dans l'ensemble, une progression des recettes fiscales légèrement inférieure à celle de leur PIB. Ce phénomène est tendanciel, mais aussi volontariste. Il est aggravé par la ponction exercée par le budget européen sur leurs ressources qui connaît elle-même un accroissement supérieur à la croissance du PIB.

Comme dans le même temps, les ajustements budgétaires internes impliquent une maîtrise très sévère des dépenses publiques nationales, on peut dire que la dépense publique communautaire exerce un effet d'éviction sur la dépense publique nationale.

Il en résulte une situation de conflit qui peut, bien entendu, être aggravée par des conflits de choix sectoriels dans les dépenses.

Plus encore, la question se pose de la cohérence de la logique communautaire compte tenu des contraintes financières que s'imposent les États membres, précisément dans un contexte de "convergence" européenne.

Une part importante des actions communautaires revient aux actions structurelles. Près de 30 % des crédits du budget communautaire sont affectés aux fonds structurels.

Or, l'un des principes qui s'appliquent à ces crédits, le principe d'additionnalité, qui veut que chaque écu communautaire dépense à ce titre soit accompagné de la dépense d'un écu national, suppose que les États-membres suivent le rythme d'évolution de ces crédits tel qu'il résulte des décisions budgétaires européennes.

On rappellera que, dans le budget européen pour 1996, les dépenses de la rubrique "Actions structurelles" s'élevaient à 26,5 milliards d'écus, soit près de 174,1 milliards de francs et étaient en augmentation de 9,7 %.

Il existe clairement une contradiction entre les contraintes financières des États-membres et cette dérive. Au-delà, il apparaît que l'évolution des crédits d'actions structurelles n'est pas cohérente, étant donné lesdites contraintes, avec le respect du principe d'additionnalité qui en commande la gestion.

Ceci vient conforter l'inquiétude exprimée par votre rapporteur à l'occasion du débat budgétaire pour 1996 lorsqu'il a souligné "que le financement communautaire ne revienne finalement à permettre à certains États-membres d'alléger leurs charges publiques."

En conclusion, il apparaît indispensable que l'évolution des perspectives financières soit adaptée aux perspectives financières des États-membres et aux principes mêmes qui régissent la dépense européenne.

Ceci suppose que l'accroissement des crédits d'engagements communautaires ne soit pas systématique et que des clauses automatiques d'ajustement aux réalités économiques et financières soient définies. Un tel aménagement reviendrait à adapter la programmation financière communautaire à des indicateurs économiques et financiers réalistes dont dépendrait le niveau de la programmation.

II. LA PROPOSITION DE RÉVISION MANIFESTE DES ERREMENTS FINANCIERS DE L'UNION EUROPÉENNE

La conformité de la proposition de la Commission à l'esprit et même à la lettre de l'accord interinstitutionnel de 1993 est douteuse

Mais, avant de le montrer, il convient de mettre en évidence que les motifs avancés par la Commission illustrent quelques uns des défauts structurels de la gestion des finances publiques européennes.

A. L'ILLUSTRATION DES DÉFAUTS STRUCTURELS DE LA GESTION DES FINANCES PUBLIQUES EUROPÉENNES

a) Une gestion des finances publiques indifférente aux réalités économiques

Fondamentalement, et même si la Commission se garde de l'exprimer explicitement, la proposition examinée vise à dégager des financements pour des programmes conçus sur la base d'une croissance escomptée supérieure à la croissance réalisée.

Votre commission a eu l'occasion à plusieurs reprises de dénoncer le caractère normatif des perspectives économiques des différents rapports économiques annuels de la Commission.

Le rapport économique pour 1996 fournit une justification supplémentaire aux observations de notre commission puisqu'il fait état d'une croissance de 2,8 pour notre pays en 1995 contre 2,1 % réalisé. Il est vrai que, peut-être sensible aux observations des différents États-membres, la commission s'abstient de préciser ses perspectives pour 1996. Cependant, "casser le thermomètre ne revient pas à supprimer la fièvre" qui continue d'habiter les perspectives économiques sous-jacentes aux choix budgétaires communautaires, si l'on en croit d'autres documents élaborés par des fonctionnaires de la Commission.

En toute hypothèse, le "calibrage" financier de nombre de programmes communautaires ayant surestimé la croissance du PIB, il apparaît que les adaptations techniques des perspectives financières ne suffisent pas à en assurer le financement.

Plutôt que de constater ce défaut de prévision et d'adapter les programmes en conséquence, la Commission se livre à une révision des perspectives financières destinée à s'affranchir de réalités économiques moins favorables qu'estimé.

Cette façon de faire n'est pas acceptable.

b) Une programmation financière peu réaliste

L'un des arguments avancés par la Commission au soutien de sa proposition consiste à faire valoir que la sous-exécution de certains crédits communautaires dégagerait des marges de manoeuvre dont la mobilisation serait utile aux financements d'autres programmes.

Cet argument résonne comme un aveu d'impuissance à gérer convenablement les fonds communautaires. Pis encore, il remet en question la pertinence même de la conception de nombre de politiques communautaires.

* 2 Proposition de résolution n° 2802 du 22 mai 1996, présentée par M. Robert Pandraud.

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